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Le Canada et les États-Unis, qui comptent au delà d’un siècle de relations amicales et entre lesquels le respect mutuel et la collaboration n’ont fait que s’accroître, sont aujourd’hui plus près l’un de l’autre, économiquement et spirituellement, que tous autres pays parmi les nations importantes du monde.

Ces deux pays participent activement aux affaires internationales, possèdent 13 p. 100 de la superficie mondiale et abritent 7 p. 100 de la population du globe.

Un article sur le Canada et les États-Unis doit comprendre quelques chiffres. Voici une comparaison, en trois lignes, de certaines particularités numériques :

Canada États-Unis
Superficie (milles carrés) 3,695,189 3,022,387
Population (1956) 16,081,000 168,174,000
Revenu national (1956) $23,049,000,000 $343,600,000,000

Le revenu national par habitant est de $1,433 au Canada et de $2,043 aux États-Unis, mais cette inégalité ne veut pas dire que les Canadiens sont des voisins pauvres. Leur niveau de vie ne diffère pas beaucoup de celui d’outre-frontière.

D’aucuns vont jusqu’à penser que les Canadiens sont pareils aux Américains, sauf qu’ils n’ont pas été assez intelligents pour s’établir plus au sud où il fait moins froid et que la population du Canada s’est groupée le long de la frontière parce que les Canadiens veulent se rapprocher le plus possible des États-Unis.

Il est vrai que la moitié des Canadiens habitent à moins de 100 milles et 90 p. 100 à moins de 250 milles de la frontière, mais il est également vrai que plus de la moitié de la population des États-Unis demeure à moins de 250 milles de la même frontière.

L’explication en est simple : dans les premiers temps de la colonie, il n’existait ni grandes routes ni chemins de fer, et les pionniers devaient voyager par eau. Les peuplements se développèrent donc près des rivières et des lacs qu’elles reliaient, et plusieurs de ces cours d’eau s’étendent le long de ce qui est aujourd’hui la frontière.

Une ligne frontière indistincte

Ces deux peuples autrefois ennemis sont maintenant amis. Ils ne le sont pas devenus en nourrissant de grandes et obscures idées sur la fraternité humaine, mais en apprenant à la dure école de l’expérience qu’il vaut mieux entretenir des rapports amicaux et que le simple bon sens commande de vivre en bons voisins.

L’un et l’autre pays se glorifient d’avoir réussi à édifier une des lignes frontière les plus artificielles qui soient au monde, une frontière dont plusieurs incidents amusants attestent le caractère indécis. À Rock Island, par exemple, un homme peut en même temps se faire couper les cheveux au Canada et faire cirer ses chaussures aux États-Unis ; et tout près de là, une voiture roulant de l’est à l’ouest, sur la grande route, est au Canada, mais aux États-Unis si elle va de l’ouest à l’est.

Cette frontière livre passage à plus de marchandises, de voyageurs, de touristes, de capitaux, de programmes de télévision et de radio, de trains, de voitures, de journaux, d’équipes de hockey et de clients que toute autre frontière du monde. Les Canadiens et les Américains font en grande partie les mêmes choses et les font souvent ensemble.

Pour bien comprendre le peu de cas que l’on fait de la frontière, il n’y a qu’à se placer en un point quelconque des limites entre Niagara et Buffalo le premier ou le quatre juillet. Qu’il s’agisse de la fête de l’Indépendance américaine ou de la Confédération canadienne, les bannières étoilées et les Union-Jacks s’entremêlent pendant que les visiteurs affluent de part et d’autre sur les ponts internationaux.

Il a fallu cent ans pour tracer cette frontière de quelque 3,300 milles de longueur entre le Canada et les États-Unis, à laquelle s’ajoutent les 1,540 milles qui séparent le Canada et l’Alaska. Cela ne s’est pas fait sans erreurs, et si certaines d’entre elles font sourire aujourd’hui, elles n’en posèrent pas moins de véritables problèmes en ce temps-là.

L’échange des idées

Il est évident qu’il ne saurait exister beaucoup de méfiance entre deux nations qui entretiennent de telles relations, qui se passionnent pour les mêmes sports, qui emploient les mêmes lotions à barbe et les mêmes rouges à lèvres, qui se soignent avec les mêmes remèdes et qui se servent souvent des mêmes expressions pour manifester leurs pensées et leurs sentiments.

Mais il ne faut pas en conclure que les deux peuples sont pareils. En fait, chaque pays a ses particularités et ses caractéristiques propres. Ce n’est pas uniquement un problème à deux dimensions : une longue ligne frontière que l’on franchit de part et d’autre. La question n’est plus de savoir où passe une ligne invisible ; elle se pose maintenant sur un plan plus élevé, où les hommes des deux pays se demandent comment la circulation des gens, des moissonneuses et des marchandises qui franchissent la frontière pourrait bénéficier de l’échange des idées, afin d’accroître ainsi le bien-être des deux peuples.

