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Selon la philosophie du marketing, la nécessité de satisfaire le client doit présider à chacun des actes de l’entreprise. Vu l’importance prise par le marketing au sein de notre société, il pourrait tout aussi valablement être la base d’une philosophie sociale…

Sur cinq passants choisis au hasard à qui l’on demanderait de définir le marketing, il est probable que quatre d’entre eux répondraient « vendre » et le cinquième « faire de la publicité ». Ils auraient à la fois tort et raison. Le but du marketing est certainement de vendre, et la publicité sert à mener une vente à bien. Pourtant, ces activités sont au marketing ce que les roues sont à une voiture, essentielles tout en étant, en soi, impuissantes.

Si la vente est une transaction et la publicité est l’art d’inciter à acheter, le marketing est… ? Même les « marketeurs » professionnels hésitent à en donner une définition précise. Les professeurs de marketing trouvent toujours à redire aux définitions des autres : l’une est trop étroite, l’autre trop générale.

Pour ne pas s’écarter du sujet qui nous intéresse, prenons comme point de départ l’une de ces définitions discutables. « Par marketing, on entend définir et satisfaire les désirs des personnes tout en dégageant un bénéfice. » La référence aux « personnes » réduit la portée du marketing en le limitant aux produits et aux services destinés aux consommateurs; or, il s’applique tout autant aux transactions entre entreprises, qui touchent aux services, aux biens et aux produits industriels. La référence au bénéfice sous- entend que le marketing doit être profitable. Or, de nombreux établissements non commerciaux lancent systématiquement des programmes de marketing sans aucune intention d’en tirer un profit financier.

Pourtant, les termes de cette définition suggèrent la raison du succès du marketing dans les sociétés occidentales. Les mots clés en sont « la création » et « les désirs ». La science ou l’art (ou une synthèse des deux) que l’on appelle marketing est la conséquence naturelle d’une économie de surplus. La plupart des habitants de pays tels que le Canada ont, une fois leurs besoins de première nécessité satisfaits, de l’argent de reste. Par ailleurs, les marchés abondent de produits excédentaires qui doivent être vendus pour assurer le maintien du système.

Le marketing repose sur l’observation du psychologue en gestion, Douglas McGregor, qui affirme que « l’homme est un animal mû par ses désirs ». Bien que ne s’adressant pas strictement aux désirs humains, par opposition aux besoins, le marketing les stimule. Tout ce qui se vend au Canada peut, jusqu’à un certain point, être considéré comme nécessaire; le marketing, en fait, prend l’essentiel auquel il ajoute de la valeur. Prenons un exemple : un manteau d’hiver est une nécessité pour toute femme canadienne; elle n’a pas, cependant, besoin d’un modèle de haute couture. Les efforts de commercialisation visent à combiner son désir et son besoin si bien que la possibilité d’être élégante justifiera, à ses yeux, la différence de prix.

Les entreprises dynamiques suivent constamment un cycle de marketing qui a pour origine le lancement des produits et des services sur le marché. Étant donné qu’il serait absurde d’essayer de vendre un article dont personne ne voudrait, une étude de marché pour déterminer le potentiel de demande s’impose au départ. Mais très souvent, l’ordre est inversé : l’étude de marché révèle la présence d’une demande pour quelque chose de nouveau et de différent, d’où la création d’un service ou d’un produit susceptible de répondre à cette demande.

Ensuite vient la détermination du prix qui doit, tout en étant concurrentiel, être suffisant pour couvrir à long terme le coût de sa production et de sa vente, puis le conditionnement et l’étiquetage, et le mode de distribution : grossistes, détaillants, commandes par correspondance ou autres moyens. Des programmes promotionnels et publicitaires sont alors créés. Une fois le message de vente diffusé, c’est au tour des représentants d’intervenir et de convaincre les clients que, parmi tous les articles d’une même catégorie, le produit qu’ils leur offrent est celui qu’ils doivent acheter.

