Si les mobiles humains ont varié au cours des ans avec la transformation des conditions de vie, il en est un qui est demeuré inchangé : le désir de faire quelque chose pour améliorer la situation existante.
Une question revient souvent sur nos lèvres : « Que puis-je faire ? Que puis-je faire pour acquérir le savoir et croître en sagesse, pour affronter le changement et le désarroi de la vie, pour m’entendre avec les gens, pour apprendre à résoudre les problèmes, pour servir ma famille et mon pays, pour devenir meilleur citoyen, pour connaître une vieillesse heureuse ? »
Chacun se plaît à croire qu’il est maître de sa vie, mais son appartenance à un vaste univers tempère quelque peu ce sentiment. Mr. Satterthwaite évoque cette idée dans les histoires d’Agatha Christie à propos du Mystérieux M. Quin. « Vous dites que votre vie vous appartient, mais oseriez-vous feindre d’ignorer la possibilité que vous participiez à un drame gigantesque sous les ordres d’un divin Réalisateur ? Votre rôle ne viendra peut-être qu’au dernier acte – peut-être même sera-t-il tout à fait sans importance, un simple rôle de figurant – mais il se peut que le dénouement de la pièce en dépende. Si vous ne donnez pas la réplique à un autre acteur, tout l’édifice s’écroulera peut-être. Comme tel, vous n’avez peut-être d’importance pour personne au monde ; mais, en tant que personne placée dans un milieu particulier, vous avez peut-être une importance inimaginable. »
Toute créature humaine est une personne vivant dans un milieu donné, dotée de moyens d’apporter sa contribution à la structure en gestation de la vie de l’homme. Lorsque le désir d’accomplir quelque chose est lié à l’aspiration à l’excellence et qu’il traduit les idéaux fondamentaux en fonction des circonstances du moment, c’est une assurance que l’on joue efficacement son rôle.
Penser globalement
Les hommes ont emprunté beaucoup de chemins pour découvrir le bonheur. Certains ont échoué parce qu’ils ne se sont fixé aucun but déterminé, mais ont erré çà et là, espérant toujours trouver le pays de leurs rêves indécis. Quiconque prise plus le confort actuel que la réalisation d’un objectif marche vers le désenchantement et le désappointement, car il est malheureusement vrai que jamais personne ne dépasse les limites qu’il s’impose librement.
Il faut penser globalement. Il est mortellement ennuyeux d’être borné. Dans les affaires, c’est celui qui a une vue globale des choses, qui embrasse non seulement son travail, mais tout le travail environnant – dont le sien est l’aboutissement ou la source – qui atteint la supériorité.
L’ambition de faire quelque chose n’a rien de commun avec la manie du démarrage éclair lorsque le feu de circulation passe au vert. C’est un dessein positif, réfléchi, créateur ; un besoin d’accomplir quelque chose de précis.
Il n’est pas nécessaire de disposer d’un matériel important pour accomplir quelque chose d’appréciable. Aristote a été un astronome sans télescope, un biologiste sans microscope, un chimiste sans laboratoire, et pourtant sa conception des phénomènes naturels a fait loi en science pendant 2,000 ans.
Celui qui s’efforce d’être quelqu’un doit de temps en temps s’évader vers le pays des rêves, en ayant soin naturellement de prévoir son voyage de retour. La rêverie peut être un délassement et une source d’inspiration à condition de se rappeler qu’il faut revenir à la réalité pour concrétiser les châteaux en Espagne dans la pierre et le mortier.
Chercher une place libre
En tentant de trouver un genre d’activité, une bonne règle est de rechercher une place libre et d’y déployer ses talents. Il y a beaucoup de choses souhaitables qui n’ont jamais été faites, beaucoup de machines qui n’ont pas été inventées et beaucoup de maux sociaux auxquels on n’a pas trouvé de remède. Il faut essayer de découvrir ces possibilités. La chance et la bonne fortune ne sauraient remplacer la recherche active.
