Qu’il s’agisse de billes d’écolier ou d’oeuvres d’art, la collection constitue l’un des passe-temps les plus répandus au monde. Nous collectionnons une foule de choses pour une foule de raisons, mais il faut respecter certaines règles pour que cela soit profitable…
Pourquoi collectionne-t-on des objets ? L’explication toute trouvée est que c’est une affaire d’instinct. Collectionner n’est certes pas le propre de l’homme. Le rat à queue touffue et la pie sont connus pour leur manie d’emporter dans leur cache tout ce qui frappe leur oeil. Chimpanzés et geais gris ont l’habitude commune d’amasser des tas de débris.
Pour l’illustre novateur Sigmund Freud, le goût de la collection est une sublimation du désir sexuel. Cela ne semble guère s’appliquer à la conduite du rat à queue touffue et de ses pareils, à moins que ces animaux ne soient beaucoup plus complexes que nous ne le croyons. D’autres psychologues relient le besoin de collectionner à une soif inassouvie du pouvoir. Reste à démontrer pourquoi certains personnages des plus puissants de l’histoire ont aussi été parmi les plus grands collectionneurs de tous les temps.
Mais pourquoi ergoter ? Qu’il suffise de dire qu’une foule de gens collectionnent une foule de choses pour une foule de raisons. On pourrait même affirmer que nous sommes tous des collectionneurs, parfois sans le savoir. Car qui de nous ne collectionne pas quelque chose, que ce soit des élastiques, des sacs de papier, des portefeuilles ou des sacs à main mis au rebut, des stylos-bille desséchés, des boutons de manchettes ou des boucles d’oreille dépareillés ? Quel mari ne remarque pas chez sa femme une tendance à collectionner certaines denrées, comme les boîtes de compote de pommes ou les paquets de thé ? Quelle épouse n’a pas décelé chez son mari un penchant analogue, portant sur les agrès de pêche brisés, les écrous et boulons désassortis et les vieilles cravates ? Que serait un foyer où il n’y a pas de clefs sans cadenas, de raquettes de tennis sans cordes, de tuyaux de poêle sans fumée, de pull-overs qu’on ne portera plus, d’instruments de musique dont on ne jouera plus ?
Bouts de ficelle, boutons, permis de conduire périmés, vieilles balles de golf, la liste de nos vieilleries est presque infinie. Il faut un effort de volonté surhumain pour jeter, dans un ménage, tout ce qui mérite ce sort, et nous ne nous montrons, pour la plupart, que trop humains à l’heure de la décision. Les collectionneurs raffinés ne voient là qu’un vulgaire amoncellement, par opposition à la pratique active de la collection, qui comporte achats, ventes, échanges, étiquetage, catalogage et contacts suivis avec les autres fervents. Toutefois, il n’est pas nécessaire d’être grand analyste pour se rendre compte que notre répugnance à nous départir d’objets inutiles va plus loin que l’illusion qu’ils « pourraient servir un jour ». Guenilles, si l’on veut, comme dirait Molière, ce sont nos guenilles ; elles font partie de notre idiosyncrasie.
Toute collection est un moyen d’affirmer son identité. Il n’y a qu’un pas entre s’attacher à des babioles personnelles et l’usage plus méthodique de conserver des photos et des souvenirs afin de tenir un journal sentimental de notre vie et de notre époque. Le désir de recueillir des souvenirs est parfois irrésistible. On a vu des soldats risquer la mort ou les blessures pour aller en chercher sur un champ de bataille ; de même de jeunes admirateurs se bousculer pour avoir un autographe de leur idole. Pourquoi ? Sans doute parce que seuls les souvenirs permettent d’ouvrir les portes de la mémoire. Les collections de photos et de souvenirs sont pour les individus ce que sont les musées et les archives pour la société : une façon de perpétuer l’histoire, et, en l’occurrence, une histoire tout à fait personnelle.
Les collections en disent long sur la personnalité de leurs propriétaires. Dans un groupe d’enfants qui collectionnent des billes, par exemple, on peut distinguer trois ou quatre types généraux différents. Certains risqueront leurs billes au jeu pour accroître leur trésor, tandis que d’autres ne voudront rien hasarder. Certains dilapideront leurs gains, d’autres se spécialiseront dans d’ingénieux échanges. Certains rechercheront la quantité aux dépens de la qualité. D’autres, malheureusement, voleront et tricheront pour augmenter leur avoir.
Les collections du jeune âge tendent jusqu’à un certain point à démontrer que l’homme est en germe dans l’enfant. Quand il était petit, Winston Churchill avait une impressionnante collection de soldats de plomb, qu’il faisait manoeuvrer en vastes formations ; plus tard il fera la même chose dans la vie réelle, bien qu’indirectement. On a dit de Churchill que c’était un romanesque dont les rêves s’étaient réalisés. Il en est sans doute beaucoup comme lui : coureurs automobiles ex-collectionneurs de Dinky-Toys ; champions sportifs qui ont collectionné des vignettes de base-ball ou de hockey portant les photos et les biographies des héros de leur jeunesse ; actrices qui, encore rillettes, découpaient des photos de vedettes dans les magazines de cinéma. Mais la grande majorité des humains ne réaliseront jamais leurs ambitions les plus utopiques. Pour eux, donc, la collection ne peut offrir qu’un moyen innocent et agréable de donner libre cours à leurs fantaisies.
