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Shakespeare n’est pas un poète mort et oublié depuis quatre siècles, mais un esprit toujours vivant, dont le génie et l’influence sont universellement reconnus. Dans tous les pays et dans toutes les langues du monde, Shakespeare continue de trouver une profonde audience chez les gens de tous les milieux.

Si ses poèmes et ses pièces de théâtre lui ont valu l’immortalité en littérature, ce n’est pas par leur érudition. C’est bien plutôt parce qu’ils témoignent d’une extraordinaire connaissance de la vie et du coeur humain, dont leur auteur a su parler dans un style débordant d’entrain, d’humour, d’intelligence, d’images et de fantaisie.

Comme nous, Shakespeare a vécu à une période troublée. Entre 1564 et 1616, la majeure partie de l’Europe connut les méfaits de la guerre, de la cruauté, de l’égoïsme, de l’isolement, et l’effervescence des idées nouvelles.

On ne pouvait choisir une époque plus mouvementée ni plus exaltante pour arriver à Londres. Le pays tout entier se trouve alors dans un état de transition, en pleine fièvre de nationalisme. Le peuple aime la « bonne reine Bess » et en est aimé, ses marins ont navigué sur les mers lointaines et arboré leur pavillon dans des parties du monde inconnues jusque-là. L’instruction commence à se répandre, grâce aux excellentes écoles que l’on vient d’établir, et la collectivité semble prendre conscience des besoins du pauvre. La bourgeoisie est en voie de formation, le capitalisme ouvre les ailes et chaque semaine apporte des changements et des découvertes.

Shakespeare entre en scène à un moment où la nécessité d’une force de cohésion se fait sentir. Huit de ses dix drames historiques évoquent à la fois une longue suite de guerres européennes et la guerre civile anglaise, qui s’échelonnent sur un siècle d’intrigues et de révoltes armées. Ces vigoureux récits d’aventures et de gloire visent à encourager les sujets d’Elisabeth à assumer leur nouveau rôle de nation mondiale.

De fait, le rythme de la vie et de la pensée s’accélère déjà au sein de la population. Il y a, tout comme aujourd’hui, des essayistes qui pérorent contre le tabac, l’alcool, les moeurs de la jeunesse, les vêtements et les toilettes des femmes. La circulation dans les rues pose de graves problèmes ; les gens y sont si nombreux que les propriétaires doivent étayer leurs maisons pour empêcher la foule de les enfoncer.

Les gloires matérielles sont relativement rares, mais l’esprit des arts et des lettres est florissant. C’est l’âge où le Titien peint sa Mise au tombeau, Véronèse son Calvaire, le Tintoret son Paradis, pendant que Rubens, Van Dyck et le Greco travaillent à leurs oeuvres immortelles.

Il appartenait à Shakespeare d’exprimer, par la parole et l’art dramatique, les sentiments, les espoirs, les craintes, les déceptions, les souffrances et les triomphes des hommes et des femmes de cette époque.

Les événements en cours

Parce que nous sommes au vingtième siècle, nous croyons vivre dans une ère plus orageuse que toutes celles qui l’ont précédée, mais il suffit de comparer ce que nous voyons aujourd’hui à ce qui s’est passé pendant le demi-siècle où vécut Shakespeare pour perdre un peu de notre certitude. Voici un aperçu des grands événements qui se déroulent alors.

Guerres : il y a les guerres des huguenots ; la France reprend Calais à l’Angleterre ; Ivan le Terrible ravage la Russie ; les Turcs assiègent Malte ; la guerre de libération sévit aux Pays-Bas ; Pie V organise la Ligue chrétienne contre les Turcs ; les Turcs sont vaincus à la bataille de Lépante ; la nouvelle de la Saint-Barthélemy consterne l’Angleterre ; les provinces des Pays-Bas s’unissent pour chasser les Espagnols ; les Maures défont les Portugais à la bataille des Trois Rois ; les Espagnols envahissent le Portugal ; l’Invincible Armada est dispersée par la flotte anglaise ; l’édit de Nantes met fin aux guerres de religion en France ; le Japon envahit la Corée ; l’Irlande se révolte ; les forces polonaises interviennent dans les troubles de Russie et sont repoussées au bout de trois ans.

