Le sens des valeurs est tout aussi nécessaire dans la vie privée que dans les affaires. Nous passons le plus clair de notre existence à faire des choix, à formuler des préférences, à prendre des décisions.
La vie serait monotone et sans intérêt s’il ne nous était pas permis de nous fixer certains buts et de noter les progrès que nous faisons dans la voie qui y conduit.
Les choses que nous désirons revêtent de multiples formes. Un ancien professeur de l’Université de Toronto, M. E. J. Urwick, nous en cite quelques-unes dans son ouvrage intitulé Les valeurs de la vie, livre où il traite de l’idéal, de l’amitié, de la richesse, du succès, du savoir, du travail, de la simplicité et d’autres biens désirables.
Devant l’énorme extension prise par la science depuis cent ans, beaucoup d’hommes et de femmes, même parmi ceux qui ont reçu une bonne instruction, doivent avouer qu’ils ne savent que penser. Comme nous sommes en démocratie, il est impossible de demander à une commission de philosophes de se réunir à huis clos et de décider pour nous tous quelles sont les valeurs morales et esthétiques qui doivent régir nos actes et nos aspirations. Ce sont des questions qu’il nous faut régler nous-mêmes, car il s’agit en somme de choisir le genre de vie que nous désirons personnellement vivre.
Le progrès nous a affranchis des contraintes économiques et sociales qui harcelaient nos ancêtres ; il importe maintenant de ne pas nous contenter du clinquant et de la camelote. Nos vies, comme l’histoire, roulent sur une foule de petites choses. Les réalités que nous décidons chaque jour de considérer comme importantes ajoutent à la valeur ou à la futilité de notre existence.
L’apathie et le scepticisme sont plus en vogue que jamais. Certains critiques s’inquiètent de l’absence de but qui caractérise notre activité, de notre tendance au conformisme, de notre passivité dans le confort, de notre recherche inintelligente de la tranquillité. Ils craignent que les jeunes gens eux-mêmes aient perdu ce goût de l’aventure qui était autrefois le trait saillant de leur âge.
Ce n’est pas pour en arriver à l’ère du bien-être béat et de l’empâtement des valeurs que les hommes ont lutté à travers les siècles, mais bien plutôt pour élargir leurs horizons. Nous vivons à une époque de réussites sensationnelles, mais dont les grands événements et les grandes promesses ne se manifestent qu’à ceux qui savent s’élever à leur niveau.
Les choses auxquelles nous attachons de la valeur aujourd’hui se fondent sur la sagesse et le labeur de plusieurs siècles. Nous n’avons pas beaucoup changé physiquement – la poignée des épées de l’âge du bronze va aussi bien à notre main qu’à celle des hommes de jadis. Et même si notre milieu social s’est profondément modifié, les structures et les fonctions traditionnelles qui ont été si utiles dans le passé constituent encore l’ossature sur lequel s’édifie le nouvel ordre social.
Le changement, dans les idées, les activités ou les directives, n’est pas un fait que tout le monde accepte spontanément. Il effraie ceux qui ne s’y attendent pas. Les sages en tiennent compte dans leurs prévisions. Le judicieux conseil de Whitehead aux journalistes vaut pour chacun de nous. « Vous pourriez ajouter des notes au bas de vos éditoriaux, leur signalait-il, pour dire que c’est là ce qui paraît la vérité aujourd’hui, mais que demain il en sera peut-être tout autrement. »
Le véritable sens des valeurs n’est guère compatible avec un sens trop rigoureux de l’uniformité. La pensée doit être active et progressive si elle veut rester à la hauteur d’un monde mobile et changeant, et nous rendre capable de comprendre le fait que ce qui est inconcevable à une époque devienne monnaie courante à l’époque suivante.
L’accroissement du savoir
Voyez l’accroissement sans précédent dont les connaissances ont bénéficié au cours du siècle dernier. Il y a cent ans, le catalogue de la Smithsonian Institute, qui est probablement le plus grand musée du monde, comptait 46,000 objets ; en 1952, il en contenait 33,184,494. En 1850, les additions à la bibliothèque du British Museum se chiffraient à 14,266 livres ; cent ans plus tard le chiffre correspondant était de 51,419.