Fait étrange, un certain nombre de manuels qui expliquent le cycle de marketing omettent de mentionner le stade final, pourtant capital, qui consiste à s’assurer que le client est satisfait et qu’il le restera grâce aux service d’après-vente, au respect des garanties et à la permanence des rapports après la transaction initiale. « La vente est l’aboutissement de la cour faite au client; puis s’instaure le mariage, » écrit Theodore Levitt, chef de la section du marketing à Harvard University. « La qualité du mariage dépend de la qualité de la gestion assurée par le vendeur. » Et il conclut sur un avertissement, à savoir que « l’évolution naturelle des rapports, qu’ils soient matrimoniaux ou commerciaux, mène à l’entropie, c’est-à-dire à l’érosion ou à la dégradation de la sensibilité et de la prévenance. » Lorsque l’entropie est imminente, l’organisation axée sur le marketing doit redoubler d’attention et s’efforcer de corriger ce qui déplaît à l’acheteur.

« Je préférerais payer dix millions de dollars pour le nom et la clientèle d’une compagnie sans installations, plutôt qu’un million de dollars pour les installations d’une compagnie sans nom et sans clientèle, » a déclaré l’industriel américain George K. Morrow. Cette réflexion touche au cour même du marketing. Étant donné que les vendeurs ne peuvent exister sans acheteurs, il est prioritaire d’attirer et de conserver les clients. Il est étonnant qu’une entreprise, grande ou petite, puisse perdre de vue ce simple précepte. Dans leur livre à succès intitulé In Search of Excellence, Thomas, J. Peters et Robert H. Waterman Jr. ont cité le paragraphe suivant écrit par Lew Young, rédacteur de Business Week  : « L’élément fondamental le plus souvent ignoré de nos jours est probablement la nécessité de maintenir des rapports étroits avec le client afin de satisfaire ses besoins et de prévoir ses désirs. Pour trop d’organisations, le client est devenu une entité gênante dont le comportement imprévisible bouscule des stratégies soigneusement dessinées, dont les activités perturbent les opérations informatiques, et qui insiste avec obstination pour que les produits achetés fonctionnent. »

Une telle attitude s’explique par la nature même des êtres humains qui, d’après Arthur Schopenhauer, « prennent les limites de leur propre vision pour les limites du monde. » À l’ère de la spécialisation, les travailleurs sont confinés dans leur compartiment et si obnubilés par leurs fonctions immédiates qu’ils ne peuvent percevoir le but final de leurs activités. La spécificité humaine entraîne l’engorgement progressif des voies de communication entre les diverses parties d’une organisation et l’obscurcissement des priorités. C’est ainsi qu’une ligne aérienne propose des vols à des heures indues pour faciliter sa propre exploitation sans s’arrêter un instant à la gêne qu’elle cause au public.

Ironiquement, une telle « myopie de marketing », selon les termes mêmes de Levitt, est souvent la rançon du succès. Les entreprises prospères ont tendance à ignorer la concurrence et concentrent leurs efforts sur des produits susceptibles de réduire les coûts grâce à une production massive. Elles attachent plus d’importance à économiser qu’à chercher à accroître leurs bénéfices.

Ouvrir la porte à l’innovation en redéfinissant le rôle de l’entreprise

Le symptôme le plus courant de la myopie du marketing est l’inaptitude à voir plus loin que l’étroite définition de la nature des activités d’une entreprise donnée. Ses victimes ont tendance à se définir en termes de produits (« nous sommes des fabricants d’engrais ») ou de technologie (« nous sommes une société de traitement chimique ») et non pas en fonction de leurs clients («  nous aidons les fermiers à augmenter leur rendement »).

Levitt sous-entend que si les entreprises parvenaient à définir précisément leur rôle, leur chance de survie en serait accrue. Une organisation qui, au début du siècle, se considérait comme un fabricant de calèches aurait dû fermer ses portes dès l’invention de l’automobile. Si elle jugeait que son rôle était de transporter le public, elle aurait pu se reconvertir à la construction automobile sans difficulté aucune.

