Le présent Bulletin marque le 80e anniversaire du Canada que nous célébrons le 1er juillet, fête du Dominion.
D’autres bulletins ont eu pour sujet le gouvernement, notre place dans l’empire britannique, nos relations avec les États-Unis et divers aspects de notre vie économique et sociale. Celui-ci est franchement un souhait de bonne fête à un pays qui, quoique vieux comparé à la vie humaine, est par contre jeune et vigoureux comparé à d’autres nations, et ambitieux de jouer un rôle utile parmi les démocraties éprises de liberté.
On ne saurait mieux commencer une histoire d’anniversaire que par le passé. Point n’est besoin, en la circonstance, de froncer nos sourcils en essayant de débrouiller la trame des événements, car toute l’histoire du Canada est tissée dans sa charpente d’aujourd’hui.
Le passé n’est pas monotone. Il était émouvant à l’époque et suffisamment varié pour plaire au plus difficile des historiens. Il abondait en frappants contrastes, à la fois dans les mobiles d’exploration et les méthodes de colonisation. De nombreuses nations sont représentées parmi les pionniers qui explorèrent les incroyables terres vierges du nouveau continent. Chaque siècle offre un tableau riche en couleurs hardies, et l’esprit audacieux de ces époques revit dans la génération moderne des Canadiens. On dit que le plus grand bienfait de l’hérédité est de transmettre les vertus des ancêtres. Les nôtres nous ont légué, en même temps que leurs qualités pratiques, l’amour du bien et le désir de jouir pleinement de la vie.
Quoique Jacques Cartier entreprit son premier voyage au Canada en 1534, l’événement que nous célébrons n’eut lieu que 333 ans plus tard. Ces trois siècles furent marqués par les dures épreuves d’établissement dans un pays auquel la vie en France et en Angleterre avait mal préparé les colons. Outre les rigueurs du climat et la solitude, il fallait affronter des clans hostiles, des voisins belligérants, des barrières naturelles et les incertitudes de la vie sous des souverains non seulement séparés du pays par trois mille milles d’un océan traversé lentement par des vaisseaux à voile, mais peu au courant de ce qui se passait dans leurs colonies. À mesure que les immigrants aventureux affluaient au pays, les relations devinrent plus tendues, et finalement le juge en chef Smith écrivit à Lord Dorchester en 1790 : « Toute l’Amérique a été abandonnée à la démocratie. »
Raison de la Confédération
En 1867, il devint évident à ceux qui composaient les démocraties en marche qu’il fallait quelque chose de plus que leurs colonies indépendantes et isolées. La confédération offrait la solution de leurs nombreuses difficultés politiques et économiques. Un des principaux buts politiques était de créer une nouvelle nation pour adapter le pays au changement de régime et pour unir les provinces contre une attaque possible de la part des voisins du Sud ; le but économique était d’arriver à compter sur un grand nombre d’industries au lieu de quelques-uns pour se suffire, et de mitiger ainsi les effets des méthodes économiques adoptées par la Grande-Bretagne et les États-Unis. Grâce à des concessions mutuelles on espérait préserver le loyalisme culturel et local et le faire accorder avec la solidité et la solidarité politiques.
Il paraissait presque impossible de réunir des intérêts si différents, mais les événements s’en chargèrent. Il se produisit une crise dans les affaires de chaque colonie au même moment, et la confédération offrit l’espoir d’éviter de nombreux tracas. Les étourdis s’embarquent à la légère dans de grandes entreprises parce qu’ils n’en prévoient pas les difficultés, mais les auteurs de la Confédération n’étaient pas des étourdis. Ils savaient les soucis qu’apporterait une fédération, mais ils jugèrent qu’elle leur permettrait non seulement de sortir des infortunes du moment mais que la collaboration offrait une meilleure chance d’avenir.
