Le seul fait de gagner de quoi vivre comporte déjà certains aléas, mais ceux qui conduisent leur barque avec le moins de soucis sont sans contredit les gens qui savent par leur prévoyance réduire au minimum les méfaits éventuels de la chance ou du hasard.
Dans les affaires, comme dans la vie en général, on trouve des hommes qui jouent leur fortune, leurs talents et leur temps sur la tournure des événements, et d’autres qui mettent tous leurs soins à administrer leurs biens et à employer leur temps d’une façon méthodique, afin de s’assurer les plus grandes chances de succès.
Il est plutôt rare que l’on trébuche sur une pépite d’or en marchant la tête dans les nuages. En fait, il est de plus en plus nécessaire pour réussir dans la vie, non seulement de regarder où l’on va dans le moment, mais encore de voir ce qui s’en vient, ce qui peut arriver dans un an ou une dizaine d’années, par exemple.
La prévoyance éclairée se fonde sur le principe que les phénomènes ne sont pas des choses isolées. Chacun d’eux est précédé, accompagné et suivi de plusieurs autres. Le rapport de causalité qui existe dans le monde est la plus importante loi naturelle que nous connaissions. Il s’applique aussi bien dans les affaires et dans la vie privée que dans la nature.
Celui qui cherche au-delà des faits pour en trouver la cause ne reste pas abasourdi et meurtri, comme on est si souvent porté à l’être, devant les bizarreries de l’existence. Il s’aperçoit que les événements qui semblent être des caprices du sort ne sont en réalité que la dernière étape d’une longue série de causes et d’effets.
Notre connaissance des causes véritables est très limitée, mais nous savons que dans certaines circonstances certaines choses se produisent immanquablement. Ce qui importe, c’est de juger des causes apparentes en se posant trois questions : (1) Existe-t-il vraiment un rapport de causalité ? (2) Est-ce le seul qui existe ? (3) Existe-t-il avec toute l’infaillibilité que nous croyons ?
Ces critères sont d’autant plus nécessaires que les événements ne font parfois que se succéder dans le temps sans aucunement tendre vers une fin ; qu’il arrive aussi que des événements apparemment reliés entre eux se produisent ensemble sous l’action d’un troisième facteur, que les causes de phénomènes analogues ne sont pas toujours identiques.
Le hasard dans l’histoire
L’ancien gouverneur général du Canada, John Buchan, qui devait devenir plus tard lord Tweedsmuir, nous a laissé une intéressante causerie intitulée « The Causal and the Casual in History », dans laquelle il cite plusieurs exemples de faits sans importance qui eurent pourtant de grandes conséquences.
Il est puéril, mais assez intéressant tout de même, de faire des conjectures sur ce qui serait arrivé si l’on avait fait telle ou telle chose. Ainsi, l’Empire romain a dû son existence aux plus remarquables applications des connaissances techniques acquises jusqu’alors : témoin ses routes, ses aqueducs, ses tunnels, ses égouts, ses vastes édifices, sa métallurgie et son agriculture. Pourquoi les ingénieurs romains n’ont-ils pas inventé la machine à vapeur ? Ils avaient tout ce qu’il fallait pour le faire. S’ils ne l’ont pas fait, c’est peut-être, comme le veut une opinion assez humoristique, qu’ils ne connaissaient pas encore l’usage du thé et du café. Au dix-huitième siècle, date de la découverte des possibilités de la vapeur, des milliers d’hommes pouvaient regarder bouillir l’eau dans leurs marmites en se chauffant devant l’âtre.
Voici un autre exemple tiré de l’histoire de la vapeur. Le projet que caressait Napoléon d’envahir l’Angleterre a été tourné en dérision, mais que serait-il arrivé si la proposition de Robert Fulton d’équiper une flotte de navires à vapeur n’avait pas été étouffée en comité. Fulton avait écrit à Napoléon : « Je puis supprimer les obstacles – vent et tempête – qui protègent vos ennemis et, malgré leur flotte, transporter vos armées sur leur territoire à tout moment et en quelques heures. » Bonaparte envoya cette lettre à son ministre de l’Intérieur, pour étude immédiate, avec une note disant que cette proposition « pouvait changer la face du monde ». Mais le projet n’eut jamais de suite.
