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Notre siècle est un siècle prodigue, le plus prodigue sans doute de toute l’histoire du monde. Nous consommons les ressources de notre planète à une allure jamais connue auparavant. L’homme gratte pour ainsi dire la surface du globe pour nourrir une population qui augmente sans cesse, et l’industrie moderne met littéralement le sol sens dessus dessous avec une violence que l’on n’observait autrefois que dans le voisinage des volcans.

Tout cela tend à créer un nouveau milieu ambiant, un milieu dont nous ne savons pas encore s’il sera sain et habitable pour nous et nos descendants.

Depuis que l’humanité est apparue sur la terre, l’exploitation des ressources du sol par l’homme s’est profondément modifiée. Pourtant, aucun changement important n’est intervenu dans le même temps dans les 24,902 milles de circonférence du globe, dans ses 145 millions de milles carrés d’océan, ses 58 millions de milles carrés de surface terrestre. Notre patrimoine de terre propre à la culture est de quelque 10,710 millions d’acres, soit environ 3 acres ½ par personne à l’heure actuelle.

Il est évident, puisque nous vivons dans des limites aussi restreintes, que tout changement que nous apportons à notre milieu, depuis la construction des villes jusqu’aux explosions d’engins nucléaires, a pour nous de profondes répercussions biologiques. Si nous modifions les choses qui nous entourent, nous devons nous adapter à de nouvelles conditions d’existence. La théorie de la survivance du plus apte, énoncée par Darwin, ne signifie pas la survivance du meilleur, mais simplement la survivance des êtres les mieux aptes à faire face aux circonstances dans lesquelles ils se trouvent.

Voici en une seule phrase tout le problème qui se pose à cet égard : dans quelle mesure allons-nous nous conformer à l’état de choses que nous impose notre milieu et jusqu’à quel point allons-nous y résister et le modifier ? Toutes les forces que nous mettons en branle, par nos techniques ou par notre action sur le sol, les animaux, les oiseaux, les insectes ou les bactéries, influeront inévitablement sur la vie de beaucoup d’autres créatures.

Il importe de considérer, en envisageant ce problème, un facteur d’une énorme importance : la poussée croissante de la population mondiale. Toujours, aussi loin que nous remontions dans l’histoire, cette poussée de l’augmentation biologique des êtres humains a exercé une pression sur les sources et les moyens de production. Dans les siècles passés, les peuples sont parvenus à réduire quelque peu cette pression, soit en découvrant de nouveaux continents, soit en inventant de nouveaux procédés de production alimentaire.

Mais il n’existe plus aujourd’hui de nouveaux continents, et la population du globe est passée de 900 millions qu’elle était au moment de la révolution américaine, à 3,060 millions en 1960.

Toutes ces bouches sont nourries par un sol que nous travaillons intensivement. Ce n’est que récemment que nous avons commencé à penser à la nécessité de conserver à ce sol la teneur appropriée d’éléments minéraux. Et il n’y a pas longtemps non plus que nous nous efforçons activement d’empêcher le ruissellement d’emporter les substances chimiques indispensables à la nutrition.

En quoi consiste notre milieu ?

Dans une allocution qu’il prononçait devant le Cercle des naturalistes de Toronto, le professeur A.F. Coventry parlait, en faisant allusion à la nature, de « cette matrice inexorable… qui offre un milieu merveilleusement bien adapté à la vie, mais seulement si la vie obéit à ce milieu ».

Du point de vue de la vie humaine, le mot « milieu » est un terme très large. C’est la localité où nous vivons ; les cantons environnants, les plaines et les montagnes lointaines, et l’action des hommes dont l’influence affecte de quelque façon toutes les collectivités. Notre destinée est régie par une multitude de faits qui se déroulent hors de notre champ d’observation.

Fondamentalement, la nature est un complexe ordonné de choses et d’événements. La vie ne peut prospérer sans un certain équilibre entre les champs et les villes ; entre les plantes, les animaux et les hommes ; entre l’air, l’eau et l’industrie. L’homme n’est qu’une pièce du vaste ensemble dans lequel le ver de terre, creuseur de galeries, l’exploitation minière, les fonctions chlorophylliennes et même l’humble toile d’araignée ont leur place. Mais l’homme qui possède le grand pouvoir d’intervenir dans les voies de la nature a aussi le devoir de bien l’étudier afin que son intervention soit bienfaisante.

