Skip to main content
Download the PDF Version

La notion de caractère revient à la mode juste au moment où elle semblait être tombée dans l’oubli. Nous l’avons échappé belle ! Gardons-nous d’ignorer ce que l’on a appelé « le plus grand besoin de l’homme. »

Alors que l’année dernière les aventures galantes de Gary Hart s’étalaient dans tous les journaux, un mot insolite fit son apparition dans les rubriques politiques. Il surgit à nouveau lorsqu’un autre candidat à la présidence des États-Unis, le sénateur Joe Biden, plagia le discours qu’un chef du parti travailliste britannique, Neil Kinnock, avait prononcé quelques mois auparavant.

Il s’agit du mot « caractère » tel qu’il est utilisé pour décrire le comportement d’un individu. Cet emploi, tombé en désuétude depuis plusieurs années, a sans doute dérouté les jeunes lecteurs qui n’ont pas dû pleinement saisir de quoi il retournait.

Pour les autres, parler aux États-Unis, à la fin du 20e siècle, au milieu de débats politiques, du caractère d’un candidat dut sembler anachronique. L’époque victorienne, dont le formalisme pointilleux avait profondément marqué les pays de langue anglaise, tout d’un coup ne parut pas si lointaine. Tous les ouvrages de cette époque parlent de caractère ; en fait, la force ou le manque de caractère en est souvent le thème central.

Pourquoi les journalistes contemporains ont-ils tiré de l’oubli ce terme désuet ? Sans doute parce qu’il n’en était aucun autre qui exprimât aussi bien ce qu’ils voulaient dire. Certes, ils auraient pu parler d’honneur, d’intégrité, de sincérité, de constance ou de force morale, mais ils n’auraient fait que décrire le caractère sans parvenir à atteindre la précision souhaitée.

La notion de caractère est très difficile à définir. Même les dictionnaires n’en expriment pas toutes les nuances. Souvent, ils ne font qu’en souligner la nature insaisissable. L’un d’eux, par exemple, parle de « qualités morales » et, notamment, de la « réputation de posséder ces qualités. »

Or, quelques instants de réflexion suffisent pour conclure que la réputation, justement, est exactement ce que le caractère n’est pas. Au mieux, la réputation est à la personnalité ce qu’un miroir déformant est au physique, une image faussée de la réalité. Au pire, elle représente l’envers de la vérité. Selon Richard Bentley, critique londonien du 18e siècle, « celui qui a la réputation de se lever à l’aube peut dormir jusqu’à midi. »

Combien de personnalités à la réputation irréprochable ont été un jour démasquées, et leurs mensonges, libertinages et escroqueries exposés au grand jour ? Face à de telles révélations, le public ne peut que spéculer sur le nombre de réputations dont la solidité est celle d’un décor de cinéma.

Même méritée, toute réputation ne peut être qu’un tableau incomplet, l’oeuvre des circonstances ; nul ne peut connaître intimement la nature cachée d’autrui. Nous ne sommes ni aussi bons que veulent bien le croire nos admirateurs ni aussi méprisables que le proclament nos adversaires. Nous ne pouvons que nous montrer à la hauteur de notre image, si celle-ci nous est favorable, ou tenter de prouver que nous valons mieux qu’elle dans le cas contraire.

« Malheur à celui dont tout le monde dit du bien, » nous adjure l’évangile de Saint-Luc. En effet, comme les acteurs dotés d’un solide bon sens le savent bien, il est dangereux de croire en sa propre publicité. Ceux qui se bercent d’illusions et jouissent d’une réputation imméritée se leurrent sur leurs propres possibilités et imaginent pouvoir tout se permettre. D’autres, tourmentés par le désir de n’entendre dire que du bien de leur personne, attachent plus d’importance aux opinions des autres qu’à leurs propres actions. Une telle attitude conduit tout droit à la lâcheté morale.

