La collectivité, au sens où nous l’entendons ici, ne désigne pas simplement une municipalité, un centre commercial ou une agglomération quelconque. C’est une notion beaucoup plus riche, qui implique tout ce que suppose l’épanouissement de vies humaines.
Au sein d’une bonne collectivité, les gens sont des voisins, imbus du véritable esprit démocratique, qui collaborent à la solution de leurs problèmes et cherchent à effectuer des améliorations. C’est à eux que s’applique la définition de la société humaine selon saint Augustin : « Un groupement plus ou moins nombreux d’hommes unis par leur amour commun des mêmes choses ».
Le dynamisme qui engendre une bonne collectivité ne provient pas de sa structure officielle, mais des préoccupations, des désirs et des buts de ceux qui la composent. Toute collectivité canadienne est libre de s’améliorer, sans contrainte ni ingérence de l’extérieur. Le savoir, l’intérêt et l’action du bon citoyen sont l’âme de notre société démocratique.
Les grandes villes comme les petits villages ne sont en somme que des groupements de maisons, de boutiques et d’usines. C’est une question de quantité. Cet ensemble n’est pas nécessairement le plus beau, ni le plus imposant par ses édifices et ses monuments, mais ceux qui y habitent peuvent contribuer à en faire une collectivité agréable.
La sociabilité de l’homme et la nécessité de considérer la société dans ses rapports avec la vie humaine avaient fortement impressionné Platon. Dans ses considérations sur la morale, au lieu de se préoccuper de ce qui caractérise la vertu chez l’individu, il s’appliqua d’abord à définir ce que devait être un bon État. Il croyait qu’il serait ensuite très facile de déduire de cette définition les caractéristiques du bon et du bien chez l’homme.
Pour Platon, l’existence d’un État idéal nécessitait les quatre vertus suivantes : sagesse, courage, tempérance et justice. Voilà les qualités qui serviront de critère et de norme de conduite dans l’amélioration d’une collectivité.
Pour constituer une collectivité, les hommes doivent travailler ensemble ; pour l’améliorer, ils doivent avoir des principes communs. Les buts de chacun peuvent être différents, mais leurs convictions fondamentales doivent être identiques. Ils doivent obéir aux mêmes lois.
Les progrès industriels et la facilité des déplacements ont troublé l’intimité et la stabilité des petits villages. Les inventions nouvelles semblent nuire au maintien des us et coutumes d’autrefois. Mais consolons-nous en pensant que si la vie collective ou paroissiale est imparfaite, nous pouvons y remédier par nos efforts d’organisation et de réalisation.
Le sens social
Sur quoi une collectivité repose-t-elle ? Non sur un plan directeur, non sur l’urbanisme ni sur l’émission d’emprunts municipaux, mais bien sur les dispositions d’esprit des personnes qui en font partie.
Le sens social naît du jour où les citoyens commencent à penser à l’avenir. Ce n’est que lorsqu’ils se demandent où ils vont et comment conserver les qualités et la valeur de leur localité qu’ils trouvent les moyens d’envisager l’avenir avec confiance et espoir.
Reconnaissons que bien peu d’entre nous se contentent du médiocre. Nous avons des ambitions bien plus élevées. Mais, il ne suffit pas de désirer le mieux ; il faut s’évertuer à l’atteindre par tous les moyens.
Ne pouvant rester dans l’isolement, les hommes doivent apprendre à faire bon ménage. Les biens que nous possédons, les instruments et les services d’utilité publique dont nous disposons ne sont utiles que dans la mesure où ils augmentent notre confort, mais ils ne sauraient remplacer l’amitié et la cordialité.
Ce qu’il y a d’extraordinaire à propos d’une collectivité quelconque, c’est qu’elle se compose de gens différents par leur mentalité, leur conception des problèmes civiques et leur attitude devant les solutions proposées.
Au Canada, où la diversité des cultures est plus grande que dans bien d’autres pays, c’est la fusion de tous ces patrimoines qui fait la richesse et la variété de la vie. Le folklore, la langue, les coutumes, l’artisanat des différents éléments de notre population sont autant de trésors où chacun peut puiser et mieux contribuer ainsi au bien général de la collectivité.
Mais l’existence de traditions différentes exige de la tolérance. Une bonne collectivité n’est pas celle où les gens soutiennent que leur façon de vivre est la meilleure. Il faut savoir se mêler aux divers groupes. Nos méthodes d’enseignement, nos programmes de loisirs, nos services d’hygiène peuvent perdre de leur valeur si notre milieu devient empoisonné par l’étroitesse d’esprit ou le snobisme.