Naturellement, nous ne sommes plus aussi certains qu’autrefois que tout changement représente un progrès. Nous avons parfaitement raison de modifier nos idées, tout comme nous remplaçons l’ameublement de notre bureau et de notre foyer, mais il ne faut pas rejeter une idée simplement parce qu’elle est ancienne. Les expériences et les expéditions entreprises pendant l’Année géophysique internationale ont obligé les savants à repenser une centaine de notions fermement établies à propos de la nature, mais lorsqu’un homme s’est fracturé la jambe en tombant, dans le voisinage du pôle sud, les géophysiciens n’ont pas essayé de changer la loi de la pesanteur.
Tout homme d’affaires sait que les changements de valeur font partie intégrante du commerce. Dans le monde qui est le sien, toute décision suppose un jugement fondé sur un choix réfléchi entre diverses valeurs.
On distingue deux sortes de valeurs en économie : la valeur d’usage, qui est synonyme d’utilité, et la valeur d’échange, c’est-à-dire ce que l’on reçoit en retour de ce que l’on cède. Les produits comme le pain, l’eau, le sel, qui ont la plus grande valeur d’usage n’ont souvent qu’une très faible valeur d’échange, tandis que ceux qui ont la plus forte valeur d’échange, tels les diamants et les tableaux, sont apparemment de peu d’utilité.
La majeure partie de la science de l’économie semble avoir consisté en tentatives continuelles de réaliser un équilibre satisfaisant entre des fins désirables et le prix à payer pour les atteindre. De même dans tous les autres domaines de la vie, les hommes révèlent quelle est leur hiérarchie des valeurs en montrant combien ils sont disposés à payer ce qu’ils considèrent comme bon.
En quoi consiste les valeurs ?
Nos valeurs personnelles se sont constituées petit à petit, comme une île de corail. Dans l’enfance, les valeurs nous sont dictées par nos parents ; dans la jeunesse, nous apprenons ce que nos maîtres et nos chefs jugent bon pour nous ; à l’âge adulte, nous subissons l’influence des hommes publics, des rédacteurs de journaux et de revues, des critiques littéraires ou autres. Si nous n’avons aucun critérium de valeur qui nous soit propre, nous sommes à la merci de tous les vents.
Nous devons avoir le courage de nous poser la question suivante : « Quelles sont mes valeurs ? », et surtout celui d’y répondre. Selon un anthropologiste de renom, les deux sources où l’on trouve le plus de renseignements sur l’histoire de l’homme sont ses dépotoirs et ses tombeaux : les premiers nous indiquent ce que nos aïeux regardaient comme inutile, les seconds, quelles étaient leurs offrandes les plus précieuses et les plus caractéristiques.
Un sondage nous apprend que parmi les principales choses auxquelles on attache de la valeur aujourd’hui figurent notamment la nouveauté, l’appréciation du mérite, la sécurité, la santé, avoir quelque chose à faire, la joie de l’âme, la tranquillité d’esprit, un centre d’attraction, l’amitié, la satisfaction du travail accompli, l’entrain. Selon un écrivain, tout cela peut se ramener à quatre valeurs essentielles : être heureux et en paix avec le monde ; avoir de la dignité et de la grandeur d’âme ; être utile et à la hauteur des événements ; avoir le sentiment de l’importance de sa collaboration dans la grande aventure de la vie.
Il est indispensable que les valeurs que nous adoptons et que nous défendons demeurent susceptibles d’amélioration. Ce qui importe dans l’histoire du genre humain, c’est essentiellement la progression vers les valeurs supérieures. C’est à cette aune que nous jugeons nos ancêtres et que notre époque sera jugée elle aussi le moment venu.
Aussi devons-nous nous interroger sans cesse sur nos valeurs et pousser notre enquête à fond. Pour se constituer une série de valeurs, il faut absolument aller au delà des formules et des maximes toutes faites des faux réformateurs et nous voir tels que nous sommes et non pas tels que nous voudrions être. La vérité ne saurait ni détruire ni compromettre les valeurs qui méritent d’être contrôlées.
Éviter l’absolutisme
Il ne s’agit pas cependant de surestimer l’importance de cette tâche. Regardons les peintures des grands maîtres, qui se sont souvent vus dans l’obligation de placer une fenêtre ou une porte ouverte à l’arrière-plan de leurs tableaux. Le véritable sens des valeurs doit permettre à ceux qui en sont pourvus de ne pas enfermer leur vie entre quatre murs entièrement nus.
