Dans un monde où tout va vite, nul n’est à l’abri des accidents ou des sinistres. Pourtant, bien peu sont vraiment prêts à affronter les situations critiques lorsqu’elles se présentent. Voici un bref coup d’oeil sur les dangers de la vie moderne et la manière de les envisager. Il s’agit de ne pas trop compter sur la chance…
Peu de personnes, si bien protégées aient-elles été dans la vie, peuvent se vanter de ne jamais avoir couru un danger. Dans un monde hérissé de périls, il est presque impossible de vaquer à ses affaires quotidiennes sans être exposé par moments à se blesser ou à perdre la vie. Notre façon de réagir devant ces dangers dépend de notre âge, de notre expérience, de nos facultés, de nos nerfs et de notre agilité physique et mentale. Elle dépend aussi dans une large mesure de notre attitude fondamentale envers la vie.
Certains considèrent le danger avec plus de sérénité que d’autres. Ainsi, il est naturel à un Oriental issu d’une famille de guerriers de craindre beaucoup plus l’infamie d’être noté de lâcheté que l’éventualité d’une mort soudaine. De même, celui qui croit sincèrement qu’il entrera dans un monde meilleur en mourant s’effraiera moins normalement du danger de perdre la vie que celui pour qui la mort est la fin de tout.
Bon nombre de religions et de croyances, dans le monde, restent imprégnées d’un certain fatalisme, ce qui dispose les gens à accepter passivement tout ce qui leur advient. La conviction que ce qui arrive doit arriver tend naturellement à affaiblir notre vigilance à l’égard du danger. Et la croyance que le destin en décidera quoi qu’il en soit n’est pas l’apanage des superstitieux. « J’ai appris à connaître les raisonnements des hommes, écrit Euripide, et le destin est plus fort que tout ce que j’ai vu. »
Mais l’opinion qu’il faut se soumettre au destin semble peu conforme aux instincts de l’homme. Selon les études anthropologiques approfondies que renferme Le Rameau d’or de l’ethnologue J. G. Frazer, on ne relève l’existence d’aucune société qui ait été assez résignée pour n’avoir jamais tenté d’influencer d’avance les événements par les rites, le sacrifice ou la prière. De toute ancienneté, les hommes ont cru en des esprits invisibles chargés de présider à leur destinée. Mais ils n’ont jamais entièrement consenti à laisser ces esprits tout faire à leur guise.
Certaines des réalisations les plus importantes qui jalonnent notre marche vers la civilisation ont été accomplies en vue de soustraire l’homme aux caprices du hasard. C’est le cas, par exemple, de la culture des plantes et de la domestication des animaux pour réduire le risque de manquer de nourriture ; de la fondation des villes pour résister aux maraudeurs ; de l’invention de la médecine et de la formation de gouvernements pour assurer des services de protection comme l’armée et la police.
Pourtant, malgré tous les progrès de l’organisation sociale et de la médecine au cours des siècles, le fatalisme exerce toujours son emprise sur l’opinion moderne. Alors que les anciens attribuaient leurs bonnes et leurs mauvaises fortunes à la fantaisie des dieux, l’homme du vingtième siècle incline plutôt à les mettre au compte de cette chose moins bien définie que nous appelons la chance.
Songeons, par exemple, à la manière dont les gens parlent d’un accident : « J’ai eu une mésaventure… Par chance, je me suis tourné juste au bon moment… Nous avons eu la chance de ne pas être tués. » En matière d’accident, nous sommes beaucoup plus proches de nos lointains ancêtres que nous ne voulons bien le croire.
Une confiance plus ou moins consciente dans la chance pousse les gens à exposer leur santé en s’accrochant à des habitudes qu’ils savent dangereuses comme l’abus de l’alcool, du tabac et de la nourriture. D’autres vont même jusqu’à rechercher le danger en se livrant à des sports et à des passe-temps périlleux par soif de sensations fortes.
Sous cette indifférence se cache le sentiment fataliste selon lequel « quand notre heure est arrivée », il n’y a rien à y faire. Le sens humain de l’unicité de l’individu renforce encore cette idée : si quelqu’un peut vaincre le sort, c’est moi.
Nous avons tous eu trop d’occasions de voir la chance à l’oeuvre pour en nier totalement l’existence. Chacun semble connaître quelqu’un qui, comme dit l’autre, pourrait tomber dans un égout et en sortir couvert de miel ; et quelqu’un d’autre qui, comme le personnage dont parle Don Marquis, était « si malchanceux qu’il attirait sur lui les accidents déjà en train d’arriver à autrui. »
Vivre vraiment c’est vivre avec le danger
À vrai dire, si rien n’était laissé au hasard, la vie ne vaudrait guère la peine d’être vécue. Ces dernières années, les media ont inondé le public d’avertissements pour le prévenir qu’à peu près tout, de la lumière électrique au beurre d’arachide, pouvait causer la mort. Si quelqu’un voulait suivre toutes les mises en garde des savants et des écologistes contre ci et ça, il ne lui resterait plus qu’à rester au lit et à manger des aliments naturels. Et encore lui faudrait-il alors résister à une tentation mortelle, car nous sommes déjà avertis que trop ou trop peu de sommeil abrège la vie.
