La bureaucratie est devenue une nouvelle espèce de péché dans l’esprit de bien des gens, et pourtant les employés de bureau qui accomplissent consciencieusement leur travail se rangent parmi les hommes de bien. La bureaucratie est une façon de traiter les affaires, une méthode sans laquelle il nous serait impossible d’assurer l’exécution des tâches compliquées de notre temps.
Le mot s’est tellement avili dans la langue courante qu’il en est venu à susciter un sentiment de facétie antiadministrative. Il suffit d’introduire une pièce de monnaie dans la goulotte « bureaucratie » de l’appareil automatique de l’opinion publique et d’appuyer sur le bouton pour qu’il en jaillisse instantanément un rire moqueur accompagné d’une évocation du rond-de-cuir incompétent et tatillon dont nous parlent les romans du dix-neuvième siècle.
Il est d’autant plus difficile de se former une idée rationnelle qu’une partie des électeurs sont aussi épouvantés par ce terme que certains zélateurs qui voient du mal dans tout ce qui leur déplaît, alors que d’autres sont fascinés par le projet de transformer le monde entier en un immense bureau, dont l’individu serait exclu et où les ordinateurs veilleraient au bien-être des masses.
Comme dans le cas de tant d’autres choses de la vie, il y a beaucoup à dire pour et contre la bureaucratie. Mais ce qu’il y a de bon dans le système ne doit pas être déprécié à cause des erreurs de ceux qui l’appliquent, et les attaques inconsidérées contre les employés des services publics, les travailleurs industriels et les personnes qui exercent des activités sociales, culturelles et d’intérêt commun sont un luxe qu’aucune démocratie ne peut se payer.
Ceux qui parlent et écrivent contre la bureaucratie critiquent en réalité notre régime de gouvernement et d’économie, et le bureaucrate n’est en somme que le bouc émissaire tout indiqué.
En quoi consiste la bureaucratie ?
Si nous tentons de préciser le sens réel du mot « bureaucratie », nous constatons que, dans l’administration d’État, la bureaucratie consiste en un système centré sur un ensemble hiérarchisé de fonctionnaires chargés d’appliquer les lois et les règlements que leur transmettent les représentants élus du peuple. Dans les affaires, la bureaucratie désigne l’organisation par services visant à favoriser une meilleure exécution des opérations.
Ni l’État ni l’entreprise privée ne sauraient subsister sans les employés de bureau. Ce sont eux qui réalisent dans la pratique les politiques des gouvernements et les programmes des hommes d’affaires.
Le fonctionnaire connaît à fond le labyrinthe des règles, des procédés et des formes que l’homme ordinaire n’a nullement besoin de connaître. Le rôle du fonctionnaire est de lui servir de guide dans ce dédale. Idéalement, il protège le citoyen contre l’arbitraire du despotisme.
Ce système n’est pas, comme certains le croient, le résultat d’un excès de démocratie. Nulle part la bureaucratie n’est aussi florissante que sous un régime autocratique, où les employés de bureau sont traités avec une condescendance méprisante par leurs supérieurs et ne trouvent une compensation qu’en empoisonnant la vie du public. Pendant que se déroulait, il y a trois mille ans, le célèbre siège de Troie, qui allait déterminer le cours de l’histoire et donner lieu à tant de légendes, des fonctionnaires griffonnaient sur leurs tablettes la cote de l’impôt et délivraient des ordres de paiement.
Aujourd’hui, les ministres de la Couronne assument collectivement la responsabilité politique des grandes lignes d’action du gouvernement et des actes administratifs de milliers de fonctionnaires dont ils ne connaissent parfois que vaguement l’existence. Les dirigeants sont exposés aux critiques du public et aux attaques de l’opposition, mais la bureaucratie est soustraite à ces commotions. C’est aux fonctionnaires qu’appartient la spécialisation, la connaissance approfondie des techniques qui permet de réaliser les objectifs du gouvernement.
