Une mappemonde doit obligatoirement comprendre l’Utopie, car c’est là le pays idéal, où l’humanité rêve sans cesse de débarquer. Mais à peine y a-t-elle abordé qu’elle entrevoit déjà une terre meilleure encore et qu’elle remet aussitôt à la voile.
Tout homme à l’esprit actif et éclairé est plus ou moins utopiste. Il s’imagine les conditions politiques, sociales et industrielles dans lesquelles il aimerait vivre, puis il s’efforce, dans la mesure de ses moyens, de réaliser ces conditions.
Le mot « Utopie » fut employé pour la première fois par Thomas More, en 1516, pour désigner une île lointaine sur laquelle existait, d’après son récit, une république idéale. Le terme a fini par entrer dans le dictionnaire, où il a le sens d’un lieu ou d’un état d’une perfection idéale du point de vue de la politique, des coutumes et des conditions de vie.
Certains estimeront peut-être qu’il est plus ou moins puéril de lire des écrits utopiques, mais cela a le grand avantage de nous permettre de rompre avec les idées conventionnelles et de voir les choses sous un jour nouveau. On trouve dans les meilleures oeuvres de ce genre littéraire une mine de vues créatrices et de solutions pratiques.
Mais on peut utilement se demander ce qu’est exactement le pays d’Utopie. Quelques écrivains nous dépeignent ses citoyens comme des hommes qui menaient une vie de loisirs, où régnaient l’abondance et les commodités de toutes sortes. Cette conception correspond bien aux temps difficiles dans lesquels ces auteurs ont écrit leurs livres. Mais la notion d’utopie ne manque pas non plus d’attraits pour le coeur et pour l’esprit.
L’essence d’une civilisation réside dans son sens des valeurs ; elle se révèle dans ses préférences, ses engagements moraux, ses jugements esthétiques, ses convictions, sa conception de la vie bien vécue, ses critères de la perfection, ses manières d’apprécier le succès et ce qu’elle enseigne à la jeunesse sur les raisons de vivre de l’humanité.
L’âge d’or
D’où nous vient l’idée d’un âge d’or ? Du fait que les poètes de l’antiquité avaient coutume de diviser l’histoire du monde en quatre grandes périodes : l’âge d’or, l’âge d’argent, l’âge d’airain et l’âge de fer, qui dure encore. Au figuré, l’expression « âge d’or » désigne un temps heureux, une période d’éclat, de stabilité et d’harmonie.
Pour le roi Alfred, l’âge d’or de l’Angleterre était l’époque reculée où « personne encore n’avait entendu parler des bateaux de guerre des Vikings ». Un philosophe chinois affirmait que c’était le temps ancien où « un village pouvait regarder, sans envie ni rivalité, la fumée s’élever des cheminées d’un village voisin ».
Il est évident que beaucoup des anciens mythes de l’âge d’or avaient leur fondement dans la réalité. Il en subsiste de nombreux vestiges dans notre monde actuel, et les échos de leur idéalisme se répercutent encore dans nos esprits. Les auteurs de récits utopiques se bornent souvent à recueillir les plus belles pensées de l’âge d’or et à les adapter à leur temps.
Il y a, en fait, assez d’idées qui circulent autour de nous et qui nous sont proposées pour édifier une foule d’utopies, mais elles ne sont qu’un salmigondis d’opinions confuses. Malgré la diversité de leurs formes, toutes ont cependant un point commun : le désir d’une vie mieux remplie, plus intéressante et plus satisfaisante. La poursuite de ce but a donné lieu à une gamme infinie de créations et de considérations, depuis la lampe merveilleuse d’Aladin jusqu’à la voix du prophète qui prêchait la réforme de la vie et des moeurs.
Le premier utopiste connu qui se trouva à même de mettre ses idées en pratique est le pharaon Akhenaten. Dans une région entourée de collines, loin de la vie quotidienne de l’Egypte, ce monarque bâtit une nouvelle cité spécialement destinée à favoriser l’émancipation de l’esprit humain en matière de religion, d’art et de morale. Ce fut le changement le plus radical jamais tenté dans l’histoire ancienne.
