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Une seule chose est sûre dans le monde dynamique des affaires d’aujourd’hui : la rapidité de son évolution. Pour tirer parti des possibilités de l’avenir, les entreprises doivent faire preuve de souplesse et ce, quel que soit l’échelon de leurs employés …

La gestion moderne a été comparée au « baseball chinois, » jeu mythique où la balle et les coussins sont en mouvement perpétuel. Dès que la balle est touchée, les joueurs défensifs se saisissent du coussin et vont le déposer à l’intérieur d’un territoire préalablement délimité ; les joueurs offensifs ne savent jamais à l’avance où se réfugier pour être en sécurité.

Cette comparaison fait allusion au rythme effréné des changements qui affectent le secteur commercial. Lorsque les points qui lui servent de référence, c’est-à-dire les coussins, sont susceptibles de se déplacer à n’importe quel moment, le gestionnaire ne peut jamais tenir les résultats de ses interventions pour acquis, qu’il s’agisse du président d’une multinationale, du directeur du marketing d’une firme régionale ou du dépanneur du coin.

La nature imprévisible du monde des affaires, qui fait la hantise des décideurs, n’est pas, bien entendu, un phénomène nouveau. Depuis des années, les experts en gestion annoncent bien haut que la seule certitude absolue sur laquelle peuvent s’appuyer les entreprises contemporaines est la rapidité de l’évolution inéluctable de leur sphère d’activités.

Pensons, par exemple, aux micro-ordinateurs, à leur pouvoir révolutionnaire en matière d’administration et de production, reconnu par tous les industriels des pays occidentaux. Les gestionnaires se sont précipités sur les dernières nouveautés électroniques de peur de se laisser distancer sur la piste de la compétitivité. Malheureusement, nombreux sont ceux qui s’en sont tenus là, croyant à tort que le seul fait de s’adapter aux changements technologiques leur permettrait de faire face globalement à la situation.

Or, même les entreprises à la fine pointe de la technologie peuvent soudainement voir disparaître leurs points de référence. L’information ne garantit aucunement qu’une autre société, active dans un secteur totalement étranger au leur, n’invente pas un produit qui remplacera avantageusement le leur, ni que les modifications apportées aux règlements fiscaux, aux tarifs douaniers, à la réglementation, à la disponibilité et au coût du financement ne déplacent le coussin du premier but pour le déposer au beau milieu du champ gauche.

Par ailleurs, les gestionnaires d’aujourd’hui ne veulent surtout pas donner l’impression d’être dépassés par les changements. Ils savent pertinemment qu’ils vivent à une époque dynamique et s’estiment satisfaits de la facilité avec laquelle ils se tirent d’affaire.

Or, se tirer d’affaire est exactement ce à quoi se borne la plupart d’entre eux. Le fait de changer crée des problèmes, problèmes que les gestionnaires sont nés et formés pour résoudre. Les étincelles qui jaillissent des changements ne les font même pas sourciller.

Ce dont ils ne sont pas capables est, pour reprendre les paroles de Peter Drucker, « prévoir et façonner l’avenir. » Ils se contentent de réagir et, ce faisant, perpétuent le statu quo.

Bien que la résolution des problèmes soit une fonction inhérente à leur poste, elle est loin d’en être le mandat principal. Le rôle classique du gestionnaire consiste à « planifier, organiser, diriger, contrôler et coordonner, » actes qui exigent tous une aptitude à prévoir ; telle, du moins, est la théorie ; la pratique est, bien sûr, tout autre.

Dans une étude, qui a fait date, portant sur l’emploi du temps des chefs d’entreprise publiée en 1975, Henry Mintzberg a révélé que le gestionnaire assis confortablement et exposant calmement ses plans avant de les mettre à exécution est un portrait qui relève du folklore. La plupart des cadres supérieurs, dont il a étudié les activités ordinaires, possédaient ce qui, chez un enfant, s’appellerait « un laps de concentration très court. » Que ce fût par nécessité ou par inclination, ils se conduisaient plutôt à l’instar du chevalier de Stephen Leacock, chevauchant dans toutes les directions à la fois. Ils semblaient « sauter d’une question à l’autre, réagissant en fonction du besoin du moment, » précise M. Mintzberg.

