Le temps est le bien le plus précieux que nous possédions, car une fois passé, il ne se rattrape jamais. Utiliser son temps à bon escient exige une bonne organisation, un certain effort. Mais cet effort ne vaut-il pas la peine d’être fait s’il nous permet de jouir pleinement de l’existence ?
« Aimez-vous vivre ? » a écrit Benjamin, « alors ce serait folie de gaspiller votre temps car il est l’essence même de la vie », et d’ajouter que le temps perdu ne se retrouve pas.
Bien peu d’entre nous savent mettre cette sagesse en pratique. La valeur du temps est « proclamée par tous mais n’est prise en considération par personne », a écrit Lord Chesterfield, contemporain anglais de Franklin.
Un vieux dicton affirme que le temps est le bien de ce monde le plus désiré et le moins bien utilisé. La plupart des gens d’aujourd’hui seraient du même avis. Tout en se plaignant du peu de temps dont ils disposent, ils admettent volontiers qu’ils pourraient en faire un bien meilleur usage.
Les gens ont tendance à craindre le temps. Traditionnellement ils se le représentent comme un élément naturel, puissant et assez sinistre. Thomas Carlyle, sensible à ce côté menaçant du temps, l’a décrit comme « cette chose infinie, silencieuse, coulant, jaillissant, rapide, muette, semblable au flot inexorable de la marée montante ».
Face au temps, nous avons souvent une attitude fataliste. Il est courant d’entendre dire que le temps ne s’arrête pour personne, qu’il est impitoyable, que le combattre est futile, car il se moque de nos efforts pour le maîtriser.
Paradoxalement le temps est aussi perçu comme un bien précieux et personnel, susceptible d’être contrôlé. De nombreuses expressions ordinaires suggèrent que le temps nous appartient. Prenez par exemple « avoir du temps à soi ».
Un philosophe italien disait que le temps était sa richesse. Une richesse considérable d’ailleurs. La durée moyenne d’une vie au Canada est actuellement de 71 ans, soit 25,915 jours, ou 621,960 heures. Même en tenant compte de l’importance de celles que l’on réserve aux nécessités de l’existence, il reste un nombre impressionnant d’heures qui nous appartiennent.
L’analogie avec la richesse pourtant ne va pas très loin. Un héritage peut être dilapidé, et éventuellement reconstitué, pas le temps. Même si nous vivions 100 ans nous n’aurions à notre disposition qu’une quantité limitée de temps.
Si l’on nous avertissait que la somme d’argent dont nous disposons était limitée et que, une fois dépensée, elle serait perdue à tout jamais, nous établirions soigneusement un programme de dépenses.
Pourtant, confrontés à la même situation avec le temps, la plupart d’entre nous maintiennent leurs habitudes de gaspillage extravagant. S’organiser délibérément pour contrôler la dépense de notre temps apparaît comme un acte anormal, une menace à la spontanéité qui fait le charme de l’existence. Nous refusons de nous transformer en créatures gouvernées par un horaire rigide.
L’explication de cette attitude pourrait se trouver dans l’association que nous faisons volontiers entre le travail et l’organisation. Originellement les méthodes conçues pour éviter toute perte de temps entendaient accroître la productivité, rendre les travailleurs plus efficaces.
C’est pourquoi nous pensons à un acte délibéré lorsque nous parlons d’utilisation rationnelle du temps. L’idée de surcroît de travail nous vient aussitôt à l’esprit. En fait cette conception est en complète contradiction avec la philosophie des techniques modernes de gestion.
Ceux qui gèrent judicieusement leur temps accomplissent sans mal leur tâche
Loin d’obliger à travailler davantage, la répartition systématique du temps rend le travail plus facile. Un monde de mauvaise gestion s’accompagne de retards terrifiants, de problèmes persistants, de contrariétés irritantes et de surprises déplaisantes. Ceux qui savent gérer leur temps parviennent à accomplir leur travail sans s’user nerveusement et physiquement.
Pourtant la plupart d’entre nous avons peur de dépendre d’une structure trop rigide qui pourrait nous transformer en obsédés du travail, exigeant une dose régulière de 14 heures par jour. Rien ne pourrait être plus loin du point de vue des conseillers actuels qui considèrent que de longues heures de travail diminuent habituellement l’efficacité et se révèlent, en dernière analyse, une perte de temps.
Ceux qui savent gérer leur temps quittent le bureau à l’heure normale, un porte-documents léger à la main. Du fait qu’ils sont libres de tout problème resté en suspens, ils passent des nuits reposantes et des soirées ininterrompues. Au lieu de leur soustraire des heures de loisir, la gestion de leur temps leur procure un surcroît de temps libre.
L’objectif premier est de dégager des moments disponibles qui pourront être consacrés aux activités préférées par chacun, que ce soit construire un chalet, entraîner une équipe « Pee Wee » ou aller voir le Taj Mahal.