L’union de deux états politiques en un seul est une des plus difficiles parmi les tâches humaines et, dit Arthur R. M. Lower dans « De Colonie à Nation » : « La difficulté s’accroît pour ainsi dire selon le carré du nombre des partis à unir. Il a fallu des siècles pour unir l’Angleterre et l’Écosse, encore plus de siècles pour faire l’unité de l’Italie ou de l’Allemagne. Mais ici sur le continent du nord de l’Amérique il s’est produit deux miracles politiques :treize États américains se sont unis pacifiquement pour former les États-Unis d’Amérique, et plus tard trois provinces britanniques ont tout aussi pacifiquement formé le Dominion du Canada. »
La situation en 1867
Le Canada de 1867 nous paraîtrait étrange. Il n’avait rien de ce que nous trouvons naturel aujourd’hui, pas de grandes usines, de grandes villes, de grandes routes, d’automobiles, d’avions, de radios, et pas d’électricité. Il n’avait que quelques milles de chemin de fer le long du Saint-Laurent. Il avait environ 3,500,000 habitants, dont 80 pour cent vivaient dans les deux provinces du Haut et du Bas-Canada. Les quatre cinquièmes des gens habitaient la campagne ; Montréal avait environ 100,000 habitants et c’était de beaucoup la plus grande ville. La culture du sol et l’extraction de matières premières des forêts et de la mer faisaient vivre un petit groupe d’industries manufacturières et de métiers. Ces industries étaient protégées de la concurrence étrangère autant par l’isolement, les avantages de matières premières à bon marché et le manque de facilités de transport que par un régime douanier dont le principal but, était de procurer des revenus.
À cette époque également, les familles suffisaient à leurs propres besoins, et elles y étaient obligées par la nature des choses. Aujourd’hui, environ 40 pour cent des Canadiens sont employés à rendre des services plutôt qu’à produire des marchandises, tandis qu’en 1867 l’extraction et la transformation des produits naturels occupaient la plus grande partie de la population et que les services n’en employaient que 15 pour cent. Les revenus matériels se bornaient principalement aux nécessités : aliments, vêtements et logement. L’industrie manufacturière, le peu qu’il y avait, était simple et décentralisée. L’ouvrier pouvait à son gré s’en aller à la campagne où il se suffisait à lui-même. Cela permettait naturellement à l’économie de s’adapter facilement aux fluctuations.
Mais la population s’accroissait et les gens éprouvaient le désir de mener une vie plus large. L’expansion vers l’ouest avait désappointé les deux Canadas. Quant aux autres parties, le sommaire historique de la Commission royale d’enquête sur les relations entre le Dominion et les provinces remarque : « Les Provinces maritimes, liées à une industrie mourante, étaient encore plus malheureuses, même si elles ne s’en rendaient pas compte. La petite colonie de la rivière Rouge commençait à marcher toute seule, mais elle menaçait de tomber dans les bras des États-Unis. La découverte de l’or sur la côte du Pacifique avait favorisé l’établissement de quelques bonnes entreprises, mais son déclin avait laissé une petite population grevée d’une lourde dette. »
Naturellement, l’Acte de l’Amérique britannique du Nord établissant la confédération ne suffit pas à lui seul à aplanir toutes les difficultés politiques ou économiques. Mais il fournit cependant le cadre dans lequel nous cherchons encore à maintenir l’équilibre entre le loyalisme et l’intérêt, les besoins et les moyens de les satisfaire, qu’un bon système fédéral demande.
Les résultats de 80 ans
On ne saurait répéter trop souvent que les nouvelles situations exigent des mesures nouvelles, mais quelques exemples ne seront peut-être pas de trop. Les anciens chiffres sont fournis par l’Annuaire et Almanach du Canada pour 1868, tandis que les derniers sont tirés de rapports périodiques tels que le Commerce du Canada, les recettes et dépenses d’exploitation et statistiques des chemins de fer du Canada, et les états des banques à charte.