Notre recherche des valeurs n’est pas une recherche de vérités absolues, qui sont inaccessibles. Personne ne doit prétendre à la perfection, ni se troubler outre mesure parce qu’il en est ainsi. Il est vrai que nos traditions nous invitent à nous mesurer selon une norme qui est bien au-dessus de nos forces dans la vie, mais la perfection serait un achèvement, où il n’y aurait aucune possibilité de croissance ou de progrès.
Les gens aux idées vagues émaillent leurs conversations d’affirmations absolues : « je veux ce qu’il y a de mieux ; je suis un vrai Canadien, etc. » Mais tout le monde sait que la santé absolue, la sagesse absolue, la démocratie absolue, l’honnêteté absolue et même l’obésité absolue n’existent pas.
Ce n’est pas à dire qu’il ne faut pas se fixer des valeurs élevées, mais que nos idéaux doivent être adaptés aux moyens de notre humaine nature. C’est une dangereuse ardeur que celle qui, nous poussant vers les cimes de l’absolue perfection, nous entraîne aussi jusqu’au bord des précipices. Un proverbe de l’ancienne Rome disait fort justement : Il n’y a pas loin du Capitole (où l’on couronnait les triomphateurs) à la Roche Tarpéienne (du haut de laquelle on précipitait les condamnés à mort).
Il ne faudrait pas par contre négliger une valeur parce que nous désespérons d’atteindre son plus haut point. Après tout, on ne joue pas une sonate pour en arriver au dernier accord, mais pour en goûter la musique tout au long de l’exécution.
Le sens des valeurs repose essentiellement sur un harmonieux équilibre : équilibre de la pensée et de la spontanéité, équilibre des aspirations et des qualités qui font l’homme accompli.
Valeur et bonheur
Le bonheur est-il une valeur appréciable ? Il faut répondre que le bonheur n’a une valeur réelle que s’il est constitué d’éléments incontestablement bons.
Les gens dont la vie est superficielle mettent leur bonheur dans les choses qui leur sont extérieures : la propriété, le rang, les mondanités, etc. Leur centre de gravité n’est pas ancré en eux-mêmes ; il change sans cesse de place selon leurs caprices et leurs désirs.
Pour les anciens Grecs, le bonheur était ce que l’on apporte à la vie et non ce qu’on lui arrache. « Que de choses il y a dans le monde que je ne désire pas ! », s’exclamait Socrate en passant devant les étalages d’objets de luxe.
Ceux qui fondent leur bonheur sur le travail, le dévouement, l’amitié, la poursuite d’un idéal et la santé sont en droit d’espérer, même avec passion, les plaisirs les plus simples. Ils ont un but louable dans la vie, une juste idée d’eux-mêmes et des autres, et ils obéissent à des règles qu’ils savent bonnes.
Les hommes et les femmes de cette catégorie ont appris à renoncer à certaines choses pour posséder plus sûrement et plus complètement celles qui ont de la valeur à leurs yeux. Ils savent ce qui est en leur pouvoir et ce qui ne l’est pas, et ils trouvent leur contentement dans une forme d’activité qu’ils peuvent exercer avec bonheur. Ils ont la conviction que les valeurs ne sont pas dans les choses mais dans ce qu’ils pensent des choses.
L’ambition peut jouer de mauvais tours à l’homme en quête du bonheur. Elle exige parfois certaines dérogations à nos normes fondamentales de valeur ; elle peut aussi entraîner des chagrins pour qui n’a pas compris que certaines réussites ont leur cortège de soucis.
Il est facile de se laisser distraire par des futilités. L’ambition d’un homme qui connaît les valeurs ne se contente pas d’accorder des entrevues, d’être invité aux réceptions ou de faire partie de plusieurs commissions. Beaucoup de romans restent en plan et beaucoup de marchés tombent à l’eau pendant que l’on fait sa petite tournée de visites pour gagner les bonnes grâces des critiques ou des chefs de service.
Mais les futilités son relatives. Un Einstein pouvait passer toute sa vie sans appliquer sa puissante intelligence au problème de la mise en concordance de son livret de banque et de son carnet de chèques, car, dans un univers où E = mc2, le budget personnel = 0 ; mais l’homme qui songe à accroître son entreprise ou à acheter une maison se doit de surveiller son compte de banque.
Les conditions requises
Comme la pratique de la vertu suppose un minimum de bien-être, l’acquisition d’un juste sens des valeurs suppose la santé, l’instruction, de l’idéal, des principes, la réflexion et la patience.
