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Par Peter C. Newman

« L’économie de demain sera façonnée par les initiateurs audacieux, qui seuls en recueilleront les fruits. Dans la grande entreprise, le succès sourira à ceux qui oseront aller au-delà de la description de leurs fonctions pour promouvoir personnellement les objectifs communs. »

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Il n’y a pas si longtemps, l’esprit d’entreprise était une qualité appréciée, mais sans toutefois être essentielle. La plupart des Canadiens se contentaient de faire leur petit bonhomme de chemin et, malgré la concurrence, les entreprises trouvaient généralement assez de place sur les marchés pour grandir et prospérer.

Mais au XXIe siècle, nous n’avons guère, pour la plupart, d’autre choix que d’agir et de penser en entrepreneurs. L’économie mondiale est aujourd’hui si concurrentielle que, pour l’employé comme pour le travailleur autonome, l’esprit d’entreprise est un impératif. L’économie de demain sera façonnée par les initiateurs audacieux, qui seuls en recueilleront les fruits. Dans la grande entreprise, le succès sourira à ceux qui oseront aller au-delà de la description de leurs fonctions pour promouvoir personnellement les objectifs communs.

Quels que soient leurs buts ou le contexte dans lequel ils opèrent, les entrepreneurs forment une confrérie dont les membres se reconnaissent par leur soif d’auto-réalisation. Au-delà des compétences ou du talent, l’esprit d’entreprise privilégie certaines façons de penser et d’agir.

L’esprit d’entreprise est une qualité qu’exigent les professions les plus inattendues. L’écrivain qui publie un roman tous les trois ans environ offre pour 35 dollars un produit dont personne n’a besoin. Pour le vendre, il doit se montrer aussi commerçant qu’artiste et répartir également l’exercice de son imagination entre ces deux impératifs. Dans le présent Bulletin, la Banque Royale s’efforce de préciser certaines des qualités essentielles mais rarement définies qui, réunies, font jaillir l’étincelle de l’esprit d’entreprise et qui, plus encore, en entretiennent la flamme et l’empêchent de s’éteindre.

Une foi inébranlable

Craig Dobbin, originaire de Saint-Jean (Terre-Neuve), est l’un des Canadiens contemporains les plus remarquables à cet égard car c’est à son esprit d’entreprise qu’il doit d’être encore en vie. La société CHC Helicopter, qu’il a fondée en 1947 sans autre actif que son audace, son optimisme et un modeste emprunt bancaire, réalise un chiffre d’affaires annuel de 555 millions de dollars; elle exploite plus de 300 appareils dans 23 pays, surtout pour desservir en mer des plates-formes de forage de puits de pétrole.

Il y a quelques années, M. Dobbin a appris qu’il souffrait de sclérose pulmonaire idiopathique, une affection potentiellement mortelle causée, selon ses médecins, par l’emploi d’un compresseur défectueux lorsque, dans sa jeunesse, il avait été plongeur professionnel. « Je perdais peu à peu la capacité de respirer parce que mes poumons ne pouvaient plus extraire le gaz carbonique apporté par mon sang, a-t-il expliqué durant un récent entretien. Les médecins ne me donnaient plus que quatre mois à vivre, à moins que je puisse faire remplacer mes poumons. J’ai aussitôt décidé que mourir était hors de question. »

« Quels que soient leurs buts ou le contexte dans lequel ils opèrent, les entrepreneurs forment une confrérie dont les membres se reconnaissent par leur soif d’auto- réalisation. »

Craig Dobbin s’est alors renseigné sur les hôpitaux qui faisaient des greffes du poumon en Amérique du Nord et il a fait porter son nom à titre d’« habitant dans la région » sur les listes d’attente de dix d’entre eux. Il jugeait en effet que, avec l’avion à réaction qu’il avait loué et gardait à Birmingham (Alabama), au centre du continent, il n’était pas à plus de deux heures de tous ces hôpitaux. M. Dobbin est un homme de six pieds trois pouces; il devait donc attendre que se présente un donateur assez grand pour que ses poumons lui conviennent. Son état s’aggravait; bientôt, il dut, pour respirer, porter continuellement un masque à oxygène.