Pour certains bien entendu, ce sera le désir d’amasser une somme d’argent importante ou de travailler sans relâche pour joindre les rangs des cadres supérieurs. La philosophie de ces ambitieux n’a, en soi, rien de mal tant que la répartition de leur temps respecte un certain équilibre. Comme l’a écrit récemment Walter Kiechel III dans la revue Fortune : « Ce que l’obsédé du travail oublie facilement, et que le gestionnaire futur de temps devrait toujours avoir présent à l’esprit, ce sont les plaisirs offerts par le monde extérieur : se promener au grand soleil ou sous la pluie ; observer le changement des saisons ; suivre la croissance de ses enfants en essayant d’en alléger les peines ; bavarder à la lumière des chandelles en goûtant au plaisir que procurent la bonne chair et la bonne compagnie, celle de son conjoint y compris ; être disponible lorsqu’un parent âgé, un enfant ou un ami en détresse a besoin de vous. Si, face à ces situations, vous optez par principe pour le travail, il serait temps que vous appreniez à gérer votre temps. »
De toute façon, les méthodes de gestion du temps s’appliquent à toutes nos activités. Elles ne se cantonnent pas à régir le nombre d’heures passées à travailler. Bien qu’elles soient généralement enseignées aux chefs et aux superviseurs, ces techniques sont tout aussi précieuses pour les personnes qui restent chez elles, les étudiants, les travailleurs indépendants, les retraités ou quiconque veut profiter de la vie au maximum.
La meilleure leçon qu’un président du conseil ait jamais apprise
Quelles sont ces techniques ? La première opération, tout comme dans une campagne militaire, consiste à reconnaître le terrain. Les conseillers recommandent de tenir un journal pendant une semaine typique en indiquant avec précision vos activités de chaque jour. Vous pourrez ainsi déterminer les périodes gaspillées en actes futiles et prendre des dispositions pour les éliminer de votre existence.
Une fois que vous savez exactement comment vous passez votre temps, vous pouvez établir « un ordre de priorité ». Ce concept est né du dialogue légendaire entre un conseiller du nom de Ivy Lee et le président du conseil de Bethlehem Steel, Charles Schwab, dans les années 20. « Montrez-moi comment accomplir davantage avec le temps dont je dispose, je vous paierai tout ce que vous voudrez dans les limites de mes moyens », déclara M. Schwab, à Ivy Lee.
Lee tendit au roi de l’acier une feuille de papier vierge en lui demandant de s’astreindre à écrire ce soir-là dans leur ordre d’importance les six choses qu’il avait à faire. Sa journée du lendemain devait être structurée selon l’ordre de la liste établie. À la fin de la journée Schwab était censé déchirer la liste utilisée et en dresser une autre pour le lendemain. Il devait répéter la même procédure chaque jour.
« Ne vous inquiétez pas si vous n’avez pu achever qu’une ou deux des tâches qui figurent sur la liste », déclara Lee, « car vous aurez accompli celles qui étaient les plus importantes. S’il vous est impossible de venir à bout de votre liste en utilisant cette méthode, vous pouvez être sûr que, de toute façon, vous n’auriez pas pu faire mieux. Sans méthode vous n’auriez sans doute pas été conscient de l’importance relative de certaines de vos activités. Déterminez vous-même quelle est la valeur de mon système et envoyez-moi un chèque. » Quelques semaines plus tard Schwab fit parvenir à Lee un chèque de $25,000 accompagné d’une note qui le remerciait de lui avoir enseigné la leçon la plus utile qu’il ait jamais eue à apprendre.
Le but n’est pas d’évaluer les tâches les plus importantes, mais plutôt d’éliminer celles qui ne le sont pas. L’analyse de certaines de vos activités révélera que vous pourriez tirer meilleur profit de votre temps en le consacrant à autre chose. La valeur de chaque tâche doit être déterminée en fonction de vos objectifs à long terme. Toute activité ne vous rapprochant pas de ces objectifs est d’une valeur suspecte.
La question clé à se poser est la suivante : qui pourrait faire ce travail à ma place ?
Une fois pris dans l’engrenage de la journée, il est difficile de juger de l’importance d’un travail par rapport à un autre. Il est donc conseillé d’adopter un système qui vous donne le temps de réfléchir à chacun d’entre eux. Certains cadres surchargés de travail ont opté pour des dossiers de couleurs différentes : rouge pour les choses urgentes, vert pour ce qui doit être fait cette journée-là, jaune pour ce qui doit être fait d’ici la fin de la semaine.
Si nous passons trop de temps à nous occuper de questions insignifiantes sans pouvoir ou vouloir juger objectivement de leur importance, le coupable pourrait être notre propre nature humaine qui nous pousse à effectuer en priorité les travaux les plus rapides et les plus faciles.
L’ennui avec ces mille petites besognes c’est qu’elles ont la fâcheuse habitude de se multiplier et d’envahir tout le temps qui aurait dû être réservé à des travaux vous rapprochant de vos objectifs. Ross A. Webber a écrit dans son livre Time and Management que « s’occuper de nombreux petits problèmes au fur et à mesure qu’ils se présentent empêche de donner son attention aux problèmes moins nombreux et plus importants ».