Ce qui importe, c’est de faire quelque chose. On réussit une carrière en accomplissant quelque chose et non simplement en étant quelque chose. Certains ont pensé que la morale de la fable du Lièvre et la tortue aurait pu être différente. Par exemple, si le lièvre, au lieu de s’asseoir sur un lit de mousse pour se reposer s’était assis sur un chardon. Beaucoup de personnes ont besoin d’un aiguillon pour se mettre en branle.
Que pouvons-nous faire ? La première chose est d’essayer de faire quelque chose. Ce n’est qu’en essayant que vous verrez ce que vous avez dans le corps et que vous prendrez conscience de vos possibilités. La deuxième est de mettre de l’art dans tout ce que l’on fait, c’est-à-dire bien faire ce qui doit être fait. La troisième est d’avoir le courage de surmonter les difficultés et l’ingéniosité de contourner les obstacles.
Ce qui compte ce sont les résultats. Celui qui ne se sert jamais d’un fusil ne peut devenir champion de tir ; celui qui déserte le combat ne peut pas être un héros ; celui qui en reste aux plans théoriques ne connaît pas la réussite. Il y a toujours quelqu’un pour nous indiquer, dans un boniment publicitaire, un moyen plus facile de faire son chemin que par l’étude et le travail, mais ceux qui passent de l’obscurité au Bottin mondain y parviennent par leur intelligence, leur initiative et leurs efforts.
Travailler avec les autres
L’homme qui veut faire quelque chose doit apprendre à cheminer avec les gens. Il ne saurait vivre en ermite, même si ses opinions sont très éloignées de celles des hommes et des femmes qui l’entourent.
Les personnes qui traversent la vie avec des convictions inébranlables sur tous les sujets sous le soleil mènent une triste existence et ont peu de chances de réussir à atteindre des objectifs intéressants. Elles ignorent l’ivresse de l’exploration, le stimulant de la discussion et la joie palpitante de découvrir des nouveautés qui les aideront à atteindre leur but.
Apprendre à aimer les gens et à s’entendre avec eux en recherchant ce qu’il y a de bon en eux est une manière de vivre agréable et qui nous gagne des amis. Xénophon l’avait déjà compris : « Il est beaucoup moins difficile, disait-il, de gravir une forte pente sans combattre que de suivre un chemin en palier avec des ennemis de chaque côté. »
Il y a avantage à être prévenant pour les autres dans les petites choses, à traiter chacun avec de tels égards qu’il gardera de nous un bon souvenir. En prenant la peine de veiller à ce que les autres ne soient pas négligés ; en ayant soin de ne rien faire qui puisse les humilier, nous donnons plus de valeur à la simple courtoisie et nous nous assurons des appuis utiles pour faire ce que nous désirons.
La bonne entente avec les gens suppose la communication, et c’est là une voie à deux sens. En étant tolérant pour les opinions des autres nous nous attirons leur indulgence envers les nôtres. Le Canada a misé son avenir sur l’espoir que grâce à l’harmonisation des idées par la liberté de pensée la vérité avait plus de chances de triompher que par tout autre moyen au monde.
Préciser son but
Comment réussir à présenter ses idées de façon à se faire comprendre et à éveiller l’attention. Voici un plan sommaire dont on peut se servir pour préparer à peu près n’importe quel exposé, écrit ou oral. (1) Montrer qu’il existe un problème ou qu’il faut remédier à une situation ; (2) expliquer les éléments essentiels du problème ou les divers aspects de la situation ; (3) parler de l’échec des solutions antérieures ; (4) indiquer pourquoi votre solution est la meilleure ; (5) imaginer votre solution en action, y compris les avantages qu’elle offrira aux autres et la satisfaction qu’elle apportera à ceux qui contribueront à son application.
Soyez précis : énoncez en termes clairs la nature, le lieu, le moment et les modalités de l’appui que vous attendez. On peut échouer faute de savoir soi-même exactement ce que l’on veut exprimer pour faire agir les gens.
