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À un moment de l’existence où l’on ne peut voir ses limites, il est naturel d’avoir de grandes idées. Trop souvent, on ne prête pas attention à ce que disent les jeunes. L’Année internationale de la jeunesse attire notre attention sur leurs idéaux. Et il serait peut-être temps de penser comme des jeunes si nous voulons améliorer le monde…

L’un des buts de l’Année internationale de la jeunesse des Nations Unies, qui touche maintenant à sa fin, est simplement d’inciter les adultes mûrs à penser aux jeunes. Des activités ont été organisées dans le monde entier pour sensibiliser le public aux intérêts, aux préoccupations et aux réalisations des jeunes de 15 à 24 ans.

En fait, les jeunes ont toujours retenu l’attention de leurs aînés, sans que ce soit obligatoirement sous l’angle positif envisagé par les organisateurs de l’Année internationale de la jeunesse. La génération montante a toujours été un grand sujet de conversation depuis que l’homme traduit ses pensées en mots.

Nous n’avons aucun moyen de savoir ce que l’on a dit de la jeunesse au cours des siècles, mais nous savons ce que l’on a écrit à son sujet. Une étude rapide de la question montre que les avis ont été remarquablement constants. À toutes les époques, des hommes et des femmes cultivés ont estimé que les jeunes de leur entourage étaient peu instruits, peu motivés, dénués d’usages et mal préparés pour diriger le monde à leur tour.

Le monde a néanmoins survécu et le cycle s’est poursuivi. Les membres de chacune des générations qui se sont succédé se sont convaincus que les représentants de celle qui les suivait manquaient des qualités admirables dont ils faisaient preuve au même âge.

Un changement semble s’opérer chez les parents quand leurs enfants atteignent l’adolescence et ils ont invariablement tendance à s’attribuer des vertus qu’ils n’ont peut-être jamais eues.

La tension qui se manifeste entre la jeune et la vieille génération découle de ce qu’elles sont toutes les deux portées à se surestimer et à sous-estimer l’autre. Les parents se plaignent de ce que leurs enfants les plus âgés manquent de bon sens, mais ces derniers les considèrent comme lents d’esprit et tristement coupés de la réalité présente.

Ni les uns ni les autres n’apprécient leurs forces respectives. Le temps ne passe guère quand on a 20 ans, mais file quand on en a 40. Ainsi, le père qui déplore la légèreté de son fils oublie le temps qu’il lui a fallu pour acquérir du bon sens, et croit en avoir toujours eu. Le fils qui estime que son père patauge considère les changements dont il est témoin comme plus importants et permanents qu’ils ne le sont en réalité.

Il est presque toujours impossible aux jeunes d’avoir une vision à long terme des choses, pour la raison bien simple qu’ils n’ont pas vécu assez longtemps pour avoir une perspective suffisante. Ils ne se rendent pas compte que les tendances actuelles qui occupent une place si importante dans leur existence sont souvent passagères. Leur myopie naturelle conduit beaucoup d’entre eux à penser qu’une nouvelle époque s’est fait jour, à considérer comme sans objet tout ce qui l’a précédée.

Dès le milieu du XVIIIe siècle Samuel Johnson écrivait : « La déficience de la génération actuelle c’est son impatience vis-à-vis de l’étude, son mépris des grands maîtres de la sagesse antique, et son inclination à se fier entièrement au seul génie et à la sagacité naturelle. »

La génération à laquelle il faisait allusion a dû s’amender, car les connaissances humaines ont continué à se multiplier. Et depuis, toutes les générations qui se sont succédé les ont accrues après avoir été décriées à leur tour pour leur ignorance, leur manque de lettres et leur logique défectueuse.

Mais malgré tout, Johnson confirme que le fossé des générations n’est nullement un fait d’actualité. Il résulte d’un écart fondamental entre la façon de penser des diverses tranches d’âge.

En général les jeunes arrivent à leurs conclusions par pure intuition. Leurs sentiments, leurs sens, leurs inspirations et leurs perceptions sont la matière première de leurs idées. Les personnes plus âgées sont plus portées à suivre une démarche empirique pour accéder à la connaissance. Elles s’appuient sur des faits prouvés pour distinguer le vrai du faux.

