Nul d’entre nous ne passe une journée sans émettre de jugements. Il y a toujours maintes choses à examiner, à apprécier, à décider, même dans la vie quotidienne.
Les cadres de gestion comme les ménagères doivent sans cesse mettre de l’ordre et établir des relations entre des idées sans rapports apparents, comparer diverses solutions et en estimer les conséquences. Leur action se fonde sur des valeurs relatives.
Le jugement ainsi entendu compte parmi les plus merveilleux attributs de l’homme, et son développement est d’une importance capitale pour notre bonheur. Comme l’a si bien dit un éducateur : « Il me semble que le jugement est l’un des buts fondamentaux, essentiels même, de toute éducation. Quelle que soit l’étendue de votre savoir, si votre jugement est mauvais vous êtes fichu. »
Un bon jugement de notre part nous fait apprécier la grandeur de l’esprit humain, mais un moment d’aberration dans le choix à effectuer entre diverses possibilités peut entraîner toute une vie de souffrance.
Comment apprend-on à envisager d’une façon intelligente les problèmes de la vie et à porter des jugements de premier ordre ? En étudiant les modèles du genre, en s’initiant à l’art du discernement et en pratiquant l’intégrité. Employé sans discernement et sans intégrité, le savoir est une arme dangereuse et déloyale.
Le mot « intégrité » signifie « droiture, rectitude morale ». La qualité qu’il désigne s’applique à l’homme qui, sachant habituellement discerner entre le juste et l’injuste, le bien et le mal, le noble et l’ignoble, suit la ligne du devoir et de l’honneur. Elle est résumée dans une tradition aussi ancienne qu’honorable du droit britannique selon laquelle celui qui se présente devant les tribunaux doit avoir « les mains propres ». Elle suppose l’existence de normes et de valeurs sur lesquelles nous pouvons modeler notre conduite.
Il y a beaucoup d’occasions dans la vie où il ne se trouve personne pour nous obliger à faire comme il faut. La droite raison qui nous informe alors de la qualité de nos actes s’appelle la « conscience ». Devant ce tribunal intérieur, nous avouons que nous avons toutes sortes de faiblesses, mais nous savons qu’il y a des choses que nous ne ferions pas, car notre code personnel nous interdit même d’y songer.
En ce qui concerne les jugements officiels, comme ceux que l’on prononce dans les cours de justice, c’est à l’Aréopage que nous demanderons des enseignements. Ce célèbre tribunal antique tenait ses séances sur la colline d’Athènes, où saint Paul fut conduit pour exposer la religion chrétienne. Il était composé des meilleurs et des plus sages citoyens de l’État, et son autorité était si respectée que d’autres pays y faisaient parfois appel pour régler leurs différends. Ses préceptes demeurent valables encore aujourd’hui.
Les parties devaient « présenter la Vérité brutale et toute nue, sans Préambule ni épilogue, sans aucun ornement, sans figures de rhétorique ni autres procédés insinuants pour gagner la faveur ou toucher le coeur des juges. » Quelquefois, ce tribunal siégeait la nuit afin que, n’ayant vu ni le demandeur ni le défendeur, ses juges ne soient pas tentés de se laisser influencer par l’un ou par l’autre. C’est sans doute pour cette raison que la Justice est généralement représentée les yeux bandés.
Ces anciennes coutumes font ressortir l’une des conditions essentielles du bon jugement, savoir la délibération impartiale et sans parti pris.
La faculté de faire des choix
Le jugement consiste essentiellement à choisir une chose de préférence à une autre. L’exercice de cette activité est le couronnement de l’intelligence humaine. Plus les décisions qu’une personne est forcée de prendre sont nombreuses, plus elle se rend compte de l’importance primordiale de cette pierre angulaire de la liberté qu’est le pouvoir de choisir.
La vie des hommes dépend de mille et un menus détails. Nous prenons beaucoup de décisions, dont certaines sont en apparence de peu de conséquence, mais l’ensemble de ces décisions détermine le bonheur ou le malheur de notre existence.
