Skip to main content
Download the PDF Version

De même que nous admirons tous la vertu et la civilité, par exemple, tout le monde admet que la prudence est une bonne chose, bonne pour les autres, s’entend, car c’est aux autres qu’il arrive des accidents, et nous concevons difficilement qu’il pourrait nous en arriver aussi.

Au diable les statistiques, mais s’il faut en croire les chiffres cités par le Dr W. W. McKay du ministère de la Santé nationale et du Bien-être social au cours d’une conférence, les accidents sont la principale cause de décès de nos jours au Canada entre cinq et quarante-cinq ans, ce qui est une honte pour le pays. L’an dernier, 3,121 personnes ont perdu la vie dans des accidents d’automobile, et 5,521 dans d’autres accidents, 8,642 morts au total.

Au milieu de machines, de poisons, d’incendies et de forces dont nous sommes en partie maîtres mais toujours prêtes à la révolte si nous leur en donnons la chance, nous risquons beaucoup plus souvent notre vie que nos ancêtres. Nous pouvons réduire consciemment les dangers qui nous menacent en prenant l’habitude d’être prudents.

La prudence s’acquiert par l’éducation, par le culte bien compris de l’intérêt personnel et la ferme volonté de toujours penser et agir d’une façon réfléchie.

Il est difficile de comprendre pourquoi les gens ne se soucient pas du mal qu’ils peuvent se faire. Pourquoi la peur du mal ne leur fait-elle pas songer au danger ? Et pourtant beaucoup d’accidents sont dus au fait qu’on ignore les conséquences probables d’un manque d’attention.

Chez quelques-uns, c’est plus qu’un simple manque d’attention : ils semblent prendre plaisir à affronter la mort. Ils ressemblent aux jeunes naufragés qui, pour tromper leur ennui, s’amusaient à donner des coups de pied aux requins. Ils jouent avec les engrenages, les échelles branlantes, les passages à niveau. Ils parient que ce qui arrive aux autres ne saurait leur arriver à eux.

Il convient de réprouver l’insouciance et la témérité parce qu’elles sont toutes deux contraires à l’instinct et à la nature, et qu’elles rabaissent la dignité de l’intelligence humaine. On peut être courageux en face du danger sans le rechercher.

Accidents d’automobile

La façon dont les gens conduisent leur automobile démontre peut-être mieux que n’importe quoi la différence entre l’emploi possible et l’emploi réel de leur matière grise.

Dans les collines reculées de l’Inde, quand un tigre dévore une demi-douzaine de villageois, tous les autres s’unissent pour l’abattre. Au Canada, en pleine civilisation, les automobiles tuent 3000 personnes par an.

Tout en faisant la part de la fragilité humaine, quatre-vingt-dix pour cent de ces accidents pourraient être évités. Quant aux autres dix pour cent, dit un bulletin du ministère de la voirie de l’Ontario, « ils auraient dû se borner à des chocs, sans perte de vie. »

L’excès de vitesse est un de nos plus grands défauts. Pour gagner quinze minutes dans un trajet de deux heures, nous augmentons d’au moins cinquante pour cent nos chances d’avoir un accident.

La vitesse en soi n’est pas nécessairement dangereuse. Un homme en excellente forme, bien reposé, tempérant, sans préoccupations, peut généralement conduire une voiture en bon état à 70 milles à l’heure pendant quelque temps quand la route est libre. Mais s’il survient la moindre distraction, ou s’il y a des croisements de chemins ou d’autres voitures sur la route, même la vitesse de 40 milles à l’heure peut devenir dangereuse.

Trop peu de chauffeurs se rendent compte qu’au calcul de la distance à parcourir avant l’arrêt, il faut ajouter le chemin parcouru par l’avant de la voiture pendant le coup de frein. À 30 milles à l’heure, le nez de la voiture est à 83 pieds en avant du siège.

Inattention

L’étourderie d’autrui est le plus grand danger de la route. Beaucoup de bons chauffeurs, ceux qui laissent une bonne largeur de la route aux esprits étroits, s’indignent à l’idée que les accidents susceptibles de leur arriver seront causés par l’imprudence d’autres automobilistes. Un conducteur de camion a dit à cet égard : « Je conduis toujours comme si tous les autres chauffeurs étaient des imbéciles. »

Les mauvais chauffeurs ne sont pas toujours ceux qui n’observent pas la loi. Il y en a qui passent à bonne distance d’un objet fixe sur leur droite, une culée de pont par exemple, mais ils se tiennent à six pouces de la ligne blanche du centre où le danger est beaucoup plus grand. Une curieuse mentalité semble pousser le chauffeur à s’exposer ainsi.

