Dans le petit livre qu’il consacre à Socrate, Jean Brun formule cette réflexion : « Il semble bien que le procès de Socrate ne soit pas seulement un événement historique en marge de toute répétition possible ; le procès de Socrate c’est le procès fait à la pensée qui recherche, en dehors de la médiocrité quotidienne, les problèmes véritables. »
Ce procès, engagé il y a plus de 2300 ans, intéresse aujourd’hui toute l’humanité. La cause sur laquelle les juges de la colline d’Athènes devaient se prononcer était celle de la recherche de la vérité en marche contre l’orthodoxie en stagnation ; de la croyance en un Dieu suprême contre la vénération d’une multitude de divinités locales ou de caste ; de la tolérance contre l’intolérance.
Ces points de contestation n’ont pas été résolus. L’état actuel du monde se caractérise par l’incertitude intellectuelle, la désorganisation sociale et le chaos international. Au lieu de s’unir dans une étude réfléchie et une action constructive, les peuples et les hommes semblent se complaire dans l’obstination, l’isolement et la discorde.
Qui est et que fut donc ce Socrate, qui créa les traditions intellectuelles et morales dont les lumineuses clartés devaient se projeter sur tous les siècles postérieurs et si largement contribuer à l’essor de la civilisation ?
S’il est reconnu à juste titre comme le plus célèbre des philosophes grecs, il n’est pas pour autant un idéologue. Soldat intrépide, il prend part à trois campagnes militaires et sauve par son courage au combat deux de ses amis d’une mort certaine. Lorsque vient son tour d’exercer des fonctions politiques, il sait résister avec fermeté à la clameur publique, et, sous le règne des Trente Tyrans, il risque sa vie en refusant de s’associer au plan qu’ils ont ourdi pour liquider leurs adversaires politiques.
Socrate consacre sa vie à l’enseignement oral, conversant avec tous et chacun, recherchant la vérité et s’employant à démasquer l’orgueil et l’erreur.
Aucun texte écrit de sa main ne nous est parvenu. S’il a été sculpteur dans sa jeunesse, nous ne connaissons aucune de ses oeuvres. Il méprise le faux savoir et cherche à amener ses interlocuteurs à découvrir dans leur esprit des lumières et des solutions. Il n’a laissé aucun répertoire définitif des principes à observer dans la vie, mais il a fait naître le désir de les rechercher.
Socrate est condamné à mort par une société en décadence, dont les dirigeants ne peuvent tolérer l’examen au grand jour de leurs croyances et de leurs façons d’agir. On l’accuse de corrompre la jeunesse athénienne, d’introduire des divinités nouvelles dans la religion grecque et de ridiculiser les nombreux dieux qu’honoraient les Athéniens. Ce dernier reproche découlait de la croyance de Socrate en un Dieu suprême, auteur et ordonnateur de l’univers, car lorsque Socrate parlait de ce Dieu unique, ses propos faisaient figure de religion nouvelle aux yeux des autorités d’Athènes.
Trois citoyens jaloux et envieux, représentant les poètes, les artisans et les rhéteurs, portèrent de fausses accusations contre Socrate et le firent juger par le tribunal des Cinq Cents. Il fut condamné à une faible majorité : « Si trente voix seulement, a-t-il dit, avaient été différentes, j’aurais été acquitté. » Et c’est ainsi qu’il but la ciguë et qu’il mourut.
La tolérance des idées
L’histoire de Socrate n’est pas tant un plaidoyer en faveur de la liberté de parole qu’une leçon sur la nécessité de la tolérance des idées. C’est le fanatisme, adhésion aveugle et obstinée à certaines opinions, même en présence de témoignages contradictoires valables, qui provoqua sa citation en justice.
L’inclination primitive à faire du mal à ceux dont nous ne partageons pas les vues ou les croyances n’est pas encore morte. Socrate fut le seul citoyen d’Athènes à subir la mort à cause de ses opinions, même si certains autres furent condamnés à l’exil pour cette raison. Par contre, combien d’hommes et de femmes n’ont-ils pas été torturés et exterminés dans le monde, à cause de leurs idées, au cours des derniers siècles !
Certaines personnes, même en notre siècle évolué, circulent sur la route de la vie avec un pare-brise si obscurci par les préjugés et le fanatisme que leur conduite devient vraiment dangereuse, dangereuse pour les autres comme pour elles-mêmes. Sans compter qu’elles ne voient pas grand-chose des beautés de l’existence.