Il y avait des optimistes au temps de la Confédération, comme le prouve le chapitre sur la population de l’Annuaire de 1868 qui dit : « Il est permis de calculer que, selon toutes probabilités, le taux d’accroissement de la population de toute l’Amérique britannique sera aussi rapide au cours des cinquante années prochaines qu’il l’a été ces derniers dix ans, et cela nous donne… 42,589,000 habitants en 1941 ». Notre recensement de cette année-là indique qu’il s’en est fallu de 31 millions.
Malgré cela, de grandes sections de notre économie ont réalisé des progrès qui auraient satisfait ceux qui reposaient tant d’espoir sur la confédération. Les chemins de fer ont 42,546 milles de voie au lieu de 2,495 et leurs recettes brutes sont de $711,500,000 au lieu de $11,500,000. Les exportations au cours de l’année terminée un jour avant la confédération en 1867 avait atteint un chiffre dont le nouveau Dominion était fier : $45,070,219. Pendant l’année civile de 1946 elles se sont élevées à $2,312,215,301. Les importations respectives de ces deux années étaient de $59,044,982 et $1,927,279,402. Les affaires financières ont également augmenté considérablement. L’ancien Annuaire dit que la Merchants’ Bank d’Halifax, qui est devenue plus tard la Banque Royale du Canada, avait $100,000 de dépôts ; le dernier état annuel indique un total de $1,963,103,952. L’index de l’Annuaire de 1868 ne contient pas de chapitre « Agriculture » ou « Exploitation agricole », mais ces sujets occupent autant de pages dans l’Annuaire de 1946 qu’il y a de pages en tout dans celui de 1868. Un tableau de 1868 indique qu’il y avait entre 321,000 et 450,000 cultivateurs en Nouvelle-Écosse, Nouveau-Brunswick, Québec et Ontario. En 1941, ces quatre provinces avaient une population agricole de 1,850,696, et le nombre de cultivateurs dans tout le Canada s’élevait à 3,152,449.
À tous ces changements, dont chacun signifiait un nouveau milieu pour les habitants, ajoutez les progrès industriels et la spécialisation que comporte l’installation de machines de plus en plus compliquées, et il est clair pourquoi, à l’âge de 80 ans, le Canada n’est plus le même qu’à la date de la confédération. Il est clair également que nous nous montrerions trop sévères en critiquant les auteurs de la Confédération de n’avoir pas prévu tous ces changements.
Exploits et découvertes
Ce serait une erreur de s’en tenir au nombre et à la masse en jugeant la croissance ou les progrès d’une nation. Les individus sont importants par leur exemple, leur initiative et leur imagination – qualités qui n’appartiennent pas aux foules. L’excellente brochure « En avant Canada » préparée et distribuée par la Northern Electric Company Ltd., contient douze récits d’exploits et de découvertes qui ont, dit P. F. Sise, « changé notre mode de vie. » M. Sise, président de la Northern Electric et administrateur de la Banque Royale du Canada, ajoute dans sa préface : « En tant que Canadiens, nous devons beaucoup aux grands Canadiens qui nous ont précédés, et leurs exemples nous servent d’inspiration pour l’avenir. »