Un peu d’histoire

L’histoire canado-américaine n’est pas une suite de guerres, de règnes de rois et de mandats de présidents. Elle s’est formée par le jeu de forces constructives dans les domaines de la culture, de l’économie et de la politique.

L’agitation déclenchée par les objections contre l’impôt du timbre et les droits sur le thé dans les années 1770 se transforma en débat sur le droit de la Grande-Bretagne de légiférer pour les colonies. Celui-ci fut attisé par l’ineptie du roi qui ne comprit qu’après la bataille de Yorktown qu’il devait renoncer à son projet. Il constata aussi, à ce moment, qu’il avait perdu sa suprématie royale sur le parlement, de sorte que le soulèvement de l’Amérique contribua pour beaucoup à la victoire du principe du gouvernement parlementaire en Grande-Bretagne et que l’on peut le considérer comme l’élément de base du droit des colonies à disposer d’elles-mêmes.

Le Canada fut envahi à deux reprises par les Américains (1775 et 1812), lorsque ses voisins du sud eurent l’idée de conquérir notre pays pour son plus grand bien. Une « invasion amicale » fut lancée contre Montréal et Québec dans l’intention d’incorporer le pays à l’Union en tant que quatorzième colonie. Le château de Ramezay, qui existe toujours comme musée à quelques rues du siège social de la Banque Royale du Canada, servit de quartier général au général américain Montgomery.

Un demi-siècle plus tard, pendant la guerre de 1812, les Américains brûlaient York, aujourd’hui Toronto, à un moment où, sur les 80,000 habitants de ce qui est actuellement l’Ontario, 35,000 seulement étaient des loyalistes et 25,000 des colons américains. Ne voulant pas être en reste, les Britanniques brûlaient Washington un an après.

Ces choses paraissent lointaines et anciennes. Il y a longtemps, en effet, que les Canadiens ont passé l’éponge sur une vieille inimitié, où les esprits s’échauffèrent, et les deux pays se refusent à laisser d’anciens souvenirs fausser leurs jugements sur leurs relations actuelles. Ils donnent en cela un magnifique exemple aux vieux pays.

Le sentiment que la « destinée manifeste » du Canada était l’union avec les États-Unis subsista pendant de nombreuses années chez les Américains, même après que la guerre eut fait place à un attentisme plein de suffisance, très irritant pour les Canadiens.

Cette attitude remontait à l’origine même des États-Unis. Dans les articles de la Confédération, une dispense spéciale était accordée au Canada, et à lui seul, en vue de son entrée dans l’Union : « Le Canada, adhérant à la présente Confédération et acceptant les lois des États-Unis, sera admis dans l’Union avec tous les avantages qui en découlent, mais aucune autre colonie ne pourra y être admise à moins que son admission ne soit approuvée par neuf États. »

Consultation et arbitrage

Ainsi évoluèrent les relations de ces deux pays, depuis l’ère d’une seule souveraineté jusqu’à la séparation en passant par la révolution ; depuis les tentatives par les armes de ramener les Loyalistes dans le giron des républicains jusqu’aux négociations en vue de l’union en tant qu’un des nouveaux États ; depuis les prédictions que le Dominion ne pourrait subsister dans son nouveau statut jusqu’à l’union amicale d’aujourd’hui, qui n’exige aucune constitution.

Seule une voix isolée, et plutôt stupide dans l’esprit des Canadiens, s’élève parfois, de nos jours, pour prôner les vieilles idées d’annexion. Ces visées expansionnistes cadrent mal avec le désir des peuples des États-Unis et du Canada de voir s’édifier un monde où les petits pays seront à l’abri des molestations.

Ces deux pays ont prouvé comment il est possible de collaborer d’une façon harmonieuse, même à la solution des questions difficiles, en exploitant à fond les principes de la consultation et de l’arbitrage dans presque tous les problèmes. Une longue habitude du règlement pacifique a consolidé leur amitié sur une base de réalisme, qui supporte aussi bien l’épreuve de la pratique que celle des idées.

Le secret de la bonne entente réside en partie, semble-t-il, dans le fait que ces deux pays n’attendent pas que les idées inconciliables viennent se heurter à la frontière. Ils s’y attaquent dès le début et font appel au sens commun, à l’ingéniosité et à la tolérance pour tourner, vaincre ou passer par-dessus les obstacles.

