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Nous sommes au seuil de l’ère la plus exaltante, la plus redoutable et pourtant la plus prometteuse de l’histoire du monde. Exaltante, à cause des progrès inouïs de la science et de la technique ; redoutable, à cause de la menace de la guerre et du spectre de la faim ; prometteuse tout de même, à cause des ressources toujours croissantes de l’intelligence humaine en face des difficultés de la vie.

Or, parmi tous nos problèmes, il n’en est pas de plus urgent que celui de la faim. Les spécialistes ont coutume de nous dire que l’évolution sociale de l’homme ne s’est pas accomplie au même rythme que son évolution mécanique. C’est là, en effet, un des secteurs – auquel on pense rarement – où l’humanité est restée en arrière. Pendant les quatre-vingt-dix-neuf pour cent du temps qu’il a passé sur la terre, l’homme a vécu de la cueillette ou de la chasse, et il n’en a employé que un pour cent à la production alimentaire. Il est donc encore loin de connaître à fond les possibilités de ce domaine relativement nouveau.

La crise de l’alimentation qui existe actuellement tient en définitive à la ténuité des bases matérielles sur lesquelles repose notre civilisation. Il est certain que la population mondiale exerce une pression de plus en plus inquiétante sur les disponibilités alimentaires du globe. Mais pour le nutritionniste brésilien de réputation internationale, Josué de Castro, la faim est une conséquence de l’exploitation non rationnelle et de la mauvaise répartition des richesses. Elle est fabriquée par les hommes, car les ressources naturelles ne manquent pas. Mais pour vaincre la faim, il faut vaincre le sous-développement dans sa totalité.

Les affamés sont légion

Il nous est difficile, à nous Nord-Américains, de comprendre le drame de la faim dans les pays sous-développés, car nous ne savons pas ce que c’est que d’avoir faim à en mourir. Chez nous, on ne meurt pas de faim. Ailleurs, plus de 1500 millions de personnes se couchent tous les soirs avec la sensation douloureuse de la faim. Une étude de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (O.A.A.) confirme que du tiers à la moitié au moins de la population mondiale souffre de la faim ou de la sous-alimentation.

L’homme forcé de se contenter d’un régime alimentaire insuffisant devient un fardeau social. Il ne saurait bien travailler s’il a l’estomac vide ; il ne peut étudier ni apprendre ce qu’il doit faire pour améliorer sa situation ; il ne pense qu’au besoin immédiat et dominant de trouver son prochain repas ; il n’acquiert aucune résistance à la maladie ; il retarde non seulement le progrès économique et social de son pays, mais aussi la prospérité mondiale.

Selon l’O.A.A., environ un sixième seulement de la population du globe serait bien nourrie.

Pour comprendre dans quel état vivent les habitants des pays sous-développés, il convient de faire un examen comparé des chiffres relatifs à la consommation des produits d’origine animale. Ce n’est que dans la viande et la volaille, le poisson, les oeufs, le lait et le fromage que nous trouvons les protéines indispensables à notre croissance et à notre santé. Or si le régime alimentaire des peuples de l’Amérique du Nord comporte 25 p. 100 de produits d’origine animale, la proportion n’est plus que de 17 p. 100 dans celui des peuples d’Europe et tombe à 3 p. 100 dans le cas des pays asiatiques.

Le Guide de l’alimentation au Canada, approuvé en 1961 par le Conseil canadien de la nutrition, prescrit une portion de viande, de poisson ou de volaille tous les jours, que l’on peut remplacer par les oeufs, le fromage, les haricots secs ou les pois si on le désire. C’est énorme en comparaison de la ration type du travailleur de l’Inde, qui ne mange que du riz. Au Canada, le citadin consomme 4.66 livres de nourriture par jour ; l’Indien, lui, n’en consomme que 1.23 livre, dont 85 p. 100 de riz, aliment pauvre en protéines, en graisses et en vitamines.

Le Guide de l’alimentation précise que jusqu’à onze ans les enfants doivent boire 2 tasses ½ de lait par jour, les adolescents quatre, les adultes 1½, et les femmes enceintes ou qui nourrissent leur enfant au sein quatre tasses. À Calcutta, il y a six millions de personnes qui n’ont pas de lait du tout. La majorité des enfants du monde doivent passer directement de l’allaitement maternel à un régime composé en grande partie de féculents.