Mais sa foi en l’avenir a été récompensée. Ses nouveaux poumons lui ont été greffés à Philadelphie. Il est arrivé dans la salle d’opération deux heures et dix minutes après avoir reçu l’appel de l’hôpital de l’université de Pennsylvanie. « Cela n’a pas été facile, convient-il, mais je n’ai à aucun moment douté de pouvoir surmonter l’obstacle qui m’empêchait de vivre pleinement mon existence. Aujourd’hui, je danse sur l’autoroute de la vie et je ne me trouve pas plus vieux que certains des jeunes gens qui m’entourent [Craig Dobbin a 65 ans]. J’ai eu de la chance sans doute, mais la chance, on la crée soi-même aussi. »

L’histoire de Craig Dobbin sort de l’ordinaire, bien sûr, mais sa conclusion est le fondement même de l’esprit d’entreprise : la chance, on la crée soi-même.

La chance, on la crée soi-même

« Vous devez être convaincu que votre projet ne peut pas échouer, insiste M. Dobbin. De plus, vous devez être crédible et, de préférence, honnête. Pour qu’une banque vous prête de l’argent, il faut la convaincre qu’elle sera remboursée; vous devez le lui promettre et tenir votre engagement. L’entrepreneur digne de ce nom doit à la fois être éminemment compétitif et légèrement craintif. Il doit savoir que, s’il ne réussit pas lui-même, personne ne le fera pour lui. Il n’a pas de filet de sécurité. »

Craig Dobbin est intimement convaincu que tout le monde devrait suivre sa propre voie, mais sans prendre de risques excessifs. L’important est d’apprendre à gérer le risque ou, tout au moins, à le minimiser pour mettre de son côté au moins autant de chances de succès qu’on a de risques d’échec.

Un entrepreneur ne reçoit pas à sa naissance un livre de recettes qui explique comment faire les choses soi-même, mais il peut être utile d’avoir quelques repères pour vous aider à mettre les chances de votre côté. Voici donc une version comme une autre des dix commandements de l’entrepreneuriat :

1 Soyez souple. Pour bien comprendre cette règle, la plus fondamentale de l’entrepreneuriat, étudiez l’oeuvre maîtresse de Charles Darwin, De l’origine des espèces, dont la première édition a paru en 1859. Rassurez-vous : vous n’avez pas besoin d’apprendre par coeur les savants arguments présentés dans cet ouvrage plutôt obscur; ce qui compte, c’est d’en tirer la leçon la plus fondamentale. L’on entend souvent dire que Darwin croyait à « la survivance du plus apte » mais ce n’est pas vrai. Il n’a jamais pensé que les colosses qui s’entraînent jour après jour aux haltères mettent de leur côté les plus grandes chances de succès. Darwin affirme au contraire que la survivance est le privilège des plus adaptables. Dans un monde en rapide évolution, c’est la souplesse de la pensée et dans l’action qui démarque le véritable entrepreneur… celui qui ne craint pas les longs parcours… des dilettantes trop facilement portés à abandonner. Être souple et le rester : c’est l’aspect le plus fondamental de l’esprit d’entreprise.

2 Voyez ce que les autres ne voient pas. William Zeckendorf, le célèbre courtier immobilier de New York, avait la réputation méritée d’avoir, lui aussi, crée sa propre chance. Il y avait à l’époque dans le centre de Manhattan un manège abandonné qui occupait tout un pâté de maisons; ce bâtiment, qui avait autrefois servi pour faire travailler les pur-sang de la bonne société new- yorkaise, était à vendre depuis plus de 20 ans et n’avait jamais attiré d’offre. Zeckendorf avait entendu dire que NBC cherchait dans le centre-ville de nouveaux studios de télévision avec de grands espaces sans piliers. Un coup d’oeil sur le manège abandonné l’a convaincu que, une fois restauré, ce bâtiment conviendrait parfaitement à NBC. Il l’a acheté pour presque rien et a aussitôt revendu cet immeuble « inutilisable » dix fois plus cher. Cette anecdote illustre deux éléments essentiels de l’esprit d’entreprise : l’entrepreneur doit avoir de la vision et du culot.