Ainsi, pendant quelques moments fugitifs, le collectionneur de disques deviendra, par substitution, un soliste de réputation internationale exécutant son morceau devant un rutilant orchestre symphonique. La distance et le temps n’existent pas pour le collectionneur de navires de modèle réduit, dont le vaisseau imaginaire s’engouffre dans une tempête en doublant le cap Horn. Le collectionneur d’objets d’art s’abandonne à la rêverie d’ajouter quelques dernières touches magistrales à sa plus récente acquisition. À l’abri des incommodités du voyage, le philatéliste vogue sous tous les cieux du monde.
Affirmer au monde notre personnalité distincte
À ce titre, la collection contribue à alimenter l’image agrandie de nous-même qui gît dans l’alter ego. Mais elle peut aussi être une riche pâture pour le moi comme tel. Les propriétaires de collections qui ne se plaisent pas à en faire parade sont plutôt rares. Toute collection, des coquillages aux oeuvres des grands maîtres, est un reflet du goût de son auteur, et le goût fait l’orgueil de la personnalité. Bon, mauvais ou indifférent aux yeux des autres, le goût est une manière de proclamer au monde : « Je suis moi et personne d’autre ».
Le besoin d’extérioriser son goût en tant qu’expression du moi explique en partie la propension des collectionneurs à rester en contact les uns avec les autres et à se réunir de temps en temps. La considération de ses pairs est un capiteux tonique pour l’amour-propre. Un congrès de collectionneurs, mettons de jeux d’échecs, est parfois un foyer de rivalités et d’envie, mais cela se passe en famille, entre personnes qui par leur savoir et leur finesse d’esprit constituent un groupe d’élite de gens de même rang. La collection est un facteur de nivellement social. Un homme sans importance dans les choses ordinaires pourra être le roi des collectionneurs d’une certaine catégorie d’objets et commander le respect de tous les dilettantes. L’un des plaisirs du collectionneur méthodique réside dans l’avantage de fréquenter des personnes qui partagent les mêmes idées que lui. D’un intérêt commun pour les pochettes d’allumettes ou les poupées peuvent naître des amitiés de toute une vie.
Les choses qui peuvent faire l’objet des collections sont sans nombre. Le Livre des records de Guinness nous révèle que le Dr Robert Kaufman, de New York, possède 6,210 paquets de cigarettes de marques différentes provenant de 157 pays, alors que la plus grande collection de paquets de cigarettes vides du monde appartient à Niels Ventegodt, de Copenhague, soit 40,065 marques différentes. On dit qu’il y a aux États-Unis 5,000 collectionneurs de « clous datés », que les chemins de fer enfonçaient jadis dans les traverses pour rappeler la date d’installation de la voie. Parmi les multiples choses que l’on collectionne figurent encore les moteurs hors-bord, les boîtes de café, les harmonicas, les bouillottes, les téléphones, les certificats d’action périmés et les chapeaux bizarres.
Un refuge contre les déboires de la vie quotidienne
Les collectionneurs s’adonnent à ces singuliers divertissements en partie du moins parce qu’ils y trouvent un antidote au sérieux, à la tension et à l’impersonnalité de la vie quotidienne. Un grand bibliophile russe disait un jour en termes élégants que sa collection lui était « une détente nécessaire contre les chamailles du siècle ». Une collection peut si bien absorber notre esprit que nous n’avons plus le temps de penser à nos ennuis. Il est remarquable que les ventes publiques de livres ou d’oeuvres d’art, où les collectionneurs risquent de fortes sommes, se déroulent toujours dans une atmosphère de calme et de dignité.
Ce n’est pas à dire que la collection n’est pas un passe-temps sérieux. Certaines personnes le prennent fort à coeur. L’instinct de la chasse inscrit dans la nature humaine se manifeste dans toute son intensité chez le collectionneur à l’affût d’une pièce rare. Certains sont des marchandeurs impitoyables quand ils flairent une bonne affaire. De grands financiers, comme Pierpont Morgan et Paul Getty ont consacré autant de temps à leurs collections d’oeuvres d’art qu’à leurs entreprises. Mais ils avaient eu soin de commencer par amasser d’énormes fortunes.
Le penchant traditionnel des gens riches pour la collection semble confirmer le rapport établi par certains critiques entre ce passe-temps et l’avarice. Nul doute que les talents nécessaires pour accumuler des richesses, sont aussi utiles pour réunir une grande collection. Mais il se peut que ces collectionneurs aient voulu par là faire davantage qu’obéir à leurs pulsions ou qu’afficher leur opulence et leur puissance. Il est possible qu’ils aient souhaité atteindre ainsi à une sorte d’immortalité d’emprunt, fondée sur celle des artistes dont ils collectionnent les oeuvres. Les noms de bien des personnages richissimes du passé ne seraient-ils pas aujourd’hui tombés dans l’oubli sans les musées qu’ils ont créés et leurs autres générosités publiques envers les beaux-arts.