De toutes les voies qu’un homme peut choisir à un moment donné, dans les affaires ou dans sa vie personnelle, il en est une qui est la meilleure, et l’essentiel est de la trouver et de s’y engager. Lorsque les gens se trompent, c’est souvent parce qu’ils font un mauvais choix entre deux ou plusieurs possibilités. Il leur arrivera, par exemple, de mettre l’accent sur ce qui est « grand » au lieu de le mettre sur ce qui est bien, sur la quantité plutôt que sur la qualité, ou encore d’opter pour un plaisir immédiat aux dépens d’un avantage futur de plus grande importance. Même s’ils possèdent toutes les autres perfections, s’ils manquent de discernement dans leurs choix, ils ne joueront jamais un rôle tant soit peu important dans la société.
La réflexion
La sagesse de nos jugements est amoindrie par l’ignorance, l’habitude, les idées fixes ou les préjugés. Elle est accrue par le savoir, la largeur d’esprit et la méditation. Mais pour parvenir à ce stade, il faut se retirer un peu à l’écart, s’isoler de la foule bruyante et tumultueuse, et scruter tout ce qui touche la question qui exige une décision.
Le mot « recueillement » n’est pas synonyme de « rêverie » ni de « manque d’esprit pratique ». Se réfugier dans un lieu paisible pour repenser un problème avant d’en arriver à un jugement libère l’esprit des idées archaïques ou usées, et le vivifie en apportant une nouvelle fraîcheur à notre manière de voir. En envisageant ainsi la réalité dans une espèce de quatrième dimension, nous avons l’occasion de mieux comprendre les choses, de peser les intérêts et de mesurer les effets.
Mais où allons-nous trouver la matière nécessaire pour alimenter notre réflexion ? Nous vivons à une époque de culture de masse, où les haut-parleurs du commerce et de la politique hurlent incessamment leurs principes matérialistes. Il n’est pas facile de les interrompre, mais nous devons le faire si nous voulons réaliser notre ambition de formuler des jugements sages.
Il importe en premier lieu de dominer la hâte, si commune aujourd’hui, de terminer une tâche afin d’en aborder une autre. Le bon jugement n’est pas le fruit d’une activité fébrile. Nous devons prendre le temps de recueillir des renseignements et de chercher l’inspiration.
On peut trouver dans la lecture beaucoup de choses utiles pour bien juger. Mais les idées et les principes exprimés par les penseurs anciens et modernes exigent plus qu’un coup d’oeil superficiel.
Le renseignement est la source d’alimentation du raisonnement. Vivre à l’aventure dans le brouhaha des affaires ou du plaisir, sans jamais réfléchir sur le passé ou sur ce qui se passe dans l’esprit des gens, c’est se priver d’éléments d’information qui sont nécessaires pour prendre des décisions. Celui qui mène une pareille existence peut s’attendre à voir régner le chaos dans ses émotions et la confusion dans ses jugements.
La lecture augmente notre capacité d’établir des définitions, qualité très importante lorsqu’il s’agit d’émettre un jugement. Si nous ne connaissons pas exactement le sujet de notre réflexion, il nous est impossible de distinguer les idées les unes des autres. Nous sommes incapables de discerner le merveilleux de l’impossible, l’incroyable du faux, et partant de fixer notre choix. Lorsque nous lisons un livre, nous avons le temps de réfléchir, d’apprécier et d’y ajouter les enseignements de notre expérience. C’est là un avantage que nous n’avons pas dans les conversations courantes ou dans le feu de la discussion.
Le bon sens
Certaines personnes affirment qu’elles jugent selon leur bon sens. Mais le bon sens n’est pas simplement une compréhension naturelle. Il suppose le discernement et la prudence. Beaucoup de personnes très intelligentes restent attachées à des croyances et à des superstitions absurdes, et font des choses insensées. Le bon sens ajoute de la sagesse pratique au savoir.
Lorsque nous faisons appel à notre bon sens, nous puisons dans le trésor intime de notre esprit, sans nous laisser influencer par les débiteurs de clichés et les propagateurs de dogmes creux. Nous utilisons les idées que nous avons tirées de notre expérience de la vie.