Ce n’est certes pas sans raison que nous nous informons de leur santé quand nous voyons nos amis, car on ne peut vraiment jouir de la vie sans avoir une bonne santé. Pour celui qui souffre du mal de dents ou du mal de mer, le soulagement est tout aussi important que la hausse des valeurs.
Il faudrait que l’école et la famille nous inculque une foi active dans les valeurs essentielles qui rendent la vie digne d’être vécue. Le choix des valeurs ne peut être que restreint par l’ignorance et l’étroitesse d’esprit.
Il y a aujourd’hui une multitude de connaissances dont on ne soupçonnait pas l’existence du temps où nos grands-parents allaient à l’école. De toute cette science, nous devons extraire les valeurs qui ont le plus de rapport avec notre vie. Il incombe à nos éducateurs de bien former notre jugement au sujet des valeurs, afin de nous permettre de garder le minerai et de rejeter les scories.
Les études nous apprennent comment les générations des siècles passés ont résolu les problèmes de l’homme et de la société. Ces enseignements doivent nous servir de base pour élaborer la solution de problèmes personnels et sociaux qui n’ont de nouveau que le contexte où ils se posent. Il est attristant de voir tant de personnes, même d’âge mûr, mettre leurs livres de côté au moment même où elles seraient le mieux en mesure de les aborder avec un jugement sûr et un goût affiné.
Quand un homme devient capable d’envisager les choses et les idées d’une façon réfléchie et intelligente, cet homme devient par le fait même plus grand qu’il ne l’était auparavant. Peut-être jugera-t-on que c’est la de l’idéalisme, mais il doit entrer an peu d’idéalisme dans nos valeurs, sinon nos pensées auront tendance à être terre à terre.
Il est vrai que l’imagination et l’idéal n’ont aucune utilité pratique s’ils ne sont pas freinés et guidés par le bon sens. Mais nous ne parviendrons jamais à nous choisir des valeurs sans porter nos regards au delà des possibilités matérielles de la vie.
Les valeurs sont une boussole
Le sens des valeurs se confond plus ou moins avec notre conception de la vie ; c’est quelque chose qui nous grandit et qui nous est essentiellement nécessaire à une époque où tant de gens ont abandonné les anciennes normes sans en acquérir des nouvelles. Les hommes d’aujourd’hui se butent à des difficultés qu’ils n’ont jamais rencontrer auparavant et ils ne disposent d’aucun jeu de valeurs ni d’habitudes de raisonnement adaptés aux situations nouvelles.
L’un des grands avantages de celui qui a un bon sens des valeurs est de posséder une boussole sur laquelle il peut compter. Lorsque Francis Chichester traversa l’Atlantique vers le milieu de 1962, il se trouvait seul à bord de son bateau à voiles de 28 pieds, et tout autour de lui la mer et le ciel se rejoignaient dans un horizon sans aucun point de repère. Pourtant il ne s’est pas égaré. Il avait une boussole ; sa route était tracée sur une carte ; et il y avait des étoiles au firmament.
Les jours, les matins même, ne se ressemblent pas, mais avec la boussole des valeurs on sait toujours où mettre le cap pour arriver à bon port. Cette boussole, ce sont nos principes ainsi que les idées et les notions qui leur servent de base. Comme le dit Sophocle, il s’agit de « vérités qui ne sont ni d’aujourd’hui ni d’hier, mais qui subsistent de toute éternité ».
Les principes ne sont ni un don naturel ni une qualité que l’on acquiert à la sueur de son front. Celui qui cherche à se constituer des valeurs doit se ménager des périodes de solitude pour ruminer dans la méditation personnelle les idées que son esprit a recueillies. « J’ai eu l’occasion, dit le prince Philip de faire des excursions dans les montagnes et d’aller quelquefois à la pêche. Ces activités, avec les moments de solitude et de réflexion qu’elles procurent, sont d’une valeur inestimable pour quiconque s’efforce de conserver une manière de voir bien équilibrée au milieu du cours extrêmement mouvementé de la vie moderne. »
La méditation est aussi un excellent stimulant dans certains cas. Lorsque nous rentrons en nous-mêmes pour repenser les choses, il arrive souvent que toutes nos énergies se bandent comme un ressort et nous permettent de mieux exprimer notre personnalité.