Les petites choses qui ont modifié le cours de l’histoire sont innombrables. Ménélas aurait fort bien pu, et avec raison, se juger heureux de se voir ravir une femme aussi frivole qu’Hélène ; mais alors il n’y aurait eu ni rassemblement de mille navires, ni guerre de Troie, ni Iliade, ni Odyssée. Si Napoléon n’avait pas eu de picotements au visage le jour de novembre 1790 où son sort était entre les mains des législateurs français, il ne se serait pas gratté, le sang n’aurait pas coulé sur ses joues, la foule n’en aurait pas conclu qu’on l’avait attaqué, le peuple n’aurait pas fait irruption dans la salle des délibérations et imposé la nomination de Napoléon comme premier consul.
Goering n’a-t-il pas avoué, au cours du procès des criminels de guerre nazis à Nuremberg, qu’une jolie blonde l’avait fait dévier de son but au moment où il s’apprêtait à se faire franc-maçon. Si je n’avais pas rencontré cette femme, a-t-il dit, je serais entré dans les rangs de la franc-maçonnerie. Et il lui eût alors été impossible de se joindre au parti nazi et de devenir le puissant collaborateur d’Hitler. Charles Dickens voulait être comédien, mais il avait le rhume et on le refusa à cause de l’enrouement de sa voix. C’est pourquoi il devint écrivain au lieu d’acteur. En tirant une charrette en travers d’une porte cochère, près du pont de Varennes, pendant la révolution française, l’humble citoyen Drouet fit échouer la tentative de Louis XVI et de Marie-Antoinette d’échapper à la guillotine.
Dans ses Pensées, Pascal fait allusion au nez de Cléopâtre, qui, « s’il eût été plus court, eût changé la face du monde. » Mais peut-être que César et Antoine auraient quand même trouvé son incontestable intelligence, sa personnalité et ses attraits irrésistibles quelle qu’eût été la longueur de son nez. Sans compter que l’Egypte, en tant que grenier du monde romain, était un atout que l’on ne pouvait qu’ambitionner de posséder et que son importance ne tenait pas du tout au profil de sa reine.
Certains de ces incidents ont été l’effet du hasard, mais il ne faut pas attribuer au hasard des faits qui ont une cause explicable, ni laisser notre confiance en notre bonne étoile nous dispenser de faire ce que nous dictent le bon sens et la logique pour atteindre le but que nous désirons.
La chance
La croyance à la magie a joué un rôle considérable dans l’histoire humaine. Au fond, toute magie est l’illusion que l’on peut obtenir les résultats voulus sans le concours rationnel des facultés humaines et des conditions matérielles. L’homme d’affaires ne saurait mener sa tâche à bonne fin s’il la conçoit à la façon de l’homme primitif. Pourtant, il y a encore des gens qui croient aux porte-bonheur et qui en ont sur eux ou sur leur bureau, et on voit encore des joueurs retourner leur veston pour la veine, comme on le fait dans L’homme qui rit de Victor Hugo.
L’homme que la « chance » favorise est d’ordinaire celui qui sait jusqu’à quel point il peut s’en remettre au hasard, qui n’ignore pas qu’il est mathématiquement certain que la chance ne fait pas d’acception de personnes, mais qu’elle est absolument impartiale. L’univers est régi par la loi de la causalité ; seul l’homme qui méconnaît cette loi peut excuser son échec en blâmant la fortune ou le hasard.
Mais celui qui a tracé sa route et qui marche dans la bonne direction, crée un ensemble de circonstances qui contribuent à sa réussite. Il est alors en mesure de faire en sorte que chaque incident lui soit profitable. Comme l’a dit un ancien philosophe : « Les chiffres sont indifférents, les dés sont indifférents. Comment saurais-je sur quelle face ils vont tomber ? Mais tirer habilement parti de ce qu’ils indiquent, voilà où commence mon véritable rôle. »
Les gens ont toutes sortes d’idées sur l’origine des inventions et des découvertes. Il y a d’abord celle de l’éclair de l’inspiration, comme la chute de la pomme sur la tête de Newton, qui lui fit saisir tout à coup la loi de l’attraction universelle ; vient ensuite la théorie selon laquelle l’invention est le fait d’équipes de chercheurs que l’on fait travailler de neuf à cinq dans des domaines rigoureusement déterminés. En réalité, la plupart des grandes inventions et des découvertes importantes sont attribuables au génie créateur de leur auteur, mais au génie allié le plus souvent à une longue période de travail organisé et assidu. Il faut certes avoir de l’originalité, connaître son sujet, être exempt de préjugés et avoir de la discipline, mais il importe surtout d’avoir un plan à suivre.