Certes, il serait faux d’affirmer que la manière dont les autres nous perçoivent n’influe jamais sur notre façon d’agir ; pourtant la règle première demeure celle posée par Shakespeare dans Hamlet : « Avant tout, sois loyal envers toi-même ; et aussi infailliblement que la nuit suit le jour, tu ne pourras être déloyal envers personne. »

Être loyal envers soi-même est loin d’être aisé lorsque les normes de morale adoptées par vos proches s’opposent aux vôtres. L’instinct grégaire est très fort chez l’être humain et la phrase « tout le monde le fait » a un attrait insidieux. S’opposer à ce « tout le monde » comporte le risque d’être exclu par ses pairs. Or, nous craignons plus que tout d’être rejetés. Nager contre la marée exige une force exceptionnelle.

La « tentation » est plus que le nom d’un parfum

La force morale n’est pas un don du ciel, ce en quoi elle diffère de la force physique ou intellectuelle qui peut être innée. C’est la force acquise par le gringalet de 90 livres à coup de travail acharné et de volonté. La détermination et le courage, qui seuls permettent de se former le caractère, expliquent pourquoi on y attache tant de prix. Symbole de diligence et de respect de soi, la force de caractère est l’oeuvre délicate et travaillée d’un artisan.

Si la manière dont on a été élevé fournit les instruments nécessaires pour se former le caractère, les efforts pour y parvenir ne peuvent être déployés que par chaque individu. Nos parents et nos professeurs renoncent très tôt à assumer la responsabilité de notre personnalité à venir. Nous en sommes les seuls responsables.

Cette responsabilité pèse aujourd’hui plus que jamais sur les jeunes des pays occidentaux. Le laxisme de notre culture moderne les expose à une multitude de tentations : drogue, alcool, promiscuité sexuelle, argent facile. La « tentation », autre mot suranné, ne sert pas seulement à nommer un parfum. Les tentations qui assiègent les jeunes sont réelles et la pression qui les pousse à y succomber est plus forte que jamais.

Les psychologues et les théologiens reconnaissent le dualisme de la nature humaine, son côté fort et son côté faible. La tentation est un aimant qui, en les attirant, donne corps aux faiblesses qui nous habitent. Elle provoque une lutte intérieure entre le meilleur et le pire de nous-mêmes.

Après avoir trouvé des excuses aux autres, on se trouve des excuses à soi-même

À notre époque, malheureusement, il est coutume de rejeter ailleurs que sur soi le blâme pour toute inconduite. Autrefois, c’était « la faute au démon. » Dans notre société sécularisée, le diable n’est plus le personnage presque humain doté d’oreilles de renard et d’une longue queue fourchue mais un mélange de facteurs sociaux et psychologiques qui empêchent l’individu de se contrôler. Les grands pontifs de notre temps sont des psychologues amateurs qui écrivent des « livres à succès » dans lesquels ils conseillent à leurs lecteurs d’être indulgents envers eux-mêmes lorsqu’ils succombent à leurs tentations. Ces experts rejettent la grâce salvatrice de la culpabilité qui n’est pour eux qu’une inhibition dont l’esprit doit se libérer.

La théorie que les sentiments de culpabilité doivent être combattus appuie une autre théorie à la mode, à savoir le droit inaliénable de satisfaire ses moindres désirs. Notre économie dépend étroitement de la capacité de vendre des objets susceptibles de donner du plaisir ou de rendre la vie plus facile. Presque toutes les annonces publicitaires brodent autour du thème « tout vous est dû » – la vie est dure, ne vous refusez rien. Est-ce un mal ? Que se passe-t-il lorsque ce message s’adresse à une société où les drogues, l’alcool, les « amours » de rencontres sont censés soulager des rigueurs de l’existence et des épreuves psychologiques que l’humanité a jusqu’alors traversées sans avoir recours à des aides rapides et artificielles ?

Que se passe-t-il ? Vous obtenez une société pareille à l’homme décrit par le juge Felix Frankfurter dont « la faiblesse est… la faiblesse. » Notre tolérance à l’égard des faiblesses humaines est nettement plus grande que par le passé. Les membres normaux de notre société sont conditionnés pour excuser les incartades de ceux qui sont incapables de se contrôler en raison d’une psyché anormale ou des circonstances. L’ennui est que de nombreux êtres « normaux » se prévalent de cette dangereuse indulgence pour se trouver des excuses à eux-mêmes.