On peut se faire une idée de toute la mesure dans laquelle les ministres comptent sur la fidèle exécution des tâches par les fonctionnaires en comparant leur situation avec celle de la haute direction dans les affaires. Nul conseil d’administration d’une industrie n’a à se présenter tous les après-midi devant un comité d’actionnaires et à subir un interrogatoire sur la façon dont il conduit l’entreprise. Aucun président de conseil d’administration ne met aussi complètement sa réputation entre les mains de son personnel que ne le fait le ministre du gouvernement, qui sait que, si son équipe de collaborateurs le trahit, il y a, dans la coulisse, le cabinet en puissance de l’opposition toujours prêt à s’emparer du pouvoir.
L’importance du travail qu’il accomplit peut amener l’employé de bureau à se faire une trop haute opinion de son rôle et l’encourager à favoriser son service au détriment du système dans son ensemble. Il peut même canaliser l’administration vers une série de méthodes immuables sans tenir compte du travail des autres services ou de l’oeuvre commune à laquelle tous contribuent. En agissant ainsi, il se classe dans une catégorie condamnable des serviteurs de l’État.
La bureaucratie dans les affaires
Toute entreprise commerciale de grande envergure possède sa bureaucratie, au bon sens du mot. C’est un élément essentiel des opérations quotidiennes. Il s’agit tout simplement de l’application des principes de la spécialisation et de la répartition de la main-d’oeuvre au travail administratif et de bureau.
Là où il y a une administration, il y a un bureau, et là où il y a un bureau, il y a une bureaucratie. On réunit les efforts d’individus aux connaissances et aux talents divers en vue de constituer une équipe efficace. La bonne organisation offre un moyen d’attribuer les pouvoirs, de répartir les charges, d’assurer la communication entre les spécialistes de diverses activités et d’établir une chaîne de responsabilité.
Dans le monde simple d’autrefois, les affaires, elles aussi, étaient simples. Il y avait un patron à qui tous étaient comptables, un patron qui était partout et qui s’occupait de tout. Dans les grandes entreprises, l’étendue, la complexité et la rapidité des opérations rendent cet ancien système de gestion impossible. Aucun homme ne peut à lui seul diriger efficacement, dans le détail, une douzaine ou une centaine de secteurs des activités d’une firme.
À mesure que l’entreprise prend de l’expansion, la direction se trouve dans la nécessité de déléguer une partie de plus en plus grande du pouvoir de décision aux subordonnés, qui, à leur tour, délèguent la responsabilité aux échelons inférieurs. Comme les ministres, les fonctionnaires supérieurs ne peuvent diriger, ni même connaître la totalité des activités qu’exercent les services et les divisions. Mais les chefs de service et les ministres veillent à déceler l’inertie bureaucratique, à réprimer la tendance de certains hommes à exagérer l’inviolabilité de leurs tâches propres et à mettre un terme à leurs attitudes arrogantes envers le personnel et le public.
Un danger à prévenir est celui de la surorganisation, état de choses qui a pour résultat d’étouffer l’initiative. Les dirigeants d’entreprise ne croient pas à l’organisation pour elle-même, mais pour ce qu’elle permet d’accomplir. Si la délégation de la responsabilité aux divers services se traduit par une fragmentation de l’entreprise, c’est peut-être parce que la communication et la coopération laissent à désirer.
La filière du commandement est importante. L’homme qui est à la tête de l’entreprise veut qu’une chose soit faite. Il la confie au directeur ou au chef compétent, c’est-à-dire à la personne la plus apte par son instruction, sa formation et son expérience à l’exécuter dans le détail. Chacun des intéressés doit pouvoir compter que son supérieur immédiat lui donnera des directives précises et que son inférieur immédiat accomplira convenablement le travail. Au sein de cette filière, chaque collaborateur, quel que soit son rang, doit être en étroite consultation avec celui qui le précède et celui qui le suit dans la hiérarchie.
Rien ne peut surpasser en importance la collaboration entre les chefs des services autonomes. Dans le gouvernement comme dans les affaires, l’efficacité et la courtoisie exigent qu’aucune décision intéressant un autre service ne soit prise sans l’approbation du chef du service en question. L’harmonie n’est pas une chose morte, comme un moteur arrêté. Elle suppose que les personnes et les choses se meuvent à l’unisson en vue de réaliser quelque chose. Une bureaucratie bien agencée doit sa cohérence à la communication. Les groupes qui travaillent dans l’isolement sont une source de gaspillage et d’inefficacité.