Celui qui tente de faire oeuvre utile doit accorder une attention soutenue aux auditeurs. Un coup d’oeil autour de nous nous révélera que notre niveau de vie élevé, amené par notre maîtrise des sciences et de la technique, est menacé par le mauvais emploi des signes entre les hommes, entre les idéologies et entre les nations. En mésinterprétant les signes (que sont tout simplement les mots), nous jetons le désordre dans les affaires humaines.
Tout ce que vous entreprenez sera mieux réussi si vous en examinez bien et franchement au préalable le but et les modes d’exécution. Cette précaution éliminera le danger inhérent à la trop commune tendance humaine à voir ce que nous voulons voir, à définir le bien et le mal en fonction des choses que nous voudrions bonnes ou mauvaises. Parlez de votre proposition avec conviction et sincérité, mais laissez une marge pour d’autres points de vue.
Quel que soit le but à atteindre, le dialogue est nécessaire. Il permet d’approfondir les problèmes en attaquant et en défendant toutes les positions jusqu’à ce que les erreurs soient éliminées et les divergences conciliées. Qu’il s’agisse de rédiger une constitution nationale ou d’élaborer un nouveau formulaire administratif, il n’y a pas de problème que l’on ne puisse résoudre par la discussion autour d’une table. Sans l’échange et le choc des idées, l’esprit humain serait encore dans les ténèbres du monde primitif.
Continuer à apprendre
Pour entreprendre une réforme quelconque, il faut être un citoyen intelligent, instruit, renseigné, au fait des valeurs, des privilèges et des obligations de notre mode de vie canadien.
Celui qui veut faire quelque chose doit posséder plus qu’une connaissance superficielle de la tâche à accomplir et de la méthode à employer. L’aperçu général comme la connaissance approfondie sont nécessaires dans la marche du raisonnement.
L’intelligence complète le savoir en nous rendant capables de discerner les faits significatifs, d’associer les choses qu’il faut réunir et de distinguer entre celles qu’il faut séparer. Si nous ne savons pas exactement ce à quoi nous pensons, il nous est impossible d’établir des distinctions. Nous sommes incapables de différencier le prodigieux de l’impossible, le vrai du faux, et alors comment pouvons-nous opter pour l’un ou pour l’autre ?
Lorsqu’on vous pose des questions sur un projet ne dites jamais « je ne sais pas ». Dites plutôt : « Voilà une question intéressante ; je vais faire des recherches. » Cette attitude a permis à des personnes d’instruction et de talent ordinaires de réussir à faire accepter leurs idées.
Il est peu probable que vous ayez sur le bout du doigt tous les faits relatifs à l’affaire que vous proposez, mais il serait bon de savoir quels sont les données qui manquent afin de tenir compte de cette lacune.
Patience et responsabilité
La patience est une vertu fort nécessaire à ceux qui tentent de réaliser de grandes choses. Il n’est pas toujours sage d’attendre pour voir ce qui va arriver, mais il est bon d’avoir le courage d’attendre si cela s’avère utile.
On n’atteint pas les sommets d’un bond ; il faut en faire l’ascension. Il importe de lutter contre l’impatience qui nous gagne lorsque nos projets sont retardés, désorganisés ou bousillés.
Ce n’est pas un signe de doute que de réexaminer les choses par souci de contrôle. Celui qui se vante d’avoir été fidèle toute sa vie aux idées recueillies dans son enfance avoue qu’il n’a rien appris à l’école de l’expérience.
Si vous avez l’ambition d’être un initiateur de nouvelles laçons de penser et d’agir, vous devez tenir compte de la responsabilité que vous assumez. Toutes les nuances de mot et d’expression s’effacent quand arrive le moment décisif. L’esprit d’aventure personnelle que comporte la proposition d’une nouveauté se transforme alors en un sentiment de responsabilité vis-à-vis de ses conséquences.