Une redéfinition de la raison d’être de l’entreprise en se plaçant du point de vue du client est le premier pas qui mène à une prise de conscience, à tous les échelons de l’organisation, de l’essence du marketing. Une société ferroviaire conclura que son rôle n’est pas d’exploiter des trains mais de distribuer des marchandises à ses clients de la manière la plus efficace et la moins coûteuse possible. La porte est ainsi grande ouverte à la réflexion novatrice, seule capable d’optimiser l’utilisation combinée de trains, de camions, voire même de bateaux. L’évolution de la mentalité influe sur le travail de chacun.

Convaincre tous les employés d’une organisation que le client doit être au centre de leurs préoccupations est sans doute le défi suprême du marketing. S’il est aisé de persuader le vendeur d’un magasin que son poste tient à l’absence des files d’attente, il est bien plus difficile de convaincre le contremaître qui s’efforce de respecter son calendrier de production qu’il est tout aussi responsable que le vendeur du succès du produit parce que la qualité dépend de son intervention.

L’idée que le marketing doit être la considération première d’une entreprise, quel que soit le secteur de ses activités, va à l’encontre de la tradition commerciale, laquelle a toujours mis l’accent sur la bonne exécution de la tâche principale, c’est-à- dire l’exploitation ou la production. Il est présumé que si vous offrez un produit supérieur, le monde jouera des coudes pour frapper à votre porte, rendant pratiquement inutiles les incitations du personnel de vente. Il était coutume de créer tout d’abord un produit, sans consulter les vendeurs, d’en fixer le prix en se basant sur le coût de la production, puis de le leur remettre avec l’ordre de le vendre.

Depuis peu, les « marketeurs » insistent pour que le processus de vente commence au début du cycle de production et non à la fin. C’est pourquoi, affirment-ils, les spécialistes du marketing doivent participer aux décisions de la haute direction qui touchent à l’allocation des ressources. Les cadres de tous les échelons doivent être guidés par le « concept de marketing » qui oblige à un réalignement des fonctions si bien que l’exploitation tout entière est axée sur l’attraction et la fidélisation de la clientèle. Le chef du marketing doit donc intervenir au niveau de la recherche et du développement, du contrôle des stocks, du contrôle de la qualité, du calendrier de la production et de l’achalandage.

Ce concept de marketing est accepté avec le moins de résistance par les organisations qui ont conscience du caractère « organique » du marketing, lequel n’est pas une simple « partie du corps », mais, semblable à un système nerveux central, réagit avec toutes les parties. Dans leur ouvrage Marketing Management – Analysis, Planning and Control, Philip Kotler et Ronald E. Turner expliquent que les spécialistes éclairés du marketing prônent l’orientation vers la clientèle qui regroupe toutes les fonctions afin de percevoir, servir et satisfaire le client. Ce dernier, précisent-ils, représente la « fonction contrôlante », le marketing étant « la fonction intégrative. »

Le pouvoir du marketing doit être limité par la responsabilité

Plus la concurrence est vive, plus le besoin de marketing est évident. Cette activité est née aux États-Unis sous sa forme moderne alors que des producteurs rivaux de produits se disputaient le marché en lançant des articles « nouveaux, améliorés ». Elle s’est étendue au secteur des services, des matériaux et des articles industriels avec l’avènement des matériaux de remplacement, tels les plastiques qui, par exemple, ont souvent pris la place du métal. Pour rester en lice, les entreprises ont dû diversifier leur gamme de produits et miser sur le service.

Le vrai gagnant de la course au marketing est le consommateur. De par sa nature, le marketing entraîne l’amélioration de la qualité et de la conception. Il met à profit l’ingéniosité humaine pour offrir des produits et des services novateurs qui facilitent la vie de nos contemporains. En élargissant le choix des produits et en améliorant la distribution, le marketing met à la portée financière et géographique de millions de personnes les objets de luxe réservés autrefois à l’élite fortunée.

Le marketing, en dépit de ses nombreux avantages, n’est pas à l’abri des critiques. Ses adversaires l’accusent d’être un instrument de manipulation qui sert à inciter les consommateurs à dépenser plus qu’ils ne le devraient. Ils estiment qu’il coûte trop cher, représentant jusqu’à 50 cents de chaque dollar dépensé au Canada. Un tel point de vue écarte délibérément le fait que les activités de marketing sont, en elles-mêmes, une vaste source de revenu. Plus de 20 pour cent de la population active canadienne est employée dans le secteur des ventes et de la distribution.