La critique de la bureaucratie
Les critiques irréfléchies sont l’un des risques professionnels les plus graves que doivent affronter ceux qui sont au service du public. Il ne faut pas incriminer un organisme tout entier parce que l’une de ses parties fonctionne mal.
De quoi accuse-t-on la bureaucratie ? D’être trop mécanique, de trop s’en tenir à la lettre du règlement, d’oublier que les gens sont des êtres humains, d’être inflexible et bravache. Ce ne sont pas là des reproches qui vont au coeur du système, mais des critiques sur la façon dont le système est appliqué par certaines personnes.
Il y a des bureaucrates qui revendiquent une autorité souveraine en toutes choses simplement parce que le gouvernement est souverain ou que la machine administrative dont ils font partie est très puissante. Peut-être ces gens essaient-ils de masquer leurs carences personnelles par leur arrogance. Les plus sûrs d’eux-mêmes, aussi dogmatiques que des horaires, ne souffrent aucune critique. Mais ce sont là des défauts personnels, qui ne sont pas inhérents au système.
Là où la bureaucratie se fait le plus de tort, c’est quand elle se replie sur elle-même, lorsqu’elle se fait à la fois conseiller, acteur, approbateur et justificateur. Certains secteurs se ferment hermétiquement à la vie extérieure pour ruminer dans leurs cloîtres, au milieu de collaborateurs fidèles et complaisants et à l’abri du tumulte du vaste monde.
La bureaucratie se cause aussi un grave préjudice en soutenant que ses membres sont une espèce particulière de primi inter pares, en affirmant, pour démontrer son humilité, qu’elle s’estime beaucoup moins importante qu’elle ne l’est en réalité.
La tentation est forte, même pour le plus modeste employé de l’entreprise privée ou de l’État, de se parer de l’importance qui s’attache au système qu’il concourt à mettre en application.
Le désir de rehausser son prestige, dans la fonction publique ou dans les affaires, reste légitime tant qu’il ne se substitue pas au travail bien fait. Celui qui recherche le panache règle sa conduite sur le système de symboles propre à sa civilisation, et il se sert de symboles reconnus pour démontrer qu’il possède des qualités qui sont appréciées par ses semblables.
Chez quelques-uns l’accession à un rang élevé engendre un sentiment de supériorité qui leur fait considérer le prestige, la préséance et les prérogatives comme un dû, et ils deviennent d’une vanité et d’une suffisance insupportables. Ce sont eux qui font détester les bureaucrates. Insensibles à leurs responsabilités envers le public, ils ne pensent qu’à leurs visées.
Nul homme, que ce soit dans les affaires ou l’administration d’État, n’est condamnable tant qu’il se soucie plus de la qualité de son travail que de son lustre. S’il cherche plus à employer son intelligence à remplir ses fonctions avec succès et honneur qu’à embellir la façade de son poste.
Absolutisme et chinoiseries
L’une des critiques les plus vives que l’on formule contre la bureaucratie est sa tendance à l’absolutisme, sa répugnance à discuter ou écouter des opinions différentes, son illusion d’être l’autorité suprême. Le pouvoir que comporte l’autorité exige d’être exercé avec discrétion. « Mettez-vous de temps en temps à la place de ceux qui se font bousculer, disait le prince Philip, et voyez si la chose vous plaît. »
L’autorité qui ne sert qu’à en imposer aux autres ou qu’à accroître son prestige personnel est considérée avec raison comme une chose ignoble, et ce genre de tyrannie dégrade ceux qui l’exercent.
Un reproche moins valable consiste à dire que la bureaucratie est un système dans lequel les talents personnels d’un employé sont rarement mis à l’épreuve de façon sérieuse parce que toute action et toute réaction sont prévues et prescrites dans les textes. Les règlements sont nécessaires pour assurer l’ordre en toute chose, qu’il s’agisse de la délivrance d’un passeport ou de l’adjudication d’un contrat d’un million, de la protection des individus contre l’exploitation ou de l’administration des forces armées. Mais le règlement n’offre pas de formule applicable à tous les cas.