Voici quelques-unes des lois qui contribuent à assurer l’équilibre de la nature : l’adaptation, la succession, la multiplication et la régulation. Lorsque ces lois sont observées, la nature tend à produire dans tout milieu le plus d’êtres vivants que celui-ci peut faire vivre. Un processus immanent de sélection réductrice et équilibrante a d’ailleurs pour résultat de stabiliser ou de modifier graduellement la situation : par exemple, la forêt parvenue à son apogée ou la pièce d’eau qui se transforme successivement en marais, en fondrière et terrain uliginaire.

Malheureusement, nous avons prêté trop peu d’attention à ces faits. Comme le dit le professeur Coventry, « nous avons cru pouvoir bousculer la nature à notre guise sans nous soucier de cette action réciproque des êtres vivants que nous appelons l’équilibre de la nature, alors que nous la contrarions à notre grand péril. »

Chose certaine, les représailles de la nature ne procèdent pas d’un malin désir de nous vexer, et ses explosions ne sont jamais des phénomènes incohérents. Nous sommes censés connaître les lois qui nous gouvernent, car c’est de notre soumission à ces lois que dépend l’avenir de la race humaine.

Pour la plupart d’entre nous, la santé représente un des plus grands biens de la vie, mais si nous abusons des richesses de la nature, nous moissonnerons les maladies dues à la pollution, à l’épuisement du sol, au gaspillage de l’eau. Il ne suffit pas d’élaborer des plans médicaux portant sur les hôpitaux, les médecins et les médicaments, même si nous en avons grandement besoin à l’heure actuelle, ni d’inventer de nouveaux procédés pour « fabriquer » des denrées, comme l’ont fait cette année des savants britanniques en parvenant à se passer des vaches pour faire du lait. Il importe tout d’abord et avant tout de nous assurer que les principes essentiels de la vie : l’air, l’eau et le sol, restent purs et renferment les éléments nécessaires à l’organisme.

Nos sources d’alimentation

Tant que rien ne vient troubler l’équilibre de la nature, le sol demeure une réserve autorenouvelable. Il s’ensuit que la terre arable est tout autant une affaire de cultivateur qu’une affaire de ferme.

Comme il est des gens qui, parce qu’ils ont une cage, mais n’ont pas d’étang, tenteraient de changer un têtard en écureuil plutôt qu’en grenouille, ainsi il y a des cultivateurs qui, devant les exigences du marché, essaient de faire venir du grain sur des terrains qui ne sauraient produire que des arbres. Ce n’est pas la terre qui doit s’adapter à nos plans, mais nous qui devons adapter l’usage que nous voulons en faire à ses capacités et à ses possibilités. La richesse du sol, sa teneur en éléments organiques et chimiques, a une grande influence sur la qualité des plantes qui y poussent et partant sur leur valeur alimentaire.

Voilà pourquoi le comité de direction de la Conférence de 1961 sur « Les ressources et notre avenir » a décidé la création d’un Conseil des ministres des ressources du Canada. Cet organisme se réunira plusieurs fois par année en vue d’étudier les programmes et les plans à adopter pour assurer une meilleure gestion et une meilleure exploitation de nos ressources.

Les connaissances de base sur les plantes ont progressé à un rythme prodigieux, mais l’art de les cultiver d’une façon rationnelle a évolué avec beaucoup plus de lenteur.

Ce que les plantes font est connu depuis longtemps. Le pigment vert des feuilles, appelé chlorophylle, est l’unique lien qui existe entre le soleil et la vie : le conduit par lequel l’énergie parvient à notre organisme. Dans le laboratoire qu’est le feuillage de la plante, la chlorophylle opère la synthèse des rayons du soleil et des éléments puisés dans l’air, l’eau et le sol. Lorsque l’animal mange les plantes, la force ainsi emmagasinée sert à entretenir la vie. Quand la plante meurt, ses racines et ses feuilles nourrissent les micro-organismes qui constituent les facteurs les plus importants du cycle vital : les bactéries. Celles-ci décomposent les résidus des grands végétaux et des animaux et les transforment en nouveaux composés chimiques, qui deviendront la nourriture des nouvelles générations de plantes.