Il est possible que l’homme qui prend le temps de méditer voie certains détails lui échapper, mais il est sûr d’avoir la joie d’en arriver au point où il ne semblera exister qu’un mince voile entre lui et la réalité qu’il recherche. Les valeurs qu’il aura choisies sur la montagne lui seront d’un grand secours lorsqu’il redescendra dans la vallée.
Mais on n’atteint pas à un pareil sommet du jour au lendemain. En plus du courage nécessaire pour affronter les problèmes, il faut avoir la patience requise pour élaborer les solutions. La patience est une vertu très importante, car elle comporte la maturité d’esprit, la santé mentale et cette finesse du jugement qui sait prévoir les conséquences de nos décisions.
Dans un monde où tant de bonnes gens, de bonnes institutions et de bonnes nations combattent, non pas pour quelque chose, mais contre quelque chose, il importe au plus haut point d’adopter une attitude positive. Se borner simplement à défendre quelque chose, c’est fermer la porte à tout espoir d’amélioration ; mais en prenant l’habitude de rechercher les possibilités positives qu’il y a dans toute situation, nous trouverons l’enthousiasme nécessaire pour faire de grandes choses.
Avoir une vie féconde
C’est dans la richesse de notre vie que s’exprime notre sens des valeurs. Un homme vaut exactement ce que valent les choses auxquelles il s’occupe.
Nous ne devons pas craindre de nous placer nous-mêmes dans un climat de valeurs, où l’excellence et la qualité font prime. Le compte rendu d’une étude spéciale du Rockefeller Brothers Fund Inc. renferme le triste passage suivant : « Si nous cherchons ce que notre société nous encourage à faire dans la voie de l’excellence, nous en arrivons à la conclusion que nous avons peut-être perdu, et ce à un degré renversant, le don d’être exigeants envers nous-mêmes. C’est un point qu’il vaut la peine d’étudier. » Dans ce contexte, la fameuse inscription qui figurait sur le fronton du temple de Delphes : « Connais-toi toi-même », demeure toujours d’actualité.
Le culte de l’excellence et la recherche du succès sont une force latente que l’on trouve chez presque tous les hommes. L’un des principaux moyens de mettre ces impulsions naturelles à profit consiste à faire en sorte que notre sens des valeurs serve effectivement de lumière à notre jugement et à notre conduite.
Les éprouvettes et les manuels ne sont pas encore parvenus à nous fournir des recettes ou des modes d’emploi pour réussir dans la vie. Chacun a des talents, mais il ne peut les faire fructifier que par l’initiative, l’esprit d’entreprise, l’énergie et un optimisme à toute épreuve. Il doit maîtriser sa sensibilité et ses émotions s’il veut satisfaire le désir inassouvi qu’il porte au fond du coeur, s’il tient à être lui-même et non une pâle image des autres.
L’ambition de donner toute sa mesure n’a rien d’égoïste. Affirmer qu’il faut chercher en nous les valeurs qui nous apporteront le bonheur n’équivaut pas à dire que nous devons nous replier sur nous-même dans une espèce d’égocentrisme purement animal. L’une des fonctions de notre sens des valeurs consiste précisément à nous faire prendre conscience de nos devoirs envers la société. Nos valeurs ne seront jamais que médiocres si nous nous contentons d’exister ou d’être des spectateurs passifs.
On ne fait pas ostentation de ses valeurs ; on les vit. Un bon acteur ne s’arrête pas au milieu d’une scène pour expliquer l’agonie morale d’Hamlet ou la jalousie d’Othello ; il nous la fait sentir tout simplement.
Et nous en arrivons au point crucial de toutes les considérations sur le sens des valeurs. Il y a un temps pour la réflexion, mais il y a aussi un temps pour l’action. Il importe de vaquer à l’oeuvre sur le métier et d’y travailler avec calme et vigueur, sans se laisser distraire.
Même si l’accueil que l’on réserve à nos valeurs nous irrite, même si notre impuissance à les mettre en pratique immédiatement nous déçoit, disons-nous que ces désagréments et ces déceptions sont bien peu de chose par rapport à notre but. Ce qui compte réellement dans la vie, c’est de trouver quelque chose de vrai à nos yeux et d’y conformer notre vie. Notre échelle des valeurs est à la fois un point de repère pour mesurer nos progrès et une ligne de départ où nous pouvons toujours revenir pour recommencer.