Canada - ENLe présent Bulletin mensuel s’adresse à ceux qui estiment que l’on ne naît pas administrateur, mais qu’on le devient avec le temps. Il n’est pas pour ceux qui pensent que la science de l’administration est un don héréditaire ou une grâce d’état promise à celui qui en a besoin.
Les jeunes gens et les jeunes filles qui ont l’ambition d’aller de l’avant dans les affaires méritent tous les encouragements. Quels que soient les changements de la vie économique, il y aura toujours des débouchés offerts aux jeunes qui ont développé leurs talents d’administrateur et qui se sont préparés aux fonctions de direction.
Qu’entend-on par administrateur subalterne ? Quiconque est appelé, dans son travail, à faire usage de son jugement propre dans l’emploi du personnel ou dans l’expédition des affaires. Ce peut être un chef d’équipe, un contremaître, un surveillant, un directeur de service ou de division, ou un adjoint à l’administrateur en chef.
Quel que soit le nom qu’on lui donne, cet employé est responsable de la bonne exécution de sa tâche et doit libérer son supérieur des détails courants pour qu’il se consacre aux grands problèmes de l’entreprise. Le subalterne fait, dans son domaine, tout ce que le chef lui-même ferait s’il était là.
Le moindre petit commis peut critiquer. Il lui est souvent facile de dire où son patron a trébuché et où les ouvriers auraient pu faire mieux. Mais l’administrateur subalterne n’agit pas ainsi. C’est lui qui doit empêcher son patron de faire des faux pas et veiller à la bonne qualité du travail de son personnel.
Il est essentiel que l’administrateur subalterne sache manier les hommes. Il doit non seulement s’assurer la collaboration des membres de son équipe, mais encore les amener à accomplir leurs meilleurs efforts et à faire converger ces efforts vers un but commun. S’il parvient à tracer une voie que d’autres suivront, il aura fait beaucoup pour eux, pour l’entreprise et pour lui-même.
Les qualités fondamentales
On a coutume de résumer ainsi les fonctions de l’administrateur : inventer, commander et contrôler.
Il convient de souligner l’action de créer ou d’inventer. L’administrateur idéal est celui qui conçoit des idées et les réalise. Au second rang, mais encore en bonne place, figure l’administrateur capable d’accepter et d’adapter les suggestions intelligentes et de les mettre en pratique. Derrière eux, et à peu près sans valeur aux fins de la direction, viennent ceux qui ne peuvent imaginer ni innovations ni améliorations, ni se servir des idées des autres.
L’administrateur de la première catégorie possède plusieurs qualités personnelles : la patience, la maîtrise de soi, la persévérance, l’assurance et le sens des valeurs.
Sans ces qualités essentielles, personne ne peut exercer les trois tâches sans fin de la direction : appliquer sa science et son habileté technique à une matière ou un service ; ordonner systématiquement des opérations ; organiser une collaboration soutenue.
Comment l’administrateur subalterne va-t-il montrer sa valeur. L’un des meilleurs moyens de le faire consiste à épargner le temps de son supérieur. Avant d’aller lui soumettre un problème, il essaiera d’abord de s’en abstenir. S’il doit le faire, il choisira le moment où cela dérangera le moins le patron. Et lorsqu’il ira effectivement, il aura soin d’avoir une vue complète de son problème, et non pas d’apporter simplement de vagues suggestions. Les projets bâclés vous feront voix sous un jour défavorable.
La personnalité
La personnalité est la qualité par excellence de l’administrateur. C’est elle qui permet d’établir un rapport entre un besoin et le résultat des recherches, et d’en tirer un plan pratique.
Plus il entrera de qualités personnelles dans son travail, mieux l’administrateur subalterne réussira. Le succès ou l’échec de toute oeuvre d’envergure tient à l’adresse individuelle, aux dons et aux qualités de chef de celui qui la met au point.
La personnalité exige une volonté bien disciplinée, qui sait accepter et refuser, non pas par entêtement, mais avec la détermination que confère l’examen consciencieux du pour et du contre. Cette qualité ne peut être que l’aboutissement d’une bonne formation intellectuelle.
La personnalité suppose aussi la fermeté d’esprit. Balzac nous dit de Philéas Beauvisage qu’il « cachait sous un déluge de lieux communs … une faiblesse de caractère qui ne peut être exprimée que par le mot un peu vieilli de girouette ». Cette figure est sans doute un cliché, mais elle décrit admirablement bien l’homme qui ne sera jamais administrateur.
Le fait d’avoir un esprit porté à l’optimisme est un avantage. Personne n’aime travailler pour un pessimiste. Le bon administrateur est plein d’entrain et cherche toujours des occasions de mettre ses talents à profit.
L’occasion favorable n’est rien d’autre qu’un concours spécial de circonstances qui permet aux débrouillards et aux caractères énergiques de montrer leur supériorité.