Les deux démarches ont leur intérêt. On ne saurait faire de vérification comptable ni tracer les plans d’un gratte-ciel en se fondant sur ses « intuitions ». En revanche, si Albert Einstein s’était seulement appuyé sur les faits, il n’aurait jamais échafaudé sa théorie de la relativité.

Les jeunes ont tendance à élaborer des théories et à généraliser parce que leur démarche est intuitive et qu’ils ne connaissent pas les détails restrictifs. Leur présomption est une cause d’irritation pour certains, et d’amusement pour d’autres. Elle a poussé lord Chesterfield à écrire avec morgue : « Les jeunes gens sont enclins à se trouver bien assez sages, comme les gens ivres qui sont toujours bien assez sobres selon eux. » Mais elle a, en revanche, inspiré au dramaturge James M. Barrie la formule plus humoristique suivante : « Je ne suis pas assez jeune pour tout savoir. »

Le manque de réalisme de la plupart des théories des jeunes empêche les adultes aguerris de les prendre au sérieux. Les parents se plaignent toujours que leurs adolescents ne les écoutent pas, mais l’inverse est aussi vrai.

Les gens d’un certain âge sont prompts à « se draper dans leur dignité » dans leurs discussions avec les jeunes en invoquant leur expérience. L’expérience est certes un bon maître, mais comme l’a conseillé Mark Twain, il ne faut pas lui accorder plus de valeur qu’elle n’en a : « …de peur de faire comme cette chatte qui s’était assise sur un rond de poêle chaud. Elle ne s’assiéra plus jamais sur un rond chaud, ce qui est bien… mais elle ne s’assiéra plus sur un rond froid non plus. »

En effet, on constate que les jeunes croient trop aux possibilités de la méthode par tâtonnements alors que les personnes âgées s’arrêtent trop à ses conséquences néfastes éventuelles. L’instinct des novices peut les pousser à des actions qu’ils regrettent ultérieurement, mais celui des anciens leur dit souvent à tort, de craindre le pire.

Les gens qui s’attardent trop au côté négatif de leur expérience en savent toujours plus sur l’impossible que sur le possible. Or, il y a un siècle, la voix de l’expérience disait qu’il était impossible pour l’homme de voler.

Dans le monde des idées, l’inexpérience même de la jeunesse est parfois son meilleur atout. Gugliemo Marconi n’aurait certes pu rassembler tous les faits qui semblaient s’opposer à la transmission de mots dans l’atmosphère quand, âgé de 22 ans, il l’a conçue.

Les jeunes sont plus enclins que les vieux à la honte

La hardiesse de la jeunesse et la prudence de la vieillesse n’ont jamais fait bon ménage. Dans un essai publié en 1625, Francis Bacon a réfléchi sur cette dualité, et des faiblesses lui sont apparues des deux côtés. « Quand ils se lancent dans l’action, les jeunes gens embrassent plus qu’ils ne peuvent étreindre ; troublent plus qu’ils ne peuvent apaiser ; vont droit au but sans envisager ni moyens ni étapes… Les hommes d’un certain âge soulèvent trop d’objections, ne s’aventurent pas assez, mènent rarement leurs affaires vraiment à terme, et se contentent de médiocres succès. »

« Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait… », dit un proverbe français, « la pauvreté, point n’existerait », ajoute son lugubre homologue anglais. Par une autre ironie du sort la vigueur de la jeunesse et la modération de la vieillesse s’équilibrent rarement chez la même personne. La meilleure solution préconisée par Francis Bacon pour redresser la situation consiste en une division du travail : aux jeunes d’inventer et de prendre l’initiative de projets, et aux vieux de recourir à leur grand discernement pour leur indiquer la meilleure méthode.

Pareils arrangements donnent de bons résultats lorsqu’on les essaie, mais on ne les essaie pas assez souvent pour que la société en bénéficie. Le vieillissement tend à confirmer les gens dans leur façon de faire et à les rendre réticents à l’égard des changements que les jeunes veulent leur imposer. Leur réticence augmente encore lorsqu’ils se sentent menacés par le dynamisme, l’assurance et l’énergie de ces derniers. Leur meilleure protection contre cette menace consiste à trouver des raisons pratiques de ne pas appliquer les propositions des jeunes.