Le fait est qu’un habitant tout au plus sur cent dans les pays sous-développés n’arrivera à connaître dans sa vie ce qu’une famille nord-américaine considérerait comme un bon et substantiel repas. Voilà le sombre contexte dans lequel il faut envisager les événements mondiaux.

Le niveau de vie

La Déclaration des droits de l’homme, adoptée par l’O.N.U. en 1948, affirme ceci : « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille. »

Jouir d’un bon niveau de vie ne signifie pas nécessairement s’encombrer de tout l’attirail du monde occidental. Cela veut dire ne pas être réduit à manger de l’herbe, comme on a vu des femmes le faire près du Golfe Persique ; cela veut dire ne pas être obligé comme l’ouvrier chinois émacié de vivre toute une journée de restes de nourriture ne contenant que 200 calories pendant que la ration ordinaire de son homologue canadien est de 2,500 calories.

N’allons pas croire, comme l’a dit Owen Young à l’Université de la Californie, que le niveau de vie de l’Amérique pourra se maintenir en permanence à un degré sensiblement plus élevé que celui des autres pays civilisés. Ou nous relèverons le leur jusqu’au nôtre, ou ils abaisseront le nôtre jusqu’au leur.

Les quelque vingt pays qui jouissent d’un niveau de vie relativement élevé ont une population globale d’environ 450 millions d’habitants par rapport à un total mondial estimé à 3,230 millions. On ne peut guère saisir toute la signification de ces chiffres de prime abord. Pourtant, ils représentent les statistiques les plus importantes jamais couchées par écrit. Il a fallu à l’humanité un millier de millénaires pour atteindre le total de 900 millions, et le bref espace du dernier siècle et demi pour s’accroître de 2,330 millions.

L’accroissement est si rapide que la Division de la population de l’O.N.U. prévoit une population mondiale de plus de 6,000 millions pour l’an 2,000, soit dans trente-six ans exactement. Ce nombre imposant se répartira ainsi : 3,639 millions en Extrême-Orient ; 947 millions en Europe, y compris l’U.R.S.S. ; 592 millions en Amérique latine ; 327 millions au Proche-Orient ; 421 millions en Afrique ; 29 millions en Océanie ; 312 millions en Amérique du Nord.

Pendant les vingt minutes qu’exige la lecture du présent Bulletin, près de 2,000 bouches de plus auront ajouté leur voix à l’immense et pressante clameur de la faim. Ce chiffre est fondé sur les données de l’Annuaire démographique de l’O.N.U., qui établit le taux actuel de la natalité et de la mortalité à 100 millions de naissances et 51 millions de décès par année.

Alors, que faut-il faire ? Voici ce que disait, en 1962, le directeur de la Division de la statistique de l’O.A.A. : « La conclusion générale qu’il importe de retenir est que si la population devait augmenter selon les prévisions de l’O.N.U., il nous faudrait doubler le total de la production mondiale de denrées vivrières en 1980 et le tripler à la fin du siècle. »

D’après certains des spécialistes qui se sont penchés sur cette grave situation, le seul remède serait la limitation de la population. Le taux de natalité très élevé que la nature a accordé à l’espèce humaine pour assurer sa survivance est aujourd’hui le facteur qui maintient la majeure partie du monde au bord de la famine.

Approuvé en cela par la société tout entière, l’homme consacre le meilleur de son intelligence et de ses efforts à réduire la mortalité. Par contre, la réduction de la natalité se heurte à l’opposition des coutumes, des doctrines, des lois et des rites populaires, qui tendent tous à favoriser la fécondité. Quoi qu’il en soit, il reste que, la mortalité ayant fortement diminué et la natalité étant demeurée à peu près la même, l’énorme rapidité d’accroissement de la population mondiale à l’heure actuelle ne laisse pas d’être inquiétante et de poser de sérieux problèmes.

S’il est facile de dire que c’est la raison qui devrait régler l’accroissement de la population, il ne faut pas oublier, d’autre part, l’aspect humain de la question. Dans certaines sociétés, la natalité dirigée est inacceptable ; dans d’autres, où la vieillesse sans enfants pourrait signifier la misère, la progéniture constitue la seule forme de « sécurité sociale ». Pour ceux qui ne possèdent aucune autre richesse matérielle, les garçons sont une norme de valeur et les filles non seulement une source de main-d’oeuvre domestique, mais aussi un moyen de toucher des dots.