Planifier ne signifie pas obligatoirement appliquer une stratégie

Ce serait une lapalissade d’annoncer que les gestionnaires qui portent tous leurs efforts sur le présent courent au désastre ; ils tournent résolument le dos à l’avenir qui s’apprête à leur asséner un coup dont ils ne se relèveront pas.

« Si l’être humain ne fixe pas ses regards sur l’avenir, il découvrira le désespoir à ses côtés, » telle est l’une des pensées (réelles) de Confucius. Il est indéniable que les Japonais, dont la culture les incite à se tourner vers l’avenir, ont porté un coup terrible à la plupart des entreprises européennes et américaines au cours des trois ou quatre dernières décennies.

Les gestionnaires étudiés par M. Mintzberg ne manqueront pas de protester qu’ils sont loin d’être aussi superficiels que M. Mintzberg cherche à nous le faire croire. Il est vrai qu’ils se tiennent consciencieusement au courant des derniers développements, qu’ils lisent les nouvelles économiques et prennent connaissance des prévisions du marché. Il est faux qu’ils négligent les stratégies à long terme et ils peuvent d’ailleurs, pour le prouver, exhiber leurs plans stratégiques.

Preuve irréfutable ? Certes non. Le fait d’établir des plans stratégiques n’implique pas nécessairement que l’on applique une stratégie.

Selon Milton C. Laurenstein, expert en gestion qui fait autorité aux États-Unis, la plupart des grandes entreprises sont fermement retranchées dans le présent, bien qu’elles se donnent l’illusion de préparer l’avenir. Elles sont « à la recherche de stratégies sûres mais se laissent séduire par l’attrait des nouveautés… Elles emboîtent le pas aux organisations qui semblent réussir et s’inclinent devant la sagesse conventionnelle. »

La sagesse conventionnelle, dans ce cas particulier, décrète que les tactiques commerciales qui ont prouvé leur efficacité par le passé se révéleront tout aussi utiles à l’avenir.

À Hollywood, il y a 30 ans, tout le monde savait que, pour voir un film à grand spectacle, il fallait aller dans une salle de cinéma. Tous ceux qui s’intéressaient au secteur de la lingerie savaient que les femmes utilisaient des porte-jarretelles pour maintenir leurs bas en place, et que les collants étaient réservés aux danseuses et aux petites filles. Tous ceux qui touchaient de près ou de loin au secteur des chaussures savaient que les personnes d’un certain âge ne portaient pas de chaussures de tennis. Il s’agissait de faits qui étaient, ou semblaient, incontestables.

La souplesse est la seule arme contre l’imprévu

Si les chefs d’entreprise, en jouant au baseball chinois, se laissent surprendre loin de leur coussin, c’est parce qu’ils se fient trop aveuglément aux projections. La projection, comme son nom l’indique, est le prolongement de caractéristiques ponctuelles, susceptibles de se maintenir pendant un certain laps de temps. Il s’agit d’un instrument, certes imprécis, mais le seul dont disposent les économistes peu sensibles aux possibilités de la boule de cristal.

Mais est-il possible de penser à tout ? Qui, au cours des années 50, aurait pu prévoir que l’un des ingrédients entrant dans la composition des aérosols constituerait un danger pour l’ensemble de l’écosystème ?

La souplesse organisationnelle est la seule défense des gens d’affaires contre les caprices du sort. L’économiste indien Purnendu Chatterjee les considère, pour sa part, comme tombant dans la catégorie de la gestion des risques. Il faut temps et argent pour faire face aux changements éventuels. M. Chatterjee estime que les entreprises d’aujourd’hui doivent être prêtes à effectuer des « corrections à mi-parcours » non seulement pour réduire à néant les menaces que posent les changements, mais aussi pour tirer parti des nouvelles possibilités.