Les nombreux hommes et femmes que l’on a reconnus comme chefs de file sont des gens qui avaient appris eux-mêmes à obéir. Pour être un bon chef, il faut d’abord être un bon collaborateur.
La meilleure mesure de notre réussite dans la vie, a dit H. G. Wells, est le rapport entre nos réalisations et nos possibilités. Et Abraham Lincoln exprime ainsi cette idée : « Je ne suis pas tenu de réussir, mais je suis tenu de vivre selon les lumières que je possède. » La vie de Lincoln a été une vie de perpétuels recommencements, de dissipation d’incertitudes et de besoin d’examiner, de temps en temps, s’il était à la hauteur de ses normes à lui et de celles que lui avait fixées la société.
Une telle vie exige de l’audace. Dès que l’idée de sécurité commence à nous préoccuper, le champ de notre vie se met à rétrécir. Beaucoup de projets remarquables sont tombés à l’eau parce que leur auteur n’a pas eu le courage ni l’ardeur de les faire adopter.
Vivez dans l’espérance et dans l’attente. Toute vue rationnelle de la vie qui favorise l’optimisme vaut mieux que celle, si logique soit-elle, qui conduit au pessimisme et nous laisse sans espoir. Être optimiste ne veut pas dire fermer les yeux devant les réalités de la vie ni scruter une boule de cristal pour y déceler un avenir tout en rose. Cela signifie vivre dans un sentiment d’expectative et faire ce qu’on peut pour réaliser ses espérances.
Le point de vue du citoyen
Si ce que vous voulez faire a trait au gouvernement ou à l’administration du pays, vous devez soumettre votre but au contrôle suivant : mon but concerne-t-il ce que les gens aimeraient avoir, ce que les gens peuvent arriver à se procurer, ce que l’État croit pouvoir leur accorder sans risque ou ce que les gens doivent avoir pour agir efficacement et librement comme citoyens ? Être citoyen suppose la possession d’un idéal et du sens des valeurs, ainsi qu’une idée de ce que la vie peut devenir au Canada.
Le Canada est un pays où il est possible à chaque homme et à chaque femme de trouver dans la société une place conforme à ses goûts et à ses aptitudes. C’est un lieu où le citoyen ordinaire a des chances d’améliorer sa condition. Mais il doit reconnaître le sens de nos institutions. C’est par l’observation de l’esprit des lois et des coutumes qui règlent nos vies que se jugent la valeur de notre civisme et la qualité des causes que nous appuyons.
Nous avons réuni, au Canada, diverses races fières et audacieuses dans un milieu propice à la création d’une grande nation. Chacune d’elles nous est venue avec des idées et des principes bien vivants et déjà millénaires. Jamais un État n’a pu souhaiter des conditions plus idéales que celles que nous assure la contribution que peuvent apporter tous ces gens à la qualité de notre vie.
Au fond, la plupart des Canadiens ont en commun les mêmes valeurs. Ils vivent sous une constitution qui est la huitième du monde en ancienneté parmi les constitutions écrites, la deuxième parmi les constitutions fédérales et la plus vieille parmi celles qui allient le fédéralisme au principe du gouvernement responsable.
Mais la vie canadienne reste souple et elle offre de riches possibilités à ceux qui veulent faire preuve d’initiative pour en protéger les valeurs et en accroître le bien-être. Grâce à son adhésion à l’Organisation des Nations Unies – il a participé à la rédaction de la charte en 1945 – notre pays a joué un rôle important et parfois remarquable dans les délibérations et l’oeuvre de l’ONU, ouvrant ainsi la voie aux citoyens désireux de participer à des activités humanitaires d’envergure mondiale.
