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Le monde traditionnel et familier de l’enfance évolue rapidement dans une société où les jeunes se voient forcés d’accéder de plus en plus tôt à la maturité. Comment les parents peuvent-ils réussir à élever les enfants modernes ? C’est toute la question du « pourquoi » face au « pourquoi pas » …

Au cours des deux dernières décennies, le monde de l’enfance dans les pays occidentaux a connu une transformation si considérable que les adultes en général et les parents en particulier sont de plus en plus désorientés à son sujet. En d’autres termes, personne ne semble plus comprendre les enfants. Peut-être les adultes ne les ont-ils jamais vraiment bien compris ; mais, autrefois, la plupart des parents s’arrangeaient au moins pour élever leurs rejetons à la satisfaction des deux parties en cause. De nos jours, par contre, la vie et les attitudes des enfants sont hérissées d’une telle complexité que la valeur des méthodes traditionnelles de puériculture est sérieusement mise en doute.

Qu’est-il donc arrivé aux enfants ? En bref, rien de plus ni de moins que ce qui est arrivé à la société occidentale en général. Les assauts du nouvel esprit de rébellion de la génération du « moi » ont ébranlé les vieilles institutions et les moeurs établies, et rien n’a été inventé pour les renforcer ou les remplacer. Le mot d’ordre de notre société est devenu « pourquoi pas ? », et toutes les réponses paraissent banales et indigestes devant la mirobolante promesse d’une liberté sans contraintes. Si l’ère du « pourquoi pas » a semé la perplexité chez les adultes, elle a laissé les enfants désemparés sur un océan de contradictions et d’idées embryonnaires.

En plus de toutes les angoisses dont s’accompagne depuis toujours la croissance, les jeunes d’aujourd’hui doivent affronter un formidable faisceau de nouvelles pressions psychologiques. Selon le psychanalyste new-yorkais Ira Mintz, les nouvelles forces qui pèsent sur la vie des enfants sont « la violence universelle, l’excès de permissivité, l’excès de stimulation sexuelle et les cyniques valeurs hédonistes de la culture nouvelle. » Les enfants subissent aussi la pression de la révolte contre l’autorité, c’est-à-dire leurs parents et le système éducatif. Ils ne peuvent guère faire autrement que de se laisser gagner par la croisade générale pour la défense des minorités de toutes sortes.

Et le fait est que les enfants sont opprimés et maltraités dans beaucoup de parties du monde. Les Nations Unies l’ont reconnu en proclamant 1979 « Année internationale de l’enfant ». De façon générale, l’oppression semble inexistante dans les pays plutôt riches de l’Occident, mais de nombreux spécialistes en la matière soutiennent que cette apparence est trompeuse. Selon eux, les membres les plus désarmés de notre société demeurent ceux qui sont le plus éloignés de l’égalité. Aussi encouragent-ils la promotion du « pouvoir de l’enfant », et effectivement les enfants se montrent plus hardis à affirmer leurs droits réels ou imaginés.

Pourtant, quand il s’agit de traiter tant soit peu avec les enfants, bien des adultes se révèlent d’une irrémédiable incompétence. Leur propre éducation ne les a préparés qu’à établir un front défensif et hostile. « Les adultes sont d’ordinaire fort troublés par l’idée que les enfants sont socialement leurs égaux », écrit le spécialiste en comportement enfantin Rudolf Dreikurs. « Ils rejettent avec indignation cette possibilité. ‘Ne soyez pas ridicule, disent-ils. J’en sais plus long que mon enfant. Ce n’est pas possible qu’il soit mon égal.’ Non. Bien sûr que non. Pas en savoir, en expérience ni en habileté. Mais ces choses ne sont pas des indices d’égalité, même entre adultes. L’égalité ne signifie pas uniformité ! L’égalité signifie que les humains, malgré toutes leurs distinctions et leurs talents individuels, ont également droit à la dignité et au respect. »