En Utopie (pays imaginaire inventé par Thomas Morus), le prestige ne venait pas de la naissance ni de l’instruction, mais n’était reconnu que par ce qu’on avait fait pour l’État. L’importance d’un homme tenait certes à son jugement, sa compétence, sa bonté, mais surtout à sa contribution désintéressée au bien-être de sa collectivité.
Savoir agir
Quelles sont les causes de l’apathie des citoyens ? Ce sont entre autres le défaitisme et le découragement, la négligence des autorités à mettre le public au courant des questions susceptibles de l’intéresser, le scepticisme ou le refus de croire à la valeur de l’effort individuel.
Dans certaines municipalités, les querelles entre le conseil municipal, les organismes de bienfaisance sociale et les associations bénévoles compliquent les difficultés, car elles ne servent qu’à jeter la confusion au sein du peuple, qui se décourage en disant : « À quoi bon ? »
Une société vraiment démocratique doit étudier ses problèmes de façon ordonnée. Tous les groupes, élus ou bénévoles, qui se préoccupent de l’éducation, de la santé, de l’urbanisme, des loisirs, des services sociaux et du bien-être doivent apprendre à se consulter.
Une municipalité est en mesure de fournir à ses citoyens ce qu’ils veulent à condition que leurs désirs soient unanimes et vraiment sincères. S’ils tiennent vraiment à ce que leur milieu soit celui où il fait bon de vivre et s’il est bien l’endroit idéal pour élever une famille, ils verront à réaliser leurs ambitions en union avec ceux qui partagent la même opinion.
Le citoyen respectable ne se contente pas de vivre en égoïste ; la dignité qu’il acquiert, il la doit à sa contribution au bien-être de sa ville ou de son village.
Mais participer à un mouvement ou à une oeuvre ne veut pas dire partir en guerre contre des moulins à vent comme don Quichotte. Chacun doit s’appliquer à rechercher une sphère d’activité qui soit pour lui d’un intérêt véritable. Tout homme possède des connaissances ou des talents qui lui serviront à fournir une collaboration fructueuse.
Les affaires et la collectivité
Ce que nous venons de dire s’applique fort bien aux maisons d’affaires. Les chefs d’entreprise peuvent déplorer la pression de groupes influents contre l’échafaudage parfois branlant d’une municipalité, en comparaison de l’organisation efficace de leurs bureaux et de leurs fabriques, mais il ne leur est pas permis de se désintéresser des problèmes municipaux. Un bon homme d’affaires est un bon citoyen, avec les privilèges et les responsabilités que cela comporte.
En envisageant cette question sous un autre angle, nous constatons que les compagnies industrielles tiennent à ce que leurs employés soient heureux et qu’elles recherchent en conséquence les bonnes collectivités. Avant d’établir une fabrique ou une succursale, dans une localité, elles s’informent du niveau culturel, de la qualité des écoles et des commodités qu’on y trouve. On cite l’exemple d’une compagnie qui choisit, pour ouvrir une succursale, un emplacement distant de plus de mille milles des autres lieux possibles en raison précisément du meilleur niveau de vie de cette collectivité.
Un bon milieu permet d’autre part à ceux qui l’habitent d’acquérir des qualités sociales qui favorisent également le succès dans les affaires. En effet, les jeunes gens qui ont fait preuve d’initiative dans les affaires municipales ont plus de chances d’avancement dans les postes de commande de la compagnie qui les emploie.
Les grandes industries n’aiment pas à adopter une attitude paternelle arrogante dans le développement d’une collectivité. Elles encouragent plutôt leurs employés à s’y intéresser. Cela ne donne peut-être pas toujours les meilleurs résultats, mais cette ligne de conduite est de beaucoup préférable.
La municipalité providence s’inspire peut-être de nobles motifs, mais elle détruit l’esprit d’initiative de ceux qui l’habitent. Ce défaut consiste à prendre toutes les décisions pour les citoyens, à assumer toutes les responsabilités et à amoindrir ainsi les qualités qui distinguent l’homme des animaux.
Comme l’a fait remarquer un porte-parole de la Côte de l’Or à la conférence d’étude présidée par le duc d’Édimbourg : « Les gens sont plus heureux et deviennent de meilleurs citoyens quand on les encourage à penser et à agir pour eux-mêmes, leur famille et leur collectivité ». Il y a une foule de choses qu’il vaut mieux qu’une collectivité accomplisse elle-même ; même si ces choses pourraient être réalisées plus avantageusement par des gens du dehors.
Agir méthodiquement
Tout changement implique non seulement un but mais aussi un point de départ. Si nous voulons soulever la collectivité, il nous faut un point d’appui, comme Archimède.