Beaucoup de Canadiens croient passionnément que le Canada a une grande contribution à apporter au bien-être de l’humanité. L’histoire de notre pays se continue, et chaque nouvelle page que nous tournons ouvre des horizons à ceux qui veulent faire quelque chose de valable. Nous ne sommes pas encore parvenus à notre plein épanouissement dans les domaines artistique, religieux, éducatif et intellectuel. De nombreuses possibilités s’offrent à la pensée et à l’action constructives de ceux qui veulent en profiter.
Il y a certes des choses à améliorer, comme l’application de la loi, les relations du capital et du travail, la généralisation des soins médicaux et le progrès de notre population autochtone. Ces améliorations peuvent être effectuées dans le cadre de la démocratie par les personnes suffisamment soucieuses de faire quelque chose.
Faire front au changement
Le bon jugement dans la vie publique est particulièrement nécessaire de nos jours. Pour la première fois dans notre histoire, nous devons exercer notre action politique et économique avec des gens qui ont une ahurissante variété de niveaux de connaissances et de culture tout en passant, dans le même temps, par une révolution technique dans notre pays. Jamais personne dans l’histoire n’a eu à faire face à une vie aussi mouvante sur tant de plans à la fois, et les changements qui s’opèrent peuvent être une source d’activité féconde.
Le patriotisme véritable n’est pas le débordement émotif de vanité qui se manifeste dans le chauvinisme, mais un sentiment qui s’exprime sous forme de participation à la vie collective. Le vrai patriote se demande : « Que puis-je faire pour accroître le bien-être de mon pays ? » L’essence du civisme réside dans ses valeurs, ses engagements moraux, ses loyautés profondes, sa conception de la bonne vie, ses préceptes concernant les choses pour lesquelles et selon lesquelles les citoyens devraient vivre et les efforts de la population pour atteindre à l’excellence.
Le citoyen doit d’abord faire ce qu’on attend de tous les hommes de bien, puis accomplir ce que sa position particulière dans le monde exige de lui et le met à même de faire. Nous avons des obligations, plus ou moins nombreuses, plus ou moins grandes, suivant nos talents et nos ressources.
Ce que nous pouvons faire dépend dans une large mesure de la fermeté de notre discipline intérieure. Deux hommes de vocation bien différente l’ont reconnu à plus de deux mille ans d’intervalle dans l’histoire. Socrate, le philosophe grec, enseignait que la discipline de soi-même est la première des vertus, affirmant qu’elle est nécessaire à l’efficacité des autres vertus, et Charles Darwin, l’auteur du célèbre ouvrage De l’origine des espèces, écrit : « Le plus haut niveau de culture morale auquel nous puissions parvenir est celui où nous reconnaissons que nous devons maîtriser nos pensées. »
Dans la famille
Nous pouvons faire beaucoup au sein de la famille. Le bagage d’idées et de sentiments recueilli au coin du feu agit toute la vie sur nos pensées et nos actions. Homme d’État et financiers, éducateurs et ouvriers, hommes et femmes de toutes les sphères d’activité subissent l’influence, dans leurs décisions et leurs. entreprises, des impondérables qu’ils ont assimilés dans leur vie de famille.
Voilà un milieu qui mérite assurément un effort important. Nous devons veiller à ce que la famille persiste, malgré tous les changements, en tant que groupe uni par le lien des choses chères à ses membres, en tant que groupe où se façonne la personnalité et où s’enseignent les responsabilités.
On peut pour une très grande part mesurer le succès des parents par leur empressement à donner aux jeunes des manières de voir et une formation qui leur assureront l’orientation nécessaire pour organiser leur vie de façon à connaître le plus grand bonheur possible.
L’honnêteté, qui signifie « droiture, rectitude morale », s’apprend dans la famille et fait que les gens distinguent par habitude entre le juste et l’injuste, le bien et le mal, la grandeur et l’ignominie, et suivent le bon chemin. C’est au foyer que nous acquérons notre échelle des valeurs.
Envisager l’avenir
Soyez allègrement sérieux et croyez en ce que vous faites. Persévérez en dépit des obstacles, des découragements et de l’impossible. Joignez la détermination et l’application à vos dons naturels.