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3 Pour concrétiser une vision perspicace, il ne faut pas nécessairement réinventer la roue. Ted Turner n’a pas découvert l’idée du journal télévisé. En 1968, ayant acheté WJRJ, une station de télévision gravement endettée d’Atlanta, en Georgie, il en a changé l’indicatif pour WTCG, les initiales de son slogan Watch This Channel Go. Douze ans plus tard, les habitudes familiales ayant évolué, il a constaté que les membres d’un même foyer regardaient de moins en moins les informations ensemble. Il a alors créé CNN, le réseau qui présente les actualités 24 heures par jour, et il l’a revendu 16 ans plus tard à Time-Warner pour 7,5 milliards de dollars. Pour réussir, l’entrepreneur ne doit pas nécessairement lancer un concept révolutionnaire; mais il lui faut de l’énergie, de l’enthousiasme et une confiance indestructible en lui-même.

4 Saisissez les occasions les plus évidentes et exploitez-les jusqu’au bout. Suivez plutôt l’exemple de Peter Armstrong, chef de la direction et actionnaire principal de la Great Canadian Railway Tour Company. Cette entreprise, la plus grande société privée de services ferroviaires pour voyageurs d’Amérique du Nord, transporte en moyenne 80 000 passagers par an à travers les montagnes Rocheuses avec un effectif de 350 cheminots. M. Armstrong, qui était portier à l’Hôtel Vancouver, avait remarqué que les autocars de Gray Line, une société de circuits touristiques appartenant alors à la province, refusaient régulièrement des clients. Après avoir loué lui-même un véhicule pour offrir les mêmes services, il a finalement acheté la concession Gray Line. C’est ensuite qu’il a réalisé sa percée spectaculaire : il a acheté le service VIA Rail Calgary-Vancouver qui, bien que généreusement subventionné, continuait d’accumuler des pertes. Ses circuits ferroviaires « Rocky Mountaineer » ont beaucoup de succès et il songe maintenant à faire une offre sur le service transcontinental de VIA. Son idée n’était pas particulièrement originale, mais il a fallu à Peter Armstrong du courage et de l’audace pour la concrétiser. Ce sont deux qualités qu’aucun véritable entrepreneur n’aura jamais à un trop haut degré.

« L’entrepreneur digne de ce nom doit à la fois être éminemment compétitif et légèrement craintif. Il doit savoir que, s’il ne réussit pas lui-même, personne ne le fera pour lui. Il n’a pas de filet de sécurité. »Craig DobbinUn entrepreneur de Terre-Neuve

5 Profitez des leçons qu’enseignent les hommes les plus entreprenants de notre histoire nationale : les cow-boys. Personne plus qu’eux n’a fait cavalier seul, c’est le cas de le dire, dans les plaines de l’Ouest du Canada. Aujourd’hui encore, ils tracent de nouvelles voies et leur individualisme est aussi tenace que jamais. Et ce que leur fait dire le bon sens mérite d’être répété : « Celui qui prétend n’avoir jamais été désarçonné par sa monture ne dit pas la vérité. » Et ils ajoutent en pensant aux sueurs qu’exige leur labeur : « Il faut beaucoup de selles mouillées pour dompter un cheval. » Mais c’est la rude existence qu’ils mènent qui rend l’exemple des cow-boys particulièrement instructif: « La vie est dure, constate Buzz Kirkpatrick, un homme qui connaît les sentiers et les parcourt encore. Les 4X4 et les camions les plus puissants ne peuvent pas remplacer les cow-boys, affirme-t-il. La machine qui supportera les mauvais traitements aussi allègrement qu’un cow-boy n’a pas encore été inventée. » Des propos qui lui vaudraient la sympathie de bien des entrepreneurs qui, assis dans leur bureau à minuit, se demandent quoi faire pour payer les salaires de la semaine ou étoffer le carnet de commandes trop maigre du mois prochain.

6 Quelque puissant que soit le désir de gagner de l’argent, il suffit rarement à soutenir les grandes ambitions. « Pour réussir, il ne faut pas seulement rêver de posséder une Porsche », expliquait récemment Paul Lum, cofondateur d’Internet Gateway – l’un des serveurs Internet les plus prospères de l’Ouest -au cours d’un entretien avec B.C. Business Magazine. « Vous devez éprouver le besoin absolu de prouver quelque chose… à vous-même, à vos amis ou à votre famille. Si le banal vous satisfait, si vous vous contentez d’une croissance annuelle de 5 %, vous n’êtes pas vraiment un entrepreneur; avoir l’esprit d’entreprise, c’est être très gourmand. » C’est aussi en vouloir assez pour se protéger contre les jours de pluie. Et il y en aura, pour sûr !