Sans l’aide d’un plan fondé sur les renseignements et une bonne préparation, les chances de succès se trouvent considérablement réduites, et l’on demeure impuissant sous le choc d’une difficulté imprévue ou de la tournure inopinée des événements. Celui qui sait parer aux éventualités connues peut librement s’occuper de celles qui ne le sont pas.
Le fait de noter sur le papier pourquoi, comment, où, quand et par qui une tâche quelconque est accomplie suffit à lui seul à éveiller des idées sur la façon de l’exécuter mieux encore. On ne saurait imaginer travail plus profitable.
Personne ne peut nier ces avantages : la prévoyance aide à n’omettre aucun des détails qu’il faut examiner avant de se mettre à l’oeuvre ; elle permet de coordonner et de régler ses actions de manière à faire porter ses efforts là où les possibilités d’amélioration et les chances de succès sont les plus fortes. Un bon plan doit être élaboré pour une période de temps que l’on peut normalement prévoir. Il doit aussi comporter des dates d’exécution assez précises.
Il y a deux sortes de plans détaillés : celui qui procède de la nervosité, du caprice et de l’obsession, et le plan qui, axé sur un but bien déterminé, s’applique avec tout le soin nécessaire à l’atteindre. Sinclair Lewis nous donne un exemple du premier genre de plan dans Babbitt. Pour le court espace d’une heure et demie où il devra s’absenter du bureau pour aller déjeuner, le héros fait des préparatifs à peine moins poussés que s’il s’agissait de dresser les plans d’une guerre européenne. Le biographe Vasari met le second en lumière en rapportant que le pape, ayant chargé Léonard de Vinci de faire un tableau et apprenant ensuite que l’artiste avait commencé par essayer le vernis qu’il avait l’intention d’employer, afin de réaliser quelque chose de durable, se serait écrié : « Hélas ! cet homme ne fera jamais rien, car il songe à la fin avant de commencer. »
Mais la prévoyance a encore un autre avantage : elle évite les soucis. S’il ne se croise pas les bras devant les infortunes évitables, l’homme avisé ne perd pas de temps et ne s’émeut pas sur celles qu’il peut empêcher par sa prévoyance. Prévoir c’est se prémunir à coup sûr contre les tracasseries. On échappe ainsi à l’irritation que provoque infailliblement l’imprévu et aux sollicitations cuisantes des choses qui auraient dû être faites.
Il n’en demeure pas moins indéniable que la chance joue effectivement un certain rôle dans notre vie. On n’a qu’à parcourir l’histoire pour s’en convaincre. Nous sommes bien obligés de nous plier aux circonstances que nous impose notre milieu. Comme dans une partie d’échecs, nous devons souvent changer de tactique pour nous adapter au jeu de l’adversaire. Mais il serait impardonnable d’entreprendre une tâche sans se tracer un plan qui voit venir les choses d’aussi loin que possible.
La méthode scientifique
Les hommes de science sont peut-être les meilleurs modèles à imiter pour qui veut travailler avec ordre et organisation. La méthode scientifique n’est pas l’art d’inventer des nouveaux dispositifs ou de nouvelles techniques, c’est une façon de penser.
La science consiste à observer les faits et à essayer de les comprendre. L’objet de la méthode scientifique est de nous mettre sur une voie précise et bien définie, où il y a une certaine probabilité d’arriver au résultat désiré. Cela n’appartient pas en propre à la chimie, à la physique ou à la biologie, mais se trouve souvent mis en pratique par l’homme d’affaires avisé qui veut résoudre un problème concret, par l’avocat qui scrute les preuves, par l’homme d’État qui élabore une nouvelle loi, par le chef de famille qui projette de rénover sa maison.
Voici quelles sont les règles de la méthode scientifique : poser la question en termes clairs, ne rien considérer comme admis, accepter les faits si désagréables soient-ils, réunir des preuves ou des données fondées sur l’expérience ou l’observation et tirer des conclusions préliminaires dites hypothèses. L’étape suivante consiste à vérifier les hypothèses afin de savoir laquelle correspond le mieux aux faits observés, aux idées qui en sont déduites et au but recherché. Il s’agit ensuite de tirer les conclusions définitives et de se mettre à l’oeuvre.