Celui qui se demande « Que puis-je faire » pense à l’avenir. Il ne commence pas à compter les années de son âge ni ses années de service avant de n’avoir rien d’autre à compter. La vie des réalisations n’est pas uniquement le propre de la jeunesse. Elle est de tous les âges. Le bonheur de la vie n’entre pas chez nous au son des tambours et des trompettes. Il s’empare de nous lorsque nous répondons à la question en affirmant résolument : « Je vais faire quelque chose. »
Beaucoup reconnaîtront que le meilleur moyen pour l’homme ou la femme qui ont eu un certain succès dans la vie de s’acquitter de leur dette envers la société est de transmettre leur savoir à ceux qui s’apprêtent à marcher sur leurs traces.
On peut dire qu’une vie heureuse comprend cinq éléments : la santé, le travail, les passe-temps, les amis et la poursuite d’un idéal. Il est nécessaire de se réaliser dans sa totalité et non pas seulement sous l’un ou l’autre de ces aspects.
Bienheureux celui qui garde l’esprit toujours sensible à la beauté et à l’intérêt de l’existence et qui se sent poussé dans l’intimité de son être à se demander ce qu’il peut faire. L’essentiel est de progresser, afin d’avoir le sentiment, à la fin de notre carrière, d’avoir jusqu’à un certain point réalisé les possibilités que nous croyons posséder.
La retraite de John Heron
Fin d’une époque pour le Bulletin Mensuel
M. John Heron, l’auteur de vieille date du Bulletin Mensuel de la Banque Royale, vient de signer, avec le présent numéro, sa dernière chronique. Cependant, ceci ne marque pas la disparition du Bulletin Mensuel. Au cours de l’année qui vient, la Banque projette de republier une sélection de Bulletins Mensuels pour poursuivre la tradition qui a vu le jour il y a 32 ans avec le premier Bulletin Mensuel rédigé par John Heron.
Les meilleures choses ont une fin, dit le proverbe. Et le présent numéro du Bulletin Mensuel marque la fin d’une des meilleures choses entreprises par la Royale. Au terme d’une carrière de plus de trente ans, l’auteur de cette chronique, respectée et maintes fois acclamée, John Rutherford Heron, a fait le choix difficile d’interrompre la tâche qu’il remplit si fidèlement depuis décembre 1943.
Tous les ans, plus de 7,500 lettres étaient adressées à l’auteur qui est titulaire d’un doctorat honorifique en droit de l’Université Sir George Williams (maintenant Concordia) de Montréal. Des prix, mentions et cadeaux lui ont été remis de la part de groupements et d’admirateurs. Malgré ce prestige, ce n’est qu’en 1973 que l’identité de l’auteur fut dévoilée à ses innombrables lecteurs.
Nous avons célébré, cette année-là, le trentième anniversaire de la parution du Bulletin Mensuel et du rôle d’auteur de M. Heron. Dans une lettre personnelle adressée aux lecteurs, M. W. Earle McLaughlin, chairman et président de la Banque, a rendu hommage à la vocation de M. Heron et a louangé ses essais qui ont toujours soulevé un vif intérêt et aidé des milliers de personnes de tous les coins du monde. Cet hommage spécial, ajouté au Bulletin Mensuel de novembre 1973 intitulé : « Les citoyens adoptifs du Canada », a entraîné une multitude de lettres de félicitations de fervents lecteurs, dont un bon nombre avait toujours voulu connaître l’identité de l’auteur (ou des auteurs).