Ce n’est pas dans une industrie, une entreprise ou une profession en particulier qu’il faut chercher des possibilités extraordinaires, mais en nous-même. Les plus belles possibilités sont à la portée de la main de l’homme compétent, clairvoyant et déterminé à agir. Mais la compétence ne s’acquiert que par des études continuelles ; la clairvoyance est l’art de voir ce qui échappe aux autres ; la volonté d’agir naît du plaisir que l’on éprouve à s’attaquer aux difficultés et à les vaincre, ce qui est l’une des plus grandes joies humaines.
L’ambition
L’homme qui est promu au rang d’administrateur subalterne ne doit pas s’endormir sur ses lauriers.
L’ambition est quelque chose de dynamique ; elle a un but en vue et recherche les moyens de l’atteindre. C’est la force motrice de l’employé qui veut exceller en réalité et non pas seulement en apparence.
L’avancement idéal est celui où l’on trouve, d’une part, des supérieurs qui vous élèvent parce qu’ils ont besoin de votre aide et, d’autre part, des collègues qui vous appuient parce qu’ils croient en vous et qu’ils vous aiment.
L’ambition bien comprise n’est pas une passion fébrile de réussir, car l’homme dont l’ambition est effrénée tient non pas à rendre service à ses supérieurs et à ses inférieurs, mais uniquement à surpasser les autres.
Notre ambition doit être en rapport avec notre capacité. Il ne faut forcer ni l’une ni l’autre, de peur de ressembler à l’âne de la fable. Nous devons accorder notre désir avec notre vie quotidienne, ou encore faire en sorte d’adapter notre vie à notre désir. S’il y a conflit ou déséquilibre entre les deux, nous en souffrirons, et notre famille aussi.
On ne gagne rien à être trop ambitieux et âpre au gain, à vivre dans une fièvre perpétuelle. Si le désir de réussir devient trop frénétique ou trop exténuant, il ne peut plus être l’aiguillon d’une activité féconde.
Sir Walter Scott nous raconte que lorsque la reine Elisabeth Ire donna une bague à Walter Raleigh, ce dernier s’en servit pour graver le vers suivant sur une des fenêtres du palais : « Je voudrais bien monter, mais j’ai peur de tomber », vers auquel la reine ajouta cette rime : « Si le coeur vous manque, mieux vaut vous en garder ».
À mesure qu’il avance, l’administrateur subalterne doit se rappeler que c’est son rendement qui détermine sa valeur. S’il ne parvient pas à accomplir sa tâche, son prestige ne tarde pas à décliner.
Préparation au rôle de chef
Votre préparation doit être adaptée à vos espoirs et à l’importance de l’entreprise qui vous intéresse. Vous avez une forteresse à escalader ; assurez-vous d’abord que vos échelles sont assez longues.
La préparation consiste à étendre le champ de nos connaissances. Il faut savoir non seulement quelles sont les exigences de l’emploi, mais encore si nous sommes à la hauteur de ces exigences et comment nous pouvons nous préparer à y répondre avec succès.
Il serait téméraire de penser qu’il est possible de résoudre des problèmes compliqués, de triompher de concurrents retors ou de diriger une équipe, sans travail et sans préparation. Un chef d’orchestre n’est pas obligé de savoir jouer de tous les instruments, mais il doit connaître le son qu’ils rendent entre les mains d’un bon musicien et l’effet qu’on peut tirer de leur réunion.
Efforcez-vous de vous mettre au diapason de votre chef. Apprenez d’abord les grands principes des affaires, puis assimilez-en les détails. Ne comptez pas sur les autres pour vous les enseigner, parce que la clef du succès, c’est l’étude. Si vous n’avez aucune initiative, comment en donnerez-vous aux autres ? Vous réussirez peut-être à diriger un certain nombre de subalternes, mais vous ne ferez jamais un véritable chef.
Un mois consacré à l’étude consciencieuse de vos déficiences, de vos capacités, de votre personnalité et de vos ambitions vaudra mieux que des années de tâtonnements stériles. Si vous avez des doutes sur vos aptitudes et votre vocation de chef, tirez la question au clair. Vous ne serez jamais un bon administrateur si vous n’êtes pas sûr de vous-même.
Tout administrateur doit être capable de s’examiner franchement et de profiter de ses erreurs. Ce n’est pas en se contentant d’être spectateur qu’il pourra s’améliorer. Le bon administrateur est toujours plus ou moins fils de ses oeuvres.
Vertus à cultiver
Le jeune homme qui aspire à un poste d’administrateur doit apprendre à obéir. La vieille maxime « Pour savoir commander, il faut d’abord avoir appris à obéir » est toujours d’actualité. Mais l’obéissance est une vertu qui ne s’acquiert que par la pratique.