7 Le véritable entrepreneur garde autant d’enthousiasme pour achever un projet que pour le lancer. « Bien des gens perdent trop tôt courage; ils sont de grands initiateurs mais de très mauvais finissants, constate Julia Levy, chef de la direction de Quadra Logic Technologies, une société de biotechnologie dynamique de Vancouver. Pour ma part, je me crois assez douée pour enchaîner les opportunités. » C’est la résistance à la fatigue et la détermination qui conduisent aux résultats les plus probants.

8 Sachez répondre à la demande existante, mais sans craindre de modifier vos produits et vos services en fonction des besoins qui se profilent à l’horizon. L’important, c’est d’être présent au bon moment. L’excellent slogan publicitaire de Panasonic le rappelle : « Légèrement en avance sur notre temps ». Michael Dell a abandonné des études universitaires au début des années 80 pour se lancer dans la vente d’ordinateurs par correspondance. Il construisait les appareils selon les besoins exprimés par les clients et garantissait presque la livraison le lendemain. À 31 ans, il était déjà milliardaire; comme tous ses concurrents vendaient encore des appareils normalisés par l’entremise d’un réseau d’intermédiaires et de revendeurs, leurs coûts étaient beaucoup plus élevés que les siens. Michael Dell n’a rien inventé; il a fait fortune en rajeunissant la vente par correspondance, une méthode aussi vieille qu’éprouvée. Moralité : qui n’avance pas recule.

9 Étudiez vos marchés, mais sans brider votre fantaisie. « Si les magnats de Silicon Valley n’avaient pas donné libre cours à leur imagination, notre courrier nous parviendrait encore sous enveloppe, soulignent James Champy et Nitin Nohria, dans The Arc of Ambition, leur nouveau best-seller. Mais il ne suffit pas de rêver : il faut ensuite concrétiser les rêves et c’est là le plus difficile. Heureusement, l’audace est une qualité plus souvent acquise qu’innée. À ceux qui la recherchent, la vie enseigne le courage et celui-ci se nourrit lui-même, un peu comme fonctionne l’intérêt composé. Les gens qui se réalisent ont tous un point commun : ils voient le monde tel qu’il est, sans se laisser arrêter par les craintes, les chimères et les obstacles qui empêchent les autres de croire à leurs rêves et de les réaliser. » Ces auteurs ont raison : l’action doit prendre le pas sur le rêve, mais les deux sont nécessaires.

« Les gens qui se réalisent ont tous un point commun : ils voient le monde tel qu’il est, sans se laisser arrêter par les craintes, les chimères et les obstacles qui empêchent les autres de croire à leurs rêves et de les réaliser. »The Arc of Ambitionde James Champy et Nitin Nohria

10 Votre engagement doit être assez canalisé pour éliminer les distractions et surmonter les risques imprévus qui pourraient vous détourner de votre objectif. « Mon entêtement est ma seule qualité », disait Albert Einstein. Ce refus de la renonciation est fondamental, mais la réussite dépend encore d’une autre condition essentielle : la chance. « Gérer une entreprise, affirme Mark Peterson dans son récent ouvrage The Complete Entrepreneur, comporte essentiellement les mêmes risques que de ramasser des billets de 100 $ épars sur un champ de mines. Sans risque, pas de fortune; mais votre meilleure chance de succès est l’investissement que vous faites de vous-même. » Naturellement : vous êtes le principal atout de votre entreprise. Ne l’oubliez jamais.

Ces dix « commandements » pourront rendre service à celles et ceux qui désirent développer leur esprit d’entreprise, mais la qualité la plus essentielle qu’exige le succès est la confiance en soi. Il faut du courage pour voler de vos propres ailes. Il en faut plus encore pour ne pas vous laisser abattre par les écueils qui surgiront inévitablement sur votre chemin.

En fin de compte, s’il est déraisonnable de croire au succès quand on songe aux déceptions inévitables et aux illusions qu’il faudra abandonner en chemin, il est plus déraisonnable encore de ne pas essayer.

Publié par RBC Groupe Financier.