Le bon sens aide à penser juste, mais il y a aussi d’autres moyens qui peuvent nous être utiles pour éviter les conclusions illogiques. Dans son volumineux ouvrage, intitulé Science et bon sens, Alfred Korzybski nous donne, à ce sujet, des conseils dont chacun peut faire son profit. Après avoir signalé qu’une chose n’est jamais identique à une autre pour qui les examine de près toutes les deux, il recommande de numéroter les objets que nous comparons, en distinguant, par exemple, le stylo n° 1, le stylo n° 2, etc. Mais cette méthode d’identification ne s’arrête pas là. Les stylos finissent par ne plus contenir la même quantité d’encre, de sorte qu’ils ne sont plus exactement aujourd’hui ce qu’ils étaient le mois dernier, et qu’il convient, par conséquent, de faire une distinction entre le stylo du mois de mai, par exemple, et celui du mois de juin. Ce truc peut assurément nous servir à mettre de l’ordre dans nos idées.
Un autre auteur conseille, pour bien raisonner, de recourir à certains signes avertisseurs :
etc., pour rappeler que certaines caractéristiques de l’objet ou de l’événement ont été omis ;
chiffres indicateurs, comme dans le cas des stylos, pour éliminer les fausses identifications ;
dates, pour nous rappeler que les objets sont en perpétuel changement ;
traits d’union, pour indiquer que les événements ne sont pas isolés, mais reliés entre eux ;
guillemets, pour nous rappeler que le mot que nous avons dans l’idée n’est pas une chose, mais une abstraction, par exemple « démocratie, gauchiste, apaisement, sécurité, communiste ».
Ces moyens nous aideront à vaincre notre penchant à raisonner dans l’abstrait et à créer des catégories pour tenter ensuite d’y faire entrer les personnes et les événements.
La réunion des faits
Les considérations spéculatives ne sauraient remplacer la discipline de la recherche des faits lorsqu’il s’agit de porter un jugement sur une question. Nous ne pouvons pas décider selon nos désirs. Le point capital dans un jugement est de savoir s’il est appuyé par les faits. Les poètes sont libres de substituer une image ou un ornement à un fait pour trouver une rime, mais cette licence poétique ne s’applique pas aux personnes qui cherchent à émettre des jugements valables.
Il est impossible de porter un bon jugement si vous arrêtez votre opinion avant de connaître les faits nécessaires pour en arriver à une conclusion éclairée. On ne peut pas étudier une question à fond sans commencer par l’aborder franchement. C’est une faute grave que de formuler des théories avant d’avoir des données, car nous sommes insensiblement enclins à altérer les faits pour les adapter aux théories que nous avons élaborées.
Il faut être docile en présence des faits. Tout homme a droit à son opinion, mais il n’est permis à personne de se tromper sur les faits. Il s’agit, en effet, de deux choses bien différentes : les faits sont contrôlables et demeurent identiques quel que soit celui qui les cite, tandis que l’opinion appartient en propre à chacun et échappe à la démonstration.
Après avoir établi les faits, il importe de se rappeler que toute question comporte au moins deux faces. Ce n’est qu’après avoir fait l’examen des divers aspects du problème que le jugement peut prétendre à une valeur réelle.
Nous nous vantons quelque peu abusivement de notre objectivité dans l’étude des faits. L’objectivité désirée n’est pas dans les faits, mais dans l’impartialité du juge à l’égard des faits.
Il y a une fausse objectivité dont il faut se méfier. Elle consiste à rechercher uniquement le juste milieu entre deux opinions contraires, indépendamment de la vérité de l’une ou de l’autre. C’est là une erreur funeste, car elle exclut tout jugement. La comparaison minutieuse des contraires est le fondement du raisonnement impartial.
Le jugement suppose un choix éclairé entre diverses options, il doit éviter l’erreur que l’on fait communément en exigeant des opinions absolues : tout ou rien ; de deux choses l’une ; noir ou blanc. Bien qu’il y ait du bon et du mauvais dans la plupart des questions sur lesquelles nous portons quotidiennement des jugements, on y trouve rarement des choses absolument bonnes et absolument mauvaises.
Cette manière de voir demande que nous demeurions sans parti pris sur toute question avant que l’évidence s’impose et que nous veillions à ne pas nous laisser troubler par les émotions fortes comme la haine, l’amour ou la loyauté, qui tendent à verrouiller notre esprit.
Gardez-vous des préjugés
La seule façon dont un être humain puisse tenter de connaître une question dans sa totalité est d’écouter ce qu’en disent les personnes qui ont des opinions différentes. Pour comprendre un homme, il faut se mettre à sa place et regarder dans la même direction que lui. C’est alors que nos idées préconçues se révèlent souvent empreintes de préjugés.