Dreikurs ajoute que les enfants nord-américains ont tôt fait de s’apercevoir qu’ils sont en droit de demander plus d’indépendance. Ce sont leurs parents qui les ont mis dans cet état d’esprit en leur accordant beaucoup plus de liberté que n’en avaient connu les générations précédentes. Ils quittent le foyer et s’aventurent dans le monde plus tôt et plus souvent qu’auparavant. Beaucoup entrent au jardin d’enfants à quatre ans, soit deux ans avant l’âge scolaire d’il y a une vingtaine d’années. Les jeunes enfants s’adonnent à d’autres activités extra-familiales, comme les sports organisés, les cours de danse, etc. Il en résulte une certaine confusion parce que les parents, tout en libérant les enfants de la zone de leur autorité, essaient d’autre part d’imposer toute l’étendue du pouvoir parental.

Le désarroi est tel que certains parents cherchent secours à l’extérieur de la famille. Ils s’inscrivent en nombre toujours croissant à des cours visant à améliorer leurs capacités parentales. Le plus connu est peut-être le « Parent Effectiveness Training », créé par Gordon Thomas, de Pasadena, en Californie. Au Canada, l’Institut Alfred Adler d’Ontario a organisé des groupes de parents à travers le pays. Son but est, entre autres, d’enseigner aux parents à traiter davantage d’égaux à égaux avec leurs enfants.

Est-ce là simplement de la gâterie à l’ancienne sous de brillants dehors nouveaux ? Ou une course à bride abattue vers une permissivité encore plus grande que les parents regretteront plus tard ? Ni l’une ni l’autre, disent les spécialistes, convaincus quant à eux que les méthodes d’éducation des enfants n’ont pas marché de pair avec notre époque.

Une des raisons fondamentales de cette situation, affirment-ils, est que les enfants atteignent maintenant la maturité physique beaucoup plus tôt que précédemment. Suivant la Menninger Foundation de Topeka, au Kansas, ils arrivent à la puberté jusqu’à deux ans avant les enfants d’il y a dix ans. Il est clair que cela crée une différence énorme dans nos rapports avec eux. L’enfant de onze ans d’aujourd’hui n’est pas le même type d’être humain que l’enfant de onze ans il y a une vingtaine d’années.

Le rythme du développement intellectuel a aussi changé, en mal selon les uns, en bien selon les autres. Quoi qu’il en soit, les enfants de notre temps sont assujettis à toute la gamme des leçons de la télévision ; l’enfant moyen du continent nord-américain a déjà passé quelque 8,000 heures devant le petit écran avant de commencer à aller à l’école. Pendant leur vie scolaire, la télé étale sous leurs yeux un monde imaginaire de violence facile et de sexualité désinvolte, de faux individualisme et d’hostilité envers l’autorité. Ce spectacle ne peut qu’influencer, dans une certaine mesure, leur vision de la vie.

Les enfants insistent maintenant pour avoir voix au chapitre

Par la télévision, les enfants subissent l’influence des outrecuidants apôtres sociaux de l’ère de la télé, qui ne ratent jamais une occasion pour griffer l’ordre établi. Leur assurance sert parfois d’exemple aux enfants dans leurs rapports avec les représentants de l’ordre au foyer. À tort ou à raison, les enfants tendent aujourd’hui à rejeter toute conception hautement autoritaire de leur éducation. Ils regimbent avec vigueur et hardiesse contre toute règle absolue touchant leurs vêtements, leurs programmes d’études, l’emploi de leurs loisirs, le choix de leurs compagnons et leur mode de comportement en général. Ils veulent maintenant avoir leur mot à dire dans les décisions qui les concernent. Et les parents exaspérés qui réagissent avec aigreur envers ces « petits arrogants » ont non seulement peu de chances d’apaiser la révolte, mais risquent de les pousser à faire en cachette ce qui est interdit.