Quiconque ambitionne d’améliorer une collectivité doit d’une façon ou d’une autre suivre la marche ci-après : obtenir les renseignements nécessaires ; inspecter les lieux à améliorer ; recenser la population et les ressources ; examiner les moyens d’éveiller l’intérêt ; informer le public de chaque étape ; procurer l’occasion à tout le monde de participer à l’élaboration et à l’exécution de son projet.
Après cet examen, soyez en mesure de motiver vos conclusions. Le changement proposé profitera-t-il à la majorité des citoyens ? Il ne faut pas s’enthousiasmer pour des riens. Les améliorations auxquelles on songe en valent-elles réellement la peine ? Méritent-elles vraiment un effort collectif ?
De plus, ce qui est souhaitable n’est pas toujours faisable. Quand ce ne sont pas les moyens, c’est parfois l’approbation générale qui fait défaut.
Plutôt que de s’empêtrer dans les broussailles en cherchant un sentier dans la forêt, pourquoi ne pas grimper dans un arbre afin de s’orienter ? Au lieu d’un sentier on apercevra peut-être alors une bonne route. Il en est de même dans la vie. Ce sont ceux qui ont vu loin qui ont été le plus utiles à l’humanité.
Si quelqu’un vous demandait : « Quel genre de collectivité désirez-vous édifier ? », vous répondriez sans doute à peu près en ces termes : « Mon idéal serait un milieu où tout le monde aurait l’esprit éveillé aux intérêts de la collectivité et profiterait de toutes les occasions pour l’améliorer ; où les groupes et les particuliers travailleraient de concert, fiers de leur solidarité, acceptant de bon coeur leurs responsabilités ; où enfin les diverses organisations s’efforceraient avec ardeur d’atteindre les buts qu’elles auraient clairement exposés et rempliraient bien leur mission.
Les municipalités deviennent de bonnes collectivités plus par des actes positifs que par la répression ou l’extermination de ce qui est mal. La défense énergique d’une cause louable est un véritable stimulant.
Un souci constant
Rendre une collectivité meilleure exige plus que de simples efforts sporadiques. Il y aura toujours quelque chose à faire, car on ne peut prévoir ce qui surgira demain.
Toutes nos institutions subissent des changements que nécessitent les progrès constants de la civilisation. L’édifice social réclame sans cesse des remaniements.
L’adaptation est un processus continu dans la nature dont nous faisons partie. Nous cherchons à conserver ce qui est bon, tout en y ajoutant des innovations pleines de promesses, mais il ne faut pas que ces changements comportent des avantages simplement temporaires.
Ce n’est pas avec des gens qui font les empressés qu’on édifie une bonne collectivité, mais cela suppose le concours d’une foule de citoyens empressés à rendre service. Les experts sont utiles, mais ils ne peuvent pas tout ; on peut faire appel à leurs services, tout en conservant au public le droit de surveillance.
Un des devoirs du conseil municipal est de découvrir et de faire connaître les besoins et les désirs de la population. Le conseil peut avoir des statistiques sur la population, le nombre de maisons, la longueur des rues et la superficie des parcs publics, mais ce n’est pas dans ses dossiers qu’il trouvera la réponse aux aspirations de la collectivité.
Dans une société démocratique, il y a une foule de besoins auxquels ne peut satisfaire l’autorité constituée. Voici ce que dit le rapport de la Commission royale d’enquête sur l’avancement des arts, lettres et sciences au Canada : « Pour notre époque, qui sait par expérience que toute dictature commence d’abord par la suppression des sociétés bénévoles, il n’est pas nécessaire d’insister longuement sur l’importance de celles-ci dans le cadre démocratique. Cependant, on ne sait peut-être pas toujours jusqu’à quel point leur activité peut compter dans la vie quotidienne des nations libres ».
Un conseil municipal éclairé saura reconnaître que la participation des citoyens aux affaires de la collectivité est une nécessité primordiale. Il mettra à contribution l’expérience et les idées des citoyens les plus aptes à étudier les problèmes qui se posent, et il en tiendra compte dans ses délibérations.
La situation idéale est celle où les divers éléments de la collectivité – conseil, commission scolaire, sociétés du bien-être, syndicats ouvriers, chambre de commerce, clergé, organismes de bienfaisance sociale et tous les autres groupes – examinent ensemble les besoins de la municipalité, établissent les priorités et joignent leurs efforts.
La vie sociale gravite autour de ces associations et de ces groupements, qui doivent unir leurs forces pour mener à bien l’énorme tâche de l’amélioration de la collectivité. Ils peuvent se comparer aux petits ruisseaux qui forment les grandes rivières.