Au milieu de cette cacophonie d’alarmes, il n’est peut-être pas inutile de rappeler l’apologue imaginé par l’auteur de romans noirs John D. MacDonald. Il s’agit d’un industriel allemand, maniaque de la sécurité de son fils unique. Pour le protéger, il le fait enfermer dans une capsule antiseptique d’acier inoxydable jusqu’à 21 ans, âge ou il est jugé apte à affronter le monde. Le jour fixé pour sa sortie, le jeune homme tombe mort sous le coup de l’émotion.
La question, c’est que personne ne peut compter vivre à l’abri de tout risque et que nul être sensé ne le voudrait. Vivre vraiment, c’est vivre quelque peu dangereusement ; vivre au plein sens du mot, c’est mettre en balance son épanouissement naturel et le risque. Il y a toujours un risque qu’un avion s’écrase, mais personne ne renonce pour autant à ses vacances à l’étranger.
D’autre part, il y a suffisamment de dangers autour de nous qu’il n’y a aucune raison de vouloir en ajouter inutilement. Le problème qui se pose aujourd’hui aux gens raisonnablement prudents est de discerner les risques qui sont réels et ceux qui sont faibles. Il ne fait pas de doute que nous vivons à une époque particulièrement troublante, où les travaux de la science et de la technique peuvent accroître en les combinant les dangers naturels. Sous un rapport au moins – l’existence des armes nucléaires – il s’agit d’une époque plus périlleuse que jamais dans le passé.
Paradoxalement, cependant, la vie quotidienne est devenue infiniment plus sûre aujourd’hui qu’à tout autre moment de l’histoire. Malgré tout ce qu’on dit des dangers que créent la science et la technique, le fait demeure qu’elles ont engendré beaucoup moins de nouveaux problèmes que de solutions pour résoudre les anciens. Pour citer un exemple courant, l’épidémie mondiale de grippe de 1918 a fait 21.6 millions de victimes. Or, il est maintenant possible de prévenir cette maladie par vaccination et de la traiter au moyen des antibiotiques mis au point par la science médicale.
Les accidents, principale cause de mort prématurée
D’autres maladies, mortelles autrefois, comme la variole, la pneumonie, la tuberculose, la scarlatine et le diabète, ont été maîtrisées dans une mesure qui eût paru extraordinaire dans le temps. Les statistiques démographiques font vivement ressortir le contraste entre la sécurité relative du présent et celle du passé. À l’époque de la Confédération, le taux annuel de mortalité au Canada a été estimé à 21 pour mille habitants ; depuis lors, il a été réduit des deux tiers et s’établit maintenant à sept pour mille environ. L’espérance de vie moyenne des Canadiens, à la naissance, a presque doublé depuis 1867 ; elle atteint 78 ans pour les femmes et 70 pour les hommes.
Les gens sont moins exposés aujourd’hui à mourir avant l’heure, mais il est relativement probable que c’est un accident qui viendra abréger leur vie. Les accidents ont remplacé la maladie en tant que cause principale de mortalité chez les Canadiens de 1 à 44 ans et chez les Canadiennes de 1 à 19 ans.
Tragédies massives et catastrophes nouvelles provoquées par l’homme
Dans une société prédisposée aux accidents comme la nôtre, il n’est que sage d’avoir une certaine connaissance des premiers recours, ce qu’il est facile d’acquérir grâce aux cours offerts par la Brigade ambulancière Saint-Jean et d’autres organismes. Même dans les situations critiques qui ne sont pas à proprement parler des accidents, une personne exercée peut sauver des vies. Les Canadiens meurent plus souvent d’affections cardiaques que de toute autre maladie, et il a été établi que la réanimation cardio-pulmonaire sur place pouvait ramener à la vie jusqu’à 54 p. 100 des victimes des crises cardiaques. Ce genre de réanimation, qui associe le bouche-à-bouche aux pressions bien réglées sur la poitrine, peut s’apprendre en quatre heures seulement. Diverses organisations offrent des cours au public sur cette technique dans les grands centres du Canada. Le Club Rotary de Montréal met actuellement en oeuvre un programme visant à former 250,000 personnes à cette méthode.
Les changements survenus dans les causes de mortalité tiennent dans une large mesure au mode de vie moderne, existence active, variée et commode à laquelle peu d’entre nous renonceraient de plein gré. Mais il a ses dangers particuliers : l’envergure même des choses qui nous entourent – immeubles de grande hauteur, avions géants, énormes complexes de raffinage du pétrole, etc. – a multiplié l’échelle des possibilités de destruction et de mort. Il y a 30 ans, si un conducteur perdait la maîtrise de son automobile sur une route type à 2 voies, les occupants d’un ou deux véhicules risquaient d’être tués ou blessés ; les collisions sur les autoroutes d’aujourd’hui entraînent parfois des carambolages impliquant de 20 à 30 voitures. Un incendie dans une tour d’appartements ou de bureaux peut mettre en danger, disons, 50 fois plus de vies que leurs équivalents d’autrefois. Déjà en 1959, le nombre des morts dans le pire accident aérien de l’histoire s’élevait à 155 ; huit ans plus tard seulement, une collision entre deux 747 tuait 528 personnes.