Découvertes et colonisation : les Espagnols fondent Manille, dans les Philippines ; le navigateur Martin Frobisher part à la recherche du passage du Nord-Ouest ; sir Francis Drake entreprend son voyage autour du monde ; sir Humphrey Gilbert prend possession de Terre-Neuve au nom d’Elisabeth ; sir Walter Raleigh tente de coloniser la Virginie ; le premier enfant blanc, Virginia Dare, naît en Amérique ; Henri IV charge le marquis de La Roche de conquérir le Canada ; Samuel de Champlain remonte le Saint-Laurent jusqu’aux rapides de Lachine, découvre le fleuve Saint-Jean et le lac Champlain, établit une colonie au Canada et fonde Québec ; les Français fondent Port-Royal en Nouvelle-Écosse ; les premières écoles canadiennes ouvrent leurs portes à Trois-Rivières et à Tadoussac.

Souverains et dynasties : Marie Stuart, reine d’Écosse, épouse le jeune lord Darnley ; Darnley fait assassiner Rizzio, favori de Marie, et est lui-même assassiné par Bothwell ; Marie épouse Bothwell, puis abdique en faveur de son fils, Jacques VI ; accusée de conspirer contre Elisabeth, Marie Stuart est condamnée à mort ; Soliman le Magnifique de l’Empire ottoman est tué au combat ; Catherine de Médicis meurt en 1589 ; Olivier Cromwell naît à Huntingdon ; le comte d’Essex se révolte et est exécuté ; la mort met fin au règne d’Elisabeth, et Jacques VI d’Écosse lui succède sous le nom de Jacques Ier d’Angleterre ; sir Walter Raleigh, impliqué dans un complot contre le roi, passe 13 ans en captivité ; une commission est chargée d’étudier le projet d’union de l’Angleterre et de l’Écosse ; Guy Fawkes complote pour faire sauter le Parlement ; « plantation » de l’Ulster, soustrait à la Couronne par la rébellion de Tyrone ; avènement de la dynastie des Romanov, qui régnera sur la Russie jusqu’à la révolution de 1917.

Sciences et inventions : on assiste à l’invention du tour à fileter, du crayon à mine de plomb, du système décimal, du métier à tricoter, de la turbine aérienne et du plateau tournant ; la pratique du semis en poquets accroît le rendement du blé ; Galilée publie son traité sur le magnétisme terrestre, expose le principe du pendule et fabrique la première lunette astronomique ; Neper invente les logarithmes ; Snellius imagine la triangulation ; William Harvey formule sa théorie de la circulation du sang ; le système de Copernic est dénoncé comme hérétique.

Arts et littérature : Michel-Ange meurt en 1564 ; Montaigne écrit ses Essais ; Spenser publie sa Reine des fées ; la Bible connaît sa première version autorisée ; Cervantes crée Don Quichotte ; Bacon publie ses Essais ; John Milton naît en 1608.

Evolution des idées : en Pologne, la monarchie élective remplace la monarchie héréditaire ; des débats publics sur la religion sont ouverts à toutes les croyances en Inde ; Grégoire XIII réforme le calendrier ; le Japon réalise son unité politique ; Akbar le Grand, empereur mongol de l’Inde, assainit l’administration et introduit dans son empire la tolérance universelle en matière de religion ; on propose un plan en vue de créer une république chrétienne universelle en Europe ; la loi élisabéthaine concernant les pauvres charge les paroisses du soin des indigents ; le traité de Vienne reconnaît l’égalité des protestants et des catholiques ; une charte royale accorde une certaine liberté religieuse en Allemagne.

Après ce rapide coup d’oeil sur les événements du siècle tumultueux, et pourtant fertile en progrès, où vécut Shakespeare, on ne peut guère s’étonner du fait que son oeuvre soit aujourd’hui d’une telle actualité.

Un homme de son temps

Shakespeare fut à la fois un artisan et un praticien du théâtre, un acteur et un auteur fort actif, et même un homme d’affaires avisé. Comme la plupart des écrivains de nos jours, il n’écrit pas pour la postérité, mais pour les gens de son époque, pour gagner sa vie et, sans doute, pour respecter des délais prescrits.

Certains prétendent qu’il était réservé à notre siècle de lumière de reconnaître, comme il se doit, toute la valeur et la grandeur de Shakespeare, mais il n’en est pas ainsi. En plus de la faveur populaire et des applaudissements de la cour, il eut la satisfaction de voir presque la moitié de ses pièces paraître sous forme imprimée. Hamlet fut même un « succès de librairie » ; il connut au moins cinq éditions du vivant de l’auteur. La première édition complète de son théâtre fut publiée sept ans après sa mort, c’est-à-dire en 1623.