À la tête de la liste nous trouvons l’exploit maritime du Royal William qui partit de Pictou le 18 août 1833 et qui fut le premier navire à vapeur à faire la traversée de l’Atlantique. Tom Willson fabriqua la première lampe électrique à Hamilton, Ontario, et découvrit ensuite qu’on pouvait manufacturer du carbure de calcium dans un four électrique, et prépara ainsi la voie à l’emploi général de l’acétylène dans l’industrie. Neuf ans après la confédération, Alexander Graham Bell fit le premier appel téléphonique à longue distance de Brantford à Paris, Ontario, et le message était tiré du soliloque d’Hamlet : « Être ou ne pas être. » En 1882, John Wright de Toronto alla chez Edison et rapporta une locomotive électrique primitive. Ses essais donnèrent naissance à la perche de trolley qui fournit la solution à un problème de 50 ans et rendit pratique l’emploi des tramways électriques. Robert Foulis de Saint-Jean, N.-B., inventa la sirène à vapeur ; le Dr William Saunders et son fils, le Dr Charles Saunders produisirent le blé Marquis, qui permit de cultiver le blé dans de nouveaux parages. Le professeur John Cunningham McLennan trouva le moyen d’extraire l’hélium du gaz naturel au moment où la Grande-Bretagne en avait besoin pour les ballons et les dirigeables. Les hôpitaux d’avant-poste de la Croix-Rouge subviennent aux besoins des territoires isolés ; l’insuline a été découverte par le Dr Frederick Banting qui commença ses recherches à London, Ontario, en 1920 ; la chalicose, qui faisait de si grands ravages parmi les mineurs, a été vaincue par l’Institut Banting en collaboration avec l’Association Minière de l’Ontario ; le microscope électronique, qui rend un cheveu de la grosseur d’un poteau télégraphique, a été construit par trois hommes, le professeur Burton, James Hillier et Albert Prebus, au bout de 2 ans de travail acharné. Le dernier exploit de « En avant Canada » est celui du patrouilleur Saint-Roch de la Gendarmerie à cheval, commandé par le sergent Henry Larsen, qui, parti de l’ouest en juin 1939, pratiqua en deux ans le passage du Nord-Ouest – pour la première fois au monde.
Il n’y a probablement pas de personnage au Canada qui soit un meilleur trait d’union entre le passé et le présent que Mme George Black, pionnière du Yukon, membre de la ruée à l’or en ’98, autorité sur la flore du Nord et deuxième femme élue membre de la Chambre des communes. Son premier souvenir est celui du gros incendie de Chicago quand elle avait 5 ans. Elle traversa le Col de Chilkoot avec les chercheurs d’or, prit maison à Dawson, et prospéra avec le pays. En 1935 elle remplaça son mari comme député du Yukon, et dans son discours de début à la Chambre exprima sa sympathie à la reine Mary à l’occasion du décès de George V. Elle allait avoir 70 ans dans deux semaines. Son livre « Mes soixante-dix ans », publié en 1938 est un récit émouvant de la conquête du nord du Canada par les pionniers.
Mépris des obstacles
C’est grâce à l’ambition soutenue par une énergie de ce genre que le Canada de 1867 est devenu ce qu’il est aujourd’hui. Il s’est développé malgré les obstacles qui auraient pu vaincre ou décourager des gens plus faibles. Notre pays est divisé par des barrières naturelles, des montagnes et des lacs, et limité par des rochers et des toundras. Même aujourd’hui, nous nous établissons encore le long de la frontière sud, et ce n’est que dans les Prairies qu’il y a des villes importantes à plus de 100 milles au nord des États-Unis. Nos divisions géographiques sont si grandes que même dans chacune on trouve des gens de type distinct, et des manières différentes de vivre. Au moment de la confédération, on parlait des « deux Canadas » ; aujourd’hui nous en avons six – les Provinces maritimes, la vallée du Saint-Laurent et la partie basse des lacs, le bouclier canadien, les Prairies, le versant du Pacifique et le Yukon, et les territoires du Nord. Séparées par des milles de montagnes, de forêts, de lacs et d’énormes rivières, ces divisions participent chacune d’une manière spéciale et nécessaire à la prospérité du Dominion.