Si la faiblesse de la jeunesse est la témérité, celle des personnes plus âgées est l’opportunisme. Selon le dictionnaire, le comportement opportuniste est plus « politique que juste ». Ceux qui accèdent à des responsabilités, familiales ou autres, se préoccupent normalement plus de leurs propres intérêts que de ceux de la société en général. Ils s’attachent d’abord à faire ce qui leur convient le mieux au lieu d’agir dans l’intérêt de tous.

Le jeune idéaliste qui lutte pour le respect des principes face à l’opportunisme est un personnage bien connu dans la littérature. Il semble que l’on naisse avec un sens de la justice qui se manifeste tôt dans l’existence : « ce n’est pas juste », est une exclamation fréquente dans la bouche des jeunes enfants. Ce sens s’accuse durant l’adolescence et pendant quelques années après la vingtaine, puis il perd de son mordant au contact de la réalité et de son cortège de désillusions.

Les jeunes éprouvent plus souvent de la honte que leurs aînés, car notre capacité d’avoir honte de nous-mêmes diminue proportionnellement au nombre de fois où nous parvenons à commettre des actes équivoques et à nous en sortir. Comme l’a fait remarquer Balzac, la jeunesse n’ose pas se contempler dans le miroir de la conscience quand elle penche pour l’injustice, mais la maturité s’y est déjà vue à ce moment-là ; c’est là que réside toute la différence entre ces deux périodes de la vie.

L’instinct de justice des jeunes n’est pas infaillible, bien sûr. De terribles atrocités ont été commises par des jeunes sous l’impulsion de dirigeants démagogiques qui les avaient convaincus de persécuter d’autres personnes pour faire « justice » aux leurs. Toutefois, même quand ils sont mal dirigés, les jeunes sont dans l’ensemble plus disposés à se sacrifier pour ce qui est bien à leurs yeux.

La jeunesse pose de dures questions à la génération actuelle

S’ils reçoivent une éducation éclairée, leur désir de justice sociale et leur souci d’autrui leur permettent de surmonter les obstacles de race et de religion dressés par ceux dont les croyances sont devenues rigides. À l’ère des télécommunications, leurs préoccupations humanitaires traversent aussi les frontières. La récente campagne menée par des jeunes des pays de l’Ouest pour remédier à la famine en Afrique, l’illustre bien.

En témoignant de leur désir de partager, de leur compassion, de leur internationalisme et de leur désir de justice, les jeunes d’aujourd’hui posent implicitement certaines questions très déconcertantes à la génération au pouvoir : Pourquoi la faim ? Pourquoi la torture ? Pourquoi la pollution ? Pourquoi tout le monde ne vivrait-il pas dans un confort suffisant, dans la dignité, la liberté et la paix ?

Les réponses à ces questions semblent évidentes pour toute personne mûre qui recourt au raisonnement empirique. L’expérience montre que notre mauvais monde ne change que très doucement. Des groupes bien intentionnés ont essayé d’améliorer la vie sur notre planète depuis des siècles, mais pourtant, la guerre, la famine, la maladie, l’oppression politique et l’injustice sociale demeurent monnaie courante.

Au sujet de la grande question de la survie ou de la mort de l’espèce humaine à laquelle nous sommes tous confrontés, on peut répondre froidement aux jeunes que les pourparlers sur le désarmement nucléaire remontent presqu’au jour où la première bombe atomique a été lancée, mais que les possibilités de destruction de la planète augmentent sans cesse. Ainsi, au cas où ils ne seraient pas privés de tout avenir par la guerre nucléaire, beaucoup de jeunes, même dans les pays prospères, sont confrontés à un avenir dans lequel ils ne peuvent compter trouver un emploi stable. Là encore, la logique empirique fondée sur l’expérience, peut démontrer qu’il est difficile de régir l’économie de façon que tous aient un emploi.