La participation est la base des changements internes

Donner à une entreprise la structure qui la rendra apte à réagir rapidement aux nouvelles tendances signifie transformer la mentalité traditionnelle des responsables de la gestion. Les gestionnaires « proactifs » doivent apprendre à considérer les situations sous l’angle des tendances et des corrélations, et non plus sous celui de l’alternance cause et effets.

Les conseillers en gestion expliquent que la méthode la plus simple pour se préparer psychologiquement à jouer au baseball chinois est de définir la nature exacte des activités commerciales auxquelles on s’adonne. Cette définition tient-elle compte de toute la spécificité de la situation courante ? L’essence de vos affaires sera-t-elle la même l’année prochaine, dans deux ans ?

En gardant ces diverses questions à l’esprit, vous esquisserez une structure de gestion suffisamment souple pour aborder sans difficulté les transitions nécessaires. Prenons l’exemple d’un industriel qui s’était lancé dans la location des vidéos, alors que ce domaine était tout nouveau et qui, quelques années plus tard, se rend compte que le marché risque d’être saturé. Sachant que le nombre des magnétoscopes vendus n’a cessé de croître, il en déduit que le besoin de les réparer a suivi une évolution parallèle. Il abandonne donc peu à peu le côté location au profit du côté réparation.

Ce changement d’orientation est sans doute relativement aisé quand il s’agit de petites et nouvelles entreprises. Mais comment donner à une société importante et bien établie la souplesse nécessaire ? Les grandes organisations sont prédisposées à la sclérose. Elles sont constituées d’êtres humains qui, confortablement installés dans leurs habitudes, répugnent au changement.

Les employés ont tendance à se cramponner à des règles et à des méthodes immuables, ayant d’ailleurs leurs propres intérêts, fruit de longues années de travail, à protéger. Les changements internes nécessaires pour affronter les changements externes menacent leur sécurité et leur confiance en eux, d’autant qu’ils seront amenés à exécuter de nouvelles tâches et qu’ils doutent de leurs capacités.

« L’essence même du pouvoir de l’influence repose sur la participation de l’autre, » a écrit Henry Overstreet. Les employés ne peuvent accepter de collaborer à une stratégie s’ils ne se sentent pas concernés par les changements auxquels elle conduirait ni s’ils sont tenus à l’écart. Harry Levinson, psychologue industriel, a remarqué que lorsque le personnel d’une organisation est privé d’information, des rumeurs courent qui se font l’écho de leur désorientation, de leurs craintes et de leur colère. Ces sentiments peuvent facilement s’enfler jusqu’à l’amertume et la paranoïa lorsque le supérieur ne se sent pas solidaire de son unité qui, ainsi, ne possède pas l’esprit de corps indispensable pour s’unir face à l’adversité.

L’échec qui, dans un tel contexte, guette tout supérieur est imputable, en grande partie, à son inaptitude ou à sa réticence à communiquer avec ses subalternes. « Sans un libre flot de renseignements et d’idées entre tous les échelons de l’organisation, il ne peut exister ni coopération ni compréhension, » explique Scott Cutlip de l’Université du Wisconsin. Remarquez le choix des termes qu’il utilise ; il parle de « renseignements et d’idées. » Faire appel à la collaboration et à la compréhension du personnel est essentiel à l’application de tout changement interne : les employés, quel que soit leur échelon, doivent non seulement être informés mais invités à participer activement au processus de planification.

Les troupes du front savent quand des changements sont dans l’air

Dans le cadre des petites entreprises, une telle participation peut s’étendre virtuellement à tous les membres de l’équipe responsable de la planification. Au sein d’organisations plus vastes, l’ensemble des employés, les hommes de troupe, doivent être fréquemment consultés pour que les cadres supérieurs responsables des décisions soient pleinement conscients des effets de ces dernières à tous les échelons. Il est évident que les membres de la direction sont plus à même de réorienter l’organisation s’ils connaissent les faits dans toute leur vérité et saisissent l’importance du moindre détail pertinent, information qu’ils ne peuvent recueillir qu’auprès de ceux qui ont une connaissance intime de tous les aspects des activités de l’entreprise.