Sa popularité dans l’anonymat s’est maintenue pendant plus de 30 ans et a incité des parents reconnaissants, des vieillards angoissés, des directeurs impatients d’atteindre les sommets et des étudiants avides de connaître, à adresser leur témoignage à l’auteur. D’aucuns se sont montrés élogieux, comme : « Depuis bon nombre d’années, je ne manque pas de lire votre Bulletin Mensuel. Je tire profit des sages écrits et je prends plaisir à le lire. À mon avis, chaque numéro est un petit chef-d’oeuvre », et « Je suis un lecteur assidu de votre Bulletin depuis de nombreuses années. J’en ai obtenu des exemplaires supplémentaires pour mes 13 petits-enfants et les paroissiens de mon église ». D’autres encore ont préféré la missive créatrice et ont orné leur carte de remerciement d’illustrations faites à la main.
John Heron qui célébrera son 79e anniversaire de naissance en février 1976 demeure un homme modeste qui fuit la flatterie, en dépit des lettres élogieuses que lui adressent les 785,000 lecteurs du Bulletin qui paraît en anglais, en français et en braille. Il n’est tout de même pas sans éprouver une certaine satisfaction et il apprécie particulièrement les lettres qui le remercient de ses conseils judicieux qui ont aidé à régler une situation de famille délicate. Il a toujours porté une attention particulière à la famille et n’a pas hésité à faire part de ses sentiments personnels dans les textes traitant de la famille. Il n’est donc pas étonnant de constater que la banque ait consacré un des cinq recueils de Bulletins à La famille.
Plusieurs cadres supérieurs de la banque l’ont incité, au fil des ans, à signer ses textes, mais John Heron a toujours ignoré ces suggestions. Il a tenu sa chronique mensuelle comme un « Bulletin de la Banque Royale du Canada à un individu » et, à son avis, cette signature aurait été de trop. « Si les lecteurs sont guidés par ces bulletins, ils se souviendront de la Royale et l’apprécieront d’autant. »
Bien qu’il ait oeuvré au milieu de banquiers depuis le début des années 40, John Heron a toujours prétendu qu’il n’était ni un banquier, ni un économiste et qu’il demeurait fidèle à sa véritable passion : le journalisme. Le plaisir d’écrire pour écrire, un de ses sujets de prédilection, est le sujet d’un autre recueil de Bulletins intitulé : « La transmission des idées ».
John Heron a conservé un souvenir vivant de son premier Bulletin Mensuel, publié en décembre 1943. Bien qu’à cette époque, les banques publiaient des bulletins strictement financiers ou économiques, il était convaincu qu’il ne pourrait jamais écrire ce genre de choses et persuada la Royale d’adopter une conception plus générale, plus humaine. Et malgré la critique initiale d’un banquier haut placé qui se demandait ce que les « boîtes sculptées de l’Inde » mentionnées au début du premier Bulletin avaient à voir avec les affaires bancaires, le premier essai ouvrit la voie aux 369 bulletins qui allaient suivre.
Comment un écrivain réussit-il à produire, avec autant de bonheur et pendant autant de temps, des textes qui portent sur une multitude de sujets ? Cette faculté de John Heron a toujours été celle qui a suscité le plus d’admiration, particulièrement chez ses fervents lecteurs. À l’occasion du 30e anniversaire de la rubrique, un lecteur écrivait : « Je me suis toujours demandé de quelles universités venaient les brillants auteurs de ces essais ». M. Heron a toujours été animé du désir de vaincre et le fait qu’il n’a jamais raté une échéance en 32 ans de publication est un exemple probant de ce désir. Vivement préoccupé par la crainte de s’attacher à un seul auteur ou à un seul sujet, il a su ajouter à ses lectures une note de poésie à titre prophylactique.
On pourrait bien penser qu’un auteur de quelque 3,000 mots par mois de « renseignements précieux » finirait par tarir. Au contraire, John Heron soutient qu’il lui reste encore beaucoup de sujets à explorer, parmi lesquels nous citerons la solitude, la patience, l’art de poser des questions (qui, selon lui, est la façon d’apprendre) et « fait à la main ». La fin d’un projet long de 32 ans a servi à jeter les bases du plus récent projet de l’auteur. Il travaille présentement, avec acharnement, à un recueil de 12 rubriques sur son sujet le plus fréquent, à savoir le Canada, recueil que la Banque publiera en 1976.