Le préjugé est une opinion ou un jugement formé d’avance ou sans examen suffisant. Les esprits cultivés d’une réelle intelligence décèlent ce danger et s’efforcent de l’éviter. « Ce que nous entendons en réalité par l’esprit sans préjugés de l’homme de science, dit Hans Selye dans Du rêve à la découverte, c’est un esprit qui est maître de ses nombreux préjugés, qui est toujours disposé à les réexaminer devant des preuves contraires. »
Les préjugés, que l’on a appelés les murs infranchissables de l’étroitesse d’esprit, ne résistent pas à une honnête appréciation des faits. Si une opinion est juste, elle supportera l’épreuve de l’examen ; si elle est fausse, plus vite nous nous en débarrasserons, mieux ce sera.
Certains préjugés sont dus à la peur. La peur d’être incompétent, d’échouer, de ne pas atteindre le sommet de la pyramide hiérarchique : ce sentiment conduit certaines personnes à se tenir éternellement à l’affût des occasions de critiquer ou d’envier les autres. Et celui qui a peur prend facilement des vessies pour des lanternes.
Les préjugés fondés sur la peur restreignent notre liberté. « Je n’ai pas cru bon, dit Socrate à ses juges, de me laisser conduire par la crainte, ce qui ne sied pas à un homme libre. » Il est plus pénible et incommode d’être toujours revêtu de la douloureuse armure de la défiance que de courir le risque d’endurer de temps en temps un mal passager. Tout ce qui a contribué à faire la grandeur de l’homme a sa source dans son effort pour atteindre ce qu’il juge valable et non pas dans sa lutte contre ce qui semble lui faire peur.
Le fanatisme et la prévention ne se limitent pas à enlaidir la vie de celui qui s’y laisse aller. Les gens ont un ardent désir d’imprimer leur personnalité aux autres. Le désordre qui règne aujourd’hui chez les individus et les collectivités, chez les nations et entre les nations, est imputable en grande partie à notre conviction que ce qui est bon pour nous devrait être imposé à tous les autres.
La rançon la plus onéreuse que nous impose la possession d’un bien que nous considérons comme très précieux – la liberté de parole – est d’écouter comment certaines personnes font usage de cette liberté. Nous avons les oreilles abasourdies par des ignorants qui ne veulent rien apprendre, par des ingrats qui exigent d’être nourris et qui mordent ensuite la main qui les nourrit et par des fanatiques aux idées fixes.
Le bien et le mal
Le « bien » et le « mal » ne sont pas des étiquettes que l’on appose une fois pour toutes sur certaines choses et certains actes. Il se peut que ce qui est bon dans un ensemble de circonstances soit mauvais dans un autre. Presque toutes les situations qui se présentent à nous sont ambivalentes tant dans les causes qui les ont suscitées que dans les valeurs qu’elles comportent. L’habitude de critiquer est malsaine pour celui qui critique. Il finit par acquérir un tel flair qu’il saura découvrir entre mille qualités un défaut solitaire et le tourner en dérision. Il cherche constamment la petite bête. Un censeur de ce genre ayant fait observer à Churchill que le mur qu’il construisait était de travers, celui-ci répliqua vertement : « N’importe quel idiot voit ce qui est mal. Mais vois-tu ce qui est bien ? »
Il n’y a pas de signe plus sûr de la grandeur d’âme que le fait de pouvoir tolérer des observations vexantes en les mettant au compte du manque de renseignements de celui qui parle et, partant, de se contenter de les entendre sans les ressentir.
Il est des gens qui croient vraiment que leur compétence dans un art, une science ou une technique les autorise à porter des jugements sur des questions tout à fait différentes. On cite encore de nos jours la risposte cinglante du célèbre peintre grec Apelle à l’un de ces je sais tout. Un cordonnier, après avoir critiqué une sandale dans un de ses tableaux, voulut ensuite juger du reste, mais l’artiste l’arrêta en lui disant : « Cordonnier, pas plus haut que la chaussure. »
Ce qu’est la tolérance
La tolérance est l’effort sincère et positif que l’on fait pour comprendre les opinions, les coutumes et les habitudes des autres sans nécessairement les accepter, ainsi que l’indulgence que l’on montre à l’égard des erreurs de pensée et d’action.