Les pays sous-développés

Il y a dans les pays sous-développés des millions d’êtres humains dont l’unique préoccupation est de se maintenir en vie. Leur seul souci est d’arracher chaque jour à leur milieu la maigre pitance qui leur permettra de survivre jusqu’au lendemain.

Cette population squelettique n’a pas encore été atteinte par la vague de progrès scientifiques et techniques qui a apporté l’aisance et l’abondance à l’Occident industrialisé. On y voit des enfants aux yeux éteints, aux jambes et aux bras étiques, incapables de pleurer ni de rire et qui ne pèsent encore que dix livres à l’âge de 2 ans.

L’Occident sait bien qu’il doit, dans son intérêt, faire quelque chose pour résoudre l’effroyable problème de la pauvreté et de la faim. Si l’on veut sauver et développer les autres libertés, il faut d’abord commencer par affranchir l’humanité du besoin. Toutes les idéologies pernicieuses exploitent à leur profit le fléau de la faim.

Comment allons-nous réaliser l’équilibre entre les vivres et la faim ? Après avoir établi par les statistiques que telle ou telle quantité de nourriture est nécessaire aux habitants de tel ou tel pays, nous devrons aller plus loin encore et indiquer comment et où ils vont les trouver.

Ce problème peut être résolu, nous assure l’O.A.A. Il s’agirait de transformer les jungles en terres agricoles, d’appliquer l’irrigation dans certains déserts, dont le sol est fertile, d’étendre les superficies cultivables jusque dans les régions de l’Arctique et, ce qui serait encore plus rapide et économique, faire un meilleur usage des terres arables existantes. On pourrait aussi doubler la production mondiale de poisson sans épuiser les ressources. La science permet déjà d’entrevoir la mise au point des aliments synthétiques, l’utilisation de certaines levures et algues, l’exploitation des richesses vivrières des 141 millions de milles carrés d’eau du globe.

Une chose reste certaine : l’apport de vivres par les régions riches aux régions dépourvues ne pourra jamais combler qu’une faible partie des besoins alimentaires. Nous ne réussirons pas à nourrir les pays sous-développés en raclant le fond de nos entrepôts, en hypothéquant nos récoltes à venir, en exportant des oeufs en poudre, du saindoux ou du lait.

Accroître le rendement des terres

Le meilleur remède au problème agricole qui se pose dans le monde consiste à accroître la production vivrière là où c’est nécessaire.

Malheureusement, on produit peu dans les régions sous-développées, malgré le travail acharné et éreintant des habitants. Dans beaucoup de ces pays, les instruments dont disposent les paysans sont les mêmes depuis des milliers d’années. Il suffirait bien souvent de les remplacer par des outils à main plus robustes et mieux étudiés, ou d’introduire l’usage des instruments à traction animale pour noter une grande différence dans le rendement agricole.

Si les citoyens d’une ville canadienne voulaient réunir la somme de $5,000, celle-ci pourrait servir à assurer l’emploi de variétés de riz améliorées et financer les recherches sur les diverses façons d’augmenter la récolte ; si une autre ville souscrivait $50,000, on pourrait utiliser cet argent pour importer et dresser des buffles en tant qu’animaux de trait, ce qui permettrait d’accroître la superficie des champs de riz de 50 p. 100.

Les pays fiches ou évolués peuvent faire beaucoup pour les peuples sous-développés en leur offrant des engrais et des produits antiparasites, en répandant chez eux la culture de variétés de maïs, d’avoine, de soya et de pommes de terre à grand rendement et immunisées contre les maladies. Selon l’O.A.A., les engrais à eux seuls pourraient augmenter les récoltes de 30 p. 100. Dans une station d’essai, le simple fait d’adjoindre un hors-bord à un bateau a permis à un pêcheur de se rendre à un lieu de pêche plus poissonneux et de porter sa prise quotidienne de 13.3 à 139 livres.