Il a délibérément évité d’adopter un seul style, estimant que le style doit être flexible, apte à s’adapter au sujet traité. Le Canada et la jeunesse ont été ses sujets de prédilection et deux des bulletins qui ont suscité le plus d’intérêt chez les lecteurs ont paru en 1967. Ils s’intitulaient : « Le culte de la supériorité » et « Comment répondre aux réclamations ».
Une autre personne est demeurée dans les coulisses de cette publication. Mme Chris Burke est le bras droit de John Heron depuis plus de 20 ans ; elle est responsable de la correction d’épreuves, de l’impression, de l’expédition des Bulletins et doit répondre aux demandes d’exemplaires supplémentaires. « J’ai éprouvé beaucoup de plaisir tout au long de ces années », dit-elle. Elle choisit sans difficulté le Bulletin qui correspond le mieux à l’écrivain et à son tempérament. Il s’agit de « Viser à la simplicité ».
John Heron a mis sa plume au service de la Royale pendant plus de trente ans. En dépit de ses longues années, M. Heron se décrit toujours comme « l’homme le plus paresseux du monde », désignation qu’il est difficile de croire d’un homme qui a tour à tour été étudiant missionnaire, militaire, professeur, directeur d’école, journaliste et le premier spécialiste des relations publiques de la Royale.
C’est peut-être dans la petite pièce de travail, remplie de souvenirs, à sa résidence de Pointe-Claire, qu’on peut percer le secret, pièce où il a écrit son Bulletin Mensuel pendant 27 de ces 31 années. La clé de chaque Bulletin Mensuel réside dans les livres. D’innombrables volumes, certains usés et d’occasion, trouvent place dans les rayons de sa pièce de travail, à proximité du petit bureau qu’il a fait lui-même dans son atelier. Les livres sont codés et les codes sont inscrits sur des fiches minutieusement rangées dans des fichiers. Les notes manuscrites dans les marges des livres ont été reportées sur des milliers de fiches, système que l’auteur a mis sur pied en 1935 pour tenir compte de ses nombreuses lectures. Tous ses outils de travail, livres de référence, bibles, citations et fiches-matière, sont à portée de la main. Son perfectionnisme se substitue à sa « paresse ».
De quelle façon un écrivain de carrière envisage-t-il les prédictions suivant lesquelles les écrits n’ont plus leur place et seront bientôt remplacés par un moyen visuel ? John Heron ne peut que les envisager avec mépris. « L’avenir des textes imprimés, on le vit en ce moment », maintient-il, en faisant allusion aux nombreux bons livres, format de poche, que tous peuvent se procurer. Bien qu’il regarde la télévision, il préfère ses livres. « La télévision ne laisse rien à l’imagination », dit-il.
Une carrière de trois décennies comme auteur du Bulletin Mensuel n’a pas enchaîné l’essayiste de 78 ans au journalisme imprimé. Grand amateur de photographie, John Heron conserve des index complets de ses diapositives, de sujets aussi variés que ses Bulletins Mensuels. On y trouve, par exemple, des diapositives de son 50e anniversaire de mariage à Anah (mariage célébré en 1919), de fêtes de famille à Noël mettant en vedette ses quatre enfants et ses douze petits-enfants, de voyages, de fleurs, toutes classées et rangées dans un placard.
Son petit atelier pour le travail du bois est aménagé au sous-sol. Malgré une pléthore d’outils, aussi méticuleusement rangés que ses livres de référence et ses fiches, l’essayiste-menuisier nie son habileté quand vient le moment de faire des réparations. Il préfère fabriquer des petits articles fonctionnels.
Le mois de décembre 1975 marque la fin d’une époque pour la Banque Royale et pour notre écrivain de trois décennies. Les résultats de l’enseignement, des conseils et de l’aide de l’auteur continueront toutefois de se faire sentir parmi ses lecteurs.