La tolérance comporte le libre échange des idées. Elle respecte résolument les tenants du pour et du contre de toutes les grandes questions, insistant sur le droit des uns et des autres à se faire entendre, jusqu’à ce qu’il y ait assez de preuves objectives pour motiver un jugement rationnel.
La tolérance tient compte des différences d’éducation, d’instruction et de connaissances entre les gens. Elle suppose de la largeur de vues et une grande indulgence pour les opinions des autres.
Les personnes tolérantes savent que, suivant l’étalon actuel des moeurs, il n’y a guère de vice ni de crime qui n’ait, à une époque ou à une autre et dans certaines circonstances, été considéré comme un devoir moral et religieux et que, parmi les vertus que nous pratiquons aujourd’hui, il n’en est guère non plus qui n’aient été considérées comme une faute dans certaines civilisations.
Nous avons appris par expérience, dans notre pays, à faire bon accueil aux découvertes que l’on nous révèle dans les sciences de la nature. Dans l’ancienne Grèce, un philosophe aux idées avancées fut condamné à l’exil pour avoir enseigné que le soleil était une boule de feu d’une superficie aussi grande peut-être que celle de la Grèce entière ; et la plus remarquable découverte jamais faite par l’homme, la loi de l’attraction, fit l’objet de violentes attaques, au XVIIe siècle, sous prétexte qu’elle ébranlait la religion naturelle.
Mais la tolérance qui s’impose de nos jours ne consiste pas uniquement à écouter avec indulgence les opinions des autres et à être reconnaissant envers ceux qui signalent des découvertes. Il ne suffit pas d’affirmer béatement que tout homme a droit à son opinion ; nous devons en plus la respecter, car, pour celui qui l’adopte, cette opinion est d’une grande importance.
Cet élargissement de la tolérance exige de la grandeur d’âme. Raphaël a bien exprimé cet état d’esprit en disant qu’il peignait les hommes et les femmes, non pas comme ils sont, mais comme ils devraient être. Allant un peu plus loin encore, Goethe a écrit : « En traitant les gens comme s’ils étaient ce qu’ils devraient être vous les aiderez à devenir ce qu’ils peuvent être. »
Le droit et la justice
C’est parce que la nature humaine n’a guère changé que les dix commandements, édictés pour pourvoir aux besoins d’un peuple en voie de passer, après sa sortie d’Égypte, de la culture nomade à l’état de royaume agricole, ont encore un sens à notre époque de gratte-ciel et de voyages interplanétaires.
Certains affirment avec hauteur et d’un ton magistral que tant que les hommes et les femmes vivront conformément à la loi, la tolérance demeurera inutile, mais la tolérance est plus que la simple légalité.
Il est naturel à l’homme vraiment cultivé d’éprouver un profond respect pour les formes juridiques qui rendent possibles les contacts humains. Mais l’esprit cultivé reconnaît en outre qu’il importe d’observer un grand nombre de lois non écrites, dont certaines ne peuvent être imposées que par la conscience. Il sait que la recherche de la justice est une recherche des lois et des valeurs morales qui se situent au-dessus des hommes et de leurs sociétés légalistes, et que la tolérance se fonde sur la justice. « La justice, écrit Thomas d’Aquin, est la volonté constante et perpétuelle de rendre à chacun son droit. »
Quiconque prétend à la culture devrait se réjouir du fait que la clémence et la recherche de la vérité font partie de la justice, ne serait-ce que parce que celui qui punit l’ignorance de son semblable pourrait à bon droit être puni lui-même par ceux qui en savent plus que lui.
Le rôle de l’intelligence
L’ignorance n’a aucune utilité sociale. Seule l’intelligence peut permettre à nos jeunes gens de participer à l’édification de leur destin, et l’intelligence consiste à savoir et à aimer ce que la raison présente comme juste et vrai.
Il est tout aussi impossible de découvrir la vérité en s’évadant de la réalité que de vouloir, comme un certain bêta, échapper aux morsures des insectes en éteignant la lumière pour les empêcher de nous voir.
