Si jamais on vous demande de parler en public – à un banquet de mariage, par exemple, ou dans le cadre d’une présentation à un client potentiel – vous avez tout intérêt à vous préparer consciencieusement et à soigner les moindres détails. Comme le ferait un acteur de théâtre.
Pour la majorité d’entre nous, l’aventure commence dans les semaines précédant le premier spectacle de Noël auquel nous devons participer. Le professeur nous fait patiemment répéter des répliques que nous massacrons bien malgré nous. Les autres élèves ricanent, le feu nous monte aux joues, et nous sommes brusquement saisis d’une envie folle de courir à la toilette… et d’y rester jusqu’à la fin de la représentation. Mais le vin est tiré, il faut le boire.
Le terrible soir venu, entrant en scène dans un costume clownesque, nous découvrons dans la demi-obscurité une mer de visages qui nous semblent guetter l’occasion de rire à nos dépens. Les mains moites, nous titubons vers l’avant et balbutions nos répliques, d’une façon somme toute assez compréhensible. Soudain, le cauchemar prend fin, et nous revenons à nous pour cueillir notre part des applaudissements.
Ainsi sommes-nous tous initiés au terrifiant et gratifiant mystère de la parole publique. De ce moment, nous pouvons être appelés à récidiver à tout instant et en tout lieu : au collège et à l’université pour faire un exposé ou démontrer une expérience; au bureau pour diriger un atelier ou donner une formation; dans la vie quotidienne pour animer la fête saluant le départ à la retraite d’un ami.
Chaque fois, nous ressentons la même vieille peur de perdre la face. Nous tentons parfois d’écarter le calice en plaidant la timidité ou la gaucherie, mais souvent, nous devons nous résigner à le boire jusqu’à la lie parce que cela fait partie de ce qu’on (parents, amis, professeurs, collègues, patron) attend de nous.
Peu importe que nous nous soyons bien débrouillés précédemment. Nous abordons chaque expérience avec autant de trépidation que si c’était la première. Parce que nous sommes hantés par la peur de subir une humiliation publique. Appelez-la nervosité, trac, phobie des foules, ce que vous voudrez, cette terreur-là est particulièrement tenace.
Il n’y a, en vérité, qu’une façon sûre de s’en débarrasser : faire acte d’humilité. Reconnaître que le problème est courant, banal même. D’après les professeurs d’art oratoire, plus de 90 pour cent de leurs nouveaux élèves ont le trac. Le mal frappe même les étoiles du spectacle. Au sommet de sa carrière, Sammy Davis Junior a avoué en entrevue qu’à chaque entrée en scène, il se posait la même question : « Est-ce LE soir où je vais flancher ? »
Comme le suggère le doute existentiel de cette extraordinaire bête de scène, le trac est un mélange de deux peurs : celle de l’échec et celle de l’opinion d’autrui. La seule idée de perdre publiquement nos moyens réveille les insécurités enfantines qui sommeillent au fond de nous. Plus que l’échec lui-même, nous redoutons de dévoiler les défauts de notre armure à des gens que nous supposons meilleurs et plus forts que nous. Nous sommes persuadés qu’ils perceront aisément nos pauvres défenses et exposeront sans l’ombre d’un remord toutes nos lacunes à la moquerie publique.
La perspective la plus angoissante est sans aucun doute celle du trou de mémoire. Dans nos moments d’insomnie, nous nous imaginons si facilement transis de peur devant une foule d’étrangers qui ricanent et nous montrent du doigt tandis que nos amis détournent pudiquement le regard. D’après les médecins qui ont étudié le phénomène, il s’agirait bel et bien d’une paralysie temporaire, semblable à celle qui saisit les animaux acculés par un prédateur.
En général, le public est bien disposé envers l’orateur
Dans les jours précédant l’épreuve, nous aurons tendance à nier cette peur, à faire comme si elle n’existait pas. Nos amis nous diront (et nous nous le répéterons comme une litanie) : « N’y pense pas et tout ira bien. » Mais faire semblant ne changera rien à la réalité; la peur sera toujours tapie dans un repli de notre âme, n’attendant que l’occasion de nous faire bafouiller au beau milieu d’une tirade. Et alors, notre pire cauchemar deviendra réalité : la terreur nous tétanisera, comme un lapin pris au piège.
