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Les adultes d’aujourd’hui se remettent en grand nombre à l’étude. Et ils le font très souvent de leur plein gré. Le désir de connaître semble devenir contagieux. Serait-ce que le vieux rêve de toujours apprendre est en train de se réaliser ?

« Si je n’apprends pas maintenant, quand le ferais-je ? »Lacyde de Cyrène, philosophe, à qui l’on demandait pourquoi il étudiaitla géométrie dans sa vieillesse.

À Winnipeg, la porte d’une salle de classe s’ouvre en grinçant, et une femme de 39 ans, mère de trois enfants, se glisse dans un siège du dernier rang, encore en retard à son cours de psychologie. Dans le nord de l’Ontario, une dame de 68 ans franchit 14 milles en voiture, dans la neige fondue, pour se rendre chez une autre dame âgée qui lui montre le tissage. À Montréal, une secrétaire se passe de déjeuner pour assister à une conférence sur les sciences politiques ; de toute façon, elle veut maigrir. À Saint-Jean, un militaire depuis peu à la retraite, manifestement mal assis sur une des chaises de bois d’une bibliothèque, scrute un texte compliqué sur les moeurs des abeilles.

S’agirait-il là d’une préfiguration de l’éternel rêve utopique d’une société où l’homme apprendrait toute sa vie. On le dirait presque au moment où les collèges et les universités du Canada s’apprêtent à offrir leur moisson de diplômés de cette année. Parmi eux se trouveront des milliers d’adultes qui se sont remis avec succès aux études scolaires. Et ils ne représentent qu’une fraction de la multitude de Canadiens d’âge mûr qui s’instruisent dans une foule de domaines pendant leurs loisirs.

Un retour en masse à l’instruction, dont il est difficile de mesurer l’ampleur, est actuellement en cours. Il est notoire que les adultes forment le secteur d’inscription scolaire dont la croissance est la plus rapide en Amérique du Nord et qu’ils le formeront probablement longtemps encore à une époque où les classes se vident par suite de la baisse de la natalité. Mais la majeure partie des études systématiques – par opposition aux études occasionnelles – se déroulent en dehors des écoles, et les enquêtes indiquent que la plupart des Canadiens s’adonnent à un genre ou à un autre d’études systématiques. La situation dans notre pays est considérée comme assez semblable à celle qui existe aux États-Unis, où selon un spécialiste : « Il semble que la grande question n’est plus la dichotomie participation et non-participation. Presque tout le monde entreprend dans une certaine mesure des activités éducatives.

Le philosophe hollandais Spinoza estimait que le bonheur durable dans la vie ne peut se trouver que dans la recherche du savoir et la joie de comprendre. Dans leurs efforts pour s’instruire, les gens d’aujourd’hui trouvent vraiment le bonheur et la joie. Cela ajoute une dimension nouvelle à leur vie », dit de ses élèves un enseignant des adultes. « Ils ont meilleure mine et se sentent mieux », affirme un autre.

Les personnes qui font des études à temps partiel apprennent aux enquêteurs que celles-ci ont apporté une amélioration réelle dans leurs rapports familiaux et avec les autres, surtout à cause des sentiments de satisfaction et d’estime de soi qu’elles en tirent. Le simple fait d’avoir des intérêts et quelque chose à faire en dehors de la monotonie du foyer et du travail contribue à combattre l’ennui, source si fréquente de tensions conjugales et de conflits avec nos semblables.

Des analyses révèlent que les études deviennent souvent une affaire familiale en offrant des intérêts nouveaux à partager avec les autres membres de la famille. La chose est contagieuse : l’épouse qui entreprend une activité éducative entraînera probablement son mari à faire comme elle, même s’ils choisissent des matières différentes. C’est peut-être ce qui explique la force du mouvement de retour à l’éducation de ces dernières années.

Un des grands mobiles de ce mouvement est la découverte que l’étude ne peut ni ne doit prendre fin avec l’obtention du diplôme scolaire, collégial ou universitaire. Bon gré mal gré, nous sommes tous obligés de continuer à apprendre, et souvent au prix de grands efforts. Dans ces conditions, il y a avantage à apprendre systématiquement les choses qu’il faut ou que nous voulons connaître.