La patience est également nécessaire. C’est là une vertu qui embrasse beaucoup de choses : elle suppose la santé mentale, la maturité et l’urbanité.
Il nous faut être patients même lorsqu’on nous demande d’accomplir des tâches qui nous paraissent indignes de nous ou de notre talent. Dans un orchestre philharmonique n’incombe-t-il pas parfois à de grands artistes de ne fournir que la musique d’accompagnement pour les choeurs ou les solos.
L’impatience n’est pas un indice de grandeur d’âme. Il faut savoir imiter le soleil, qui répand sa chaleur bienfaisante sur tous les êtres et tous les objets, mêmes les plus humbles et les plus petits.
L’administrateur subalterne a aussi besoin de tact. Il doit faire preuve de courtoisie, afin de tempérer ses ordres. Jamais il n’accueillera une idée avec dédain, même si elle semble ridicule. Au contraire, il en tiendra compte et en discutera les mérites. Pour ce qui est des plaintes, il les étudiera avec justice et sollicitude. Il n’hésitera pas à s’excuser de ses erreurs.
Les décisions
L’administrateur subalterne qui possède plusieurs de ces vertus est en mesure d’affronter l’épreuve finale : l’acceptation des responsabilités.
Prendre une décision, c’est en quelque sorte s’engager. Il faut donc commencer par vérifier les faits rigoureusement et supputer ensuite tous les résultats possibles. On ne peut pas toujours s’en tenir aux règles établies, car les faits peuvent fort bien contredire les théories et les statistiques. Quand le sondeur annonce qu’on navigue par quatre brasses, le capitaine ne doit plus se fier à sa carte marine, qui en indique six.
Lorsque vient le temps de prendre une décision qui vous oblige à accepter certaines responsabilités, rien n’est plus réconfortant que de savoir que vous pouvez compter sur le respect et l’appui de ceux qui vous entourent. Si tout le monde pousse à la roue et que l’on vous estime autant comme homme que comme chef, vous pouvez être tranquille.
De nos jours, bien peu de grands dirigeants croient à l’efficacité des méthodes dictatoriales. Dans l’armée, dans le fonctionnarisme et même dans les affaires, personne ne peut accomplir d’exploits glorieux ni rendre de services signalés sans le concours de ses subordonnés.
Pour y arriver, il faut faire disparaître les frictions et les conflits. La coopération est l’affaire de tout le monde, des patrons comme des employés. On ne l’obtient pas simplement en donnant des ordres, mais par ses qualités personnelles.
L’administrateur subalterne doit s’habituer à pouvoir changer d’avis. Il est bon d’avoir de la suite dans les idées, mais pas au point de commettre des erreurs. Si vos collaborateurs apportent des preuves irréfutables, n’hésitez pas à modifier vos vues en dépit des critiques. Celui qui s’entête dans ses opinions ne tarde pas à constater que le monde continue de progresser et que c’est lui qui reste en arrière. « C’est à leur entêtement stupide, écrit Emerson, qu’on reconnaît les sots. »
Prenez le temps de réfléchir
Il faut apprendre à adopter une attitude positive en cet âge de transition, où nous sommes fort tentés de chercher à transiger et de suivre le courant. Les hommes d’État de l’ancienne Athènes ont eu les mêmes problèmes à résoudre, mais ils avaient une règle de conduite qui vaut encore de nos jours : mépriser la fausse objectivité, qui consiste à tenir un juste milieu entre deux opinions contraires, indépendamment de leur vérité.
Si vous passez votre temps à ménager la chèvre et le chou ou à toujours utiliser les mêmes méthodes sous prétexte qu’elles ont donné de bons résultats, vous n’avez pas l’étoffe d’un administrateur. Au lieu de vous contenter de la même formule, demandez-vous chaque fois si cette formule s’applique dans le cas présent ou si, au contraire, les conditions n’ont pas changé.
Tout cela exige évidemment la largeur d’esprit nécessaire pour prêter attention à l’opinion des autres et surtout en tenir compte. D’ailleurs il n’y a que les médiocres qui soient absolument sûrs d’eux-mêmes ; le véritable administrateur est enclin à croire que sa solution n’est pas nécessairement la meilleure.
C’est pourquoi il prend le temps de faire un peu de méditation. Même si ce n’est pas le mot qu’il emploie, il n’en tient pas moins à s’éloigner quelquefois du bruit et de ses occupations pour avoir une meilleure vue d’ensemble de la situation, à rechercher un lieu de paix et de tranquillité pour se préparer à faire face à l’avenir et à l’imprévu. Robert N. Hilkert, premier vice-président de la Federal Reserve Bank de Philadelphie, avait l’habitude de dire à ses collaborateurs « La méditation est probablement l’une de nos meilleures techniques administratives ».