Les oeuvres de Shakespeare ne tardèrent pas à franchir les frontières qui séparent les pays et les langues. Un grand poème de Shakespeare demeure toujours un grand poème quelle que soit la langue dans laquelle il est traduit.

Ce n’est pas à dire que Shakespeare n’a pas eu de détracteurs. Pour Tolstoï, loin d’être un génie, il n’est somme toute qu’un écrivain médiocre. George Bernard Shaw dit qu’« à l’unique exception d’Homère, il n’y a pas un écrivain éminent, pas même sir Walter Scott, que je méprise autant que Shakespeare lorsque je compare mon intelligence à la sienne ».

Le magicien des mots

Les plus grands admirateurs de Shakespeare apprécient avant tout son art d’utiliser la langue anglaise, son génie verbal et la musique de son style.

Shakespeare excelle dans l’expression de tous les états d’âme. S’il tonne à certains moments comme les canons d’un barrage d’artillerie, il sait aussi passer en un clin d’oeil à des mots doux, fragiles et légers comme des bulles de savon. Sa majestueuse poésie s’exprime, quand elle atteint toute son intensité, dans une langue claire et simple. Ce n’est que dans les scènes secondaires que l’auteur donne parfois libre cours à son goût de l’expression un peu recherchée et énigmatique, qui faisait dire à Alfred de Vigny : « il ne suffit pas d’entendre l’anglais pour comprendre ce grand homme, il faut entendre le Shakespeare qui est une langue aussi. » Mais on ne décèle aucun signe d’affectation ni de fausses notes lorsque ses interprètes débitent ses vers. Comme Dryden l’écrit à son sujet, « toutes les images de la Nature étaient encore présentes à son esprit, et il les en tire, non pas laborieusement, mais avec bonheur ; quand il décrit quelque chose, on fait plus que le voir, on le sent. »

Shakespeare trouve les termes qu’il faut pour traduire nos sentiments les plus secrets. L’art avec lequel il sait exploiter jusqu’aux syllabes procure un vif plaisir à l’oreille. Il met de la vie dans ses pièces, non seulement par la magie des mots, mais aussi par celle de la pensée, car chez lui la sonorité des mots s’accompagne la plupart du temps du bruissement des idées.

Certains de nos auteurs de scénarios d’aujourd’hui s’efforcent d’écrire des textes qui provoquent la peur, mais ne produisent en fait que du monstrueux. Lorsque Shakespeare a recours aux monstruosités, ce n’est pas pour le plaisir de la chose, mais pour donner plus de force à son récit. S’il fait intervenir les trois sorcières ou une créature difforme comme Caliban, il a soin de nous convaincre que si de tels êtres existaient, ils n’agiraient pas autrement.

L’activité de l’homme shakespearien ne se limite pas au mouvement continuel que l’on observe dans une fourmilière. Les personnages sont mus par la passion, la raison, l’intérêt et l’habitude, et nous sommes amenés à reconnaître que leurs actes et leurs sentiments découlent nécessairement de ces mobiles. Souvent, comme Oedipe, ils ignorent les impulsions auxquelles ils obéissent, mais ils marchent inconsciemment vers leur destin. Pourtant ils se révèlent aux spectateurs par leurs propos, par leurs intonations, par leurs silences, par leurs manières d’agir et par ce que disent les autres à leur sujet.

La vigueur de son style

Shakespeare écrit dans un style vigoureux, où l’effort ne se fait pas sentir. Il jette la semence des choses, les principes des caractères et de l’action, d’une main habile, mais désinvolte. Les passions humaines les plus authentiques ronflent dans sa bouche, et il les exprime dans des phrases ciselées par sa puissante intelligence. Mais il est réaliste. Il sait mettre de l’ordre dans ses affaires. Le théâtre n’est pas tout. Il y a aussi d’autres choses qui importent dans la vie.

Shakespeare n’est pas un penseur profond et original. Peu de poètes le sont ; ce n’est pas leur affaire. Son mérite est d’avoir donné de l’importance aux sentiments intérieurs et de les avoir exposés au grand jour. On a dit, et avec raison, que Shakespeare n’avait rien inventé, mais qu’il avait magistralement réussi à mener à bonne fin tous les efforts manqués de ses prédécesseurs.

À tout ce qu’il puisa chez les autres, il ajouta le fruit de ses connaissances personnelles et les récits merveilleux des mondes nouveaux que les marins de l’époque élisabéthaine étaient en train de découvrir.