Les placements américains et canadiens

Le reste du monde regarde avec respect, et parfois avec envie, le développement économique des pays nord-américains.

La géographie et la force des événements ont contribué à entrelacer étroitement les régimes économiques du Canada et des États-Unis. Le degré exceptionnel de similitude qui existe entre les économies des deux pays, devait naturellement amener les hommes d’affaires et les capitalistes à s’intéresser aux possibilités d’outre-frontière.

Les statistiques les plus récentes signalent les chiffres suivants sur les placements étrangers à long terme au Canada : États-Unis $11,785 millions, Grande-Bretagne $2,661 millions, autres pays $1,110 millions, soit un total de $15,556 millions. En 1956, les placements canadiens à l’étranger se sont élevés à $4,466 millions, dont $2,042 millions aux États-Unis et $1,344 millions au Royaume-Uni.

Les Canadiens ressentent évidemment plus les placements américains au Canada que ne le font les Américains dans le cas des placements canadiens aux États-Unis, bien que les placements effectués aux États-Unis par les Canadiens soient, par habitant, presque deux fois plus considérables que ceux des États-Unis au Canada.

Le commerce entre les deux pays

Ces deux pays sont les meilleurs clients l’un de l’autre. Le volume total de leur commerce dépasse en fait le total des échanges jamais enregistré entre deux pays quelconques.

La vie économique du Canada n’a pas été facile. Notre pays est riche en ressources naturelles et sa population est énergique et laborieuse, mais son marché intérieur est trop restreint pour absorber la production de ses fermes, de ses forêts et de ses usines.

Le Canada connut probablement ses jours les plus sombres au milieu des années 1800, c’est-à-dire à l’époque où la Grande-Bretagne adopta le libre-échange, mesure qui le privait de sa situation privilégiée au sein de l’empire colonial. La perspective était si désespérante que l’on commença à parler de l’annexion aux États-Unis, et l’on publia à Montréal, en 1849, un manifeste réclamant l’union des deux pays.

Cinq ans plus tard, un traité de réciprocité avec les États-Unis venait délivrer les Canadiens de leurs craintes, mais il fut résilié en 1866, en raison surtout du ressentiment de Washington contre les sympathies britanniques envers le sud pendant la guerre de Sécession.

En 1897, après de nombreux et vains efforts pour reconquérir le régime de la réciprocité, le Canada adoptait celui de la préférence impériale et tournait son attention vers le commerce avec l’Empire. En 1911, un second traité de réciprocité était rejeté lors d’une élection au Canada.

La guerre des tarifs commerciaux atteignit son point culminant avec les tarifs Fordney-McCumber et Smoot-Hawley, en 1922 et 1930, qui restreignaient l’accès des Canadiens aux marchés américains, et auxquels le Canada riposta par de fortes augmentations de ses tarifs. En 1932, le Canada signait les accords d’Ottawa, destinés à permettre à l’Empire de se suffire davantage à lui-même.

En 1935, tout le monde était las de la bataille des tarifs. L’accord de commerce réciproque conclu cette année-là fut révisé et renouvelé en 1938, année où la Grande-Bretagne signa également un pacte de commerce avec les États-Unis.

Nous pouvons nous faire une idée exacte de l’importance que peut acquérir l’échange bilatéral des marchandises en comparant l’année 1939 avec celle de 1957. L’année où la guerre éclata, le Canada acheta pour une valeur de $497 millions de marchandises aux États-Unis, et, en 1957, ses achats aux États-Unis se sont chiffrés à $4,003 millions ; en 1939, les achats des États-Unis au Canada s’élevaient à 380 millions de dollars ; en 1957, ils atteignaient le total de 2,943 millions.

Les problèmes du Canada

Le Canada a ses problèmes particuliers. Petit pays, doté de richesses suffisantes pour subvenir aux besoins d’un grand pays, il doit faire face à des responsabilités et à des dangers de nature spéciale.

Pour ceux qui ont appris à regarder le globe du sommet, il est clair que le Canada gît au centre de la puissance mondiale, car il est entouré des États-Unis, de la Grande-Bretagne et de la Russie. Cette position était autrefois un gage de sécurité, mais la stratégie aérienne ferait de son territoire une région critique en cas de guerre.

Son intégrité politique est assurée, ses relations extérieures sont exemptes de toutes imputations égoïstes, et il a de nombreux amis dans toutes les parties du monde. Son traditionalisme inné maintient le pays dans la voie de la pondération ; son dualisme racial lui confère un esprit de tolérance et de compréhension qui est très important dans les relations internationales ; son sentiment national, fondé sur la fierté de ses réalisations industrielles, agricoles et militaires, l’empêche de devenir une entrave au progrès.