À tout cela doit s’ajouter l’industrialisation. Aucun pays n’a accompli des progrès économiques appréciables avant que la moitié environ de sa population active n’ait passé de l’agriculture à l’industrie. Cette évolution est nécessaire à l’essor de la construction, des transports, des télécommunications, de l’industrie du vêtement et mène à l’amélioration de la production agricole.

Les éléments essentiels de la production sont la terre, la main-d’oeuvre, le capital et l’organisation, mais il importe d’abord d’apprendre aux peuples sous-développés à s’en servir et d’éveiller en eux le désir de ce qu’ils peuvent procurer. Les sommes consacrées à ce travail d’éducation constituent la forme d’assistance la plus efficace. Voilà pourquoi le Canada encourage les pays assistés à profiter de bourses d’études pour former des moniteurs et préfère accorder son appui financier à la création d’établissements d’enseignement dans ces pays.

L’ampleur du problème ressort assez clairement des constatations de l’UNESCO, qui estime que, dans le monde actuel, une seule personne sur huit dans toutes les catégories d’âges et deux sur cinq entre les âges de cinq et vingt ans font des études scolaires. Quarante pour cent seulement de la population mondiale, parmi les personnes de cinq à dix-neuf ans inclusivement, sont inscrits dans des maisons d’enseignement. Environ 750 millions d’individus d’âge scolaire ou au-dessus ne savent ni lire ni écrire.

Pour remédier à la situation, l’UNESCO a entrepris une campagne dont le but est de permettre à tous les enfants de fréquenter l’école en 1980, ce qui nécessite la formation de 9 millions ½ d’instituteurs dans l’intervalle. Cette institution spécialisée de l’O.N.U. se propose aussi de faire en sorte que dix pour cent des enfants puissent bénéficier de l’instruction secondaire et d’assurer à 500 millions d’adultes une formation suffisante pour participer au mieux-être de leur collectivité.

Pourquoi il faut agir

Les besoins alimentaires ont une influence si essentielle sur les hommes que la paix et la guerre, la bonne entente internationale et toute la structure de la vie sociale en dépendent dans une large mesure. Comme le faisait remarquer le prince Philippe dans une allocution qu’il prononçait il y a quelque temps à Toronto : « Une situation explosive se produira inévitablement si l’écart entre les nations riches et les nations pauvres devient trop considérable. »

Les statistiques de la misère ne sont donc pas de vagues abstractions économiques et techniques, mais des choses concrètes et intimement liées à la politique sociale. Aussi les hommes d’État vraiment réalistes doivent-ils accorder une large place parmi leurs préoccupations à l’élimination de la faim et de la détresse dans toutes les parties du monde en tant que moyen de sauvegarder et de favoriser la vie des peuples de leurs pays. « En portant notre attention, écrit Aldous Huxley, non plus sur les politiques, devenues tout à fait hors de propos et anachroniques, de nationalisme et de puissance militaire, mais sur les problèmes de l’espèce humaine… nous contribuerons à atténuer la menace de notre destruction instantanée par la guerre scientifique et par le fait même à réduire le risque d’un désastre biologique plus graduel. »

Les irruptions auxquelles nous assistons en Asie, au Moyen-Orient et en Afrique manifestent entre autres choses une prise de conscience croissante de l’inégalité qui existe entre le niveau de vie de ces contrées et celui qui prédomine dans les pays riches. Si ces parties du globe ne savent pas grand-chose de la démocratie, ils en savent long sur la faim. Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, plus de 800 millions d’hommes, dans divers pays du monde, ont accédé à l’indépendance, avec l’espoir de s’affranchir de la pauvreté en devenant maîtres de leur destinée. La plupart d’entre eux vivent dans une pauvreté extrême et semblent peu en mesure d’assurer leur propre développement économique.

La coopération internationale

Le problème de la faim ne peut plus être laissé à l’initiative de chaque pays ; il est maintenant impérieux de faire appel, pour le résoudre, à la collaboration internationale.

La conscience mondiale s’est exprimée de façon encourageante dans la Charte des Nations Unies, la Déclaration des droits de l’homme et la constitution de l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture. Pour donner suite aux idéaux formulés dans ces documents, l’O.N.U. s’est donné pour mission de concentrer tous les efforts pendant les années 60.