Plusieurs siècles plus tard, un roi hindou du nom d’Asoka introduit l’idéalisme dans son royaume, où l’on voit se multiplier les plus belles réalisations, depuis la plantation d’arbres pour donner de l’ombre et la culture des herbes médicinales jusqu’à la fondation d’hôpitaux, l’envoi de missionnaires aux aborigènes et la désignation d’agents chargés de distribuer des dons dans les foyers. Comme le dit H. G. Wells, les hommes qui chérissent encore sa mémoire aujourd’hui sont plus nombreux que ceux qui ont jamais entendu parler de Constantin et de Charlemagne.
Mais pour un ou deux hommes qui ont réussi par leur autorité à faire passer leur utopie dans les faits, on en compte des milliers qui n’ont jamais franchi le stade des projets, des propositions et des exhortations.
Dans sa République, Platon établit sa cité idéale dans une région intérieure n’ayant aucun débouché maritime et pour toute activité économique importante que l’agriculture familiale. Il montre la prospérité à laquelle on peut atteindre en permettant à des colons laborieux, soumis aux dieux et aux lois, de créer une civilisation dans la paix.
Le premier utopiste de ce que nous pourrions appeler le début de notre âge scientifique est Francis Bacon, qui écrivit sa Nouvelle Atlandide en 1626. Il y professe une foi farouche dans le rôle libérateur de la science. Vers la même époque, l’italien Campanella compile, en s’inspirant largement des ouvrages antérieurs dans ce domaine, sa célèbre Cité du soleil. Shakespeare exprime ses idées en matière d’utopie dans La Tempête, où il est dit que Gonzalo : « gouvernerait avec une perfection encore plus grande que celle de l’âge d’or », et dans Henri VI, où Jack Cade promet un royaume dans lequel il n’y aura pas d’argent, mais où tout le monde mangera et boira aux frais du roi.
Au dix-neuvième siècle, les auteurs pressentent déjà l’avènement des matières plastiques, des tissus synthétiques, des moissonneuses-batteuses, de la radio, de la télévision, de l’automobile, de la climatisation de l’air, et font entrer ces inventions dans leurs « utopies ». Mais Henry Thoreau, rompant avec cette conception d’une civilisation mécanisée, prône les bienfaits de la vie simple et champêtre.
Un autre auteur du Massachusetts, Edward Bellamy, publie en 1888 un roman utopique intitulé Looking Backward, selon lequel la société de l’an 2000 jouira du bien-être parfait dans un monde industrialisé à outrance et où le travail sera obligatoire pour tous.
On relève aussi des « utopies » plus modestes. Robinson Crusoé en trouve une dans son île, où il peut vivre dans un milieu exotique, complètement affranchi des rigoureux devoirs de la famille. Samuel Taylor Coleridge propose de tenter l’expérience de la perfectibilité humaine sur les rives de la Susquehanna, sa petite société devant y allier l’innocence de l’âge patriarcal à la connaissance des véritables raffinements de la culture.
Les utopies et nous
Toutes ces utopies, comme bien d’autres d’ailleurs, se fondent sur l’idée du progrès ou, tout au moins, sur le désir d’améliorer les choses. C’est grâce à elles que l’humanité s’est élevée au-dessus de son humble condition primitive. Des hommes ont ainsi voulu sortir de l’ornière de la routine où s’enlisait leur existence et tenter de faire quelque chose que l’on n’avait pas accompli avant eux.
Les besoins de l’espèce humaine suscitent périodiquement de nouveaux états de choses, mais encore faut-il qu’il se trouve quelqu’un pour voir ces besoins, pour imaginer une société idéale, même si elle n’a jamais existé encore, et pour comparer sa perfection apparente avec la médiocrité de la société actuelle.
Il faudrait cependant être bien peu réaliste pour prétendre que l’homme et son milieu ont tellement changé que les enseignements du passé n’ont plus aucune utilité. Comment pourrions-nous comprendre la liberté, l’abondance et tous les avantages dont nous jouissons, sans connaître les espoirs, les sueurs, les trésors, le sang même qu’elles ont coûtés ? Comment aurions-nous la certitude que nous avons choisi la meilleure voie si nous ne savons rien des impasses où nos ancêtres se sont égarés ni des mille et une choses qu’il vaut mieux ne pas recommencer ?