Une telle méthode conduit non seulement à un meilleur travail, mais aussi à de meilleures décisions administratives. Elle dévoile la vérité, révèle ce que sont les choses et montre comment les manier.
Certains nient toute utilité à la méthode scientifique dans les affaires et dans la vie quotidienne sous prétexte qu’elle est insupportablement cauteleuse, indécise et embourbée. Au contraire, cette méthode hâte les choses en s’assurant au départ que le résultat sera ce que nous voulons, que les moyens employés seront efficaces, que la cause et l’effet ont été étudiés, que l’on peut affronter sans crainte l’élément de hasard qui subsiste parce que le terrain a été bien préparé.
Les renseignements
Le renseignement et la documentation constituent pour ainsi dire la matière première du raisonnement. Ils sont essentiels pour prévoir les événements et en infléchir le cours. Tout ce qui est grand se fonde sur le savoir, et l’homme qui n’a pas le désir instinctif d’apprendre et de chercher la vérité ne peut rien accomplir d’original et de valable.
Nous devons nous efforcer de ranimer en nous la passion de la découverte qui caractérisait nos jeunes années. Les enfants s’intéressent à tout ce qu’ils voient et entendent. Ils cherchent constamment et ardemment à savoir et à s’instruire. Les hommes qui font de grandes choses demeurent dans cet état d’esprit toute leur vie. Ils regardent et observent, ils notent et analysent, plus que les autres.
C’est un grand pas de fait dans la voie du succès que de se rendre compte qu’il y a des choses que l’on ignore et de prendre les moyens pour combler cette lacune. Se renseigner, rechercher la vérité dans un domaine quelconque, c’est l’un des plus purs délices de l’existence.
Le fait de savoir influe non seulement sur les jugements que nous portons, mais aussi sur notre intégrité en nous permettant de mieux discerner le vrai du faux. Celui qui possède des renseignements sûrs à propos d’une question dispose d’une base solide pour établir ses plans et ses prédictions.
Mais il faut faire des recherches. Newton ne doutait pas que les cieux « proclament la gloire de Dieu, » mais il s’est donné la peine de constater, en regardant dans un télescope, comment ils le font exactement.
Analyse et contrôle
L’analyse est l’ennemi de l’imprécision et de l’ambiguïté, qui sont deux grands adversaires de la solution intelligente des problèmes. Elle dégage les éléments essentiels d’une situation ou d’un plan, et fait saisir les rapports qui existent entre eux. La largeur de vue qu’elle confère permet d’envisager les choses sous leur véritable jour et de bien apprécier la valeur de chaque fait par rapport au but que nous poursuivons.
Après avoir disséqué le problème ou la situation, examiné ses diverses parties et écarté ce qui est sans importance, nous nous trouvons en présence de l’essentiel, des éléments qui réclament notre attention. Il s’agit ensuite de les classer et de les interpréter.
Les directeurs qui ont un faible pour les mots d’ordre feraient bien de noter sur leur agenda qu’ils ne doivent pas oublier de se poser une fois par mois cette petite question : « Que se passe-t-il ? » Cela les aidera à s’arracher à la routine et à regarder autour d’eux et en eux-mêmes. Les réponses apportées à cette question pourront être fascinantes ou exaspérantes, mais le jeu sera toujours très amusant.
Il y a deux choses aussi simples qu’essentielles à faire avant de pouvoir considérer un problème comme résolu ou un plan comme complet : ordonner et vérifier. Quelque bouleversante que soit la situation, il faut autant que possible garder le sens des proportions et établir des priorités afin qu’aucun détail ne cloche. Un manque d’équilibre en un point quelconque peut déranger le meilleur des plans.
Les décisions doivent être mises à l’épreuve. Un homme d’affaires doit cultiver son sens du discernement. Examinez les fondements de vos plans et vérifiez chaque étape de leur application. On épargne du temps et de l’argent en démasquant la fausseté, partout où elle se trouve.
Prévoir des variantes
Les décisions doivent comporter des variantes. Un bon plan n’est pas nécessairement quelque chose de figé et immuable, où il ne manque aucun point sur les i. Il doit parer de façon intelligente à l’imprévu.