Cette collaboration générale s’obtient non pas par la création d’une hiérarchie de dirigeants ou de petits clans, mais par l’échange des idées entre hommes dévoués et de bonne volonté. L’auteur d’un ouvrage sur la démocratie écrit avec raison : « Si je vous donne un dollar et que vous m’en donniez un, nous aurons chacun un dollar ; mais, si je vous donne une idée et que vous m’en donniez une, nous aurons chacun deux idées ».
Peut-être faudra-t-il, pour mettre les choses en marche, convoquer les divers groupes et charger une personne impartiale de présider à leurs discussions. Une réunion de consultation contribuera à faire surgir maintes propositions profitables. Chaque localité peut ainsi faire appel aux lumières de ses habitants.
Une fois ces propositions exposées, voici comment on peut procéder : grouper les besoins par catégorie ou par région afin de les étudier de façon ordonnée ; examiner les moyens de résoudre les problèmes qu’engendrent ces divers besoins ; enfin désigner des groupes ou des particuliers chargés de faire le nécessaire.
De telles réunions ne valent que si elles suscitent des idées, élargissent les vues et ouvrent des horizons. Elles n’aboutissent à rien si quelqu’un en particulier y recourt pour satisfaire une ambition personnelle, obtenir une faveur ou pousser de l’avant quelque projet qui lui est cher.
Soyons pratiques
Lorsque nous participons aux oeuvres de la collectivité, ne soyons pas trop idéalistes, comme cela arrive souvent, mais soyons pratiques dans nos buts et nos demandes. Évitons d’être semblables à ces philosophes dénoncés par Francis Bacon dans L’Avancement des sciences, ces hommes qui édictaient des lois imaginaires pour des États imaginaires et dont les dissertations pourraient être comparées à ces étoiles qui donnent très peu de lumière parce qu’elles sont trop hautes.
Des gens bien intentionnés ne réussissent pas à obtenir ce qui est souhaitable parce que leurs idées sont vagues et qu’ils se cantonnent dans les généralités ; ils ne saisissent pas la situation par les cornes. Ils cherchent de droite à gauche par quels procédés nouveaux et subtils ils pourraient réussir, au lieu d’aborder la situation de front. D’autres manquent de suite dans les idées. À une première réunion, ils présentent un plan relatif au bien-être de l’enfance ; le mois suivant, ils parlent d’enseignement et, le troisième mois, la question qui les passionne est la bombe atomique. Ils expriment peut-être des vues fort sensées, mais tout est superficiel parce que peu pratique. Imaginez un peu ce qui arriverait si, au cours d’une partie de football, on lançait une demi-douzaine de ballons sur le terrain. On ne saurait plus quel ballon prendre. La plus grande confusion régnerait parmi les joueurs.
Renseigner le public
Pour que tout mouvement destiné à améliorer une collectivité soit couronné de succès, il importe que le public soit renseigné d’une façon complète et intelligente.
C’est ici que le journal local entre en scène. Il joue un rôle capital en racontant ce que la collectivité accomplit pour s’améliorer. En page éditoriale, le rédacteur en chef proposera de nouvelles idées, commentera les progrès accomplis et attisera la flamme de l’enthousiasme.
Comme on peut le lire sur l’édifice du Detroit News : le bon journal est « le reflet de tout ce qui intéresse l’homme … l’ami de toute juste cause … l’appui de tout acte de générosité … le miroir de l’opinion publique … l’aiguillon de la conscience publique … l’interprète des aspirations populaires … la source nourricière de l’esprit civique. »
Le mot de la fin
Il vaut mieux participer à la création des bonnes choses que de se vanter de les posséder.
Depuis toujours, les hommes et les femmes qui se sont groupés en collectivités ont dû faire face à bien des problèmes. L’ignorance, les préjugés, l’insouciance ont entravé leur action. Mais, malgré tous ces obstacles, l’homme a, au cours des siècles, réussi à améliorer son milieu, et y a trouvé des consolations. Il serait vraiment malheureux pour nous autres Canadiens de perdre tous les bienfaits que nous possédons à un degré beaucoup plus élevé que ceux de l’ancien temps ou des pays moins favorisés que nous.
C’est répliquer bien faiblement à ceux qui proposent quelque amélioration à leur collectivité que de leur dire : « Nos ancêtres s’en passaient bien et ne s’en trouvaient pas plus mal ». C’est grâce à leur prévoyance et à leur travail que tant de possibilités s’offrent à nous. Il ne suffit pas de conserver l’héritage ; il faut le faire fructifier.
Les conditions nouvelles ont fait naître des besoins nouveaux, et seule une collectivité consciente de ses besoins et résolue à les satisfaire peut tirer parti de ses richesses.
Voilà la tâche qui incombe aux hommes pour qui la coordination des efforts peut venir à bout des pires difficultés et pour qui aucune amélioration n’est impossible quand il s’agit de leur collectivité.