Nous pouvons aussi tirer de précieuses leçons de l’étude de certains événements, qui, malgré le peu d’importance qu’on y attacha à leur époque, devaient servir de point de ralliement aux progrès accomplis dans les siècles subséquents. Il en est ainsi, par exemple, de la Magna Carta, la Grande Charte, imposée au roi Jean, en 1215, par les barons révoltés. Dans sa pièce intitulée Le Roi Jean, Shakespeare ne fait aucune allusion à la signature de ce document, qui nous semble, à nous, l’événement le plus remarquable de ta vie de ce monarque. Cinq siècles après la mort du roi Jean, la Grande Charte devenait la pierre angulaire des libertés dans les pays de langue anglaise.
Les rêves utopiques ne sont pas tous à rejeter ou à condamner. Certains ont une grandeur et une noblesse indéniables ; mais ils se révèlent irréalisables si on les examine sérieusement. D’autres, tel le code idéalisé rédigé à bord du Mayflower au cours du long et lent trajet de Plymouth au Massachusetts en 1620, ont exercé une influence capitale sur des millions de personnes et pendant plusieurs générations.
On pourrait citer aussi La République d’Océana de James H. Harrington, publiée en 1656. Cette oeuvre a en quelque sorte perdu son caractère utopique du fait qu’on s’en est si souvent inspiré pour établir de véritables constitutions. Ainsi, lorsque les membres du Congrès des États-Unis discourent en faveur de la séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire du gouvernement, ils ne font que reprendre les arguments d’Océana.
Le Canada d’aujourd’hui
Il ne nous sied pas, à nous Canadiens, de nous faire une trop petite idée de notre stature. Pour les habitants de beaucoup d’autres pays, le Canada semble presque avoir atteint le niveau idéal du bien-être. Si la pauvreté n’a pas entièrement disparu, du moins la proportion de notre population qui vit dans l’aisance est-elle plus considérable que jamais dans l’histoire des civilisations. Nous jouissons, grâce à la semaine de 40 heures, des loisirs célébrés par les écrivains utopiques. Nous employons les aliments et les vêtements avec une telle profusion que nous passons pour prodigues aux yeux des autres peuples. Nos distractions, nos possibilités de nous instruire, nos moyens de déplacement, notre affranchissement du travail ardu surpassent même les plus beaux rêves des utopistes d’autrefois.
Mais il serait désastreux pour notre avenir de vouloir nous arrêter où nous en sommes parce que nous nous y trouvons bien. Nous devons continuer à cultiver notre patrimoine.
Nous avons une excellente base d’avancement dans les valeurs auxquelles nous croyons et qu’un auteur résume ainsi :
1. Les normes morales qui nous viennent de la foi judéo-chrétienne ;
2. L’esprit humaniste des Grecs et de la Renaissance, qui met l’accent sur la dignité de l’homme ;
3. La confiance dans la méthode scientifique des hypothèses contrôlées par les instruments en tant que voie la plus sûre pour atteindre la vérité ;
4. L’adhésion au droit romain, français et anglo-saxon, qui assure l’évolution pacifique de la société ;
5. La foi démocratique dans la liberté, l’égalité et la fraternité, issues de la doctrine des philosophes du XVIIIe siècle et de la Révolution française.
La Confédération
Tous ces principes sont contenus ou sous-entendus dans la charte de la Confédération. Les hommes qui l’ont façonnée comprenaient fort bien que l’union politique était nécessaire à la sauvegarde des libertés civiles et gouvernementales de notre pays, mais ils s’abstinrent de nous mettre un carcan politique autour du cou. Ils voulurent plutôt envisager l’avenir et permettre à toutes les provinces d’atteindre une vie plus riche et plus variée grâce à la collaboration réalisée par l’entremise d’un pouvoir central.
Les cent années qui se sont écoulées depuis l’institution de cette charte, fondée sur des principes immuables et les possibilités de l’époque, ont été des années de mise à l’épreuve.
Ce n’est pas une tâche facile que de gouverner au Canada, que ce soit au parlement fédéral ou dans les législatures provinciales. Nous avons besoin pour cela de nombreux hommes compétents et au jugement sain, et chaque électeur a son mot à dire dans le choix des représentants les plus éclairés.
L’ambition de ceux qui gouvernent, comme Platon a eu le mérite de le voir, est de faire en sorte que la sécurité et les intérêts de leurs administrés deviennent le grand but de toutes leurs pensées et de tous leurs efforts, sans jamais songer à leur avantage personnel, et de veiller au bien de l’ensemble de la nation de façon à ne jamais favoriser les intérêts d’un groupe quelconque au détriment ou à l’exclusion des autres.