Au début, et de fait jusqu’à une époque pas si éloignée, la France, la Grande-Bretagne et les États-Unis semblaient enclins à ne considérer le Canada que comme une source de matières premières, principalement de fourrures, bois, blé, minéraux et, plus récemment, de pulpe de bois. Nous avons d’abondantes ressources : notre problème consiste à en faire usage de notre mieux dans l’intérêt de notre peuple. Ce problème en entraîne un autre d’envergure mondiale. Nous vivons au milieu de nations qui sont passionnément réalistes. Nous devons songer à notre prospérité interne, non seulement du point de vue de notre propre peuple, mais aux yeux des autres. M. Churchill et M. Roosevelt ont résumé le problème dans le paragraphe de la Charte de l’Atlantique qui dit : « pour permettre à tous les États, grands ou petits, vainqueurs ou vaincus, l’accès, aux mêmes conditions, au commerce et aux matières premières du monde dont ils ont besoin pour leur prospérité économique. »
Le problème du Canada, en ce qui concerne les ressources n’est pas de les obtenir, mais de les mettre en valeur et d’en disposer d’une manière équitable et judicieuse. Nous ne connaissons pas encore toute la capacité économique de notre pays, mais nous savons que le Canada est richement doté. Tout le monde sait que nous pouvons produire d’énormes quantités de blé. Au cours des cinq dernières années la moyenne de nos exportations et de nos réserves a été de 633 millions de boisseaux par an. Le monde entier a entendu parler de nos trésors de nickel, d’or, d’argent, d’amiante, de radium et de vingtaines d’autres minéraux essentiels à l’industrie moderne. Nos forêts ne sont surpassées que par celles de deux autres pays. Nous avons les plus grandes pêcheries du monde. Nous sommes les plus gros producteurs de papier de journal, de platine, d’amiante, de nickel et de radium. Nous tenons le second rang sous le rapport de l’aluminium, la pulpe de bois et l’énergie hydroélectrique ; et le troisième sous celui du cuivre, du plomb et du zinc. Et pourtant, et c’est là le malheur, nous n’avons que la cent soixante-quinzième partie (1/175) de la population du monde.
Au problème d’employer de notre mieux nos matières premières vient s’ajouter celui de maintenir le rendement industriel. La capacité manufacturière du Canada a doublé pendant la dernière guerre à mesure que les manufacturiers construisaient de nouvelles usines, perfectionnaient de nouveaux procédés, inventaient de nouveaux produits, et construisaient même de nouvelles collectivités.
Nouveaux horizons
Il y a 80 ans notre problème consistait à arracher à la nature vierge suffisamment de quoi manger, nous habiller et nous loger pour entretenir la vie dans un état précaire et dans des circonstances difficiles. Aujourd’hui la grande question est de trouver chez nous l’emploi de tous les produits sortant des usines qui fabriquaient auparavant du matériel de guerre, ou d’en disposer à l’étranger. Cela est nécessaire si nous ne voulons pas que notre niveau d’existence en souffre. Cela est également nécessaire si nous ne voulons pas que d’autres pays, une fois revenus à l’état normal, deviennent jaloux de nos richesses naturelles. Nous cherchons le moyen d’employer économiquement nos ressources en les mettant à la disposition des pays qui en ont besoin.
Nos idées géographiques ont évolué. Nos voisins ne sont plus les gens du comté adjacent ou d’une autre province, mais ceux qui habitent les continents de l’autre côté de la terre. Chaque jour des milliers sur milliers de transactions passent à travers le service étranger de cette banque comme résultat des affaires que les Canadiens font en Australie, en Afrique, en Asie, en Europe et dans les Amériques.
Dans la mesure où les événements du dernier quart de siècle nous ont ouvert les yeux sur des perspectives lointaines, le Canada a pris rang parmi les nations qui ont acquis du prestige. Quand la paix deviendra réelle, notre Dominion sera au centre des voies aériennes internationales qui formeront le réseau des relations commerciales. Nous ne sommes plus à l’extrémité septentrionale des continents américains, mais nous occupons une situation centrale par rapport aux terres de l’hémisphère nord et nous sommes au centre des communications entre les grandes puissances de l’Europe, de l’Amérique et de l’Asie.