Il y a une source qu’il faut mentionner : les Essais de Montaigne, qui lui auraient inspiré le personnage de Caliban et la description de l’État idéal que l’on trouve dans La Tempête. C’est Montaigne lui-même qui dit dans l’un de ses essais : « Les fleurs je les cueille sur les bords de la route, le long des ruisseaux et dans les prés ; seule la ficelle dont je les lie est à moi. »

Les Sonnets, le plus discuté de tous les recueils de poésie de la littérature anglaise, ont causé aux exégètes et aux biographes des années et des années de perplexité. Pour le lecteur ordinaire, il ne fait aucun doute que ces Sonnets procèdent d’une épreuve réelle et douloureuse, surtout en ce qui concerne la « dame brune », mais ce n’est pas leur contenu autobiographique qui importe. Il faut les juger d’après leur valeur poétique.

Un homme de notre temps

À une époque où le besoin le plus urgent est celui d’en arriver à nous connaître nous-mêmes et à connaître les autres peuples du monde, Shakespeare peut certes nous être utile.

On ne trouve pas chez lui de règles de conduite absolues, qui pourraient s’appliquer comme des panacées, mais ses principes demeurent et ses personnages nous disent vraiment quelque chose. Goethe lui rend ce remarquable hommage : « Tous les espoirs que j’ai fondés sur l’homme et sa destinée, qui m’ont accompagné depuis ma jeunesse, souvent à mon insu, je les trouve épanouis et comblés dans les oeuvres de Shakespeare. On dirait qu’il a élucidé pour nous chacune de nos énigmes, bien que nous ne puissions dire : voici ou voilà où s’en trouve la clef. »

Malgré tous nos progrès dans les domaines de la science, de la découverte, de la rapidité des communications et du confort matériel, la nature humaine n’a guère changé. Les aristocrates, les magnats, les soldats et les gens du peuple sont aujourd’hui ce qu’ils étaient alors. Nous luttons encore contre des vents et des marées dont nous ignorons la force et la violence. Nous cherchons toujours la stabilité nationale qui nous permettra de connaître la prospérité et l’épanouissement intellectuel et moral. La voie du succès, pour toute nation, se profile en quelque sorte dans ces deux vers d’Hastings sur l’Angleterre dans Henry VI :

« Eh quoi ! Montague ne sait-il pas que par elle-même l’Angleterre est assurée contre tout danger, pour peu qu’elle reste fidèle à elle-même ? »

La lecture de Shakespeare

L’originalité, la bizarrerie, l’inattendu jaillissent presque à chaque page des pièces de Shakespeare. Même si vous ne cherchez rien de particulier chez lui, vous y trouverez des choses intéressantes.

Il n’est pas nécessaire d’être spécialiste en théâtre shakespearien ou en histoire de l’époque élisabéthaine pour goûter Shakespeare. Si un mot ou une allusion lui échappe parfois, si un brin de dialogue poétique demeure obscur, le lecteur peut encore y recueillir la fine fleur de l’oeuvre en ne la lisant que pour son plaisir.

Une des raisons qui éloignent le lecteur des écrits de Shakespeare, c’est qu’on les a enseignés et expliqués jusqu’à la nausée. Un essayiste du dix-neuvième siècle, William Hazlitt, donne ce conseil : « Si vous voulez connaître la puissance du génie humain, lisez Shakespeare. Si vous voulez mesurer l’insignifiance de l’érudition humaine, étudiez ses commentateurs. »

On ne peut lire une pièce de théâtre de Shakespeare sans la monter en fait sur la scène de son imagination. Et il en est ainsi parce qu’il se confie pleinement à nous, qu’il nous met dans le secret. Les personnages peuvent paraître perplexes et mystifiés ; les spectateurs ne le sont jamais.

Un moyen auquel Shakespeare recourt pour permettre au public d’être toujours un peu en avance sur le déroulement de la pièce, est le monologue, discours où un personnage resté complètement seul sur la scène médite avec intelligence, mais aussi avec passion, sur des valeurs opposées et devant des éventualités terribles.

Le célèbre monologue de Hamlet – « Etre ou ne pas être » – demeure un chef-d’oeuvre que ni la répétition ni la parodie ne sauraient altérer, car il fait revivre pour chacun de nous l’affreuse agonie de l’indécision chez l’individu écrasé par la fatalité.