La seule façon de conjurer cette menace, c’est de reconnaître notre peur, de l’apprivoiser. Si nous acceptons de l’inclure dans nos plans, elle peut même devenir notre alliée.
La peur induit en effet des réactions physiologiques et psychologiques très utiles pour qui sait les exploiter. La décharge d’adrénaline qu’elle provoque met l’esprit dans un état d’alerte qui aiguise ses facultés de concentration et de communication. Fasciné par cette débauche d’énergie, le public devient très réceptif au message qui lui est transmis avec une efficacité inaccoutumée.
Pour en arriver là, nous devons d’abord prendre acte du fait que les autres ne voient pas notre peur, ou si peu que cela ne fait aucune différence. Quand vous entendez votre voix dans un micro, vous avez probablement l’impression qu’elle tremble follement, mais demandez à vos amis après coup, et ils vous diront sans doute qu’ils n’ont rien remarqué.
Vous avez le malheur d’avoir un trou de mémoire ? Enchaînez avec la première phrase qui vous passe par la tête, comme si de rien n’était. Si la mémoire vous revient, vous pourrez toujours rattraper votre bévue; sinon, vous n’aurez pas tout perdu.
Les artistes de théâtre ou de variétés ont tous un abondant répertoire d’anecdotes sur les passages à vide qu’ils ont dissimulés en sautant carrément la réplique ou la tirade qui leur échappait. La plupart du temps, le public n’y voit que du feu.
Et lorsque l’erreur est trop grosse pour passer inaperçue, ce même public pardonne bien plus souvent qu’il ne condamne, sachant trop ce qu’endure le malheureux comédien.
Les chahuts, huées, pluies d’oeufs et de légumes pourris qui animent tant de comédies sur la vie d’artiste tiennent plus du mythe que de la réalité. « Le public des théâtres est étonnamment poli et bien disposé », écrivait William Hazlitt au XVIIIe siècle, époque où les représentations étaient beaucoup plus agitées qu’elles ne peuvent l’être aujourd’hui.
Du reste, peu d’entre nous sont appelés à monter sur les planches, sauf en amateurs. Nos prestations publiques s’inscrivent dans un cadre social plus banal. Quelques professions seulement exigent un authentique talent de communicateur : enseignant, avocat plaideur, prêtre, animateur de la télévision… Mais vendeurs et techniciens peuvent être obligés de s’exprimer assez souvent en public, et la plupart des gens risquent de devoir le faire à un moment ou un autre dans un colloque, un cercle de qualité, etc.
Quelle que soit la raison de cette prestation, nous devrions la traiter comme un spectacle. Dans un article du Wall Street Journal sur les réunions de service, Frances Rubacha, directrice commerciale du Radio City Music Hall, le rappelle sans détour aux cadres : « Les règles du théâtre s’appliquent chaque fois qu’il y a un public. » Si peu approprié que vous paraisse la théâtralisation d’une communication administrative ou technique, vous gagnerez toujours à l’envisager sous cet angle, parce que cela stimulera votre imagination. Plus le contenu est banal, plus vous devriez soigner l’emballage.
En analysant le problème comme le ferait un metteur en scène, vous vous rendrez compte qu’il y a toutes sortes de façons d’optimiser l’efficacité d’un message. Le théâtre professionnel emploie des accessoires, des décors et de la musique pour maximiser l’impact. L’équivalent courant de cette panoplie, c’est l’audiovisuel.
Il peut arriver qu’un discours de facture classique soit la meilleure solution; nous en avons d’ailleurs traité dans un précédent numéro (le Bulletin de novembre-décembre 1992, Parler en public ). L’audiovisuel n’est pas de mise à la fin d’un banquet d’État, par exemple. Dans d’autres circonstances, en revanche, l’orateur devrait se faire un point d’honneur d’exploiter toutes les ressources à sa disposition. Cela vaut particulièrement pour ces cadres et experts tellement convaincus de l’importance vitale de leur message qu’ils se pensent en droit de le transmettre n’importe comment, comme si leur auditoire allait prêter la même attention à une communication présentée dans l’équivalent d’un sac de papier brun qu’à une allocution livrée dans un superbe emballage.