L’intérêt de la population se prête à de multiples définitions, mais on peut lui donner le sens suivant dans le cas des Canadiens : le droit pour chaque citoyen de jouir, selon ses aptitudes et sa mentalité, des ressources matérielles et spirituelles que la nature et la science ont mis à la disposition de notre pays.
Mais avant de pouvoir en arriver à ce degré de perfection politique, nous devons faire l’éducation de tous nos citoyens, afin qu’ils soient capables d’élire les meilleurs gouvernants. Le devoir de voter comporte le devoir d’apprendre à bien voter. L’ignorance ne peut pas engendrer de sages décisions.
Il existe un devoir correspondant chez ceux qui offrent leurs services. Comment se sont-ils préparés à mériter notre confiance ? Les chefs ne détiennent leurs postes que par le bon vouloir du peuple, et ils doivent s’imposer par d’autres moyens que par la succession, la prise de pouvoir ou la popularité.
Les obstacles
Il y a trois faiblesses qui font obstacle aux progrès d’une nation : les préjugés, la passion de la sécurité et le nationalisme.
Une « utopie » peut exister malgré la diversité des parties qui la compose, mais elle ne peut exister sans l’unité d’esprit.
La collaboration est la base même de la vie utopique, tout comme elle est le fondement de la démocratie, et il n’est pas de doctrine en « isme » qui puisse nous faire progresser d’une coudée vers un Canada meilleur.
Il s’ensuit que chacun doit faire preuve d’une grande tolérance et se montrer capable de voir les bons points que présentent l’une et l’autre face d’une question, sans pour autant toujours essayer de ménager la chèvre et le chou. Le parti mitoyen aboutit parfois à. prendre quelques-uns des défauts des deux extrêmes et à laisser les qualités de côté. Comme le disait quelqu’un, celui qui marche au milieu de la route s’expose à se faire écraser par deux colonnes de voitures au lieu d’une seule.
La tolérance qu’il ne faut pas confondre avec l’indifférence est incompatible avec l’ignorance. C’est un effort positif et sincère pour comprendre les convictions, les usages et les habitudes des autres, sans nécessairement les partager ou les approuver.
La compréhension mutuelle repose sur l’acceptation des vastes différentes qui existent entre nos mentalités et nos manières de voir et de concevoir le monde. L’empereur Adrien faisait écorcher les peuplades qui avaient vécu côte à côte pendant des siècles sans avoir « la curiosité de se connaître ou la bienséance de s’accepter les unes les autres ».
Beaucoup de créateurs d’utopies nous ont offert des récits ternes et ennuyeux parce que leurs principales préoccupations étaient la sécurité et l’oisiveté. Ils ressemblent aux gens qui construisent un terrain de golf tout en gazon entretenu, et où l’on ne trouve ni accidents ni obstacles.
L’homme qui se respecte peut fort bien vivre dans un monde sans barreaux. Il veut avoir la possibilité de tenter la chance, d’essayer par lui-même. Il sait que s’il cesse de se représenter le gouvernement tel qu’il devrait être pour ne penser qu’à ce qu’il fait pour lui, il n’a plus à son égard qu’un rôle passif de bénéficiaire et de client.
Le pape Léon XIII écrivait, en 1891, dans son Encyclique Rerum Novarum : « … S’il en est qui promettent au pauvre une vie exempte de souffrances et de peines, toute au repos et à de perpétuelles jouissances, ceux-là certainement trompent le peuple et lui dressent des embûches, où se cachent pour l’avenir de plus terribles calamités que celles du présent. »
Lorsque le souci de la sécurité commence à la dominer, la vie humaine voit son champ se rétrécir. Il est juste de dire que l’État est une machine destinée à servir les hommes, à condition que ce soit avec le moindre risque possible de les écraser.
Nécessité de la largeur de vues
Le troisième ennemi de la société idéale est le nationalisme, qu’il s’exerce à l’échelon des villes, des provinces, de l’Etat ou de la nation. Beaucoup voient dans le nationalisme le grand fléau de notre époque, mais ce n’est pas un mal nouveau. La plus importante des guerres de la Grèce antique fut une lutte entre l’Union où Athènes avait la primauté et le groupe des droits des cités à la tête duquel se trouvait Sparte. C’est l’insistance sur les droits des provinces de préférence à ceux de la nation qui entraîna la destruction de la Grèce elle-même.