La plupart des chauffeurs font peu de cas du code de la route et de la plus simple courtoisie aux croisements de rues.

Les infractions aux règlements sont dues en grande partie au fait que des gens ignorants et maladroits sont autorisés à conduire des autos et des camions. Cet état de choses serait amélioré dans une grande mesure par une application plus rigoureuse de la loi, des examens périodiques plus sévères pour permis de conduire, la mise au rancart des vieilles voitures et la révocation des permis en cas de besoin.

La solution est claire et généralement admise : ces mesures correctives ont été discutées en septembre par le Comité spécial de la Législature de l’Ontario pour la sécurité routière. Une brochure de la Chambre de commerce des Jeunes du Canada dit à ce sujet : « Le nombre de condamnations est le seul moyen de faire respecter la loi. Si les accidents sont nombreux, il devrait y avoir un grand nombre de condamnations, c’est-à-dire d’applications de la loi. »

Une sur trois des victimes de la circulation est un piéton et, dit la brochure, c’est généralement autant la faute du piéton que celle du conducteur du véhicule.

Néanmoins, la loi donne la préférence au piéton. Ce que les automobilistes ne veulent pas comprendre est que le piéton qui traverse une rue en conformité des règlements a droit de passage sur une voiture qui est également dans son droit. « Certains automobilistes », a dit un juge de Montréal, « essaient métaphoriquement de balayer les piétons de leur chemin avec leur klaxon ».

Le manque de courtoisie, dont l’abus du klaxon n’est qu’un exemple, est une des principales causes d’accident. Mr. W. W. Owen de la Canadian Underwriters’ Association a dit, en expliquant que les taux d’assurance étaient plus élevés dans le Québec que dans les autres provinces par suite de la plus grande proportion d’accidents : « Il est étrange que des gens qui sont normalement polis chez eux se conduisent comme des sauvages quand ils sortent sur la route. »

Autres accidents

Quoique les accidents de la route attirent davantage l’attention par leur nombre et leur retentissement, il y en a beaucoup d’autres qu’on pourrait également éviter.

Les chutes dans les escaliers causent presque autant d’accidents que tous les autres genres de chutes mis ensemble, quoique beaucoup de personnes se fassent mal simplement en marchant dans la maison. Les tapis qui glissent sous les pieds, les planchers cirés et les objets qui traînent par terre sont la cause de nombreux décès.

Le remède est simple : bien tenir la maison. De la lumière partout. Rapiécer les grands tapis et clouer les petits, nettoyer immédiatement les taches de graisse. Employer de la peinture qui n’est pas glissante pour les escaliers sans tapis. Mettre les tabourets, les petites tables, les cendriers à pied et tous les petits meubles à côté des sièges et hors de votre passage. Ne pas laisser dans les escaliers les objets qu’on a l’intention de monter ou de descendre plus tard. Ranger les jouets quand les enfants ont fini de s’en servir et insister pour qu’ils ne laissent pas par terre les jouets dangereux comme les patins et autres jouets à roulettes. Peindre une raie blanche sur la première et la dernière marche de l’escalier de la cave.

Si vous faites le tour de la maison avec cette liste à la main et si vous prenez soin périodiquement d’écarter autant que possible les dangers de glisser, de trébucher et de tomber, vous vous éviterez bien des entorses et de graves accidents.

Le feu est souvent la cause de blessures et même d’accidents mortels. La plus grande partie des incendies ont lieu à la maison et sont causes principalement par les fumeurs imprudents, surtout ceux qui fument au lit, les vêtements qui s’enflamment près des poêles ou des cheminées, les allumettes laissées entre les mains des enfants, la graisse qu’on renverse, et la sotte méthode de verser du pétrole sur le feu pour le faire prendre ou l’activer.

Les brûlures sont également dangereuses. Les enfants sont gravement brûlés quand on renverse sur eux une théière, une assiette de soupe ou un plat chaud qu’on apporte à la table, ou bien quand ils touchent quelque chose de chaud sur le poêle. Ce sont là des dangers faciles à éviter avec un peu de soin et d’attention.

Empoisonnements

L’absorption de substances toxiques cause la mort de beaucoup d’enfants et d’adultes, généralement par suite de notre imprudence. Le Dr. Rustin McIntosh, professeur de pédiatrie à Columbia University n’a pas mâché les mots lorsqu’il a dit aux membres d’un congrès national de sécurité : « Quand un enfant est empoisonné par du phosphore pour tuer les rats, c’est à se demander quel est l’imprudent qui a laissé du poison à la portée d’un enfant. »

Rien n’est plus facile que de se mettre à l’abri des poisons. Il n’y a qu’à les placer dans une boîte ou une bouteille spéciale et à ne pas les garder dans l’armoire de la salle de bain. Le fait de les tenir cachés, hors de portée des enfants, mettra aussi les grandes personnes en garde.