Les informations télévisées, lorsqu’aucune catastrophe ne s’est abattue sur notre planète, peignent le tableau d’une société qui se sent injustement traitée. Les récriminations vont bon train, dirigées envers et contre tous sans que personne ne pense jamais à battre sa coulpe. Dans un tel climat, il est facile pour les individus d’être persuadés que leurs problèmes ne sont pas leurs fautes, mais sont imputables à l’incompétence et à l’indifférence institutionnelles. On ne peut s’opposer plus diamétralement aux penseurs traditionnels, comme St-Bernard qui estimait que « ni rien ni personne n’est à craindre hormis soi-même. Le mal qu’on se fait on le porte en soi ; si on souffre, c’est de sa faute. »

Le fait que nous éprouvons généralement une certaine sympathie à l’égard des pauvres hères incapables de se maîtriser incite à s’apitoyer sur soi-même. Pourtant, ceux qui, avec un peu de volonté, auraient le pouvoir d’améliorer leur sort devraient garder leur sympathie pour les êtres moins favorisés par la fortune. L’apitoiement sur soi ne peut cohabiter avec la maîtrise de soi, qualité sans laquelle il est facile de rater sa vie.

Dans une société sans péchés, il n’y a que des « erreurs »

S’il est vrai que la culture populaire reflète les mentalités d’une époque, les tendances actuelles que laissent transparaître les livres, les films et les émissions télévisées donnent à réfléchir. Le manque de maîtrise de soi des anti-héros et anti-héroïnes qui jouent des scènes empruntées à la vie de la fin du 20e siècle est évident. Qu’il s’agisse d’argent, de pouvoir ou de passion, ils parviennent à leurs fins sans s’encombrer de scrupules ; leur sens de la justice ne leur pose aucun cas de conscience. « Si vous voulez comprendre ce qu’est la vertu, observez la conduite des hommes vertueux » recommandait Aristote. Comment suivre un tel conseil si les seuls modèles du comportement humain sont ceux fournis par le monde des spectacles !

Les romans de l’époque post-victorienne enseignaient aux jeunes que la route du succès était pavée de diligence, d’honnêteté et d’intégrité. La leçon que leur donne aujourd’hui la télévision serait plutôt que l’argent peut faire le bonheur et que pour l’obtenir il n’y a pas lieu de se laisser étouffer par ses scrupules. Les héros traditionnels étaient motivés par le désir de sortir victorieux en montrant leur force de caractère. Les séduisants personnages de la télévision sont animés par la soif du pouvoir et la cupidité.

Le fait d’être immensément riche semble être suffisamment valable en soi pour que Yvan Boesky proclame que « la cupidité est une bonne chose » ; peu après cette déclaration, il a d’ailleurs été reconnu coupable d’escroquerie en bourse. L’opinion de Boesky mise à part, la cupidité demeure un des sept péchés capitaux qui ne sont pas des défauts à proprement parler mais l’expression d’un manque sérieux de caractère. Sur cette liste, figurent également l’orgueil, la luxure, la colère, la gourmandise (qui englobe l’usage de l’alcool et de la drogue), la paresse et l’envie. Ajoutons quelques interdictions bibliques telles que « tu n’opprimeras pas les pauvres, » tu « ne déroberas pas au travailleur le fruit de ses labeurs » et nous obtenons le guide complet des choses à éviter si l’on tient à se former le caractère.

Lorsque les Canadiens de tous âges et les habitants du monde occidental assistaient régulièrement à des offices religieux, ces « tables de la loi » étaient présentes à l’esprit de tous. Les prédicateurs prêchaient à leurs ouailles ce qu’il fallait faire et ne pas faire. Le culte et les prières, comme le savait tout un chacun, servaient à se délivrer du mal et de la tentation. Bien se conduire était une vertu reconnue par la majorité.