L’éducateur américain Mortimer Adler, fondateur du programme des Grands Auteurs, proposait un jour une explication mordante du fait que nos études ne peuvent se terminer avec nos années de classe. « Ce qui empêche de s’instruire à l’école, disait-il, est un obstacle naturel et insurmontable, à savoir le jeune âge. »

Les jeunes qui recevront leurs diplômes cette année entreront à l’école de l’expérience et des responsabilités qui, pour le meilleur ou pour le pire, leur dispensera leur savoir véritable parmi les épreuves et les joies de la vie. Mais, dans l’intervalle, il serait sage de leur part de continuer résolument à apprendre, ne fût-ce que pour affronter notre monde en mutation rapide.

Si l’on s’accorde maintenant à reconnaître que l’instruction est nécessairement une oeuvre permanente, c’est en partie à cause de la dure réalité économique. Il y a déjà plus d’une dizaine d’années que le Conseil économique du Canada nous prévenait que personne dans notre pays ne pouvait s’attendre à accomplir toute sa carrière sans avoir à se recycler pour s’adapter à de nouvelles techniques professionnelles.

Mais même ceux qui ne sont pas astreints à apprendre ont adopté une nouvelle attitude envers l’éducation des adultes. Le temps n’est plus où dire que l’on étudiait quelque chose après les heures de travail revenait à avouer une inaptitude sociale. Personne ne parle plus d’un ton péjoratif de l’école du soir en l’associant aux cours de langues pour les immigrants et aux classes compensatoires en cas d’insuccès scolaire. On met maintenant son orgueil à s’instruire dans ses moments de loisir.

Il y a un authentique désir d’apprendre dans l’air, ce qui démontre la véracité de l’affirmation faite, il y a plus de 2,300 ans, par Aristote : « Tous les hommes désirent naturellement le savoir. » C’est un fait que le monde occidental avait perdu de vue depuis bien des siècles, alors que les classes dirigeantes répandaient la doctrine que les masses n’étaient ni capables ni dignes d’instruction. Les esprits caustiques diraient qu’elles croyaient maintenir le peuple à sa place en le laissant dans l’ignorance.

Le Coran exhorte les croyants à apprendre du berceau à la tombe

L’instruction publique est un phénomène relativement nouveau dans l’ordre historique des choses. Même après la garantie à la plupart des enfants des pays occidentaux du droit à l’enseignement de base, à la fin du XIXe siècle, l’éducation continue demeurera strictement réservée à quelques rares privilégiés.

Maintenant qu’ils disposent du niveau d’instruction voulu, des loisirs, des moyens et des services nécessaires pour poursuivre leur formation, les gens profitent au maximum de cette possibilité. Et à l’antique et fallacieux précepte que l’on n’apprend pas à un vieux singe à faire la grimace, ils préfèrent l’exhortation du Coran qui convie à apprendre du berceau jusqu’à la tombe.

Il n’est plus exceptionnel de voir des personnes de soixante et soixante-dix ans s’inscrire à des cours universitaires. Une des idées les plus lumineuses du siècle est en bonne voie de réalisation au Fromm Institute de l’université de San Francisco, où des retraités peuvent suivre un programme d’études complet enseigné par des professeurs à la retraite, ce qui permet de mettre à profit, de part et d’autre, la sagesse qui vient avec l’âge. Dans un article consacré à cette intéressante initiative, le New York Times écrit : « Le Fromm Institute figure parmi les programmes d’études collégiales de plus en plus nombreux organisés en vue d’offrir des cours aux personnes âgées et aux écoles un moyen de soutenir les inscriptions au moment où décline la natalité. »

Mais le savoir n’appartient pas plus aux anciens qu’aux jeunes. Beaucoup de jeunes adultes réussissent à poursuivre leur éducation tout en se faisant une carrière et en élevant une famille. Les employeurs mobilisent le potentiel que représente cette soif d’apprendre chez la population active en créant des programmes de formation pour leurs employés, tel celui mis sur pied par l’Institut des banquiers canadiens, auquel 3,000 hommes et femmes ont participé l’an dernier.