L’O.A.A. a été mise sur pied au cours d’une conférence réunie à Québec en 1945 en vue d’aider les peuples du monde à poursuivre et à accroître leur lutte contre la faim et la sous-alimentation. Ses activités consistent notamment à envoyer des techniciens dans les pays sous-développés pour leur permettre d’édifier eux-mêmes leurs services agricoles, économiques, forestiers, alimentaires, etc. C’est elle qui a organisé le Programme alimentaire mondial, auquel participe le Canada et dont le but est la création d’une réserve de 100 millions de dollars de vivres et de capitaux.

En 1959, les pays membres de l’O.A.A. lançaient la Campagne pour l’affranchissement de la faim, dont l’objet est de faire disparaître d’une façon graduelle et durable la faim parmi les hommes. Il s’agit surtout, comme on l’a dit, d’aider les régions peu développées à s’aider elles-mêmes en utilisant les moyens offerts dans le cadre de cette Campagne pour mieux mettre leurs ressources humaines et matérielles en valeur. En 1961, les représentants de 33 organismes canadiens, réunis à Toronto, formaient le comité canadien de cette campagne ; à l’heure actuelle, cinquante sociétés en font partie.

Un autre programme international, d’envergure plus limitée, est le Plan de Colombo pour le développement économique des pays du Sud-Est asiatique. L’idée en a été conçue à la réunion des ministres des Affaires étrangères des pays du Commonwealth en 1950. Le Canada y participe activement par ses contributions et l’aide financière qu’il apporte aux travaux de mise en valeur. De plus, nos secours en farine et en blé à venir jusqu’à février 1964 se sont chiffrés à $115,370,917. Sur ce montant, 62 millions ½ de dollars ont été accordés à l’Inde et 35 millions ½ au Pakistan. Le reste a été réparti entre la Birmanie, le Cambodge, Ceylan, l’Indonésie, le Népal et le Viet-nam.

Impossible de s’y soustraire

Certains penseurs aux vues idéalistes espèrent peut-être que les voyages interplanétaires apporteront quelque soulagement aux pressants problèmes de l’alimentation et de la population. Et il faut reconnaître que, dans l’histoire du monde, la découverte de continents nouveaux a souvent abouti à ce résultat.

Mais le président de la British Interplanetary Society ne partage pas cet avis. Il serait beaucoup plus facile, dit-il, de faire pousser des roses dans l’Antarctique que d’établir des colonies nombreuses et capables de se suffire sur des planètes comme Mars. Quoi qu’il en soit, l’important n’est pas d’envoyer les gens sur la lune, c’est de rendre la terre plus habitable en luttant contre le sous-développement, qui est la source même de la faim, de la misère et de la surnatalité.

C’est peut-être là un vieux refrain, mais il ne semble pas y avoir de meilleur moyen de sauver l’humanité. La faim est le problème essentiel de notre temps, et c’est de la solution que nous y apporterons au cours des prochaines années que dépendront la survie de l’espèce et le bien-être des individus.

Les spécialistes nous mettent en garde contre la tentation de nous laisser distraire par le bien-être et les réalisations techniques des pays d’abondance, qui ne représentent que le tiers de la population mondiale. Ce que nous devons essayer d’évoquer – et d’entendre effectivement un jour – c’est le babil de millions d’écoliers là où il n’existait pas d’écoles auparavant ; le clapotement de l’eau dans les nouveaux canaux d’irrigation ; le bruit de millions de charrues modernes creusant des sillons dans la terre nourricière et le meuglement de troupeaux gras et vigoureux sur tous les coteaux.

L’homme du peuple ne demande rien d’utopique ; il désire simplement un peu d’allègement pour aujourd’hui et un meilleur sort pour demain. Des centaines de milliers d’êtres humains dont les ancêtres acceptaient patiemment leur vie de misère, sont plus ou moins atteints par ce qu’on est convenu d’appeler la révolte des affamés. Ce qui n’était encore, il y a un quart de siècle, qu’un rêve lointain est devenu une exigence des plus pressantes.

Le grand historien Arnold Toynbee formule quelque part l’espoir que notre siècle survivra dans la mémoire des hommes parce qu’il aura été le premier dans l’histoire où l’humanité ait osé juger pratique de faire bénéficier toute l’espèce humaine des avantages de la civilisation.