Il y a des gens qui semblent avoir peur de réfléchir. Le midi, au restaurant, ils bourrent la boîte à musique de pièces de monnaie pour éviter le silence propice à la réflexion ; le soir, c’est à la télévision qu’ils font appel, et le reste du temps, ils bavardent ou se contentent d’écouter l’appareil de TSF qu’ils portent dans leur poche. Ces gens-là ne pensent pas, ne cherchent pas d’idées, ne font aucun effort pour cultiver leur sens des valeurs.
L’administrateur subalterne est d’un genre bien différent : ses facultés sont toujours en éveil. Doué d’un esprit méthodique, qui se plaît à tout analyser, il sait mettre de l’ordre autour de lui, et il n’hésite pas à innover.
Il ne faut donc pas s’étonner s’il atteint à une certaine dignité. Il est sûr de ses actes et n’a pas besoin de se vanter. On apprécie ce qu’il fait, mais l’adulation le laisse indifférent. On l’estime à cause de sa valeur propre et non d’après ce qu’il pourrait se croire.
Les relations avec le personnel
Interrogés, il y a quelques années, par la revue Fortune, sur les qualités qui contribuent le plus à leur succès personnel, les administrateurs ont déclaré qu’il est plus important de savoir manier les employés que de savoir prendre des décisions ou de posséder des connaissances techniques.
La tâche principale de l’administrateur subalterne consiste à obtenir le meilleur rendement possible de ses subordonnés. Il lui faut formuler ses ordres et ses instructions en tenant compte des difficultés qui peuvent se présenter, de façon à s’assurer le maximum de collaboration.
Vous aurez donc tout lieu de vous féliciter si vos employés, auxquels vous venez de donner vos instructions, quittent votre bureau pleins d’enthousiasme et de confiance ; s’ils savent exactement ce que vous attendez d’eux ; et s’ils sont certains que vous faites votre part.
Ce qui mécontente le plus le personnel, c’est de voir l’administration prendre une attitude négative, dire habituellement non à n’importe quelle demande, écarter systématiquement les suggestions, tarder inutilement à faire connaître ses décisions, donner des instructions insuffisantes, et laisser ainsi le personnel se débrouiller tout seul.
L’administrateur subalterne ne doit pas imiter le sergent qui fait manoeuvrer son peloton au terrain d’exercice. Si les soldats obéissent comme des automates à chacun des commandements du sergent, l’administrateur, lui, s’attend à une réaction intelligente.
D’autre part, chacun sait par expérience personnelle que rien n’est plus agréable que d’avoir un patron qui, désireux de vous voir réussir, n’hésite pas à vous aider et est le premier à se réjouir de vos succès.
Mais pour obtenir ce qu’il veut, il est indispensable au jeune administrateur de savoir communiquer ses idées, en particulier d’avoir le talent d’exposer clairement des directives compliquées ou des instructions confuses.
Et nous en arrivons ainsi au point décisif : celui d’obtenir des résultats. La valeur de l’administrateur subalterne n’est pas déterminée par le nombre de ses rapports et de ses notes de service, mais bien par la façon dont il sait saisir immédiatement l’essentiel d’un problème, prendre rapidement une décision, bien expliquer le rôle de chacun et mettre tout le monde à l’oeuvre.
L’administrateur vraiment digne de ce nom est un homme d’action. Il ne se contente pas d’attendre placidement ce qui va arriver, mais il va au-devant des coups et des idées.
Étude et perfectionnement
Quand on veut progresser, on ne peut compter exclusivement sur l’expérience quotidienne. Même si vous remplissez vos fonctions fort convenablement, vous pouvez avoir l’impression d’être toujours au même point. « La valeur d’un homme dépend essentiellement de son esprit de détermination. Tout le reste – systèmes, cartes de présence, chronomètres, économie de temps et d’effort – ne vaut absolument rien sans le feu de la détermination. » Ce passage est tiré d’un manuel de l’Alexander Hamilton Institute, une des plus vieilles institutions de formation pour les hommes d’affaires.
Si vos ambitions ont un but clair et bien défini, vous élargirez vos horizons en vous renseignant sur une foule de choses. Vous saurez vous intéresser à tout ce qui est humain, et non pas vous limiter à votre profession. Seule une vaste culture intellectuelle permettra à vos idées de se développer et de s’épanouir.
L’homme qui occupe un poste supérieur dans les affaires ne craint pas de lire les bons livres même s’ils n’appartiennent pas à sa spécialité. Il n’a pas peur des grands mots et des nobles idées qu’il y trouve, comme l’honneur, l’intégrité, la justice, l’enthousiasme.
L’étude rend la vie agréable et aide à surmonter les difficultés. C’est encore un des meilleurs moyens à prendre pour jouer un rôle de premier plan et s’affirmer comme bon administrateur.