Le seul mot susceptible de résumer les attaques contre le marketing est sans doute le terme « irresponsabilité ». Les « marketeurs », dit-on, sont âpres au gain, n’éprouvent aucun scrupule à diffuser des annonces trompeuses ou de mauvais goût, ni à s’aménager des portes de sortie quand ils offrent des garanties. Certains cachent les défauts, voire même les dangers, que présentent leurs produits. Leur conscience sociale est inexistante; tout ce qu’ils veulent c’est un article qui peut « se vendre », peu leur chaut qu’il ne devrait pas l’être.

Le fait est que le marketing ne détient pas le monopole de l’amoralité, ni de l’immoralité; simplement, il n’est pas exempt des pratiques malhonnêtes courantes. Pourtant, souhaitant améliorer l’image de leurs activités, les spécialistes du marketing pressent instamment leurs pairs de peser les conséquences morales et sociales de leurs actes. Tout pouvoir s’accompagne, comme chacun sait, de responsabilités. Le marketing influe puissamment sur les habitudes et les préférences de chacun. Il s’ensuit que ceux qui le contrôlent doivent se conduire en véritables professionnels et prendre en considération les retombées de leurs activités sur la société.

Ces critiques ne font aucun cas du rôle social bénéfique du marketing qui répartit efficacement les articles produits parmi la population. L’absence de marketing donne naissance aux rayons dégarnis, aux files d’attente, à la pénurie de logements comme en témoignent éloquemment les pays communistes.

Tout système qui donne la priorité aux désirs et aux besoins du citoyen moyen ne peut être inapte. Ne représente-t-il pas en fait le rêve des idéalistes à travers les siècles ? Il est paradoxal que ce que les mouvements égalitaires ont tenté en vain d’accomplir l’ait été par une philosophie commerciale.

Prétendre, comme le font certains, que le marketing creuse le fossé des inégalités économiques et sociales est en méconnaître le rôle fondamental. Si les voeux des « marketeurs » étaient exaucés, tous les hommes, les femmes et les enfants de la planète seraient millionnaires. Les sociétés de consommation visent, après tout, à créer des consommateurs qui dépensent sans compter. Quant à ceux qui estiment que l’orientation néfaste que le marketing donne aux dépenses nuit aux nécessiteux, ils oublient que l’économie, la pierre d’angle de la sécurité sociale, s’en trouve stimulée. L’histoire nous donne la preuve irréfragable que pour être solide, tout système de bien-être social doit s’appuyer sur une saine économie.

La stimulation des désirs incite au travail et à l’épargne

Au Canada, en tout cas, les économistes préconisent le besoin d’innover pour subvenir à nos propres besoins. Or, l’innovation est l’essence même du marketing, le moteur de la productivité et de la prospérité dans les pays tels que le nôtre où la concurrence est féroce et les entreprises ne peuvent se permettre aucun gaspillage. En stimulant les désirs, le marketing encourage indirectement les personnes ordinaires à travailler et à économiser. Selon Winston Churchill, le marketing montre à l’homme et à sa famille la possibilité de mieux se loger, de mieux se vêtir et de mieux se nourrir. Il incite l’individu à l’effort et à la productivité. Il réunit en une union florissante ceux qui, sans lui, ne se seraient jamais rencontrés. »

Le marketing est le coeur de notre système économique; il joue le rôle d’une pompe qui, à l’instar de l’organe, fait circuler dans toutes les parties du corps la quintessence même de la vie. L’économie de consommation vit d’échanges : les travailleurs achètent les objets fabriqués par d’autres avec l’argent qu’ils touchent pour avoir produit ce que les autres achètent. Sans le marketing qui dirige le flot de ces échanges, des obstructions se produiraient capables de nuire à la santé du corps politique. On définit parfois le marketing comme étant « la prestation d’un niveau de vie ». S’il assume son rôle de façon efficace et responsable, il serait plus juste de parler de « la prestation d’un mode de vie ».