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Il est toujours avantageux de faire partie d’une entreprise où les relations entre les employés sont joyeuses, loyales et bienveillantes. Le moral, en effet, est l’une des choses les plus précieuses dans un commerce ou une industrie.

En temps de guerre, le moral est la force de supporter l’adversité et d’affronter le danger avec courage. En temps de paix, il implique l’empressement à remplir fidèlement ses fonctions, à rechercher des solutions concertées aux problèmes qui se posent, à contribuer d’une façon harmonieuse à l’exécution de la besogne.

Le fondement du bon moral est fort bien mis en évidence dans la profession de foi proposée par l’archevêque de Cantorbéry à la Conférence d’étude du duc d’Edimbourg sur les problèmes humains des collectivités industrielles : « Je crois dans le travail qu’accomplit cette usine, dans la solidarité de ceux qui y travaillent avec moi et dans ce qu’elle produit. »

Jamais une entreprise où les employés sont animés d’un tel esprit ne sera déchirée par des conflits intérieurs ni dépassée par ses concurrents à cause du relâchement de ses ouvriers. La direction de cette entreprise se composera de chefs de service qui savent conduire les hommes, coordonner les tâches et exciter l’enthousiasme.

Personne ne niera les sentiments de satisfaction que procure le fait d’appartenir à un groupement dont le moral est élevé, mais il y a plus en cela qu’un plaisir émotif. Le moral élevé est générateur d’idées et de projets ; il stimule l’initiative et l’esprit d’entreprise ; il constitue un facteur très important du rendement, et ce n’est que dans son atmosphère que les hommes sont amenés à rechercher la perfection. Le bon moral contribue également à accroître les gains, à exalter la fierté professionnelle et à assurer la bonne marche du bureau ou de l’usine.

De fait, le moral élevé tend à se répandre en dehors de l’atelier. L’ouvrier qui est heureux dans son travail, qui a confiance dans ses chefs et qui entretient de bonnes relations avec son équipe, propagera sa satisfaction dans tout son entourage et gagnera des amis à son entreprise.

Les devoirs de la direction

D’où doivent venir en premier lieu les procédés de relations humaines qui contribuent à la création du bon moral ? De la haute direction. Les cadres s’élèvent au-dessus des autres à cause de leur aptitude à diriger, et la création du moral est avant tout un problème et une fonction de chef.

Les bons directeurs commerciaux tirent vanité des équipes dont ils sont capitaines. Le moral et l’esprit d’équipe sont le résultat des efforts constants déployés par une direction de haute qualité durant plusieurs années. La loyauté et la valeur ne se créent pas du jour au lendemain, à coup de règlements, de supplications, de promesses ou de faveurs. Elles procèdent de la personnalité des chefs, des directeurs, des surveillants et des contremaîtres.

Le véritable chef se caractérise par sa faculté de prévoir ce qui est avantageux pour ses employés, son équité et son impartialité, son empressement à écouter les griefs et les suggestions, son désir généreux d’accorder à chacun le mérite qui lui revient, son honnêteté dans la réalisation des promesses. Mais à toutes ces qualités essentielles, le chef de service qui réussit le mieux à forger le moral de son équipe allie une vertu spéciale : il est plein d’égards pour ses employés même dans les petites choses.

Le bon chef de service tracera des plans généraux d’exploitation, les confiera à ses subordonnés, insistera sur l’observation non seulement de la lettre des directives, mais aussi de l’esprit dans lequel il les a établies, puis il consacrera son attention aux exceptions, – ces malins génies qui peuvent faire échouer les meilleurs plans si on ne s’en méfie pas.

Devoirs des surveillants

L’amélioration ou la détérioration du moral de l’entreprise dépendra du sort que feront les surveillants et les contremaîtres aux plans du chef de service.

Ceux qui exercent des fonctions de surveillance ne servent pas l’établissement de leur mieux s’ils se contentent d’appliquer les règlements. La justice, la logique et un intérêt manifeste pour les problèmes des employés sont les chevilles ouvrières du maintien du moral par les surveillants.

Le surveillant est chargé par la direction de prendre un groupe d’êtres humains, chacun avec le tempérament, les émotions et les talents qui lui sont propres, et d’en faire une équipe de travail satisfaisante. Ce qui est très important dans cette tâche, c’est que les nobles principes de ses chefs se reflètent dans l’attitude du surveillant. Le moral, a-t-on dit, ne commence pas à l’échelon inférieur d’une organisation ; il coule lentement du sommet vers le bas.

Tout surveillant exécute un travail qui représente sa part particulière dans l’oeuvre commune. Il pourra, par exemple, monter une machine, préparer des bleus, contrôler la précision ou rédiger des rapports. Mais même s’il s’acquitte bien de cette tâche, ce n’est pas de cette partie de son travail qu’il tirera le plus de satisfaction.

