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Dans la pièce Une femme sans importance d’Oscar Wilde, lord Illingworth fait cette remarque : « Le Livre de la Vie commence par un homme et une femme au milieu d’un jardin. » À quoi Mrs. Allonby répond : « Oui, mais il finit par l’Apocalypse. » C’est de l’abondance des faits intéressants qui surviennent entre ces deux points que se compose la biographie.

Les autobiographies et les biographies se révèlent de plus en plus utiles à mesure que se multiplient les complications de l’existence. La façon dont les hommes et les femmes affrontent hardiment les difficultés et parviennent, soit à vaincre glorieusement, soit à capituler courageusement, constitue une lecture enrichissante pour les hommes d’État comme pour les membres des professions libérales et les hommes d’affaires.

Certains diront peut-être que les préoccupations pratiques de l’individu et les cadres de la société se sont si radicalement transformés qu’il est inutile de lire l’histoire d’un personnage écrite ne serait-ce que vingt ans avant nous. Pourtant les valeurs, les principes et les usages qui faisaient autrefois le prix de la vie n’ont pas vraiment changé. Il suffit d’analyser l’histoire d’une vie quelconque pour constater qu’elle est faite d’ambition, d’étude, de travail, de rapports avec les autres et de la conscience de la bonté et de l’iniquité des actions humaines.

Les livres qui racontent la vie des hommes sont les plus précieux de nos bibliothèques. Un intellectuel réputé avait divisé sa vaste collection de volumes en deux parties : les biographies et les autres. Il affirmait n’avoir jamais lu une biographie sans y avoir appris quelque chose.

La culture personnelle

Il ne faut pas concevoir la lecture d’une biographie comme un moyen sûr de réussite personnelle, mais le lecteur attentif apprendra beaucoup de choses sur la manière d’accomplir une tâche, de se faire des amis, d’aller de l’avant. Comme le dit Emerson : « Il y a en tout homme quelque chose où je puis en apprendre de lui, et à ce point de vue je suis son élève. »

Une biographie montre la valeur de l’effort personnel, de la persévérance, du travail constant et de la probité. En parcourant la vie d’un personnage, le lecteur voit comment les problèmes surgissent, s’accentuent, se transforment en crises et en conflits, et par quelle action on y remédie.

Il arrive qu’un jeune homme se découvre, avec ses qualités et ses possibilités, dans une biographie, tout comme le Corrège sentit en lui l’émoi du génie en contemplant les oeuvres de Michel-Ange.

Ce genre d’étude diffère sensiblement de la recherche de règles de comportement ou de recettes de succès dans un manuel. L’exemple est un des maîtres les plus efficaces, et c’est précisément dans les biographies que l’on trouve des exemples de la façon de s’y prendre pour faire accepter des idées dans les affaires ou la politique, et pour vivre de manière à mériter qu’on se souvienne de nous. En y apprenant les causes des succès et des échecs des hommes, on peut éviter ceux-ci et imiter ceux-là. Même si votre réussite n’est pas en tout point comparable à la leur, elle en sera au moins un reflet.

Mais une personne ambitieuse ne saurait se borner à lire des biographies. Il importe aussi de s’adonner à l’action. Une biographie bien écrite ne représente pas son personnage nonchalamment assis à regarder la vie s’écouler. Theodore Roosevelt, qui prêchait « la vie intense », ne permettait pas aux photographes de le prendre les mains dans les poches : il manifestait sa vitalité en gesticulant devant eux avec l’ardeur d’un boxeur professionnel.

Même pour les personnes qui ne s’attendent pas à tirer des trucs utilitaires de l’expérience des autres, la biographie demeure une étude exaltante. En lisant l’histoire d’une vie, nous apprenons que son personnage n’est pas né spécialiste, technicien ni astronaute. Il n’était qu’un être humain à sa naissance et il s’est employé par son travail à devenir ce qui l’a rendu célèbre.

Ceux qui ont atteint l’apogée du succès dans une carrière ont connu le découragement et des moments difficiles, mais ils ont appris qu’il y a peu de choses que l’on ne puisse faire si l’on est fermement résolu à les accomplir. Dans les situations désespérées, ils ont su cacher leurs doutes et faire montre de confiance et de sérénité. Ils ont toujours refusé de considérer une tentative comme la dernière.

Toute biographie d’une vie réussie confirme que le voeu universel « obtenir sans payer » ne résiste pas à l’examen. Tout se gagne, et il faut y mettre le prix.