Avec le déclin de la pratique religieuse, la notion du bien et du mal a peu à peu disparu. L’absence de principes directeurs est encore aggravée par une approche amorale et pseudo-scientifique au comportement qui prétend que les vices sont l’expression de désordres psychologiques susceptibles d’être corrigés par un traitement externe, l’implication étant qu’aucun effort de volonté n’y pourrait suffire. Comment s’étonner que de nombreuses personnes aujourd’hui pensent que l’illégalité marque la limite du bien et du mal. Si les êtres humains ne sont pas responsables de leurs actes, ils ne peuvent être considérés comme des pêcheurs, et sans pêcheurs, il n’y a pas de péchés, seulement des « erreurs. »

Qu’elles soient croyantes pratiquantes ou non, les personnes de caractère adhèrent aux principes religieux universels de tous les temps. Tenir leurs promesses et respecter leurs engagements sont pour elles une question d’honneur.

L’espoir de l’humanité prend sa source dans la « volonté de l’âme »

Une telle mentalité reconnaît facilement l’importance des obligations de l’individu vis-à-vis de la collectivité sans lesquelles la civilisation ne peut exister. Les pays qui font fi des responsabilités civiques sont sur la pente du barbarisme. Lorsque le mensonge, la tromperie et la tyrannie sont de règle, les menteurs, les tricheurs et les tyrans font la loi. Les faibles et les pauvres, incapables de faire front aux tyrans ou de payer les pots de vin nécessaires pour obtenir les services essentiels, sont exploités et opprimés. Un régime s’instaure qui se situe à l’opposé du régime humanitaire auquel aspirent les Canadiens, lequel vise à faire régner la vertu et la justice parmi les forts comme parmi les faibles.

Pour atteindre leur idéal moral, les nations dépendent essentiellement des principes de ceux qui les constituent. Au sein des démocraties libérales, le pouvoir potentiel d’exploiter ou d’opprimer appartient aux représentants du peuple. C’est l’importance que ces derniers accordent au respect des principes moraux qui empêche l’abus de pouvoir.

La démocratie étant « le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple, » les qualités morales d’un État et de son peuple sont inséparables. Tout individu contribue à la qualité ou à la perte de son pays.

Si toutes les couches de la société, le monde des affaires, les professions libérales, les artistes, les enseignants, voire même les sportifs ne respectent plus un strict code d’intégrité, on ne peut guère s’attendre à ce qu’il en soit autrement dans le domaine politique. En fait, nous constatons une tendance malsaine à charger les politiciens de tous les maux sociaux dont nous sommes nous-mêmes responsables. Les citoyens réclament sans cesse que l’État « fasse quelque chose » pour résoudre des problèmes qui dérivent d’attitudes largement partagées, et s’en prennent à son manque de leadership qui a permis la naissance de ses problèmes. Pourtant, loin de se tourner vers les corps législatifs pour découvrir causes et solutions, nous devrions prêter attention à l’institution la plus importante de notre société, la famille.

C’est dans le cadre familial que se forgent les attitudes et que se trouvent les modèles. En agissant avec justice, honneur et courage vis-à-vis de ceux qui les entourent, les êtres humains combattent activement l’influence corrosive du monde extérieur, et ce faisant, retirent des satisfactions inattendues : le respect des autres et le respect de soi. Leur vie a un sens. « La contribution la plus noble que puisse faire un être humain à la postérité est celle de sa force de caractère, » écrivit R.C. Winthrop, homme d’État américain.

Le caractère, et non l’éducation, est le plus grand besoin de l’homme et sa meilleure protection, » estime le philosophe britannique Herbert Spencer. La raison en a été donnée par un autre philosophe, Lao Tsu, qui écrivait au 6e siècle avant Jésus-Christ : « si la volonté règne dans l’âme, la beauté règne dans la personne. Si la beauté règne dans la personne, l’harmonie règne dans la maison. Si l’harmonie règne dans la maison, l’ordre règne dans la nation. Si l’ordre règne dans la nation, la paix règne dans le monde. »

L’avenir de l’humanité dépend donc de la volonté de l’âme. Mais cette volonté, d’où vient-elle ? Après des siècles de débats, les philosophes ne savent toujours pas si elle est innée ou si elle s’acquiert au fil des années. Quoi qu’il en soit, une chose est sûre – pour que cette qualité se développe, elle doit être nourrie au prix de durs efforts ; pour ne pas dépérir, elle doit être utilisée et ce, vous seul pouvez le faire.