Il importe de ne pas laisser la lettre des règlements se substituer à l’esprit de la loi. Un système figé et bien ordonné peut paraître méthodique et bien réglé, et permettre d’établir de jolis graphiques, mais il ne résout pas pour autant les problèmes d’ordre humain. Un exemple devenu classique est le cas de ce titulaire de la Croix de Victoria de la première guerre mondiale qui dut quitter la Home Guard, à Manchester, pendant la seconde guerre, parce que ses parents, d’origine russe, n’ayant jamais été naturalisés, sa présence y était contraire au règlement.
Les chinoiseries administratives sont la bête noire de certains contempteurs de la bureaucratie. Dickens en a fait le synonyme de l’incompétence et de la stupidité des fonctionnaires tracassiers et myopes. Mais ces chinoiseries ne sont pas uniquement le propre des agents de l’État ; elles peuvent exister dans toute organisation exerçant une autorité sur des activités humaines.
Il est certes nécessaire de recueillir des faits et des chiffres puisqu’il incombe à l’État de s’apprécier et de faire des projections. Les tracasseries administratives contre lesquelles on proteste sont celles que symbolise un incident typique survenu le jour du débarquement des Alliés en Normandie. Une péniche de débarquement fut détruite et les combattants qui l’occupaient jetés à la mer. Cinquante d’entre eux furent recueillis par une autre péniche qui avait mis ses chars à terre. Mais, comme le capitaine de cette péniche avait reçu l’ordre de retourner directement en Angleterre, il refusa de rebrousser chemin pour débarquer ces cinquante combattants sur la plage toute proche.
La routine
Une certaine somme de travail routinier est nécessaire au fonctionnement de toute organisation administrative. La mesure dans laquelle la routine se fossilise et engendre les maux auxquels la bureaucratie est exposée dépend de la vigilance de la direction.
Il importe de réexaminer périodiquement toutes les tâches routinières, si bien accomplies qu’elles puissent paraître, afin d’établir s’il ne conviendrait pas d’en abolir ou d’en modifier quelques-unes pour répondre aux besoins du moment. Cela n’exige pas forcément une intervention directe, mais appelle plutôt la création d’un certain climat.
Un souci scrupuleux de la méthode et de la routine peut être une source de tranquillité pour ceux qui craignent que les innovations soient au-dessus de leurs forces, mais cette attitude ne favorise certes pas la recherche et les progrès nécessaires dans une entreprise commerciale. Le danger, c’est que les activités principales de chacun consistent en fin de compte à compulser des rapports et à lire des notes interservices. Parlant de la marée montante de la paperasserie, sir Halford Reddish disait avec sarcasme : « Nous avions coutume de citer les lapins comme l’exemple typique de la fécondité. Je ne sais trop si les formules ne se multiplient pas plus vite que les lapins. »
Absorbés par la manipulation de la paperasse, des hommes et des femmes doués des talents voulus pour créer et perfectionner se trouvent chaque jour ensevelis de plus en plus profondément sous une masse de formules, de rapports et de tableaux. Cette situation a un effet stérilisant, un effet qui rend les employés incapables de faire face à l’inattendu et à l’imprévisible. Certaines organisations ne fonctionnent qu’à cinquante pour cent de leur rendement parce que le boulet de la routine empêche le personnel d’être novateur.
Le renouvellement de la bureaucratie
Pour le bureaucrate, il s’agit avant tout de ne pas accentuer les aspects désagréables et stériles du métier. Il est dans la nature de la bureaucratie de procéder avec méthode, mais il faut éviter que ce souci de l’ordre ne devienne le but principal de la vie.
L’employé de bureau qui fait preuve de souplesse dans ses rapports avec le public et en vient à comprendre instinctivement ce que les gens pensent est par le fait même un meilleur employé et un employé plus heureux : il tire un plus grand plaisir de la vie.
Quelle que soit la part d’ésotérisme qui entre dans la genèse et la mise au point d’une idée ou d’un plan, il importe que ceux-ci soient mis à la portée des personnes qui en subiront les effets.
Certaines formules conçues par les créateurs de systèmes, entre les murs d’une salle de conférence, présentent parfois des avantages importants dans les milieux bureaucratiques, mais ne sont pas adaptées aux besoins pratiques de la vie quotidienne extérieure.