De plus, lorsque des changements sont dans l’air, les premiers à les pressentir sont souvent ceux qui se trouvent au bas de l’échelle. S’ils sont très dévoués, ils constituent un système d’alarme particulièrement précieux pour éliminer les surprises, une source de suggestions pour se protéger contre d’éventuels problèmes. S’ils manquent de loyauté, le spectacle des « grosses légumes » en train de se débattre ou de se perdre les réjouit.

Les victoires remportées sur le marché le seront par l’équipe la plus souple

Ce sont eux qui forment les troupes du front, les soldats qui savent ce que prépare l’ennemi, alors que les généraux n’ont que des cartes auxquelles se fier. Les ouvrages qui traitent de la gestion des changements abondent de métaphores militaires, d’ailleurs tout à fait justifiées étant donné la similarité entre les activités commerciales et militaires. Karl Von Clausewitz, éminence de la théorie classique de la stratégie, a souligné que ces deux entreprises humaines sont centrées sur « un conflit d’intérêts et d’activités. » Toutes deux sont sujettes aux caprices du hasard ; dans un cas comme dans l’autre, les joueurs sont tenus dans une grande ignorance. Les réflexions de Tolstoï dans Guerre et Paix sur la préparation des batailles pourraient tout aussi bien s’appliquer à la gestion, notamment lorsqu’il précisait que les militaires se basaient sur des « conditions et des circonstances incertaines qui échappent à toute analyse. »

À l’époque de Tolstoï, les généraux déplaçaient leurs armées en bloc, cherchant à occuper une position stratégique d’où dominer le champ de bataille. Des centaines de mousquets déchargeaient simultanément leurs munitions. Les simples soldats ignoraient généralement les objets de l’affrontement. Les jeunes officiers n’avaient comme consigne que de maintenir leur troupe en place, en cas de défensive, ou de les mener à l’assaut, en cas d’offensive.

Au fur et à mesure que se raffinèrent les tactiques et se perfectionnèrent les armes à feu, les armées furent divisées en unités de plus en plus réduites. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les stratégies d’envergure telles que le débarquement des alliés en Normandie consistaient en une série d’engagements serrés livrés à l’aide de groupes plus petits qu’un peloton. La valeur, en tant que leaders, des jeunes officiers et de ceux qui n’étaient pas des militaires de carrière prit une nouvelle dimension qui était absente des opérations militaires moins fragmentées, spécialisées et complexes. La stricte obéissance de la masse du corps armé n’était plus l’élément essentiel des batailles ; la victoire reposait sur l’intelligence, l’esprit d’initiative et la créativité des hommes pris dans le feu de l’action.

La guerre devint alors un domaine réservé aux individus motivés et bien informés capables de travailler en équipe, aux hommes qui connaissaient à fond leur spécialité et savaient la mettre au service du groupe. La nature fluide et mobile des combats exigeaient des leaders qui puissent agir en fonction du moment. La maxime militaire traditionnelle, « c’est un mauvais plan mais il ne peut être changé, » prit une nouvelle signification, un sens dynamique. Lorsque des plans devaient être soudainement modifiés, tous les éléments de l’organisation devaient presque instantanément s’aligner sur les nouveaux impératifs. Il fallait donc qu’ils soient tous instruits de l’évolution de la situation.

« L’adaptabilité est la loi qui gouverne la survie, tant sur le théâtre des affaires militaires que dans la vie ordinaire, » a écrit Sir Basil Liddell Hart, spécialiste militaire des plus éminents. Remplacez « militaires » par « commerciales » et vous obtiendrez un slogan qui s’applique parfaitement à la gestion moderne. L’organisation capable de s’adapter aux conditions changeantes de son secteur sera celle qui sortira victorieuse. Les êtres humains trouvent pénible de devoir s’adapter. Ils ne déploient les efforts nécessaires que s’ils sont conscients du rôle essentiel qu’ils jouent au sein de leur équipe et si ce rôle est publiquement reconnu.