Tout cela indique que le Canada jouit au sein des nations du monde d’une importance bien supérieure à sa modeste population. Il dresse fièrement le front en tant que nation autonome, car il a atteint sa majorité en 1931 en obtenant d’une façon pacifique le même résultat que les États-Unis, par la guerre de l’Indépendance, 155 ans plus tôt : le statut de pays indépendant. L’étendue de son indépendance a été démontrée par le fait que le Canada déclara la guerre à l’Allemagne sept jours plus tard que la Grande-Bretagne et qu’il déclara la guerre au Japon avant la Grande-Bretagne et les États-Unis. Il aurait même pu ne déclarer la guerre à personne s’il avait voulu rester à l’écart.

Le Commonwealth

Le Canada est en même temps un associé du Commonwealth britannique, qui représente en soi l’une des institutions politiques les plus remarquables de l’histoire. Il est vraiment prodigieux que la mère-patrie britannique, simple point sur la carte, inspire une fidélité assez tenace pour que des pays aussi lointains que le Canada, la Nouvelle-Zélande et l’Australie restent attachés à elle en dépit de la puissante attraction du milieu ambiant et de la différence des modes de vie.

Les membres du Commonwealth jouissent de tous les éléments de la liberté tout en étant liés ensemble par la loyauté envers la Couronne, par un vaste patrimoine de préceptes politiques, sociaux et moraux, et par des traditions que le temps n’a pas réussi à affaiblir.

Malgré son appartenance au Commonwealth, le Canada n’en est pas moins un pays américain, et il entretient des relations culturelles et commerciales, à la fois amicales et mutuellement utiles, avec tous les pays des Amériques.

Dualité ethnique

Le Canada est un pays bilingue, car près de 31 p. 100 de sa population est d’origine française. Dans la province de Québec, cette importante minorité a su conserver une cohésion de coutumes, de religion et de langue, qui la distingue sur le plan national et international.

Les Canadiens français ont été coupés presque complètement de l’Europe par la chute de la Nouvelle-France pendant la guerre de Sept ans et par le fossé creusé par l’anti-cléricalisme de la Révolution française. Ils se considèrent comme de véritables Canadiens. En raison de sa dualité ethnique et de l’immigration mixte qui en est résultée, le Canada n’a jamais professé un nationalisme racial étroit. Ses tendances en ce domaine ressortent clairement des statistiques démographiques suivantes :

Origine : 1871 1931 1951
% % %
Britannique 60.5 51.9 47.9
Française 31.1 28.2 30.8
Autre 8.4 19.9 21.3

Besoin de renseignements

Les renseignements sont une chose dont le Canada comme les États-Unis ont un grand besoin. La publicité de chaque pays chez son voisin n’a pas été particulièrement brillante. Les hommes politiques et les employés publics sont souvent incapables de comprendre que le ressentiment ou l’opposition que provoquent les changements ou les idées nouvelles ne sont pas imputables à la perversité mais à l’incompréhension des raisons qui en sont le fondement.

L’éducation et l’information du grand public fondées, non pas sur la partialité ou les sentiments, mais sur les faits et des arguments exposés d’une façon intéressante, permettraient d’éviter bien des problèmes. Les vues continentales sont le prélude nécessaire des vues internationales, et il convient de les développer dans les deux pays.

Il y a naturellement des obstacles qui s’opposent à la pleine corrélation des efforts tentés par ces deux pays pour favoriser leur avancement et le bien général de l’univers. Mais il existe dans le coeur et dans l’esprit de leur peuple de puissants élans créateurs qui ne demandent que le stimulant de l’intérêt pour accomplir des merveilles.

La nécessité de supprimer les entraves restrictives est aujourd’hui plus impérieuse que jamais. La collaboration internationale que pratiquent les États-Unis et le Canada de concert avec les autres pays s’étend à toutes les activités humaines ; elle intéresse chaque citoyen et n’est plus la prérogative des ambassadeurs et des fonctionnaires des Affaires étrangères.

Il y a peu de sceptiques parmi les patriotes et les intellectuels de nos deux pays, car il serait tout à fait contraire à l’esprit américain (au sens large du mot « américain », qui comprend aussi le Canada) d’avoir des doutes sur les chances de succès de notre continent.

Mais il importe de se rendre compte de la vérité qu’un avenir heureux ne se prépare pas dans l’inertie. Ayant opté pour des idéaux qui sont le fruit de siècles d’expérience, et décidé des moyens à prendre pour les atteindre dans un monde passionnément réaliste, les peuples du Canada et des États-Unis doivent envisager la réalité, penser avec intelligence et s’exprimer d’une manière intelligible, bâtir d’une façon durable et travailler sans arrêt.