L’objectif premier de tout orateur doit être de produire sur son auditoire l’effet désiré. Il y arrivera plus facilement s’il emploie les bons outils. En s’arrangeant, par exemple, pour que ses auditeurs voient son message en même temps qu’ils l’entendent, il maximisera ses chances de faire une impression durable et d’emporter leur adhésion.
Des tests psychologiques ont révélé que 87 pour cent des sensations durables sont d’origine visuelle. Le taux de mémorisation d’une séquence de mots lus à voix haute augmente s’ils sont simultanément projetés sur un écran et atteint un sommet lorsque l’expérience se déroule sur fond de musique ou d’effets sonores. Sortez d’un cinéma en fredonnant la chanson thème du film, et les images qu’elle accompagnait vous reviendront immédiatement à l’esprit.
Pour de meilleurs résultats : allier commentaires et moyens audiovisuels
La panoplie audiovisuelle contemporaine va du classique tableau noir aux images virtuelles tridimensionnelles des ordinateurs en passant par le tableau à feuilles mobiles, le rétroprojecteur, le projecteur de diapositives, le magnétophone, le magnétoscope, les modèles et maquettes. Chaque accessoire a sa fonction… et son prix. A l’instar du metteur en scène, l’orateur doit choisir celui ou ceux qui maximiseront l’impact de sa présentation, dans les limites de son budget.
Il ne faut pas oublier, toutefois, que ce sont des accessoires : ils optimisent la communication; ils ne la remplacent pas. N’espérez pas obtenir l’effet désiré en passant un film ou un vidéo sans commentaires. « Il n’est jamais sage de compter uniquement sur des images, si parlantes soient-elles », écrit Frank Brennan, un expert américain de la formation commerciale. La meilleure illustration a besoin d’une légende pour produire tout l’impact qu’elle promet.
L’audiovisuel donne vie et couleur à la présentation, comme la mise en scène à la pièce de théâtre. Mais est-il bien légitime de transposer ainsi les valeurs d’un monde d’artifice et d’illusion à la vie quotidienne, de transformer un acte d’information en jeu d’émotions et l’orateur d’un jour en comédien ? Ce genre de scrupule amène souvent la personne « tout d’une pièce » à refuser catégoriquement de répéter un discours comme s’il s’agissait d’un rôle.
L’essoufflement en milieu de phrase : le pire problème de l’orateur après le trou de mémoire
Faisant vertu de sa simplicité, elle s’appliquera au contraire à se comporter sur l’estrade comme si elle se trouvait entre les quatre murs de son salon. Louable en théorie, cette volonté de transparence a des effets désastreux en pratique. On ne peut pas donner à un orateur de pire conseil que le fameux : « Sois toi-même, et tout ira bien. » Car cela sous-entend que rien ne sert de se préparer; au moment de parler, les mots pour le dire viendront naturellement, et l’auditoire sera instantanément conquis par tant de franchise et de sincérité. Je vous laisse décider qui, de l’orateur ou de ses auditeurs, perd le plus à ce jeu !
Ce qu’il faut conseiller à l’orateur novice, c’est plutôt : « Sois toi-même, en mieux. » On ne communique jamais de la même façon avec un petit groupe d’amis intimes qu’avec une foule d’étrangers. Il faut donc adapter son approche à son public. Nul besoin pour cela de se composer un personnage; l’auditoire s’en rendrait compte et s’en irriterait. Il suffit de magnifier l’éclat naturel de sa personnalité, de la mettre au diapason de son public, exactement comme on prend un micro quand on veut être sûr de se faire entendre dans une grande salle.
Voix et micro sont d’ailleurs un bon point de départ pour cette mise à niveau incontournable dans une société habituée aux prestations impeccables des vedettes de la télévision. Vous devez être conscient, par exemple, que votre voix est légèrement déformée en même temps qu’elle est amplifiée par le micro. Malheur à vous si vous parlez trop vite et trop fort : on vous prendra pour le petit frère d’un célèbre canard.
Quel que soit votre débit naturel, vous ne pouvez pas vous tromper en le ralentissant. Cela vous permettra non seulement d’articuler plus nettement, mais aussi de maîtriser votre nervosité. La meilleure façon de vous forcer à ralentir consiste en effet à inspirer et expirer profondément et régulièrement, ce qui a pour effet immédiat de détendre vos nerfs et de calmer votre agitation. Du même coup, vous vous vaccinez contre le pire problème de l’orateur débutant après le trou de mémoire : l’essoufflement en milieu de phrase.