Il n’existe pas de répertoire complet des erreurs que l’on commet dans les affaires et dans la vie privée, mais il semble, à la réflexion, que les plus courantes soient les suivantes : négligence de prévoir des solutions de rechange ou tendance à trop les simplifier, fausse appréciation des mérites respectifs des solutions de rechange. Lorsqu’un carrefour se présente, il se peut que votre plan ne soit pas utilisable tel quel, mais si vous avez eu la clairvoyance de penser à ce qui pouvait se produire, vous serez à même de choisir sans hésitation la meilleure voie.
Quoi qu’il arrive, il est toujours avantageux d’avoir bien pensé à son affaire. La science a ses savants de laboratoire, qui ont les yeux rivés aux microscopes et l’esprit toujours en avance sur les connaissances de leur temps. Les hommes d’affaires aussi ont besoin d’un lieu de retraite, où ceux qui sont chargés de l’orientation générale et de l’organisation des entreprises pourraient s’isoler pour étudier et réfléchir dans le calme et le recueillement. L’expression « tour d’ivoire » s’emploie souvent dans un sens péjoratif. Mais n’est-il pas logique et naturel de vouloir se retirer dans la solitude pour chercher à mieux comprendre les faits, à concevoir des idées et à élaborer des plans féconds ? Il est tout à l’honneur des esprits supérieurs et des chefs de pouvoir faire concourir le savoir, l’expérience et la sagesse à la bonne organisation de leurs entreprises.
Mais la décision ne va pas sans l’action. Il doit s’établir un équilibre pratique entre les buts souhaitables et le prix à y mettre pour les atteindre. Les hommes inférieurs se dérobent devant le grave devoir de prendre des décisions et de les mettre en pratique, mais les véritables chefs savent bien qu’une entreprise ne résisterait pas longtemps au régime des « sursis d’exécution ».
Sans l’action ou la mise à exécution, les plans restent stériles. À une époque dont le médicament symptomatique est devenu le tranquillisant, la société a besoin plus que jamais d’hommes assez courageux et énergiques pour affronter la vie avec hardiesse. C’est à eux qu’il incombera de faire passer les projets de la planche à dessin aux fondations. Tout le monde connaît l’exploit du petit Hollandais qui sauva son village en bouchant un trou dans une digue avec son doigt. En plus du garçonnet, de son doigt et du heureux hasard qui le fit passer par là, il fallait pour cela de la présence d’esprit, de l’initiative et de la rapidité d’action.
Le changement est inévitable
Aucun plan, si bien conçu soit-il, ne peut nous dispenser de l’obligation de nous conformer aux transformations qui s’accompliront inéluctablement dans nos vies, dans nos entreprises, dans notre pays et dans le monde. Dans la société d’autrefois, les gens cheminaient du berceau à la tombe comme sur des rails et selon des lois indiscutables. Aujourd’hui, nous savons qu’il existe beaucoup de points d’interrogation, et les réponses des autres ont des répercussions sur notre vie la plus intime.
C’est dire que nos plans doivent être revus et modifiés pour répondre aux conditions nouvelles. Il nous faut faire l’inventaire des idées qui meublent notre esprit, afin d’en expulser ce qui ne s’accorde pas avec notre temps et l’enrichir de tous les perfectionnements et les améliorations mis à notre disposition par le génie et le travail de l’homme.
Reprenons l’exemple de la science. Les découvertes d’Aristote n’ont-elles pas été remplacées par celles de Newton, qui à leur tour ont cédé la place à celles d’Einstein ?
Ce qui ressort de toutes ces considérations, c’est qu’il est dangereux et préjudiciable de négliger de faire des plans ou de remettre cette tâche à plus tard, quelle que soit notre confiance dans notre bonne fortune, mais qu’il importe tout de même de tenir compte du hasard, qui, dit-on, fait parfois bien les choses. Le fait de travailler sans plan a aussi un autre désavantage : il se peut que l’on suive inconsciemment les plans que d’autres ont tracés dans leur propre intérêt.
Une vie ou une entreprise qui n’obéit à aucun plan est comme ces morceaux de glaise à modeler dont on se sert dans les jardins d’enfants et qui prennent chaque jour une forme différente suivant la personnalité du bambin qui tente de s’exprimer dans cette matière malléable.
Les hommes dynamiques préparent et organisent leur action. Ils prennent toutes les mesures nécessaires pour favoriser et prédéterminer la réalisation de leurs fins. Loin de tenir les yeux fixés sur le pare-chocs de la voiture qui les précède, ils regardent assez loin devant eux pour éviter les contretemps et les ennuis.