On ne devrait jamais prendre une pilule ou une potion sans allumer la lumière et lire l’étiquette. Toutes les substances toxiques, telles que les désinfectants, devraient être tenues hors de la cuisine et du garde-manger. À part que le contenu des bottes peut couler et se mélanger aux aliments, il peut être pris pour de la farine ou de la levure.

Quoique relativement peu nombreuses, les morts causées par les armes à feu sont aussi déplorables que les autres. La plupart de celles qui ont lieu à la maison sont dues à la dangereuse habitude de jouer avec un fusil et de le nettoyer quand il est chargé. Il est bon de se faire une règle absolue de ne jamais manier un fusil chargé excepté quand on va s’en servir pour tirer. On devrait absolument défendre aux enfants de viser quelqu’un avec un fusil de bois ou de le tourner contre soi-même. C’est seulement ainsi qu’on peut instiller le danger de manier une arme à feu.

Le plus grand danger dans la vie est probablement dû à la simplicité des mesures nécessaires pour éviter les accidents mortels. S’il fallait faire davantage on obtiendrait probablement de meilleurs résultats, C’est particulièrement le cas des sports aquatiques et du patinage. Beaucoup de vies pourraient être épargnées en prenant des précautions élémentaires en pratiquant la nage, la pêche, le canotage et le patinage sur les étangs et les rivières. Le plus simple bons sens nous dit qu’il est imprudent d’aller nager tout seul, de plonger dans des endroits inexplorés, de rester trop longtemps dans l’eau glacée, de ne pas tenir compte des menaces du temps et de partir seul dans un bateau quand on ne sait pas nager.

Électricité et outils

L’électricité est une source de danger trop souvent ignorée parce que « les accidents arrivent aux autres ». Dans l’industrie, la plupart des décès sont dûs à des défauts dans les conducteurs à la terre, au manque de prudence dans le croisement des fils, et à l’inattention en travaillant à l’installation des circuits.

Ignorer les plus simples mesures de prudence n’est pas une preuve de courage mais de stupidité. Vous direz peut-être que c’est un excès de précaution, mais quand le père de famille qui va changer un fusible ferme d’abord le courant, il est sûr de ne pas être électrocuté. Même en faisant la plus petite réparation à un appareil électrique, il est prudent de se tenir sur quelque chose de sec. Il est bon de vérifier de temps en temps les fils électriques qui relient les lampadaires, les lessiveuses et autres machines pour s’assurer qu’ils ne sont pas usés ou noués.

Ne pas s’exposer

Le meilleur moyen d’éviter les accidents est de ne pas s’y exposer. H. M. Tomlinson dit dans The Sea and the Jungle : « Dans ce pays, il est sage de présumer que tout mord ou pique, et que lorsque un animal semble mort il est seulement en train de vous surveiller. »

Les gens ne se privent pas pour cela d’aller dans la jungle, mais ils sont attentifs et toujours sur leur garde. Les mêmes précautions en cas d’imprévu serviront à nous préserver dans les usines et sur les fermes, sur la route et dans la maison.

Être attentif et toujours sur ses gardes, combien cela vaut mieux que de se résigner aux accidents ! Ceux qui croient les accidents inévitables feront bien d’étudier les chiffres des compagnies où les précautions ont sauvé des milliers de vies. Si cent mille personnes sont tuées et dix millions sont blessées chaque année aux États-Unis, il ne faut pas l’attribuer à la perversité de la nature ou à un décret de la providence, mais au moins quatre-vingt-cinq fois sur cent à l’inattention et à l’entêtement des gens.

Accidents industriels

Les accidents industriels sont devenus plus fréquents au cours des deux ou trois dernières années, dit un rapport du ministère du Travail à Ottawa. L’augmentation est de 9.1 pour cent de 1950 à 1951 ; de 4 pour cent de 1951 à 1952 et de 5 pour cent de 1952 à 1953. On compte dans ce déplorable bilan un grand nombre de morts, un montant incalculable de souffrances, et une somme formidable en perte de revenus pour les employés et de production pour les employeurs.

Il est nécessaire d’introduire des mesures de sécurité dans le fonctionnement de chaque usine et le travail de chaque ouvrier.