Nous vivons dans un monde changeant, dont notre connaissance demeure incomplète, et nous constatons que la clef de la civilisation n’est pas la technique, mais la sagesse. L’une des preuves les plus sûres qu’un homme est civilisé, c’est son désir de savoir et de comprendre. S’il doit être intolérant à un point de vue quelconque, il semble préférable, à tout prendre, qu’il sache exactement à l’égard de quoi il sera intolérant. En répondant : « Je ne sais pas », il fait preuve de probité intellectuelle. Socrate ne prétendait par posséder la sagesse, mais seulement la rechercher.
Le réquisitoire contre l’intolérance ne s’appuie pas sur des raisons morales. Il repose solidement sur la simple considération qu’il est humainement impossible de connaître tous les faits.
Il est donc sage de laisser certaines questions en suspens. Affirmer qu’une chose est impossible c’est dire, avec une présomption bien téméraire, que nous connaissons les limites de la possibilité. Condamner une action en la qualifiant de péché c’est prétendre indûment posséder la faculté de jugement parfait, ce qui n’appartient pas à notre nature humaine.
C’est à nos idées erronées des choses, et non à l’invasion des idées nouvelles, qu’il convient d’imputer en grande partie les problèmes de notre temps. Le droit de penser par nous-même exige que nous nous efforcions de comprendre les choses et leur fonctionnement plutôt que de tenter de les classer comme « bonnes » ou « mauvaises » d’après un répertoire courant des valeurs.
C’est dire qu’il importe de remplacer les idées arrêtées par le désir de la recherche et de l’interrogation. « Si Ménélas s’était avisé de penser qu’il eût mieux valu pour lui être délivré d’une épouse comme Hélène, a dit un philosophe, la guerre de Troie n’aurait pas eu lieu. »
L’incompréhension est trop souvent l’effet du hasard pour que nous ne veillons pas à l’éviter chaque fois que c’est possible. Dans La Mort d’Arthur, sir Thomas Malory rapporte un incident assez révélateur. Un serpent ayant foncé sur un chevalier, celui-ci tira son épée pour le tuer. L’épée dégainée alarma les armées, rompit les pourparlers de paix entre le roi Arthur et sir Mordred et déclencha un combat où les deux chefs perdirent la vie.
Une cour d’appel intérieure
La recherche de la bonne façon de penser nous ramène à l’enseignement de Socrate. Jamais ce philosophe ne songea à établir une institution pour rechercher la vérité, convaincu qu’il était que l’homme ne peut trouver la vérité qu’en lui-même. Chacun devrait avoir en son for intérieur une cour d’appel, où il lui serait loisible d’examiner et de contre-examiner ses jugements.
On ne peut connaître une vie heureuse sans réaliser un certain équilibre entre ses convictions personnelles et les circonstances extérieures, sans trouver un moyen terme entre l’idéal et le pratique, mais chacun doit savoir quel est son idéal. Cela l’aidera à apprécier d’autres valeurs et à éviter de devenir intolérant.
La tolérance est absolument essentielle à la civilisation qui est la nôtre. Force nous est de reconnaître, parce que nous en voyons partout des signes autour de nous, que, selon les paroles du philosophe chinois Lao-Tse, nos bonnes manières et nos beaux vêtements ne dissimulent qu’à peine nos coeurs encore barbares d’hommes incivilisés.
Encore une fois dans l’histoire, l’humanité se sent en humeur de modifier sa conception des choses. La contrainte de la tradition a perdu beaucoup de sa force, mais la civilisation est, pour ne pas dire plus, une chose fragile, et s’embarquer dans une aventure qui va à l’encontre d’un mode de vie fondé sur une expérience séculaire, c’est mettre en danger le peu de sécurité dont nous jouissons.
La solution ne se trouvera pas en réclamant la censure et le bâillonnement des opinions, mais en s’attaquant aux problèmes avec la volonté d’ennoblir et d’humaniser la vie. La création d’un ordre mondial vraiment civilisé sera la victoire de la persuasion sur la violence. Mais un tel effort exige une certaine somme de tolérance et de bonne volonté.
Quant à savoir ce qu’il faut rechercher, nous le découvrirons dans ce principe général, commun à toutes les grandes religions et les grandes philosophies : la vertu consiste dans la connaissance du bien, ce qui suppose l’effort nécessaire pour le mettre en pratique.