À vrai dire, l’exercice de l’autorité exige qu’un homme connaisse son travail, qu’il sache à quoi il sert et qu’il respecte ceux avec qui il traite. Il doit avoir de la largeur de vue pour pouvoir discerner quelles sont les meilleures fins à rechercher et quels sont les meilleurs moyens à prendre pour les atteindre ; pour distinguer entre ce qui est utile et ce qui ne l’est pas, entre ce qui est important et ce qui est sans importance. Serait-il le plus grand spécialiste, il ne peut travailler avec efficacité s’il n’apporte à son entreprise que sa spécialité.
Les rapports avec le public
En ce qui concerne l’employé qui est en rapport avec le public, l’idéal est qu’il veille avec autant de soin à servir les intérêts de son client le plus humble qu’à défendre ceux de l’État ou de son entreprise. Il ne peut se dispenser de le faire sous prétexte que les formalités qui irritent le client assureront la simplicité des écritures ou le bon ordre.
Le profond respect de l’individu constitue un élément essentiel du régime démocratique ; c’est ce qui le distingue du totalitarisme. Chaque citoyen est un cas très particulier. Il n’en est pas deux dont les emplois, les familles, les adhésions, les passe-temps, les goûts et les problèmes sont identiques.
Aussi est-il extrêmement important de faire en sorte qu’à l’influence croissante de l’État et des entreprises sur la vie des citoyens corresponde un souci grandissant de rendre cette immixtion aussi agréable que possible. Les gens sont en droit de s’attendre que les administrations s’occupent de leurs affaires avec compétence et diligence et qu’elles tiennent compte avec bienveillance et équité de leurs sentiments personnels.
Cette attitude accueillante et sympathique de la part des détenteurs d’autorité envers la personnalité de ceux avec qui ils sont en rapport est de plus en plus nécessaire à une époque où prédomine la technique. Le guichetier ou le préposé doit, avec tact et bonne humeur, prêter une oreille obligeante aux besoins, aux plaintes et aux sollicitations des clients impatients. La main de fer doit porter un gant de velours.
Le remplacement du service dictatorial et fondé sur les règles par un service axé sur la personne n’aura aucun effet défavorable sur le rendement quantitatif, et la vie n’en sera que plus agréable pour celui qui l’assure et celui qui le reçoit. Le guichetier accroîtra son prestige, à ses yeux comme à ceux de la personne qui s’adresse à lui, en donnant non seulement ce que l’on attend de lui, mais quelque chose de mieux encore que ce que le client croyait être l’objet de son désir.
Si l’objectivité intégrale est légitime et profitable dans les sciences, c’est une attitude inhumaine à ne pas adopter dans nos relations avec les autres. Dans un pays démocratique comme le Canada, la règle doit s’infléchir autant que la raison le permet pour s’adapter aux cas individuels.
Le revers de la médaille
Il se peut que les réactions de l’employé de bureau soient provoquées dans une large mesure par l’attitude négative et hostile du public à son égard. Peut-être ce que l’on condamne si souvent comme « bureaucratique » n’existe-il en grande partie que dans l’esprit du « client ».
L’homme de la rue pourrait utilement s’inspirer, dans ses rapports avec l’administration, de ce principe aussi simple que généreux : si le problème qui le préoccupe est nouveau et irritant pour lui, qu’il songe que c’est la centième fois que l’employé dont il réclame l’assistance entend la même rengaine. Celui-ci lui répondra avec compétence, selon ses connaissances et son expérience, mais qu’il ne lui demande pas pardessus le marché de le consoler. S’il tarde à faire ce que nous désirons, ne le rayons pas de notre vie comme un sot ou un faiseur d’embarras. Peut-être attend-il d’avoir assimilé toute la documentation avant d’exprimer son opinion.
L’existence même du gouvernement comme de l’entreprise privée est liée à cette lente et sage méthode d’aborder les problèmes. Certaines entraves et certaines restrictions sont non seulement nécessaires, mais inévitables, et, malgré les railleries intarissables dont elles font l’objet, elles se révèlent souhaitables à qui considère les choses dans leur ensemble.
Ce qui importe, c’est d’envisager le pour et le contre dans les contacts entre les bureaux et le public, et, pour les deux parties en cause, de faire l’effort requis pour rendre ces contacts aussi agréables que possible.