Le désir d’apprendre dans tous les groupes d’âge est aussi vif que constant. Selon le Dr Allen Tough, spécialiste ontarien en éducation des adultes, 80 p. 100 de la totalité des adultes du Canada entreprennent chaque année au moins « une activité éducative importante ». Elle consiste, dit-il, en « un effort bien déterminé en vue d’acquérir et de retenir des connaissances ou une spécialité précises, ou de s’améliorer de quelque façon ».

La plupart choisissent d’apprendre plus ou moins par eux-mêmes

Cette activité éducative embrasse tous les moyens d’instruction : cours scolaires, lecture, moyens audio-visuels, observation, réflexion, entraînement et recherche d’information. « Elle comprend aussi bien l’étude pour des raisons très pratiques, comme prendre une bonne décision, construire quelque chose, élever un enfant ou accomplir une tâche, écrit Tough, que la poursuite du savoir motivée par la curiosité, l’intérêt, la perplexité et la joie de connaître. »

Des chiffres intéressants tirés d’une étude récente du même auteur révèlent que 73 p. 100 de ces activités éducatives importantes sont conçues et menées à bonne fin par les intéressés eux-mêmes et que 7 p. 100 d’entre elles ont lieu avec l’aide d’amis ou de compagnons de clubs ou de groupes d’auto-assistance. C’est dire qu’une énorme quantité de gens étudient plus ou moins par eux-mêmes, sans avoir recours à l’enseignement professionnel.

Ils trouvent cette méthode si profitable qu’ils continuent de l’utiliser pour s’initier à diverses branches du savoir. Les adultes adonnés à l’étude s’arrêtent rarement après avoir exploré une question. Même s’ils consacrent une centaine d’heures en moyenne à chaque sujet, ils sont toujours prêts à recommencer dès qu’ils ont fini. Ainsi, quelqu’un qui a appris à construire des cabanes en rondins se mettra ensuite à la guitare ou à autre chose. D’après l’analyse de Tough, l’autodidacte nord-américain typique entreprend cinq grandes activités éducatives par année, soit au total 500 heures de travail ou une dizaine d’heures par semaine.

L’éventail des objets d’études est vaste ; il s’étend de la danse disco à la philosophie, de la lecture élémentaire pour analphabètes fonctionnels à l’économie internationale. Pour certains enseignants des adultes, il ne s’agirait là, en grande partie, que de simple dilettantisme ou, dans le cas du perfectionnement professionnel, d’une question de faire de nécessité vertu. « Si s’éduquer toute la vie consiste à suivre des cours de dégustation de vins ou de bridge pendant que des millions d’êtres sont victimes de discrimination ou meurent de faim, eh bien ce n’est pas ce que je cherche », disait Paul Bertleson, chef de l’éducation des adultes pour l’UNESCO, lors d’une récente conférence. « S’éduquer toute la vie est indispensable parce que les questions critiques que nous avons à affronter – environnement, paix, énergie et chômage – sont trop graves et trop urgentes pour pouvoir être résolues plus tard par nos enfants. Notre devoir est d’offrir des moyens d’étudier ces divers problèmes, afin de permettre à chacun d’apprendre ce qu’il nous faut à tous pour assurer notre survie collective. »

Mieux vaut apprendre n’importe quoi que rien du tout

Il est difficile de concilier cet appel apocalyptique au bras pédagogique avec le spectacle typiquement moderne d’une jeune femme apprenant le macramé. Pourtant, les chercheurs remarquent une progression dans le sérieux des matières étudiées à mesure que les gens – après avoir goûté la satisfaction de connaître – passent à des choses plus difficiles. Sans doute vaut-il mieux apprendre n’importe quoi (sauf évidemment les actes criminels ou contraires aux bonnes moeurs) que rien du tout. Et, comme les hommes ne vont pas de toute façon cesser de s’instruire eux-mêmes, il appartient au système éducatif de s’adapter à leurs besoins.