La recherche des solutions
Il se peut qu’il soit impossible de résoudre tous les problèmes qui assaillent les êtres humains obligés de vivre ensemble sur cette terre de plus en plus populeuse, et les explorations de ces derniers temps ont montré qu’il est peu probable que l’homme puisse émigrer vers une autre planète. Pourtant, nous pouvons viser à développer notre aptitude à vivre avec nos problèmes sans tomber pour autant dans la neurasthénie de ceux qui déclament contre les problèmes sans s’efforcer sincèrement de les résoudre.
Dans l’état actuel des choses, nous acceptons de collaborer avec beaucoup de personnes que nous n’aimons pas et avec lesquelles nous ne voudrions pas vivre en étroites relations. Mais nous établissons ainsi un modus vivendi, une manière de vivre, un accord ou un accommodement grâce auquel des personnes ou des groupes très différents ont la possibilité de vivre provisoirement en bons termes, pendant que l’on recherche une solution permanente.
Comme homme, Socrate mérite certes de grands éloges, mais on peut également le tenir responsable dans une large mesure de l’incompréhension qui régnait entre lui et ses contemporains. En insistant sur la valeur de la libre discussion, il contribuait à manifester sa supériorité d’esprit, étant donné surtout son agaçante habitude de démasquer publiquement l’ignorance de ses concitoyens. Il aurait pu dire, comme l’intolérant Napoléon : « Personne d’autre que moi n’est responsable de ma chute. J’ai été mon pire ennemi, la cause de mon désastreux destin. »
Dans une société où règne la tolérance, le sens de la mesure et l’art de faire des concessions s’imposent à tous. La mesure consiste à peser et à bien situer tous nos actes et nos paroles par rapport à ceux et celles des autres.
Si nous ne résistons pas aveuglément à une action qui semble nous être défavorable, si nous essayons de la voir sous le même jour que la partie adverse, peut-être trouverons-nous certaines possibilités de négociation. Comme le dit le jardinier réaliste dans Bob Roy de sir Walter Scott : « L’un cède un brin et l’autre cède un brin, et ils redeviennent bons amis. »
Pour les concessions, voici les règles à suivre : se demander si l’on peut céder sur un point sans compromettre l’essentiel ; sacrifier les détails afin de sauvegarder les principes ; obtenir ce que l’on veut – ce qui est souvent possible – en se plaçant au point de vue de l’interlocuteur.
La grandeur d’âme
On a dit que l’histoire roule sur de menus incidents, et il en va de même de la vie des gens. C’est dans les petites choses que se manifeste notre tolérance.
C’est une bonne règle de vie de ne pas parler de ses principes, mais de les mettre en action, d’avoir une attitude bienveillante, une humeur agréable et des vues larges et élevées. Pour éviter que l’on se montre intolérant envers vos idées et vos actes, faites en sorte que les gens aient raison d’avoir foi dans vos bonne intentions et votre largeur d’esprit.
Chaque fois que l’on monte d’un cran dans l’échelle de la vie professionnelle, publique ou privée, la nécessité de pratiquer la tolérance et la clémence se fait de plus en plus essentielle. Absorbés par leurs petites préoccupations personnelles, les petits esprits ne ressentent pas les obligations particulières de la noblesse.
Ceux qui font preuve d’intolérance retardent d’un millier d’années sur notre siècle, même s’ils se croient avant-gardistes. Les Athéniens se repentirent, mais trop tard, de la condamnation de Socrate. Ils punirent ses accusateurs et lui élevèrent une statue de bronze dans un des lieux les plus fréquentés de la cité. Mais ils demeurèrent tout aussi impuissants à éteindre le flambeau qu’il avait allumé qu’à réparer leur intolérance.
Nous ne pouvons pas considérer comme définitivement établie la civilisation à laquelle nous sommes parvenus, mais nous devons activement la protéger contre l’éruption toujours possible de la barbarie ou du chaos moral. Il est nécessaire que nous fassions un effort pour découvrir les idées essentielles qui donnent un sens et une structure à la masse discordante et confuse de détails où se débat le monde qui nous entoure. Et nous ne réussirons à le faire qu’en nous appliquant à percevoir et à comprendre les multiples faces que comporte tout projet de changement.
Nous devons pratiquer la tolérance dans notre vie privée comme dans notre vie publique, dans les petites comme dans les grandes choses, à cause du paradoxe apparent de ce fait que l’intolérance est la seule chose que nous ne pouvons tolérer si nous voulons conserver notre liberté.