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Ils sont au Canada tout près de 7,5 millions à enrichir la vie de leurs concitoyens par le don libre et gratuit de leur temps. Ils apportent aux associations qu’ils animent non seulement une aide essentielle, mais aussi des idées neuves et un savoir-faire précieux. L’année qui leur est consacrée est un hommage largement mérité.

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Le bénévolat fait de plus en plus d émules au Canada : selon la dernière enquête nationale sur le don, le bénévolat et la participation, 7,5 millions de nos concitoyens, près du tiers de la population, avaient une activité bénévole en 1997 contre 5,3 millions 20 ans plus tôt. Il faut croire que l’envie de changer la vie est contagieuse !

Il y a une douzaine d’années, un grand magazine américain avait révélé que le bénévolat aidait les femmes à accéder au marché du travail. Aujourd’hui, ce sont les jeunes de 15 à 24 ans qui empruntent la voie de l’entraide et de l’action sociale pour acquérir l’entregent et les compétences qui leur permettront d’élargir leur horizon professionnel. Le nombre des bénévoles a presque doublé dans cette tranche d’âge.

Notre société a tendance à mesurer le succès à la richesse monétaire. Ce n’est pas à son honneur. Le travail rémunéré n’a de prix que pour ceux qui en profitent directement, alors que le bénévolat apporte tant à ses destinataires qu’il n’a pas de prix, littéralement. Comment mesurer la valeur d’une leçon de natation pour l’enfant infirme ? D’une visite hebdomadaire pour la vieille dame impotente ?

Trop de gens s’imaginent que le travail rémunéré est le seul qui vaille. On a beau éplucher tous les manuels d’économie, on n’y trouve pas un mot sur la contribution des bénévoles à la qualité de la vie dans notre pays. Et pourtant, un Canadien adulte sur trois y croit assez pour s’engager. Les plus âgés sont aussi les plus actifs, avec une moyenne de 202 heures par bénévole. Un certain nombre d’entreprises coordonnent et même, financent les activités associatives de leurs anciens salariés. Ce travail organisé représente 11,1 milliards d’heures, soit 578 000 emplois à temps plein : il occuperait la quasi-totalité de la population active manitobaine.

Plus que le nombre de ces heures de dévouement, c’est leur emploi qui fait rêver. Car si les sports, les arts, la consommation et les droits civils mobilisent désormais beaucoup de monde, l’action sociale attire encore 31 pour cent des bénévoles et la santé, 22 pour cent. Les organisations religieuses -qui, souvent, mènent aussi des actions caritatives, sanitaires ou éducatives -réalisent 23 pour cent de ce travail bénévole. Tous ces gens se consacrent à aider directement leur prochain. Ce faisant, c’est toute la société qu’ils aident.

« Une petite pensée et un peu de tendresse valent souvent plus que beaucoup d’argent. » John Ruskin

Si la vie en société est possible, c’est entre autres parce que nous reconnaissons tous, au moins implicitement, que le plus fort doit aide et protection au plus faible. L’ordre social s’écroulerait si le bien commun ne primait pas sur les intérêts purement individuels. Les grandes religions qui ont tant contribué à ériger cet ordre social prêchent à l’unisson que l’individu a des devoirs envers ses semblables. Elles partagent toutes le même idéal de solidarité.

Une maxime hindouiste dit que celui qui emploie sa richesse, son intelligence et son éloquence au bénéfice des autres ne vit pas en vain. L’éthique taoïste fait passer le chemin du Ciel par la voie du service à autrui. Pour Mahomet, la vraie fortune d’un homme réside dans le bien qu’il fera en ce monde. L’Ancien Testament nous offre l’exemple de Job : « Pour l’aveugle, j’étais les yeux qui lui manquaient, pour l’infirme, les pieds qui lui faisaient défaut. Pour les malheureux, j’étais devenu un père, je donnais tous mes soins au cas de l’étranger. » Le Nouveau Testament réitère la leçon dans la parabole du bon Samaritain. « Va et fais de même », conclut Jésus.

John Ruskin jette une merveilleuse lumière sur les Écritures saintes en rappelant qu’elles ne disent pas « Béni soit celui qui nourrit les pauvres », mais « Béni soit celui qui pense aux pauvres ».

Brève histoire du bénévolat

« Penser beaucoup aux autres et peu à soi-même, brider son égoïsme et cultiver sa bonté, telle est la perfection de la nature humaine. » L’auteur de ces lignes, c’est Adam Smith, le père de l’économie classique. Smith était un ardent partisan du laissez-faire, doctrine selon laquelle l’intérêt public est mieux servi lorsque l’État s’abstient d’intervenir dans la vie privée des citoyens.

Son libéralisme a dicté la politique sociale en Occident tout au long du dix-neuvième siècle et même au-delà. Dans le partage des tâches qu’il opérait entre l’État et la société, la protection des plus fragiles revenait exclusivement aux Églises, aux associations charitables et aux simples citoyens; la main-d’oeuvre des institutions caritatives était pour l’essentiel bénévole, même celle qui y travaillait à plein temps.

Au vingtième siècle, sous la pression du socialisme, l’État libéral dut sortir de sa réserve, accepter d’utiliser une part de ses recettes fiscales pour offrir à la population des services dans les domaines de la santé, de l’aide sociale et de l’éducation. Les socialistes reprochaient au laissez-faire de perpétuer des privilèges indus. Ils voyaient dans l’ancien système caritatif une forme déguisée de paternalisme qui organisait la répartition des miettes du banquet et estimaient que la charité individuelle ne serait jamais à la hauteur de la tâche.

Ils n’avaient pas complètement tort : les Églises s’occupaient principalement de leurs fidèles, et les organismes laïques avaient tendance à négliger certaines causes.