La lecture des biographies dissipe aussi l’idée qu’il n’y a plus de travail créateur à accomplir, mais seulement à imiter, commenter et critiquer. Tout récit biographique révèle quelque chose qui a paru inédit au personnage, quelque chose de neuf. Il serait ridicule pour un peintre d’aujourd’hui de dire « Tout ce qui me reste à faire est de reproduire les nymphes et les madones des anciens maîtres. »

Enseignements pratiques

Les biographies des hommes et des femmes de toute profession nous font voir comment certaines personnes ont réussi à faire adopter des marchandises ou des idées, à gagner des partisans à leurs projets et à nouer des amitiés. Certains lecteurs y trouveront des principes sur l’art de vendre tels que : la discussion n’est pas un moyen de persuasion ; il importe de rechercher quels sont les besoins des gens ; ce n’est pas en faisant parade de son importance personnelle, mais en amenant les autres à prendre conscience de leur importance que l’on transforme des adversaires en partisans.

Benjamin Franklin était un « négociateur » accompli. Cherchant à conquérir l’amitié d’un homme qui l’avait attaqué dans un discours, il lui adressa un mot où il exprimait le désir de lire un livre rare que cet homme se vantait de posséder. Celui-ci lui envoya le livre ; Franklin lui écrivit pour le remercier ; ils devinrent amis pour la vie.

Le célèbre explorateur français, Cavelier de La Salle, se concilia la bienveillance des Indiens hostiles en leur parlant dans leur langue et en utilisant leur style oratoire. Emil Ludwig a dit de Napoléon à propos de la campagne d’Italie : « La moitié de ce qu’il accomplit est dû à la puissance des mots. » Tantôt il parlait à ses soldats affamés et en guenilles de la bonne chère et des logements confortables qui les attendaient au-delà des montagnes, tantôt il évoquait devant eux leur rentrée en héros dans leur village natal.

Ces quelques exemples tirés de biographies montrent toute l’attention qu’accordent les chefs aux besoins et aux désirs de ceux qu’ils souhaitent influencer.

Les gens ambitieux n’ont pas honte de puiser l’inspiration, des idées et des méthodes dans l’expérience, les pensées et le travail des autres. Thoreau était mort depuis un demi-siècle lorsque Gandhi mit en application, en Inde et en Afrique du Sud, sa doctrine de la désobéissance civile. Shakespeare a tiré la matière de ses pièces de nombreuses biographies. C’est une traduction des Vies de Plutarque qui lui ouvrit les portes de la riche galerie des Grecs et des Romains et lui inspira Jules César, Songe d’une nuit d’été et Timon d’Athènes.

Les règles de l’art

La biographie révèle des problèmes vieux comme la vie même et nous indique de quelle façon on les a résolus : problèmes amoureux et passionnels ; problèmes d’ambition et de désir de richesse et de prestige ; problèmes de tentation et de péché. Certaines biographies sont écrites par des écrivains de métier ; d’autres par des admirateurs désireux de perpétuer la mémoire et la doctrine d’une personne qui s’est dévouée pour la société ; les Pensées de Marc-Aurèle sont l’oeuvre d’un roi.

La plupart des personnages de marque détestent les encenseurs, les gens qui répètent sans cesse : « N’est-il pas formidable ? » Une biographie sérieuse et réfléchie soulignant la personnalité du sujet est bien autre chose, comme un homme politique maquillé pour un discours électoral télévisé a une mine différente de celle qu’il affiche lorsqu’il défend sa position à l’égard d’un important projet de loi à l’assemblée législative.

Les thèmes à utiliser pour composer le panégyrique d’une personne sont énoncés dans les guides classiques sur l’art de parler et d’écrire, à commencer par la Rhétorique d’Aristote. Les règles en sont exposées dans une introduction de Hoyt Hopewell Hudson à l’Éloge de la folie d’Érasme. L’orateur ou l’écrivain devra d’abord parler des ancêtres et de la famille du personnage et en dégager quelque chose de remarquable ; peut-être sa ville ou son pays natal portera-t-elle témoignage de sa valeur ; son éducation et ses études seront analysées dans le même but. On passera ensuite à ses succès, ses vertus, ses distinctions honorifiques. Si un homme descend des rois ou des nobles, il participera naturellement de leurs nobles et royales qualités ; s’il est d’humble extraction, ses vertus seront d’autant plus grandes qu’il s’est élevé au-dessus de l’ordinaire sans être de haute naissance. Que de biographies ne trouve-t-on pas qui correspondent rigoureusement à cette formule ?