La véritable joie de commander et de diriger des hommes consiste à dépenser jusqu’à la dernière once de notre talent d’administrateur pour que ceux qui sont sous nos ordres donnent la pleine mesure de leur capacité dans leurs emplois et deviennent des ouvriers de plus en plus compétents.

Quiconque a la direction d’un groupe d’employés aura avantage, dans son intérêt comme dans celui de son entreprise, à faire un petit examen de conscience en se posant les questions suivantes : Est-ce que j’entretiens de bonnes relations humaines avec mes employés, ou est-ce que je me contente des seuls contacts du travail quotidien ? Y a-t-il certains principes qui me guident dans mes rapports avec les hommes et les femmes de mon service, ou est-ce que je me borne à faire chaque jour de mon mieux selon les circonstances ? Est-ce que je recherche toujours l’élément positif d’un problème ou d’une situation, ou bien mon attitude négative est-elle une douche froide pour le moral ? Ai-je songé au fait que tous ces ouvriers sont comme moi des êtres humains, ou est-ce que je les considère uniquement comme les « bras » qui font tourner les machines ?

Le surveillant qui s’attend à trouver la perfection chez ses employés aura nécessairement des déceptions. Quel que soit le soin avec lequel on le choisisse, l’ouvrier apporte à l’atelier toutes ses imperfections, ses particularités et ses limites. On ne peut embaucher que le bon artisan ; il faut prendre l’homme tout entier.

C’est là, évidemment, le domaine qui offre au surveillant ses plus belles possibilités. Il y a peu de gloire à noter heure par heure, sur un diagramme, le rendement d’une machine qui tourne rond, mais en faire fonctionner une qui est sujette aux pannes, qui exige des ménagements lorsqu’elle est en régime, qu’il faut bien huiler à certains endroits et à certains intervalles, voilà à la vérité ce qui est à la fois une victoire et un motif de contentement.

La collaboration

La collaboration doit être pratiquée par tout le monde, par ceux qui dirigent comme par ceux qui sont dirigés. C’est une voie à deux sens, une manière de vivre où plusieurs personnes travaillent de concert à l’exécution d’une tâche. On peut se faire une assez bonne idée de la valeur d’un directeur ou d’un administrateur par le degré de collaboration qui existe dans le service dont il a la charge.

Lorsqu’un groupe d’employés se transforme en équipe, sa capacité de production augmente d’une façon étonnante. « Le travail d’équipe, nous dit J. F. Johnson dans Business and the Man, se réalise par l’union des efforts librement consentis au profit d’une cause commune. »

Le surveillant qui réussira le mieux à organiser le travail d’équipe est celui qui assignera à chaque membre de l’équipe la fonction qu’il est le plus apte à remplir et qui veillera à ce que chaque homme connaisse, voie, touche et apprécie le produit fini qu’il a contribué à créer par son labeur et son adresse.

Tout ce que fait le surveillant ou le directeur dans ses relations avec ses ouvriers doit porter le sceau de la sincérité. On aura vite fait de découvrir les attitudes simulées, et il en résultera une perte de confiance à laquelle il sera difficile de remédier, ainsi qu’un affaiblissement de l’esprit d’équipe.

L’opportunisme a acquis une importance beaucoup trop grande dans notre vie actuelle. Nous sommes portés à accepter trop facilement l’idée que la fin immédiate justifie les moyens. Mais un directeur qui choisit la ligne de conduite la plus avantageuse pour le moment, sans se préoccuper de ce qui arrivera par la suite, creuse la fosse où s’engloutira l’esprit d’équipe de son service.

Étant donné que ce ne sont pas des choses inanimées mais des êtres humains qu’il dirige, le surveillant doit vraiment aimer ses hommes. Cependant, comme il occupe un poste de commande, il doit prendre garde de ne pas manifester son amitié pour certains de ses subordonnés jusqu’au point de verser dans la partialité.

Ce que désirent les employés

Beaucoup de chefs de service manquent leur coup parce qu’ils croient connaître toutes les réponses alors que la seule chose qu’ils savent en réalité est l’idée qu’ils se font de ces réponses. Mais cela ne suffit pas pour forger le moral. C’est là le principe que souligne Eugene J. Benze dans son manuel intitulé Office Administration. « En résumé, dit-il, le moral est déterminé par la mesure dans laquelle les besoins des employés sont satisfaits. C’est donc la satisfaction des besoins des employés qui crée le moral. Ce n’est pas plus compliqué que cela. »

Il n’existe pas en Amérique du Nord de crainte générale du chômage et de la pauvreté. Par conséquent, les gens peuvent envisager la question du travail sous un autre angle : celui de la satisfaction que leur procure leur emploi. Ils sont libres de juger les emplois en critiques et de chercher à satisfaire leurs désirs de considération, de sécurité et de confort.