Il incombe au Canada, comme à tous les autres pays, de s’adapter aux nouvelles conditions. Mais pour cette adaptation, nous avons des moyens et des qualités qui, si nous savons nous en servir, nous donneront de grands avantages dans la tâche de rendre le monde meilleur.
Le Canada tient une place entre les grandes et les petites puissances – pas assez peuplé pour être une menace à n’importe quelle nation même s’il avait des intentions belliqueuses, mais trop avancé sous le rapport de l’industrie et du commerce pour compter comme une petite nation. Notre puissance militaire est faible, mais notre puissance économique – non seulement du fait de nos ressources économiques mais parce que nous savons également les préparer et les transformer – nous donne droit à une place importante dans les affaires mondiales.
Le canadianisme, qui est né avant la confédération, mais que cette union a lancé définitivement dans la bonne voie, n’est pas un instrument à dédaigner dans la tâche qui nous incombe. Comme l’a dit J. B. Brebner dans son allocution présidentielle à l’Association historique du Canada en 1940 : Le canadianisme… est le résultat de plus de trois siècles de lutte victorieuse contre un milieu réfractaire, de plus d’un siècle d’heureuse adaptation politique et d’imagination originale, et d’une sorte de modération qui, comme l’histoire l’a démontré, est capable d’être transformée par l’adversité en volonté opiniâtre et indomptable. » Au cours des ans, notre pays a, non sans une certaine mesure de succès, uni une culture anglo-saxonne et une culture latine, trouvé le milieu entre les vues de la Grande-Bretagne et celles des États-Unis, établi la réputation de rechercher la paix, et donné le bon exemple sous ce rapport en pratiquant la collaboration avec son voisin.
Nous faisons preuve de prudence et de délibération en abordant les changements politiques, sociaux ou culturels, ce qui sert à protéger les Canadiens des emballements et des manies assez longtemps, comme le dit M. Brebner, « pour permettre à la Grande-Bretagne ou aux États-Unis d’en démontrer l’inanité. »
Perspectives d’avenir
Les prédictions concernant l’avenir, surtout dans l’enthousiasme d’une fête d’anniversaire, doivent s’entourer des réserves nécessaires. L’expansion d’un pays ne marche pas avec la régularité d’une montre. Les affaires nationales n’obéissent pas à des lois universelles. Il y a trop de variantes, trop d’événements imprévus, trop d’influences extérieures sur lesquelles le pays ne peut rien. Mais il n’est pas défendu de chercher à deviner ce qui pourrait arriver.
Comme on vient de le voir, le Canada a fait de merveilleux progrès dans les 80 ans de fédération, et a une aussi bonne chance d’en faire autant au cours des 80 années prochaines. Il a renversé des barrières de géographie, de climat, de philosophie et de coutumes pour arriver au point où il en est : aujourd’hui il est au premier rang des pays qui s’efforcent de vaincre les préjugés, l’égoïsme et l’insularité, pour permettre au rétablissement et à la stabilité économiques de marcher de pair avec la paix politique.
Notre pays, parmi tous les pays du monde, a une bonne chance de voir ses efforts couronnés de succès, et plus que n’importe quel autre pays du monde il offre à tous des chances de succès : non seulement à cause des ressources naturelles dont nous sommes si enclins à nous vanter, mais parce que chez nous, mieux que partout ailleurs, on peut mener une vie sensée et tenant le juste milieu qui permet à chacun de mettre en valeur les dons, de la nature – et les siens.
Il ne suffit pas, à l’occasion de ce 80e anniversaire, de regarder le passé comme un spectacle qui mérite des applaudissements et procure de la satisfaction. À mesure que la procession des années défile sous nos yeux le 1er juillet, chaque année couronnée de lauriers en signe de gloire, et d’un chapelet de romarin comme souvenir, il ne faut pas oublier que 1947 prendra sa place dans la cavalcade. Faisons donc en sorte que cette année-ci et les suivantes soient dignes de leurs aînées.