Infiniment supérieur à ces oeuvres stéréotypées est le récit qu’a inspiré à John Gunther le courageux combat pour la vie livré par son fils atteint d’une maladie incurable, à l’âge de seize ans. C’est un livre d’une poignante sincérité, intitulé Death Be Not Proud.

Mais comment juge-t-on d’une biographie ? Il est vrai que l’histoire de la vie d’un homme porte avant tout sur des faits fondamentaux : naissance et mort, amour et jalousie, conflit, expérience sociale, triomphe et défaite. Il ne suffit pas simplement de noter ces choses. Un bon biographe sait faire ressortir l’importance de l’incident déterminant, mettre l’accent sur le tournant décisif, humaniser la pensée abstraite. La biographie doit faire revivre son personnage central de façon à donner au lecteur l’impression d’une réalité intégrale indiquant comment le sujet s’est acquitté de ses devoirs envers lui-même, envers sa famille, envers ses concitoyens et envers l’humanité.

Choix de biographies

Tout choix dans ce domaine ne peut avoir qu’une valeur purement indicative. Les quelques titres cités ici ne représentent qu’une infime partie des ouvrages existants et n’ont pour but que de guider les premiers pas de l’amateur éventuel de ce genre littéraire.

Plutarque est considéré comme le premier biographe remarquable dans l’histoire du monde. Il a mis en parallèle quarante-six vies, groupées par paires, d’hommes illustres, grecs et romains, en se fondant sur la similitude de leur oeuvre ou de leur condition. L’excellent principe adopté par cet auteur a consisté à résumer les phases les plus notables de leur histoire plutôt qu’à insister sur chacune des circonstances particulières de leur existence.

La reine Victoria a laissé, dans ses lettres et ses journaux, l’un des plus étonnants documents autobiographiques qui existent. Elle y témoigne d’une franchise totale et parfois déconcertante. Une de ses meilleures biographies est due à la plume d’Elizabeth Longford.

On trouve chez les femmes des biographes d’une grande pénétration. C’est sa compréhension sympathique de Charlotte Brontë qui permit à Elizabeth Gaskell de peindre un portrait obsédant et profondément humain de cet écrivain. Lady Dufferin, épouse de Lord Dufferin, gouverneur général du Canada de 1872 à 1878, est l’auteur d’une charmante autobiographie présentée sous forme de lettres à sa mère. Elle y relate avec sagacité, humour et sincérité les incidents de la vie privée et publique des Dufferin au Canada.

Chez les hommes, et à une époque plus récente, citons le Journal de Julien Green, très utile pour bien comprendre la portée de ses romans et, dans la Collection Écrivains de toujours, des éditions du Seuil, toute une pléiade littéraire : Camus par lui-même, Malraux par lui-même, Cocteau par lui-même, Mauriac par lui-même, etc.

Le biographe

La marque d’un bon biographe n’est pas la passion, mais le sens commun. Il doit éliminer l’inutile et rechercher ce qui est piquant, neuf et intéressant. Il importe qu’il ait une profonde connaissance de la nature humaine, de vastes affinités et une position impersonnelle.

À tout biographe se pose le problème complexe de l’honnêteté. Une chose peut être vraie sans qu’il convienne nécessairement de la divulguer.

La tentation est parfois forte de peindre les vertus du sujet en riches couleurs et de badigeonner ses défauts. Aristote nous enseigne comment le faire avec discrétion : pour ce qui est de l’éloge ou de la critique, l’auteur peut assimiler les qualités réelles du personnage à des qualités qui en sont voisines. Ainsi, un homme prudent sera représenté comme froid et artificieux ; un nigaud comme une personne d’un bon naturel ; un homme dur comme un flegmatique. On dira du téméraire qu’il est courageux et du prodigue qu’il est généreux.