Le verbe « préjuger » signifie juger d’avance. Le préjugé peut être une conviction qui nous est chère, fondée sur des ouï-dire ou la tradition. C’est ce que Voltaire appelait « la raison des sots ». Il est, à tout le moins, malhonnête et vexant, et, en tout état de cause, néfaste au bon jugement.
Le préjugé est insidieux. Nous avons beaucoup de facilité à nous persuader de voir ce que nous voulons bien voir, à définir le bien et le mal selon ce que nous aimerions être le bien ou le mal. Entraînés par les émotions, nous choisissons les arguments favorables à nos vues tout en négligeant de tenir compte de ceux qui y sont contraires.
Il ne faut pas confondre les faits qui nous sont nécessaires pour bien juger avec les opinions. Diverses personnes peuvent interpréter différemment le même groupe de faits, et chaque opinion peut paraître étonnamment juste. Nous devons apprécier avec soin nos opinions personnelles, de même que celles des autres, afin de déceler les préventions ou les éléments de vérité qu’elles renferment.
On y parvient en délibérant avec soi-même ou avec les autres. Les Grecs ont été le premier peuple à utiliser à dessein le dialogue en tant qu’instrument pour découvrir la vérité. Ils amorçaient la discussion à partir de vérités déjà établies et la poursuivaient ensuite selon de saines méthodes de raisonnement. Ils avaient même la qualité de la mener jusqu’à sa conclusion naturelle, si désagréable qu’elle puisse être.
Le dialogue est nécessaire à la solution de tout problème qui se pose entre les humains. Il explore les questions en attaquant et en défendant toutes les positions jusqu’à ce que les fausses s’éliminent et que les différends se concilient.
L’acte final du jugement est la décision. Malheureusement, beaucoup de personnes s’arrêtent en chemin et deviennent des tonneaux d’indécision. Le bon jugement n’est pas une perle que porte les apathiques ou les étourdis. Il a sa source dans les difficultés qui nous forcent à penser, à nous raviser, à projeter, à formuler des hypothèses à contrôler nos suppositions, puis à prendre notre décision. Nous devons nous former une idée claire de ce qui est en jeu, du prix qu’il faudra y mettre et des conséquences qu’entraînera notre décision.
Cela exige que l’on se pose des questions. Celles-ci font ressortir les faits et conduisent à la discussion, qui élucide le problème et nous autorise ainsi à tirer des conclusions.
Le jugement repose sur des choses relativement simples. Il vise à dissocier notre sagesse actuelle des idées faussées, des préjugés, des fumisteries et des sornettes qui s’accumulent dans notre esprit. Il cherche à percer le brouillard et l’obscurité, afin de voir les choses telles qu’elles sont en réalité. Il tient compte non seulement de l’action accomplie ou envisagée, mais aussi du milieu ambiant. Nous devons envisager les choses dans leurs rapports pour comprendre les situations et faire la part des circonstances. Il suffit parfois d’un changement de circonstances pour qu’une vertu devienne un vice et un vice une vertu.
Comment juger les autres
Lorsqu’il s’agit de juger les autres, exprimez vos jugements avec ménagement. Il y a peu de mérite et rien à gagner (sauf pour les auteurs de biographies médisantes) à signaler les faux pas d’un grand homme ou les failles d’une oeuvre remarquable. Qui se souvient aujourd’hui du nom du riche tanneur qui fut l’âme du procès de Socrate, des moines dominicains qui furent responsables de la mise à la torture de Galilée ou de ceux qui attaquèrent la plus grande découverte faite par l’homme en philosophie naturelle – la loi de l’attraction – en la qualifiant de « subversive de la religion naturelle et, par voie de conséquences, de la religion révélée » ? C’était l’ignorance qui jugeait le génie.
Il est bon d’être modéré dans nos critiques, car en jugeant les autres nous révélons dans une certaine mesure nos propres normes. Comme le dit le roi, dans Henri VI, de Shakespeare : « Gardez-vous de juger car nous sommes tous pécheurs. »
Nous en trouvons un exemple beaucoup plus récent dans le domaine de la conservation de la nature. Il est fréquent d’entendre les partisans de la conservation critiquer la façon dont nos ancêtres ont détruit la forêt et labouré des terres impropres à la culture. On fouille, on déterre, on monte les erreurs en épingle et l’on juge à la lumière des connaissances actuelles, dont on ne disposait pas il y a un siècle.