L’époque n’est pas encore très éloignée où la « sécurité » occupait le premier rang parmi les besoins de l’ouvrier, mais les sondages effectués au cours des cinq dernières années indiquent que d’autres besoins passent maintenant avant la sécurité et même avant le salaire. Les ouvriers désirent qu’on les traite comme les membres d’une équipe, qu’on les tienne au courant des problèmes de l’entreprise qui peuvent les intéresser, qu’on prête attention à leurs suggestions, qu’on leur accorde de l’avancement selon leurs mérites et qu’on leur donne des surveillants dignes de leur respect.

Ce sont là des besoins d’ordre social et affectif. On ne peut les traiter à la légère, comme des choses qui dépendent du bon plaisir de la direction. Ils constituent la base même du moral.

Le travail que fait un homme est une partie essentielle de sa vie, non pas tant parce qu’il est son gagne-pain, mais parce qu’il lui confère de la dignité et le rattache à la société. L’opinion selon laquelle l’argent est le principal motif du travail, dit J. A. C. Brown, dans The Social Psychology of Industry, « est tellement absurde que quiconque y adhère sérieusement est par le fait même incapable de comprendre ni l’industrie ni le travailleur industriel ».

Rang et milieu ambiant

Tout atelier ou bureau a sa hiérarchie, dans laquelle l’employé a sa place et son rang. Les gens ne désirent pas seulement se procurer les nécessités de l’existence, ils veulent aussi se les procurer d’une façon qui satisfait leur fierté.

Chacun de nous tient à acquérir de la considération en tant qu’individu unique en son genre. Le surveillant qui cherche à améliorer le moral de ses employés aura plus de succès s’il sait quels sont les symboles de cette considération. Si futiles qu’ils puissent paraître à celui qui s’est élevé au-dessus d’eux, ces symboles sont d’une importance capitale.

Quelque modestes que soient ses fonctions, un homme a droit à ce qu’on lui donne l’assurance qu’elles sont importantes et que la compétence avec laquelle il s’en acquitte est hautement appréciée. Il doit avoir la certitude qu’on a besoin de ses services et qu’il fait partie de l’équipe.

Voici ce qu’on a dit, à ce propos, à une conférence des hauts fonctionnaires de la Commission d’assurance-chômage à Ottawa : « La condamnation la plus sévère dont on puisse accabler un homme ce n’est pas de trouver à redire contre lui, mais de faire comme s’il n’existait pas. Celui qui en est victime ne sait plus où il en est ; il ignore même s’il appartient ou non à l’équipe. »

Quels sont les faits ?

Une entreprise industrielle est un organisme social. Lorsque tout le monde apporte sa contribution à une oeuvre commune, le travail devient une activité sociale, qui confère à chacun le respect et la satisfaction, ainsi qu’un sentiment de solidarité dans la collaboration au bien de la société.

Dans cet organisme social, il se formera nécessairement des petits groupes. Il ne faut pas condamner les clans d’une façon absolue. Fâchez-vous, si vous voulez, contre les clans de comploteurs, les clans de colporteurs de rumeurs, les clans de rosses, les clans de chambardeurs, etc. Mais il y a des groupements qui surgissent normalement dans toute entreprise. Les quatre employés qui s’assoient tous les jours à la même table de la cantine s’y retrouvent très probablement parce qu’ils sont faits pour s’entendre et qu’ils ont des intérêts communs. Cette réunion de midi fait partie du contentement personnel que leur procure leur emploi.

Les chefs d’entreprise et les surveillants disent souvent en parlant de leur personnel : « nous sommes une grande famille ». Mais il y a des secrets dans les meilleures familles.

C’est pourquoi, même si les conditions semblent excellentes dans une usine ou un bureau, il est toujours préférable de s’en assurer. Les enquêtes auprès des employés sont une nécessité préalable dans la création du moral. Il faut d’abord mettre à découvert les désirs des ouvriers.

Il importe en particulier de savoir si les employés aiment vraiment la compagnie : ont-ils la conviction qu’il y a une bonne équipe de travail au-dessus d’eux ? S’il y a des critiques contre la direction, il vaut mieux se renseigner à leur sujet que les laisser couver et les écouter avec respect que les rejeter sans examen.

Tout cela ne veut pas dire que la direction renonce à sa souveraineté. Une entreprise commerciale n’est pas une parlote. Il doit y avoir une autorité. Mais la direction peut écouter les critiques avec intérêt, les étudier sur le plan plus général qui est le sien et à la lumière de ses vastes connaissances, puis faire connaître sa décision et sa position. Cette façon de procéder a l’avantage d’éliminer les rancoeurs, de faire appel à la participation des ouvriers et de favoriser la recherche de plans pratiques. L’impression de jouer un rôle important dans l’entreprise à laquelle on appartient constitue l’un des facteurs essentiels du bon moral.