Voici deux exemples d’écrivains qui ont visé à l’honnêteté. À ceux qui le pressaient de taire certaines démonstrations de l’arrogance répréhensible de Johnson, Boswell répondit qu’il refusait de changer son tigre en chat pour plaire à qui que ce soit. Jean-Jacques Rousseau a raconté sa vie en disant : « Dans ce livre, je n’ai rien tu de mauvais, rien ajouté de bon. »

Il est nécessaire de relater certains menus événements parce qu’ils ont entraîné ou influencé des faits dignes d’attention, ou qu’ils montrent comment se révèlent les traits de caractère. Mais les petites choses doivent avoir de l’à-propos. C’est pour un biographe un défaut condamnable que de sacrifier l’essentiel aux banalités. L’important chez Churchill, ce n’est pas qu’il fumait des cigares et qu’il aimait dicter ses notes couché, mais que c’est sa voix qui a rallié le monde libre pour vaincre le nazisme, le fascisme et leurs cruels instigateurs.

L’aspirant biographe lira avec intérêt et profit le chapitre que consacre H. M. Paull à la biographie et aux mémoires dans son livre intitulé Literary Ethics (Thornton Butterworth Ltd., Londres, 1928).

La réunion des matériaux

La somme de travail que comporte la préparation d’une biographie saute aux yeux si l’on songe à la quantité de documents qu’il faut compulser. En tentant de rassembler les lettres typiques de la reine Victoria, Arthur Benson et le vicomte Esher découvrirent plus de 500 volumes portant uniquement sur les 42 premières années de sa vie. André Maurois nous dit que 500 ouvrages ont été écrits et publiés sur Victor Hugo, et pourtant la partie inédite de ses écrits dépasse de beaucoup celle qui a été livrée au public jusqu’ici. Sir Arthur Conan Doyle a laissé des salles remplies de papiers et de carnets personnels, y compris 1500 lettres à sa mère.

Celui qui fait ses recherches à la hâte, se contentant de ne feuilleter qu’une partie de la documentation, manque d’honnêteté. Son histoire sera incomplète et partant injuste.

« Il est facile, dit Paull, de pardonner à l’auteur qui, dans son enthousiasme, loue à l’excès l’objet de son admiration, mais il l’est beaucoup moins d’excuser ceux qui se font un plaisir de chercher le scandale dans la vie des célébrités. » Il faut parfois les soixante-dix ans de sa vie à quelqu’un pour réaliser sa plus belle oeuvre, mais il suffit d’une mince brochure à un biographe pour la réduire en poussière.

Socrate adressait cette exhortation à ses disciples : « Ne vous occupez pas de savoir si les professeurs de philosophie sont bons ou mauvais ; ne pensez qu’à la Philosophie elle-même. » À une époque plus rapprochée de la nôtre, lord Peter Wimsey, le détective créé par Dorothy Sayers, dit d’un homme choisi pour piloter une partie de cricket : « Pourvu qu’il puisse être capitaine, je me moque qu’il ait autant de femmes que Salomon et qu’il soit un faussaire ou un chevalier d’industrie. »

L’histoire rapporte de nombreux exemples d’hommes et de femmes partisans de l’amoralisme qui ont pourtant bien servi l’humanité dans les affaires, la politique, les arts et la guerre. On admire l’oeuvre d’une personne comme on applaudit une belle pièce au théâtre sans se précipiter derrière la scène pour examiner l’échafaudage qui soutenait les décors.

Écrire l’histoire de sa vie

Benvenuto Cellini nous dit dans sa biographie qu’il incombe aux hommes de bien intelligents de toutes les classes, qui ont accompli quelque chose de noble et de méritoire, de noter les événements de leur vie.

L’histoire personnelle d’un homme ou d’une femme révélera certains faits décisifs qui ont échappé à l’attention de ses collègues ou une illumination qui lui a ouvert de nouveaux aperçus.

Une autobiographie pourrait s’intituler « Ma vie… et ce que j’en ai fait », mais l’auteur se rappellera qu’il doit paraître à la barre à la fin de chaque chapitre et se soumettre à un examen critique. Peut-être pensera-t-il que sa glace, où il se regarde souvent, lui renvoie une image fidèle à la réalité, mais les autres ne le voient pas nécessairement du même oeil.

L’autobiographie est d’abord profitable à son auteur. C’est un inventaire qui lui montre où il en est et quels changements il devrait faire dans la voie qu’il a choisie. C’est aussi un excellent exercice de composition et de rédaction.

Il n’est pas nécessaire d’attendre la fin de sa vie pour en écrire l’histoire. Le professeur William Carleton Gibson, de l’Université de la Colombie-Britannique, a publié un livre où il raconte de manière intéressante les découvertes qu’ont faites plus de soixante étudiants en médecine avant d’obtenir leurs diplômes.