Nos plantes agricoles, nos céréales et nos légumes ont été transportés de force de leur habitat naturel, où elles pouvaient se suffire, dans un milieu nouveau et en grande partie artificiel. Elles ont droit à nos soins et à notre protection.

Nos forêts

Partout et toujours, les forêts ont exercé une profonde influence sur les progrès et le bien-être de l’humanité. L’histoire de la lente évolution de l’homme, depuis l’âge des cavernes jusqu’à la haute civilisation actuelle ne peut se retracer sans de fréquentes allusions à ses contacts et à ses relations avec la forêt.

La violation des lois qui régissent l’étendue du couvert forestier est un des exemples les plus tragiques des erreurs de l’homme à l’égard de la sage ordonnance de nature. À mesure que la vague ininterrompue des immigrants envahissaient un pays après l’autre, la forêt reculait devant le feu et la hache. La houe et la charrue accomplissaient leur oeuvre là où ne pouvaient pousser que des arbres. Comme le dit un proverbe nicaraguayen : avec une allumette, un homme peut en un jour défricher cent acres !

Les forêts ne peuvent demeurer productives que par l’application constante des principes de la bonne gestion forestière. Cela suppose notamment la coupe progressive ; le reboisement, soit par voie de plantage, soit en conservant les arbres semenciers ; la protection contre les insectes qui font des trous dans les arbres et contre les animaux brouteurs qui détruisent l’écorce et le couvert végétal.

La vie sauvage

Il va sans dire que la faune sauvage a besoin pour vivre d’un milieu favorable, et qu’il appartient à l’homme de conserver ou de créer ce milieu.

Comme on l’a écrit dans un texte de base de la Conférence sur les ressources et notre avenir : « Quelles que soient les fluctuations du produit national brut, le Canada en sera irrémédiablement appauvri si nous perdons, par suite des nécessités économiques, une seule espèce de notre faune indigène ».

La coupe des forêts, le labourage du sol et l’assèchement des marais ne peuvent que porter atteinte à la vie sauvage. Ce n’est pas à dire qu’il faut supprimer le défrichement et la culture, mais simplement qu’il importe des les atténuer ou de les compléter en prenant les mesures nécessaires pour trouver un refuge aux animaux sauvages qu’ils obligent à se déplacer.

Autrefois, toutes les formes de vie étaient soumises à l’action régulatrice de la nature, mais l’intervention de l’homme, avec ses méthodes artificielles, menace aujourd’hui de saper l’admirable pyramide de l’ordre naturel. Nous ne pouvons pas continuer ainsi à édifier un milieu urbain suivant les impératifs de l’économie, de la technologie et de notre bon plaisir, tout en méconnaissant les lois de la biochimie.

La dangereuse illusion, si bien ancrée dans nos moeurs, que les richesses naturelles sont inépuisables, ne peut plus durer.

Nos armoiries nationales et provinciales portent ostensiblement des castors, des bisons, des gerbes de blé, des feuilles d’érable et des arbres. Mais, ainsi que le disait un professeur dans une revue sur la faune : « Le symbole de notre génération, c’est le bulldozer ».

Prenons garde de nous duper nous-mêmes en essayant d’imposer notre volonté à la nature. On voit sur le mur d’un certain musée un écriteau ainsi conçu : « L’animal que vous voyez ici est l’être le plus dangereux et le plus destructeur de la terre ». Au-dessous de ces mots, il y a un miroir.

Heureusement, cette boutade ne s’applique pas à tout le monde. Il y a beaucoup de gens et d’organismes qui s’emploient à redonner de la perspective au vaste tableau de nos ressources. Leur but n’est ni de retarder le progrès ni de priver l’homme de son plaisir. Ils estiment tout simplement que, sur une planète habitée par plus d’un million et demi d’espèces de plantes et d’animaux, qui utilisent et réutilisent sans cesse les mêmes molécules de sol et d’air, il ne convient pas de laisser le premier venu tripatouiller les principes de la vie.

La pollution

La pureté de l’air que nous respirons, de l’eau que nous buvons, des aliments que nous tirons du sol et des océans est à la base de notre vitalité, de notre santé, de notre succès et de notre joie de vivre.