Aussi, un esprit rationnel considérant les tentatives faites pour améliorer le sort de l’humanité pourrait-il fort bien conseiller aux jeunes d’oublier la situation d’ensemble pour ne s’attacher qu’à leur bien-être personnel. Les jeunes ne sont heureusement pas très rationnels. Ils ne se tournent pas en arrière pour s’arrêter à l’histoire décourageante de ce qui s’est passé, mais vers l’avant, vers ce qui devrait avoir lieu idéalement.

Un excès de réalisme peut conduire à l’apathie

L’idéalisme est l’expression publique de l’espoir intérieur, mais l’espoir ne résiste pas toujours à un examen empirique. Tout le monde sait, par expérience, que maints espoirs finissent par s’envoler. Malgré cela, les sages réflexions de Johnson sur la question sont aussi valables pour la société que pour l’individu, et comme l’a écrit cet auteur : « Il est nécessaire d’espérer, même si l’espoir est toujours trompé, car l’espoir est bonheur en soi, et ses déceptions, même fréquentes, sont moins à craindre que sa disparition. »

L’espoir est l’arme absolue de l’arsenal spirituel de la jeunesse. Les jeunes peuvent être battus en brèche à maintes reprises et revenir à la charge, soutenus par de nouvelles possibilités. Mais comme ils sont aussi impressionnables et changeants, leurs espoirs peuvent s’effondrer.

Quand les jeunes tournent mal, s’adonnent à la délinquance, à la drogue ou au vandalisme, c’est le manque d’espoir qui en est la cause.

Il est essentiel pour la génération actuelle de maintenir l’espoir et l’idéalisme de la jeunesse, surtout à notre époque où le réalisme est à l’ordre du jour.

Généralement, ceux qui clament le plus fort qu’il faut être réaliste ne le sont nullement au vrai sens du terme. Ils ont les yeux rivés sur l’aspect négatif de toute chose. Pour eux, un verre est toujours à moitié vide, jamais à moitié plein. Ce pessimisme ne conduit qu’à l’apathie et à l’inaction. Les gens convaincus que le pire ne manquera pas d’arriver cessent d’agir pour l’éviter. Ils contribuent ainsi à la réalisation de leur triste prophétie.

Heureusement, il en faut beaucoup pour venir à bout de l’optimisme de la jeunesse. Les sondages d’opinion effectués auprès des Canadiens de 18 à 24 ans témoignent d’ailleurs de leur confiance surprenante en l’avenir de l’économie et de leur grande conscience sociale.

En fait, ils sont peut-être plus réalistes que certains de leurs aînés, car l’expérience montre de façon empirique qu’il est vraiment possible d’améliorer la condition humaine.

Chaque fois que des progrès ont été réalisés, ils ont découlé d’un mécontentement à l’égard du statu quo et de la conviction qu’aucun problème n’est insoluble. De tels sentiments sont typiques de la jeunesse, mais les jeunes n’ont jamais été les seuls à adopter pareille position idéaliste.

Le fossé des générations a toujours été franchi par les jeunes d’esprit de tous âges, qui renforcent constamment leur confiance en eux et leur créativité en prêtant attention aux réflexions, aux espoirs et aux rêves des jeunes et qu’ils n’écartent pas en se drapant dans leur prétendue sagesse. Les jeunes d’esprit se rendent compte que le progrès ne peut découler de l’opportunisme ni d’un réalisme bilieux. L’élan doit venir du coeur aventureux et non de l’esprit calculateur.

On dit constamment aux jeunes de ne pas se montrer aussi impatients, mais s’il n’y a jamais eu un sujet valable d’impatience, c’est bien la misère où se trouve plongée une grande partie de l’humanité. Plutôt que de modérer l’enthousiasme dont témoignent les jeunes pour améliorer le monde, les autres générations devraient mettre à leur service leurs aptitudes particulières et s’allier avec eux pour accélérer le plus possible le processus. Les jeunes sont renommés pour leurs grandes idées. Or, la plus grande idée de toutes, celle de faire régner la paix et la prospérité sur la terre, mérite le soutien actif des humains de tous âges.