Qui dira toutes les paroles oiseuses, tous les vains efforts et toutes les inimitiés inutiles que suscitent les divisions de classe ou de parti au sujet des questions d’intérêt public ? Selon les paroles assez énergiques du rabbin Robert Gordis, « il n’y a pas de plus grand péril qui menace la survivance de la race que le nationalisme, c’est-à-dire l’absorption complète de l’homme dans son groupe ethnique ou politique ».
L’antidote du nationalisme effréné est l’association volontaire des citoyens de l’un ou l’autre sexe en vue de la conservation et de la mise en valeur de l’ensemble des idéaux, des usages et des principes qui leur sont chers.
Au-dessus des rapports nationaux, il y a les rapports internationaux, dont aucun pays ne saurait se désintéresser. Nous éprouvons parfois un certain sentiment d’amertume et de déception devant l’impuissance des organismes mondiaux à établir une paix durable, mais nous n’acceptons jamais tout à fait l’idée que l’on devrait abandonner la partie.
Par notre exemple, comme par l’entremise de notre représentation dans les affaires internationales, nous devons continuer à nous efforcer de rétablir l’ordre, l’honnêteté et les principes dans la société. Ce que nous ferons dans ce sens ne pourra que contribuer à l’avènement du régime idéal que nous rêvons pour notre pays.
Aucun État, grand ou petit, ne peut glisser avec sérénité sur le fleuve du temps en ne regardant que la vague qu’il fend de sa proue ou le magnifique sillage qu’il laisse derrière lui. Il doit aussi prêter attention à ce qui se passe sur les rivages environnants. En tant que personnes civiques, nous sommes citoyens du Canada, mais en tant qu’hommes, nous sommes citoyens du monde.
Ce qu’il faut faire
Au lieu de ruminer sans cesse dans notre esprit ce que nous ne sommes pas encore parvenus à accomplir, il est bon de jeter un coup d’oeil de temps en temps sur ce que nous avons réalisé. Rien ne nous empêche de transporter l’âge d’or du passé dans l’avenir et de remplacer nos idées blasées sur la destinée humaine par une attitude optimiste. C’est le culte de la désapprobation qui met en danger notre stabilité sociale et qui entrave nos efforts et nos progrès. Il vaut mieux, dit Confucius, allumer une seule petite chandelle que de maudire l’obscurité.
Le pays idéal est avant tout un pays conçu pour des hommes instruits et habités par de tels hommes. Si nous voulons édifier un Canada selon les désirs de notre coeur, nous avons besoin, comme Archimède pour soulever l’univers, d’un point d’appui et d’un solide levier. C’est l’instruction qui nous les fournira.
Dès 1944, l’Association canadienne de l’éducation étudiait, avec les autorités scolaires, la possibilité d’établir un plan systématique qui permettrait à l’instruction d’exercer une plus grande influence en faveur de l’unité nationale. Le plan envisagé comprenait : (1) l’échange de correspondance parmi les étudiants et les professeurs des différentes parties du Canada ; (2) l’échange de professeurs entre les provinces ; (3) l’incitation des professeurs à suivre des cours d’été dans une autre province.
Les ailes largement déployées, l’instruction nous aidera à acquérir le sens social nécessaire pour résoudre le problème critique qui se pose à tous les utopistes : comment parviendra-t-on à empêcher la grande utopie de souffrir du fait que chacun s’intéresse à sa petite utopie personnelle ? Seuls les esprits cultivés peuvent s’élever au niveau supérieur du bien général.
On n’édifie pas un pays idéal en pérorant, mais en étudiant, en réfléchissant, en dressant des plans et en travaillant. Beaucoup de projets d’utopie ont eu le défaut capital d’excuser et de justifier le relâchement des efforts accomplis par les hommes pour remédier aux imperfections de leur milieu immédiat. Envisager un bel avenir est une chose, le réaliser en est une autre.
Il nous incombe d’améliorer les conditions de vie d’aujourd’hui, tout comme nous avons le devoir de faire le nécessaire pour les rendre encore meilleures demain. Nos petits enfants n’auront qu’à se féliciter de notre prévoyance si nous savons voir grand et poser quelques premières pierres.