En faisant un retour en arrière de dix-neuf siècles, nous entendons ce sage conseil du philosophe stoïcien Epictète : « Quelqu’un se baigne-t-il de bonne heure : ne dis pas que c’est mal, mais que c’est de bonne heure. Quelqu’un boit-il beaucoup de vin : ne dis pas que c’est mal, mais qu’il boit beaucoup de vin. Car avant d’avoir reconnu comment il en juge, d’où peux-tu savoir si c’est mal ? »
Dans la vie publique
Le bon jugement dans les affaires publiques est particulièrement nécessaire de nos jours. Pour la première fois dans notre histoire, nous devons collaborer sur le plan politique avec les représentants des pays d’outre-mer, parmi lesquels on trouve une extraordinaire variété de niveaux de connaissance et de civilisation. D’autre part, une profonde révolution technique bat son plein dans notre pays. Jamais dans l’histoire, un peuple n’a eu à faire face aux changements sur tant de fronts à la fois.
Mais les avantages et la liberté dont nous jouissons nous imposent des obligations. Nous devons nous appliquer à mieux comprendre que par le passé le mécanisme de la démocratie, de ses obligations, de ses responsabilités et de ses devoirs. Il est de toute nécessité que nous nous rendions compte qu’il existe une grande diversité de choix possibles dans nos rapports avec les personnes et les événements, et que nous pensions sérieusement à la portée éventuelle d’une erreur de jugement.
La plupart des gens ont de temps en temps une inspiration créatrice, même s’ils ne sont ni de grands inventeurs ni de grands poètes. Ils veulent apporter leur pierre dans l’édification de ce second siècle d’existence du Canada. Ils pensent aux conditions qui règnent actuellement, mais aussi à la grandeur éventuelle de l’avenir. Ils tiennent surtout à ne pas émettre de mauvais jugements sur la valeur relative des choses, afin de ne pas imiter le docteur Faust, de Christopher Marlowe, qui sacrifia son âme pour vingt-quatre ans de vie d’abondance.
Le temps de la réappréciation
Ce n’est pas un signe de frivolité que de repenser les choses en les mettant en question. Un homme ne doit jamais avoir honte de reconnaître qu’il a pris une mauvaise décision dans le passé, car il démontre par le fait même qu’il est plus sage qu’il ne l’était auparavant.
L’un des traits essentiels de la méthode scientifique est de rester disposé à changer d’avis à la lumière des faits nouveaux. Nous devons savoir déplacer notre mobilier intellectuel, afin de trouver de la place pour les nouveaux meubles. Le seul fait qu’un problème d’économie, de politique, de gestion ou de rapports personnels a toujours été résolu d’une certaine façon n’est pas une raison suffisante pour croire que cette solution découle du meilleur jugement possible.
Certains attachent beaucoup d’importance à la logique, mais il vaut mieux avoir raison qu’être logique. L’homme qui se vante, dans sa vieillesse, de toujours avoir eu de la suite dans les idées recueillies pendant son enfance ou les débuts de sa carrière dans les affaires avoue qu’il n’a rien appris à l’école de l’expérience.
Rappelez-vous saint François d’Assise, qui, après vingt-trois ans d’une vie adonnée au plaisir, décida de s’engager dans une voie complètement différente et devint instituteur, ami de la nature et apôtre de la pauvreté, n’hésitant pas à rattacher chacun de ses choix à des valeurs que son époque jugeait absurdes.
Il n’est pas nécessaire d’être aussi extrême. Il faut savoir composer avec la vie, car il s’agit d’opter pour ce qui promet d’avoir le meilleur effet sur notre bonheur. L’art de juger avec sagesse est le fruit de tout ce que vous avez appris par l’étude et par l’expérience : vos désappointements et vos victoires, vos soucis et vos moments de sérénité, vos mésaventures et vos façons de vous en tirer, vos craintes et vos espoirs.
L’un des enseignements que vous aurez retenu de tout cela, c’est que l’on ne refuse pas impunément de suivre son jugement le plus raisonnable. Notre devoir n’est pas de rechercher ce qui est le plus avantageux, mais de trouver la vérité et d’y conformer nos jugements.