Bien que la pollution ait pris des proportions impressionnantes, la législation requise pour y remédier avance à pas de tortue. Les retards que l’on apporte à instaurer des mesures d’épuration proviennent surtout du fait que les responsabilités ne sont pas clairement définies. On ne sait pas très bien aux divers échelons gouvernementaux comment doivent se répartir les tâches. Comme on le disait dans une communication présentée à la Conférence sur les ressources et notre avenir : « L’indécision et les lenteurs sont imputables aux désaccords touchant l’interprétation de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique et au manque de programmes fédéraux et provinciaux bien déterminés ». Pendant ce temps-là, la santé publique est menacée, des moyens de distraction sont compromis, l’industrie est paralysée et nos pêcheries subissent des pertes.

Nos cours d’eau se jettent dans la mer, comme la chose s’est toujours faite, mais avec cette différence que le long de leurs parcours, chaque goutte d’eau sert maintes et maintes fois aux foyers et aux villes installés sur leurs rives. Chaque consommateur – particulier, industrie ou municipalité – puise l’eau de la rivière ou du fleuve, l’emploie, la pollue, puis la rend avec sa charge de déchets à la rivière, où d’autres utilisateurs s’en serviront à leur tour. Les eaux superficielles et souterraines charrient dans les rivières et les lacs des insecticides qui détruisent une multitude d’animaux aquatiques. L’emploi des nappes d’eau comme dépotoirs de résidus nucléaires provoque la concentration de matières radioactives dans le plancton, les algues, les mollusques et les poissons, qui s’introduisent ensuite dans l’alimentation humaine.

Grâce aux méthodes modernes de traitement de l’eau, comme la filtration et l’adjonction de chlore ou autre produits chimiques, les épidémies d’origine hydriques sont devenues assez rares, mais il reste possible que des maladies de caractère non mortel soient véhiculées par l’eau à notre insu.

Les offres faites par les gouvernements fédéraux et provinciaux de partager les frais de construction de bonnes installations de destruction des eaux d’égout aboutissent souvent à une impasse à l’échelon municipal, où l’apathie du public s’ajoute aux charges fiscales pour empêcher les municipalités de prendre les choses en main.

La lutte contre les parasites

L’agriculture d’aujourd’hui se distingue de celle d’autrefois par son recours aux préparations chimiques pour combattre les insectes nuisibles. Dans l’état actuel des choses, où tant d’agents naturels de régulation et d’équilibre ont disparu, il est nécessaire qu’il en soit ainsi.

Depuis 1947, année où les ventes de produits antiparasitaires ont atteint 7 millions de dollars au Canada, le volume des ventes a plus que quadruplé. Il y a vingt ans, les insectes détruisaient 25 p. 100 des récoltes. Aujourd’hui, l’emploi de plus en plus répandu des armes chimiques a réduit de moitié les pertes ainsi causées aux cultivateurs, compte tenu d’une production agricole fortement accrue.

Mais on ne saurait se désintéresser des principes de l’écologie et se laisser guider uniquement par des critères quantitatifs comme l’abondance des récoltes. Lors de la conférence annuelle des ministres et des sous-ministres de l’agriculture des dix provinces, qui s’est tenue à Québec en juillet, M. J. R. Bell, du ministère de l’Agriculture du Manitoba, a émis l’opinion qu’il faut recourir davantage aux sciences appliquées pour décider de l’efficacité et de la sécurité pour l’homme et les animaux des insecticides actuellement en usage au Canada.

« Nous ne connaissons à peu près rien, lit-on dans le Bulletin du Conseil de conservation de l’Ontario, des effets directs de beaucoup de moyens de lutte sur les plantes, les animaux, le sol et sa micropopulation, et nous en savons encore moins des effets indirects, cumulatifs et lointains qu’ont ces produits sur la faune sauvage, les plantes et même sur l’homme. »

Que nous réserve l’avenir ?

Que se produira-t-il dans les siècles futurs ? C’est là une question bien légitime, à laquelle il ne nous est pas permis de nous dérober. La terre dont nous abusons finira par se venger, car en l’exploitant comme nous le faisons actuellement, nous privons nos enfants d’une part de leur héritage.