Un bon conseil : répétez… pour avoir l’air naturel !
La préparation compte pour 90 pour cent, l’exécution, pour seulement 10 pour cent dans le succès d’une présentation. S’il y a un préjugé qui peut vous empêcher de « passer la rampe », c’est bien l’idée qu’une longue préparation risque de vous faire perdre votre naturel. Au contraire, vous paraîtrez d’autant plus naturel que vous serez sûr de vous, et vous serez d’autant plus sûr de vous que vous maîtriserez votre sujet.
La première chose à faire, c’est de déterminer précisément ce que vous allez dire et de jeter ces idées sur le papier, dans une langue bien adaptée à votre futur auditoire. Enregistrez cette version préliminaire au magnétophone, écoutez-la, corrigez-en les maladresses et clarifiez les passages obscurs. Assurez-vous aussi de n’être pas trop long. (Dans le doute, abrégez.)
Si vous avez l’intention d’utiliser un rétroprojecteur ou quelque autre accessoire audiovisuel, il vous faudra ensuite préparer des illustrations. Évitez de les surcharger : un graphique trop rempli devient tout simplement incompréhensible. En principe, vous devriez apprendre votre texte par coeur, quitte à écrire les phrases clés sur des fiches cartonnées pour ne pas risquer de perdre le fil. Tout plutôt que de lire platement votre communication !
Il ne vous restera alors qu’à répéter. Mais oui, comme au théâtre ! Si vous êtes complètement novice, exercez-vous d’abord tout seul devant un miroir pour contrôler vos gestes et expressions. Le langage corporel a en effet un impact déterminant sur l’auditoire; un orateur raide comme un parapluie met son public sur des charbons ardents. Essayez donc d’intégrer des gestes aux endroits où ils vous viendraient naturellement dans une conversation privée. Au bout d’une ou deux répétitions en solo, vous referez l’exercice devant un vrai public – votre conjoint, des amis, des collègues… Vous n’êtes pas obligé de répéter « en costume » si vous n’en avez pas envie, mais vous devez soigner votre tenue. Choisissez des vêtements qui ne risquent pas de distraire l’attention. Un conférencier chevronné vous conseillerait probablement aussi de les prendre amples et légers, car la plupart des lieux publics ne sont que trop bien chauffés et vous ne voulez pas ruisseler de sueur, n’est-ce pas ?
Pour reprendre une autre phrase de Sammy Davis Junior, « chaque geste, chaque inflexion, chaque détail que le public voit, entend ou remarque à votre sujet lui laisse une impression, bonne ou mauvaise ». Conclusion : planifiez et répétez jusqu’au dernier haussement de sourcil.
La moindre chose peut vous faire trébucher si vous n’y avez pas pensé d’avance. Combien d’orateurs oublient de faire une pause après une phrase drôle et enterrent la suite de leur discours sous les rires ? Combien se ridiculisent en prononçant de travers les mots ou les noms peu familiers, alors qu’il aurait suffi d’une répétition devant quelques amis pour s’épargner cette humiliation ? Et que dire de ceux qui massacrent les noms de personnes présentes dans la salle, sinon qu’ils y perdent beaucoup plus de prestige que leurs malheureuses victimes !
Il y en a aussi qui, après avoir triomphé de toutes les embûches du discours, se font prendre pendant la période de questions. Si le programme en prévoit une, vous n’aurez d’autre choix que d’anticiper toutes celles qui pourraient vous être posées et d’y trouver réponse. Quelqu’un réussit à vous prendre en défaut malgré vos soins ? Ne bluffez pas. Rappelez-vous ce conseil du Talmud : « Montre à ta langue à dire « je ne sais pas ». »
Quantité d’ouvrages et de cours ont été consacrés aux subtilités de l’art oratoire. Leurs approches varient dans les détails, jamais dans le principe. A savoir, que vous ne pouvez pas vous permettre d’improviser si vous tenez à vous faire comprendre, surtout si la perspective de parler en public vous angoisse. Investissez cette énergie nerveuse dans une préparation méticuleuse et, lorsque les applaudissements éclateront, vous pourrez vous féliciter non seulement d’avoir produit l’impression désirée, mais aussi d’avoir triomphé de votre peur.