De quelques autobiographies

Tout ouvrage biographique, qu’il porte sur la vie même de l’auteur ou celle d’un autre personnage, tend à donner au lecteur une plus grande confiance en lui-même en montrant ce que peuvent être les gens et ce qu’ils peuvent faire.

Certains, comme John Bunyan, ont consigné avec simplicité le conflit des émotions qui ont tourmenté leur âme. Chateaubriand, l’une des plus éminentes figures de l’histoire littéraire de la France, nous présente un compte rendu de sa vie dans Mémoires d’outre-tombe. Dans Ma vie et mes pensées, le docteur Albert Schweitzer choisit ici et là des bribes de pensée et de vie pour illustrer le pourquoi de ce qui s’est passé.

La plus remarquable autobiographie de la littérature américaine est celle de Benjamin Franklin. Il avait été doué par la nature d’une universalité de génie sans exemple dans l’histoire, à l’exception peut-être de Léonard de Vinci.

James M. Barrie, dont la féerie dramatique Peter Pan a acquis une popularité universelle, raconte dans l’allocution qu’il prononçait en 1922 à titre de recteur de l’Université de St. Andrews, une anecdote qui constitue l’un des plus beaux exemples de courage autobiographique. Il s’agit d’une lettre du célèbre explorateur de l’Antarctique, le capitaine Scott, à sir James Barrie, écrite dans la tente même où les cadavres de Scott et de ses braves compagnons furent trouvés longtemps après. Cette lettre commence ainsi : « Nous vivons nos derniers moments dans un lieu fort peu confortable… Nous sommes dans un état désespéré : pieds gelés, etc., privés de combustible et éloignés de tout moyen de subsistance, mais cela vous réjouirait le coeur d’être sous notre tente, d’écouter nos chants et nos joyeuses conversations… La fin est très proche… Nous avions bien l’intention de nous donner le coup de grâce si les choses en venaient là, mais nous avons décidé de mourir de façon naturelle… »

La renommée n’est pas tout

On a dit de la biographie qu’elle était la littérature de la supériorité, mais un être humain peut être supérieur même si sa vie est modeste. De fait, certains estiment que c’est en étudiant la vie des petits personnages qui la composent que l’on en apprend le plus sur l’état de la société.

Quelques-unes des autobiographies les plus captivantes sont l’oeuvre de personnes qui, sans pouvoir être qualifiées de grandes au sens absolu du terme, ont quelque chose à dire et le disent de manière intéressante. Est-il, d’autre part, plus bel héritage qu’un homme ou une femme puisse laisser à ses enfants que l’histoire toute simple de leur vie, de leurs victoires sur l’adversité, de la façon dont ils se sont ressaisis après un échec, dont ils ont progressé petit à petit dans la voie de la compréhension, dans un effort soutenu de perfectionnement, et de la joie qu’ils ont éprouvée à atteindre de nouveaux sommets.

Celui qui lit des biographies ne connaîtra pas la déconfiture intellectuelle. Lire et s’instruire par ses lectures, c’est déjà une marque d’intelligence.

Il faut puiser tout ce que nous pouvons dans l’histoire et la biographie, afin de profiter de la sagesse accumulée au cours des siècles. Nous n’avons pas à commencer notre vie au ras du sol, mais en prenant appui sur les épaules de ceux dont nous lisons l’histoire.

Les biographies sont une source, non seulement d’instruction et d’inspiration, mais aussi de satisfaction et de paix pour l’esprit. C’est ce que souligne le célèbre homme d’État et philosophe politique italien, Machiavel, dans une lettre à un ami :

Le soir tombé, dit-il, je retourne au logis. Je pénètre dans mon cabinet et, dès le seuil, je me dépouille de la défroque de tous les jours, couverte de fange et de boue, pour revêtir des habits de cour royale et pontificale ; ainsi honorablement accoutré, j’entre dans les cours antiques des hommes de l’Antiquité. Là, accueilli avec affabilité par eux, je me repais de l’aliment qui par excellence est le mien et pour lequel je suis né. Là, nulle honte à parler avec eux, à les interroger sur les mobiles de leurs actions, et eux, en vertu de leur humanité, ils me répondent. Et, durant quatre heures de temps, je ne sens pas le moindre ennui, j’oublie tous mes tourments, le cesse de redouter la pauvreté, la mort même ne m’effraie pas.