Le fisc et les changements sociaux ont pour ainsi dire éliminé les immenses collections que constituaient jadis les particuliers. Elles ont été remplacées par des collections publiques, comme celle de la Galerie nationale du Canada, qui célèbre cette année son centenaire. Les responsables et les comités de sélection des institutions de ce genre réunissent leurs collections pour le public. Au cours des ans, notre Galerie nationale a complété sa collection initiale d’art canadien par l’acquisition de peintures, de sculptures et de gravures signées des plus grands noms de l’histoire de l’art.
Extension, spécialisation et collection de faux
Les institutions publiques ont beaucoup de points communs avec les collectionneurs privés. La Galerie nationale, par exemple, a de graves problèmes d’espace à résoudre, car sa collection de 28,000 pièces a dépassé depuis longtemps la capacité de ses locaux, inconvénient dont se plaignent souvent les collectionneurs de tout acabit. Même si cet organisme dispose d’un programme d’expositions itinérantes des plus importants et des plus anciens, sa direction voudrait être en mesure de faire mieux connaître encore ses trésors. Souhait qu’elle partage certes avec les collectionneurs de monnaies et de timbres-poste en congrès, qui vous diront que tout cela est bien modeste à côté de ce qu’ils ont dû laisser à la maison.
La collection de la Galerie nationale a suivi l’évolution courante qui consiste à passer d’une spécialité assez restreinte à des domaines plus généraux, comme la photographie d’art. C’est là l’une des deux grandes voies où peut s’engager une collection, l’autre étant de devenir de plus en plus spécialisée. Il arrive aussi que des collections s’orientent dans des directions plutôt insolites ; c’est le cas du directeur d’une célèbre maison des ventes londonienne, qui possède un imposant assortiment de peintures qui sont toutes des faux authentiques.
Un danger : devenir esclave de sa collection
Bien des gens qui commencent à collectionner des objets d’art anciens finissent par s’intéresser beaucoup plus à l’étrange camelote dont regorgent les magasins d’antiquités bon marché. Pour le fervent collectionneur d’antiquailles, une vieille lampe d’une affreuse laideur peut offrir plus d’intérêt qu’un véritable Chippendale. Cela équivaut à collectionner pour le plaisir de collectionner, ce qui comporte un certain danger dans le cas de ceux qui achètent actuellement des antiquités ou d’autres oeuvres d’art pour des raisons économiques. Il pourrait bien arriver que ces « collectionneurs », qui acquièrent des pièces rares pour parer à l’inflation, en viennent à vouloir garder et accroître leurs collections. Atteints de la marotte de la collection, ils se surprendront à dépenser encore plus de dollars dépréciés qu’auparavant.
Le danger le plus courant pour les collectionneurs est celui de devenir les esclaves de leur dada. Le meilleur exemple de ce phénomène nous est offert par la plus répandue et pourtant la moins avouée des formes de collection : la collection des autres êtres humains. C’est ce que font continuellement les arrivistes et les « groupies » ; et ils renoncent souvent à leur personnalité dans leur idolâtrie pour les héros qu’ils admirent. Les « grands amoureux » des deux sexes collectionnent les autres sans souci des canons de la qualité et du bon goût.
Par contre, celui qui collectionne les vrais amis possède une richesse unique et inestimable. Mais dans ce genre de collection, comme dans tous les autres, il importe d’observer deux règles essentielles pour que la chose en vaille la peine. Primo, ne jamais faire une collection uniquement pour la montre, mais pour sa valeur intrinsèque. Secundo, ne jamais la faire non plus pour en imposer aux autres ou pour satisfaire à leurs exigences. Une collection doit être à la mesure et selon les goûts du collectionneur.
Nouveau calendrier de distribution
Depuis sa création, il y a près de 60 ans, le Bulletin mensuel de la Banque Royale du Canada a toujours été distribué avec les compliments de la Banque à tous les particuliers et les organismes désireux de le recevoir. Ses articles éveilleurs de réflexion ont connu une telle vogue que son tirage global, en français, en anglais et en braille dans les deux langues, atteint maintenant 736,000 exemplaires par mois, expédiés dans plus de 75 pays.
Malheureusement, des augmentations marquées et incessantes des frais d’expédition et autres au cours des dernières années ont énormément accru les déboursés qu’entraîne la distribution de cette publication d’intérêt public. Afin de ramener ces frais prohibitifs à un niveau abordable, sans cesser d’assurer un service si manifestement souhaité, la Banque a décidé de réduire la fréquence de parution de son bulletin à six numéros par an.
En conséquence, à partir de la prochaine livraison, en juillet, ce dernier paraîtra sous le nouveau nom de Bulletin de la Banque Royale. Nous espérons que nos lecteurs sauront comprendre les raisons de ce changement. Rien ne sera négligé pour conserver au Bulletin la haute tenue qui en a fait jusqu’ici une publication des plus estimées. S’il ne paraît pas aussi souvent à l’avenir, il demeurera inchangé quant au reste.