Reste à essayer de comprendre ce qu’éprouvent les jeunes et à être prêt à raisonner avec eux à leur niveau. Le monde enfantin n’est pas immuable, non plus que les lois qui le régissent. Il est en réalité d’apparition relativement récente, et la vie familiale que nous connaissons aujourd’hui est une invention toute nouvelle. Avant le XVIIIe siècle, environ 80 p. 100 des gens dans un pays comme la Grande-Bretagne vivaient dans des masures. Dans ces logements exigus, les enfants n’avaient pas de statut spécial, et la plupart d’entre eux ne recevaient aucune instruction. En grandissant, ils suivaient les traces de leurs parents, car ils n’avaient guère d’autre choix.

Sommes-nous vraiment encore trop durs pour nos enfants ?

Les enfants en ont vu de rudes depuis ce temps, et souvent rien moins qu’à l’honneur des adultes. La révolution industrielle a exploité impitoyablement les enfants, et, jusqu’au début du siècle, leurs parents eux-mêmes s’estimaient entièrement libres de les exploiter et de profiter d’eux. Même plus tard, il est courant – et jugée louable – de battre un enfant pour les moindres méfaits, dont certains n’existent que dans l’imagination des parents. Ce qui passerait aujourd’hui pour un abus manifeste envers l’enfant était alors de pratique quotidienne.

On peut affirmer à juste titre que nous sommes encore trop durs pour nos enfants, bien que de façon plus raffinée. L’écrivain américain John Holt, instituteur et défenseur des droits de l’enfant, dit que nous « enfermons les jeunes durant dix-huit ans ou plus dans une camisole de soumission et de dépendance, et que nous faisons d’eux… un amalgame de gêneurs onéreux, de trésors fragiles, d’esclaves et de super-chouchoux. » Il souligne que les adultes devraient au moins traiter les enfants avec un peu de courtoisie. À son avis, les enfants sont victimes tous les jours d’innombrables excès de langage.

Ce que Holt a ici en vue n’est rien de nouveau : c’est le rudoiement verbal et sans façon des enfants. Une caricature datant de 1872 montre une mère disant à un aîné : « Vas-y tout de suite : vois ce que fait ta petite soeur et dis-lui que c’est défendu. » Une nouvelle des années 30 au sujet d’un père et d’un fils commence par une phrase qui touche au coeur de bien des problèmes parentaux : « Tais-toi, dit-il, en guise d’explication. »

Ce qui est nouveau, c’est que la vie trépidante d’aujourd’hui a exacerbé l’impatience séculaire des parents à l’égard de leurs enfants. Le tourbillon qui les emporte est si rapide que les gens n’ont plus ou croient ne plus avoir le temps de s’inquiéter de ce que pense ou ressent un enfant. D’autre part, il semble raisonnable de supposer que les adultes des années 70 sont trop évolués et bien informés pour s’obstiner à piétiner étourdiment les enfants. Hélas ! certains enseignants et certains parents ne cessent de les déprécier systématiquement.

Cette attitude est souvent inconsciente. Une série de messages télévisés, patronnés par l’église mormone, nous montraient dernièrement comment les enfants se font rabattre le caquet. L’un de ces textes présentait une fillette entrant en trombe dans la cuisine avec les provisions et toute fière d’avoir fait le marché. De l’extérieur, la voix austère de la mère l’accueille par cette réflexion : « Espérons que tu n’as rien oublié ». Dans un autre, un jeune garçon surexcité arrive en courant à la maison et s’écrie : « J’ai eu vingt à l’examen ! » Puis on entend la voix du père : « Combien de fois ne t’ai-je pas dit de ne pas claquer la porte ? »

Ils ont toujours été une cible facile pour les traits des adultes

Notre habitude de critiquer les enfants est fort ancienne. Ils ont pour ainsi dire toujours été en butte aux attaques des adultes. « Mais un fripon d’enfant (cet âge est sans pitié) » disait déjà La Fontaine dans Les deux pigeons. Et d’autres, avant et après lui, ont stigmatisé l’ingratitude enfantine.