Renseignez vos employés

Pour forger le moral du personnel, il importe aussi de tenir les employés au courant de toutes les questions qui les touchent directement ou indirectement. Comme le dit le Supervisory Human Relations Source Book de la Commission du service civil du Michigan, « parlez-leur des mesures que vous vous proposez d’adopter au lieu de les lancer sur eux comme des bombes ». C’est dans les entreprises où la direction néglige de fournir les renseignements voulus aux intéressés que les canards causent le plus de ravages.

Il fut un temps où la direction avait pour mot d’ordre : « Ne dites rien aux employés à moins d’y être obligé ». Les directions éclairées de notre époque affirment au contraire : « Ne cachez rien si vous n’avez pas une bonne raison de le faire ».

Le directeur autocrate tente en vain de freiner la diffusion des renseignements. Il ne réussit qu’à bâillonner sa propre voix. Il ne peut empêcher les ouvriers de parler entre eux, d’écouter la radio, d’entendre les opinions exprimées par les hommes politiques, les chefs syndicaux ou leurs propres femmes. Si le directeur autocrate refuse de communiquer ses renseignements, tous ces gens seront insuffisamment ou mal informés. Et le directeur détruira son influence personnelle.

Quelques points à considérer

Voici quelques points dont il faut tenir compte lorsqu’on communique avec les employés : le message doit être présenté de façon à attirer l’attention du groupe auquel il est destiné ; il doit se rattacher au travail et aux responsabilités de ce groupe ; il doit être précis et facile à comprendre ; il doit tenir compte de l’élément humain dans les relations entre la direction et les employés.

La direction qui se complaît dans les détours, les demi-vérités ou les faux rapports sape les principes fondamentaux de la formation du moral. Le fait de recourir à la propagande au lieu de donner des renseignements objectifs est presque aussi répréhensible. Une autre erreur consiste à différer la communication des faits, parfois à tel point que les esprits malveillants pourront accuser la direction de n’avoir rien dit avant d’avoir été forcée de le faire.

Dans une entreprise bien organisée, les renseignements doivent circuler non seulement de haut en bas, mais aussi de bas en haut. Les employés ont souvent des choses importantes à dire à leurs supérieurs ou à leurs chefs. Seules les communications dans les deux sens permettent de réaliser l’unité de pensée, qui est la marque du bon moral.

Pour comprendre les gens, il faut commencer par écouter ce qu’ils disent. Le surveillant qui écoute sans parti pris, en réfléchissant à l’importance de ce qu’on lui expose, est bien supérieur au surveillant qui rebute ses employés. Quant à la haute direction, il ne lui arrive que trop souvent de mal connaître les opinions et les sentiments de ses ouvriers parce que la voie de communication de bas en haut est obstruée à l’échelon de la surveillance. Les chefs comme les surveillants seront de meilleurs administrateurs dans la mesure où ils prêteront attention aux idées de leurs subordonnés.

Un excellent exercice pour les directeurs

Que vous ayez ou non un problème de moral à résoudre dans votre entreprise, que vous soyez directeur d’une grande usine, surveillant d’un service ou chef d’équipe, l’exercice suivant vous sera profitable.

Ancrez-vous bien dans l’esprit l’idée que voici et examinez-là en tout sens : Je peux faire quelque chose pour améliorer le moral de mon personnel. Enfermez-vous, seul, pendant une heure, avec un crayon et du papier. Écrivez aussi rapidement que possible toutes les questions qui vous viennent à l’esprit – et dont vous aimeriez connaître la réponse – au sujet de vos adjoints, de vos contremaîtres et de vos ouvriers. Ne vous en faites pas si les questions qui vous submergent semblent banales ou hors de propos.

Imaginez-vous ensuite que vous êtes contremaître ou ouvrier, et notez de nouveau toutes les questions concernant l’entreprise ou le grand patron et auxquelles vous cherchez une réponse.

Quel magnifique point de départ pour le chef désireux de forger le moral de son personnel ! Il sait maintenant ce qu’il doit connaître de ses employés pour comprendre leurs besoins, et il sait ce qu’il doit leur dire pour les renseigner sur la compagnie et sur lui-même. Cet exercice clarifiera singulièrement vos idées sur la formation du moral.

Ce qu’il y a de sûr et certain, c’est que les pertes imputables au défaut d’exploitation des ressources humaines d’une entreprise ne sont pas toutes inscrites dans le grand livre de l’année en cours. Elles se dissimulent plutôt dans une vaste zone, plus ou moins ténébreuse, que doit percer la pensée créatrice. Et si on ne les découvre pas, si l’on ne fait rien pour les éviter, ces pertes apparaîtront fatalement dans la comptabilité des années suivantes.