Au fil des ans, le recul de la religion dans la société devait porter le coup de grâce à ce système en obligeant l’État à assumer les fonctions caritatives qu’accomplissaient bénévolement les communautés religieuses.

Aujourd’hui, même les partis les plus réactionnaires reconnaissent que l’État doit garantir certains services essentiels, et même les gauchistes les plus ardents (en Occident, en tout cas) reconnaissent qu’il ne peut pas tout faire. Les services publics manquent cruellement de cette chaleur humaine à laquelle aspire la population dans le besoin. Les associations bénévoles pallient cette lacune et traitent les cas atypiques qui passent au travers des mailles du filet.

Une société en panne de solidarité ?

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En Grande-Bretagne, pays où l’État-providence est né peu après la Deuxième Guerre mondiale, l’armistice est signé depuis belle lurette : « Les organismes publics et privés se complètent et s’épaulent mutuellement, explique une publication officielle. Les pouvoirs publics financent les associations privées à l’échelle nationale comme au niveau local. Les autorités planifient et exécutent leurs mandats en tenant compte des ressources bénévoles disponibles. » On pourrait en dire autant ou presque du Canada.

« Il y a deux formes de gratitude – la petite qu’on éprouve à l’instant où on prend et la grande qu’on ressent quand on donne. »  Edward Arlington Robinson

À vrai dire, l’État est plus ou moins obligé de restituer aux citoyens une part des responsabilités sociales qu’il leur avait retirées : son endettement l’oblige à réduire son train de vie. Mais notre société atomisée possède-t-elle assez de bonté et de fraternité pour répondre à l’appel ? L’individualisme qui ronge nos liens sociaux-les familles, les quartiers, les collectivités, les associations-a-t-il tué la charité ?

La sagesse antique répond par la voix de Sénèque : le bien que l’homme fait à autrui, il se le fait à lui-même, car la récompense d’une bonne action, c’est de l’avoir accomplie. Plus près de nous, Sir Wilfred Grenfell affirmait que la joie véritable ne se trouve ni dans l’aisance ni dans la fortune ni dans la louange des hommes, mais dans l’accomplissement d’une noble mission. Il en savait quelque chose, ayant voué sa vie aux indigènes du Labrador.

Ce qui est gratuit enrichit

L’enquête de 1997 a établi que 96 pour cent des répondants avaient décidé de faire du bénévolat pour défendre une cause qui leur tenait à coeur. Dans plus de deux cas sur trois, le bénévole avait une expérience directe du problème ou connaissait une personne concernée.

Interrogez un bénévole sur ses motivations profondes, et il vous dira probablement qu’il trouve plaisir à rendre service, comme cette championne de patinage qui donne des leçons à des enfants aveugles : « Comprenons-nous bien :je ne fais pas ça par amour pour mon prochain. Je suis très égoïste au fond. Je donne ces leçons parce que j’en tire une immense satisfaction. »

« Il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir. » Actes 20:35

On offrirait à certains de faire le même travail moyennant salaire qu’ils refuseraient tout net. « Je ne ferais ça pour rien au monde si c’était pour gagner ma vie, explique un auxiliaire hospitalier chargé d’une tâche difficile, parfois même pénible. Je suis ici par choix, parce que j’ai une dette envers la société. Elle m’a bien traité, et je tiens à rendre ce que j’ai reçu. »

Cette idée-là trouve un écho a priori surprenant auprès d’une jeune génération souvent accusée d’égocentrisme par ses aînés. Les services bénévoles des écoles secondaires trouvent sans difficulté des volontaires pour aider les personnes handicapées, distraire les enfants, accompagner les malades à l’hôpital, superviser les élèves en difficulté d’apprentissage, dépanner les mères qui travaillent… Comme les structures bénévoles traditionnelles -4H, scouts, guides, etc. -ne se vident pas pour autant, il faudrait peut-être s’interroger sur la réputation faite aux jeunes d’aujourd’hui.

Les formes nouvelles du bénévolat

On aura toujours besoin d’aide pour remplir des enveloppes, pousser des fauteuils roulants et livrer des repas, mais en marge de ces tâches aussi humbles qu’essentielles se développe aujourd’hui un bénévolat plus émancipateur qui vise à apprendre aux gens à s’aider eux-mêmes. On ne donne plus seulement du temps, on partage son savoir et ses talents.

Les programmes parascolaires offrent un bon exemple de ce nouveau bénévolat. Lorsqu’ils ont été obligés de réduire les dépenses en éducation pour équilibrer leurs budgets, les fonctionnaires ont sabré dans les matières « non essentielles ». Ici et là, des parents d’élèves ont décidé de suppléer à cette carence imposée et se sont chargés des cours d’arts plastiques, de musique et d’éducation physique. Preuve que le bénévolat est plus nécessaire que jamais et que la générosité peut améliorer le sort des gens.

Le vieillissement de la population ne fera qu’accroître la demande suscitée par le retrait de l’État. Cette Année Internationale des Volontaires devrait donc nous inciter, encore plus qu’aux hommages, à un petit examen de conscience. « Fais tout ce que tu peux », telle devrait être notre devise de bénévoles, car celui qui l’applique est sûr de ne jamais en faire trop peu. Mère Teresa, qui a reçu le prix Nobel de la Paix en 1979 pour son travail auprès des miséreux de Calcutta, avait exprimé la même idée en ces termes : «  Nous avons nous-mêmes l’impression que notre travail est une goutte d’eau dans l’océan, mais je crois que sans cette goutte d’eau, les océans seraient moins grands. »

Texte publié en avril 1982 par la Banque Royale du Canada et mis à jour en 2001 d’après les statistiques les plus récentes sur la question.