Facile à dire ! Mais en pratique il n’est pas si simple de se concentrer sur l’essentiel alors que de menues préoccupations ne cessent de solliciter notre attention. Nous sommes submergés par les crises du moment et ne pouvons diriger notre énergie vers les choses qui comptent.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, alors qu’il était commandant suprême des forces alliées en Europe, Dwight D. Eisenhower mit au point un système qui lui permettait de faire face aux crises sans perdre de vue ses objectifs premiers. Il donnait l’ordre à ses aides de ne rien lui apporter à moins que ce ne soit à la fois urgent et important. Si ce n’était pas urgent, ça pouvait attendre ; si ce n’était pas important, quelqu’un d’autre pouvait s’en charger.
Bien que les citoyens ordinaires n’aient pas à leur service toute une armée, ils peuvent utiliser les mêmes critères face à un problème soi-disant urgent et se poser les questions suivantes : « Est-ce si urgent que je doive interrompre le travail que je suis en train de faire ? Suis-je le seul à pouvoir m’en charger ? »
Si le problème est d’une urgence indiscutable, il est mis automatiquement au premier rang de votre liste. Vous devez donc lui donner toute votre attention jusqu’à ce qu’il soit résolu.
Mais là encore il se peut que le monde extérieur fasse irruption dans votre vie. Il est facile en théorie de suivre systématiquement l’ordre établi, mais l’existence est truffée d’imprévus. Il n’est donc pas étonnant que de grandes choses doivent attendre.
En vérité il n’est pas nécessaire que nous soyons interrompus à tout bout de champ. Il semble même que nous invitions les interruptions pour éviter de nous attaquer aux difficultés.
Les êtres humains très souvent provoquent les interruptions en se voulant trop disponibles. Prenons le cas d’une mère de famille. Elle n’aura jamais le temps de poursuivre ses études ou de s’adonner à son violon d’Ingres parce qu’elle a pour principe d’être toujours présente quand ses enfants ont besoin d’elle, ce qui d’ailleurs la rend frustrée et ses enfants insupportables. Le patron qui a pour politique de garder « sa porte ouverte » provoque une avalanche de discussions inutiles ou pire invite ses subordonnés à venir se décharger sur lui de leurs problèmes.
« La solitude » : le secret qui vous permet d’accomplir l’essentiel
Le téléphone présente un problème encore plus grave. Pourtant une secrétaire, ou un répondeur si vous travaillez à la maison, vous laissera libre de vous concentrer. Dans la plupart des cas, une secrétaire ou un subordonné peut très bien s’occuper d’un problème sans en référer à son chef.
Une partie de la journée devrait être consacrée aux appels téléphoniques urgents, aux travaux administratifs indispensables et aux réunions, et une période de « solitude » aux tâches les plus importantes. Les adeptes de ce système affirment qu’une personne bien organisée peut accomplir trois heures de travail normal en une heure de « solitude ».
Les efforts de concentration ne devraient pas se limiter aux moments où vous êtes seul. Un grand nombre de gens perdent leur temps pendant des réunions en étant totalement préoccupés par leurs propres pensées. Incapables de se concentrer, ils ne peuvent arriver à une prise de décision rapide. Savoir chasser de son esprit tout problème afin de prêter attention à la question du moment est un coup à prendre. Les cadres supérieurs, dont le temps est constamment fragmenté par l’exigence des décisions à prendre, ont maîtrisé la technique de la concentration totale.
Diverses méthodes aident à s’organiser et à ne pas perdre de temps. Garder un bureau ordonné vous évitera de perdre de précieuses minutes à fouiller dans des piles de papiers. Les bons gestionnaires de temps mettent un point d’honneur à ne pas toucher une feuille de papier plus d’une fois. Ils répondent à leur courrier immédiatement.
Une rigoureuse structuration de votre temps signifie une liberté accrue
Toutes sortes de mesures peuvent être prises pour économiser son temps : dormir une demi-heure de moins par jour, ne lire que les gros titres des journaux, mémoriser tous les numéros de téléphone que vous appelez régulièrement, vous débarrasser de votre poste de télévision. Il faut admettre que ces procédés ne conviennent pas à tout le monde. George Bernard Shaw, à la barbe luxuriante, déclara un jour qu’il avait écrit plusieurs pièces de théâtre en utilisant le temps qu’il aurait passé à se raser. Malheureusement tous les hommes ne veulent pas porter de barbe. Un grand nombre d’entre eux prétendent même que les bonnes idées leur viennent en se rasant.
Les trucs et tuyaux donnés dans les livres « comment faire » traitant de la structuration du temps peuvent vous mettre sur la bonne voie à condition que vous puissiez les adapter à votre personnalité et à vos circonstances particulières. Les méthodes importent peu, l’essentiel est de reconnaître que le temps est une ressource extrêmement précieuse qui ne devrait être utilisée que selon un plan rigoureusement établi. La gestion du temps est un étrange paradoxe qui veut qu’un contrôle rigoureux se traduise par une plus grande liberté. En profitant pleinement de notre temps, nous parviendrons à profiter pleinement de notre existence.