Le retour complet à la nature que prônait l’écrivain américain H. D. Thoreau, au XIXe siècle, n’a plus beaucoup d’adeptes de nos jours. L’homme moderne ne pourra jamais revenir à la vie primitive qu’il tend si souvent à idéaliser. D’ailleurs, ce n’est pas nécessaire. L’emploi des machines et des produits chimiques n’est pas incompatible avec les bonnes méthodes de culture, et l’industrie et la vie urbaine n’excluent pas non plus les avantages d’un milieu plus conforme aux conditions naturelles.

Au lieu de concentrer nos efforts sur des recherches techniques à court terme et orientées vers des fins utilitaires, nous devons trouver des réponses aux questions suivantes : les déplacements continuels occasionnés par la civilisation ont-ils rendus l’herbe, les céréales et les arbres plus vulnérables à la maladie ? Quel effet auront à la longue les pulvérisations d’insecticides et autres produits antiparasitaires ? La succession des coupes sélectives portant sur une seule essence, qui est une méthode courante d’exploitation des forêts, influera-t-elle sur la régénération de cette essence ? Ce sont là autant de questions que se posait une revue spécialisée de l’Ontario il y a deux ans.

La conservation

La conservation, affirment avec force les écologistes, ne consiste pas à tout préserver, mais à faire en sorte de maintenir l’équilibre des choses. Il faut pourvoir aux besoins matériels de la société au moyen des ressources naturelles, mais y pourvoir de façon à assurer, tout en subvenant aux nécessités du présent, la création de réserves pour l’avenir.

« La conscience individuelle, a dit quelqu’un, est le commencement de la conservation. » Mais cette conscience ne doit pas attendre pour s’éveiller qu’une crise titanesque se déchaîne dans nos richesses naturelles. Il faut l’acquérir dès l’enfance et la développer avec l’âge et le jugement, jusqu’à ce que la conservation devienne une véritable habitude.

Il existe, au Canada, un petit groupe de spécialistes dévoués en matière de ressources et une multitude d’amis de la nature. C’est à eux que revient la tâche d’informer et d’éclairer le public, afin qu’il y ait de plus en plus de gens qui se rendent compte de la gravité de la situation.

La beauté de la vie

Tout cela est certes très important, capital même, pour notre existence matérielle, mais il y a plus encore.

« La vie, dit un bel adage grec, est un don de la nature ; mais la beauté de la vie est un don de la sagesse. » Un excellent moyen à prendre pour que notre vie ne soit pas un vain rêve, c’est de vivre à l’unisson avec tous les êtres vivants.

Les hommes du XIXe siècle ont adopté une attitude d’agressivité à l’égard des forêts, des champs et des cours d’eau. Ils y ont vu des obstacles à vaincre et des entraves au progrès. Aujourd’hui, nous éprouvons une vague nostalgie des choses mêmes qu’ils ont détruites. Sans doute y a-t-il là un indice de l’insécurité et de l’incertitude qui caractérisent notre époque, mais ce sentiment trahit aussi un regret latent d’avoir perdu la nature libre et vierge qui s’offrait à la vue des découvreurs et des explorateurs, un besoin croissant de rétablir le rythme normal et harmonieux de la vie humaine.

Tout le monde ne peut pas s’adonner à l’étude de l’écologie, mais nous pouvons tous marcher sous des arbres plus vieux que l’histoire de notre pays, flâner au milieu d’un sous-bois riche de tout ce qui entretient la vie, pêcher le long d’un ruisseau ombragé ou regarder les oiseaux à la lisière d’un bosquet. Une région sauvage est une bibliothèque vivante, où l’on peut voir, entendre et goûter la vie en action et sentir que l’on fait vraiment partie de la création.

La volonté de vivre

Certains écrivains et conférenciers dévoués à la cause de la protection de la nature se demandent si l’homme parviendra à comprendre avant de se détruire lui-même en détruisant son milieu. Peut-être sous-estime-t-on son instinct de conservation. Il se peut que notre volonté de vivre ne soit qu’assoupie, qu’elle attende que quelque chose vienne la forcer d’agir.

Dans l’intervalle, nous avons encore des choses à apprendre. La vie de l’homme ressemble à un bateau dans la tempête, nous dit Platon. La mer peut engloutir l’habile nautonier, mais il est quand même essentiel de savoir tenir le gouvernail. Nous devons nous attendre, comme le batelier, à voir surgir sur notre route des écueils et des revers imprévus. Mais cette éventualité ne nous dispense pas de parer à ce qui est prévisible.