Ainsi, la technique a rendu l’homme plus vulnérable au genre de tragédie massive qui fait la manchette des journaux, qui inspire les films sur les sinistres et qui entraîne de nouvelles éditions du Livre des records mondiaux, de Guinness. Elle a créé toute une série nouvelle de calamités éventuelles, dont l’écrasement au sol des satellites, les déversements de pétrole, la contamination radioactive, les explosions gazeuses et l’émission de substances dangereuses par les trains et les camions accidentés.
La technique a aussi accru la proportion des populations exposées aux effets des désastres. Avec leurs poêles à bois, leurs lampes à pétrole et leurs provisions de conserves de fabrication maison, les Canadiens d’il y a trois ou quatre générations pouvaient attendre pendant des jours la fin d’une tempête aveuglante. Mais, maintenant que la majorité des humains habitent, par nécessité, dans les agglomérations urbaines, les tempêtes qui brisent les lignes de transmission peuvent être meurtrières. Dans la plupart des foyers canadiens, le chauffage, l’éclairage, la cuisson et la conservation des aliments dépendent de l’électricité. Si une tempête est assez forte pour paralyser les transports routiers et ferroviaires dans une ville, il y aura peut-être une grave disette alimentaire au bout de quelques jours.
Les mêmes conditions générales sont susceptibles de se produire dans d’autres situations critiques d’ordre public. Planification d’urgence Canada a dressé une liste de 60 espèces de désastres qui pourraient survenir au Canada, y compris la guerre nucléaire. En comparaison des autres, notre pays n’est pas particulièrement sujet aux catastrophes, mais il n’en est sûrement pas à l’abri. Certaines régions du Canada sont régulièrement victimes d’inondations, de coups de vent, de tornades, de grands incendies et de glissements de terrain. La simple vérité est qu’il y a eu plus de 30 tremblements de terre sérieux au Canada au cours des 35 dernières années ; la majeure partie de notre masse terrestre, à l’exception de la Prairie, est exposée aux secousses telluriques. Montréal et Vancouver sont situées dans des zones où les séismes peuvent causer des dégâts importants, alors que Toronto se trouve dans une zone où ces risques sont légers.
Attitude fataliste à l’égard des sinistres
Toutefois, malgré leur vulnérabilité, les Canadiens tendent toujours à considérer l’éventualité d’un sinistre avec le doux fatalisme du gourou himalayen. Tout en signalant qu’un désastre peut survenir en tout temps et en tout lieu, les dirigeants de Planification d’urgence Canada notent que très peu de familles canadiennes ont pris la précaution élémentaire de se constituer un ballot de survie portatif contenant des vêtements, des couvertures, des fournitures de premiers secours, ainsi que des aliments et de l’eau pour 7 à 14 jours. La plupart n’on même jamais pensé à veiller à toujours avoir des bonnes piles pour leur radio, avec laquelle ils pourraient écouter les informations et les consignes en cas d’urgence généralisée. Peu ont déjà entendu parler de la règle capitale de tenir le réservoir de leur voiture toujours à moitié plein au cas où il y aurait évacuation.
Les Canadiens sont portés à se reposer sur les pouvoirs publics du soin de s’occuper des mesures d’urgence. Le compte rendu d’une violente tempête de neige d’une semaine dans la région de Niagara, en 1977, souligne la folie de cette manière de voir. Le matériel essentiel se révéla moins sûr qu’on ne l’avait espéré. Le réseau téléphonique fut débordé, un chasse-neige se perdit dans la purée blanche, et un autre s’embourba si bien qu’on ne put le dégager avant six jours. La radio de la police s’avéra inutilisable, non parce qu’elle ne fonctionnait pas, mais parce que les voitures de police étaient immobilisées.
En d’autres termes, dans ce cas d’urgence particulier, la population fut largement livrée à elle-même. En dépit de tous les efforts de Planification d’urgence Canada et des services provinciaux et municipaux, la même chose pourrait se produire dans n’importe quelle situation critique éventuelle. La simple prudence commande donc de prévoir comment se débrouiller en cas d’accident ou de sinistre. On peut survivre même à une attaque nucléaire, à condition d’y être préparé. De la mésaventure la plus anodine jusqu’au désastre le plus destructeur, c’est à nous de parer au danger.
Apprendre à se protéger
L’Organisation de la planification d’urgence publie une série de plaquettes gratuites sur les mesures individuelles à prendre en cas de situations critiques. Ces publications contiennent des renseignements sur la protection contre les attaques nucléaires, les principes du secourisme, la composition d’une trousse de survie, la conduite à suivre en cas d’inondation, d’ouragan, de tremblement de terre, de violente tempête, de panne d’électricité en hiver et d’immobilisation d’une voiture et de son chauffeur par la neige. On peut se les procurer en écrivant à Planification d’urgence Canada, C.P. 10 000, dans chaque capitale provinciale, ou encore au Bureau principal de Planification d’urgence Canada, 125, promenade Sussex, Ottawa K1A 0W6.