Il faut considérer que les enfants sont une cible facile pour les traits, enjoués ou sérieux, des adultes. Qu’ils soient capables de nous importuner, on ne saurait le nier : la conduite, les dispositions d’esprit et les habitudes qui caractérisent les divers âges, surtout les premières années de l’adolescence, peuvent donner sur les nerfs et amener les parents à grossir de petits incidents. C’est une raison de plus pour éviter de nous venger sur eux de nos malheurs et de nos contrariétés, comme nous le faisons trop souvent.

L’inconséquence des adultes peut bouleverser la vie des adolescents

L’adolescence est une période cruciale pour les jeunes comme pour les parents. C’est alors que se forment leurs futures relations les uns aux autres dans la vie. Oscar Wilde écrit : « Les enfants commencent par aimer leurs parents ; devenus grands, ils les jugent ; quelquefois ils leur pardonnent ». Exagération coutumière de l’auteur peut-être, mais où il se trouve suffisamment de vérité pour avertir les parents d’être particulièrement attentifs aux problèmes de leur progéniture pendant l’adolescence, ne serait-ce que pour le bien des parents.

Les adolescents de notre époque vivent dans un monde qui les oblige constamment à assumer les attributs de l’âge adulte. Ainsi, les programmes d’études de nombreuses écoles canadiennes imposent aux enfants la responsabilité de choisir leur plan de carrière plus tôt que jamais auparavant. Cela est dû en partie au fait que certaines écoles ont permis aux élèves d’abandonner des matières essentielles, y compris le français et les mathématiques, ce qui restreint par le fait même leurs choix de carrières. Il faut dire que la situation est en train de changer, car les écoles reviennent à l’idée que les élèves doivent avoir une solide connaissance de certaines matières fondamentales. Mais cet exemple montre bien comment l’inconséquence des adultes peut gâter la vie des adolescents.

Certes est-il difficile pour tout le monde d’être toujours conséquent. D’ailleurs, ce n’est pas nécessairement souhaitable. Les adultes doivent faire preuve d’une certaine souplesse pour s’adapter aux changements qui surviennent chez les enfants. Un travailleur social cite le cas d’une fillette qui passe du primaire au secondaire. Sa gentillesse et son affection pour ses parents se muent en hostilité et en agressivité. Elle ne parle plus de « maman », mais de « ma mère », d’un ton sec et glacial. La mère en conclut que c’est la nouvelle école et ses nouveaux amis qui en sont la cause.

Ce qui se passe en réalité, c’est que sa fille arrive à l’adolescence et qu’elle change d’attitude envers ses parents. Elle veut une plus grande indépendance et, pour l’obtenir, cherche à se dégager de l’orbite affective de l’autorité familiale. Il importe que ses parents en perçoivent les indices et comprennent ses problèmes. Ils feraient bien de lui accorder petit à petit l’indépendance qu’elle sollicite.

Les écueils sont nombreux et difficiles à éviter

L’adolescence a toujours été une phase critique de la vie pour les deux sexes, et elle l’est plus encore aujourd’hui. Les écueils sont plus nombreux et plus difficiles à éviter – drogue, alcool, rapports de rencontre avec leurs menaces de grossesses indésirées, de maladies vénériennes et d’instabilité émotive éventuelle. Que peuvent faire les parents pour contrebalancer ces dangers par leur expérience ? Le moyen le plus puissant dont ils disposent est une explication franche et complète de la nécessité de poser certaines règles.

S’il est une chose que s’accordent à reconnaître les spécialistes de l’enfance, c’est que les enfants sont plus intelligents et plus logiques que ne les croient les adultes. La tâche qui s’impose aux parents consiste donc à examiner ce qui est bon et ce qui est mauvais pour leur enfant et à lui en expliquer clairement le pourquoi. Les enfants ont fait beaucoup de chemin depuis l’époque où il suffisait d’un « non » sévère et catégorique pour les mettre dans la bonne voie. L’enfance évolue, et les adultes qui en ont la charge doivent faire un effort réfléchi pour l’écouter et lui prêter plus d’attention qu’au temps jadis.