Il en ressort qu’il importe de repenser l’enseignement, dans les écoles primaires et secondaires, des matières de base que sont la lecture, l’écriture et le calcul. L’important serait de montrer aux élèves comment apprendre après avoir quitté l’école. Le distingué spécialiste du cheminement de la pensée que fut Wilder Penfield avait constaté qu’une personne dont la première instruction a laissé à désirer n’est pas un bon candidat à l’éducation des adultes. On exprime déjà la crainte que les systèmes scolaires nord-américains ne forment des diplômés présentant de graves déficiences dans l’art élémentaire de s’instruire et donc mal préparés à continuer à apprendre dans l’âge mûr.

Centrer les efforts sur l’individu et les moyens de l’aider à s’instruire

Au plan de l’éducation des adultes, le besoin existe d’assurer une aide et une orientation accrues aux personnes qui préfèrent étudier sans maître ou avec des amis ou des compagnons. C’est là une préférence marquée et durable, ainsi que l’indique une enquête récente portant sur 1,500 autodidactes adultes à travers les États-Unis. On avait toujours pensé que les principales raisons qui empêchaient les adultes de suivre des cours étaient le manque d’argent et les problèmes de transport. Or, la très grande majorité des personnes interrogées à l’occasion de cette enquête ont invoqué la souplesse de l’auto-éducation comme premier motif de leur option pour ce genre d’instruction plutôt que pour l’enseignement scolaire. La question des moyens financiers et du transport figurait au dernier rang parmi les neuf raisons mentionnées pour la préférence accordée à l’étude personnelle.

« Une constatation est claire », écrit le Dr Tough. Les adultes veulent une aide et une information plus grandes pour organiser et orienter leurs études indépendantes. Il est à espérer que les enseignants des adultes répondront à ce désir en adoptant une optique nouvelle et plus vaste, c’est-à-dire celle de favoriser la gamme complète des activités éducatives individuelles et non pas uniquement l’instruction collective et les cours pré-établis. » Il propose que les organismes d’éducation des adultes s’attachent à aider leurs élèves à préciser leurs aspirations éducatives, à choisir leurs objectifs, à tracer leur plan d’action et à orienter leurs travaux. Cela pourrait se faire par la création de services-conseils et la publication de documentation destinée à aider les gens à apprendre par eux-mêmes.

Ces considérations ressortissent à la « mathétique », terme devenu capital dans le vocabulaire de l’éducation des adultes. Selon le Dr Teresa MacNeil, du réputé service d’éducation des adultes de l’université Saint-François-Xavier, d’Antigonish (N.-É.), la « mathétique » est centrée sur les moyens d’aider l’individu à apprendre. « Elle met l’accent sur l’étude plutôt que sur l’enseignement et suppose que les enseignants sont des éducateurs et des auxiliaires plutôt que des transmetteurs de savoir… [L’]hypothèse étant que les humains apprennent avec plus de succès lorsque l’activité éducative s’enracine dans leurs besoins personnels de perfectionnement. »

Quels sont les besoins d’apprendre qui existent dans notre monde en évolution continuelle. Ils sont en grande partie liés aux besoins personnels de l’individu dans d’autres secteurs de la vie. Certains sont expressément rattachés aux exigences d’un emploi. D’autres sont d’ordre psychologique, c’est-à-dire fondés sur le désir de se comprendre ou de comprendre les autres, et de trouver la paix de l’esprit. D’autres encore sont de nature distractive : nous avons tous besoin de quelque chose qui nous détourne de temps en temps de nos soucis immédiats. Le besoin d’apprendre naît parfois de l’envie d’éprouver le plaisir de maîtriser une technique. Il peut aussi viser à accroître notre connaissance du monde qui nous entoure. Enfin, il peut avoir pour objet de faire de soi un meilleur citoyen, ou simplement un meilleur être humain.

Quels qu’ils soient, ces besoins ont une force incontestable et sont, dans leur ensemble, d’une grande importance sociale. Le fait que les gens y soient maintenant plus sensibles que jamais auparavant soulève aussi pour le système éducatif la nécessité d’y répondre. La société où l’homme s’instruirait toute sa vie n’est peut-être pas encore arrivée, mais elle paraît sûrement approcher. Et nous pouvons tous contribuer à en accélérer l’avènement en prenant le parti de continuer à apprendre tout au long de notre existence.