Un auteur toujours cité

Le plus sûr critère de la valeur d’une oeuvre littéraire, c’est sa survie, son immortalité. Alors que les grands conquérants ne sont plus que cendres et poussières, Shakespeare demeure toujours bien vivant dans ses écrits, dans nos conversations, dans l’histoire du monde.

Les Anglais le citent quotidiennement, et beaucoup de ses vers sont passés dans la langue des autres peuples, tant sont nombreux les sujets dont il a traité en des formules aussi heureuses que frappantes.

En plus d’« être ou ne pas être, voilà la question », Hamlet nous a valu : « il y a quelque chose de pourri dans le royaume de Danemark », « on peut sourire et sourire, et pourtant être un scélérat », « la brièveté est l’âme de l’esprit », « plus de faits et moins d’art » ; nous sommes redevables à Othello de « combien pauvres sont ceux qui n’ont point de patience », « le livre sanglant de la loi », « pleurer un malheur passé, c’est le plus sûr moyen d’attirer un malheur nouveau ». De Jules César nous viennent : « prends garde aux Ides de mars » ; « toi aussi, Brutus ? ». Dans Le Marchand de Venise, nous relevons : « quelles nouvelles au Rialto » ; « le diable peut citer les écritures pour ses besoins ; la clémence ne se commande pas ; l’homme qui n’a pas de musique en lui… » Macbeth nous a donné : « je veux double assurance et lier le destin » ; « le lait de la tendresse humaine », et combien d’autres.

Les traductions françaises

En France, c’est à Voltaire que revient le mérite d’avoir fait connaître Shakespeare, en tentant de transporter sur le théâtre français quelques scènes d’un poète, dont il ne semble pas avoir compris lui-même la vraie beauté. Les adaptations de Ducis ne furent guère plus heureuses. Alfred de Vigny donna un Othello qui n’est pas trop au-dessous du modèle. Dès lors les tentatives se multiplièrent. Les principales traductions des oeuvres complètes de Shakespeare sont celles de Letourneur, de François-Victor Hugo, d’Emile Montégut et, plus récemment, celle de Pierre Messiaen.

Un homme de tous les temps

Les pièces de Shakespeare ne s’adressent pas seulement à son époque et à la nôtre, à son pays ou aux peuples de langue anglaise, mais à tous les siècles et à toute l’humanité. Même s’ils appartiennent historiquement à la période élisabéthaine, ses personnages débordent largement les limites de l’histoire et du temps.

Le théâtre shakespearien perdurera parce qu’il exprime des états d’âme éternels. Il présente à nos yeux, aujourd’hui comme toujours, une certaine conception de la dignité humaine, de l’importance des passions humaines et du mystère de la vie humaine.

Dans son immortelle galerie de portraits, Shakespeare nous donne des enseignements, dont nous pouvons faire notre profit même au vingtième siècle. Le Roi Lear est certes la tragédie de l’ingratitude filiale, mais il montre aussi que si l’on se dépouille de ses armes, des personnes peu scrupuleuses auront tôt fait de s’en saisir. Dans Hamlet, trois hommes de tempéraments différents se voient chargés de venger la mort d’un père. Hamlet, celui qui pense, mais n’agit pas, tergiverse ; Laertes, celui qui agit sans réfléchir, va trop vite ; tous deux périssent par la même épée empoisonnée ; et le royaume reste à Fortinbras, l’homme calme et équilibré, qui sait à la fois penser et agir, et le faire en temps voulu.

Mais il y a aussi des leçons de tolérance. Cymbeline, Le Conte d’hiver et La Tempête sont des comédies de réconciliation, de pardon et de bonheur retrouvé.

Le 400e anniversaire

Cette année, toute l’Angleterre se fera élisabéthaine pour célébrer le 400e anniversaire de la naissance de Shakespeare.

Une centaine d’ambassadeurs étrangers hisseront leurs pavillons nationaux à Stratford-sur-Avon, le 23 avril, en l’honneur d’un poète et dramaturge dont les pièces se jouent dans presque toutes les langues. Le Canada déléguera sa Compagnie, de réputation internationale, du Festival de Stratford, qui présentera trois pièces au Chichester Festival Theatre.

Tout cela pour honorer un homme qui a trouvé la réponse à des questions dont les autres hommes ne connaissaient même pas encore l’existence, et aussi à des problèmes qui se posent encore quatre siècles après lui. Ce sont les grandes questions de la nature et des fins de l’homme, auxquelles il a donné des réponses qu’il est impérieux de connaître à l’une des heures les plus décisives de l’histoire du monde.