Une usine propre bien organisée et sans encombrements stimule la prudence et encourage le rendement. Les voies de passage sont libres, chaque instrument à sa place, les outils tranchants dans des boîtes, les machines en mouvement munies de protecteurs, les planchers en bon état, et les déchets promptement balayés.

Les méthodes de sécurité industrielle sont aussi applicables à la ferme où elles sont même plus nécessaires. Une ferme est une petite entreprise qui exige la participation active de chacune des personnes qui l’exploitent. Un accident peut amener un arrêt de production pendant plusieurs jours.

La conduite d’un tracteur sur un terrain accidenté ou incliné est excessivement dangereuse parce que le conducteur projeté de son siège risque de tomber sous la machine qu’il tire. Quelques conducteurs mettent une corde autour de leur ceinture et l’attachent au principal fil d’allumage de sorte que lorsqu’ils tombent le tracteur s’arrête.

Responsabilité des contremaîtres

Du point de vue économique, la sécurité fait partie du bon fonctionnement, et c’est, par conséquent, une fonction de surveillance. Le contremaître est noté d’après le chiffre d’accidents dans sa section.

Il est nécessaire que le contremaître s’assure que les machines sont en parfait état et qu’elles sont bien entretenues, mais ce n’est pas assez. Il faut en outre qu’il recommande constamment à ses ouvriers de prendre des précautions.

Cela exige de sa part une grande connaissance de la nature humaine, du tact, de la ressource et une sage direction. Il faut non seulement qu’il instruise les nouveaux ouvriers, mais qu’il répète les mêmes recommandations aux anciens qui deviennent habitués aux dangers au point de n’y plus faire attention. Un ouvrier est exposé aux accidents tant qu’il n’a pas acquis l’habitude de prendre des précautions.

Le contremaître est plus excusable d’être sévère en cas d’imprudence qu’en toute autre occasion. L’ouvrier qui persiste à ne pas travailler prudemment et qui néglige ouvertement d’observer les règlements de sécurité ne saurait être toléré dans un atelier. Il expose non seulement sa propre vie mais celle de ses collègues.

Le coût des mesures de sécurité est justifié autant par l’économie des vies humaines que par celle des dollars. Les primes d’assurance contre les accidents représentent à peine le coût des retards de fabrication, de l’embauchage et de la formation des ouvriers, du dégât ou de la destruction des matières premières ou des produits finis, des dommages causés aux outils et à l’atelier et de la démoralisation dans l’usine.

Les accidents coûtent également cher à l’ouvrier. Sa famille en souffre, même quand son incapacité est temporaire. Quand le gagne-pain ne peut plus travailler, le reste de la famille est soumis à toutes sortes de sacrifices. Les enfants sont parfois forcés de travailler au lieu de poursuivre leurs études ; la mère est obligée de chercher du travail ; toute la famille n’est plus à même de vivre sur le même pied.

Nous pensons rarement à la valeur monétaire d’un ouvrier en ces termes. Si un homme de 30 ans, qui gagne $3000 par an, devient incapable de travailler, la valeur actuelle de la perte est de $63,009. C’est sa famille qui perd cette somme, et vous pouvez vous en imaginer le résultat. Il y a bien là de quoi rendre chaque ouvrier prudent.

Responsabilité personnelle

La sécurité est une affaire personnelle. La science observe que la nature rend l’homme responsable de ses actions volontaires aussi bien qu’involontaires : le poison qu’il absorbe par erreur le tue aussi bien que celui qu’il prend à dessein.

Dans beaucoup de cas l’instinct nous protège quand on l’écoute, et l’instinct aidé par l’intelligence nous garde des catastrophes.

En combinant l’instinct et l’intelligence nous sommes capables de mener une vie libre de situations qui provoquent les accidents. Cela, sûrement, devrait être le but de toutes les leçons de prudence. La sécurité n’est pas une chose à part, détachée de notre travail, séparée de l’adresse nécessaire pour conduire une auto. Elle fait partie intégrante du travail à faire, de la dextérité et de l’intelligence de l’ouvrier.

La prudence ne s’acquiert pas en discourant simplement à son sujet, en disant « c’est dommage » quand nous lisons le compte rendu d’un accident ou quand nous voyons un auto en pièces au bord de la route, pas plus que nous pouvons éviter le danger en l’ignorant.

Il faut nous faire à l’idée que la vie est pleine de dangers. Ils abondent dans les usines et les bureaux, à la maison et dans la rue, sur la mer et dans l’air et au fond des forêts du nord. Cela admis, il nous reste à trouver les moyens de nous protéger et de protéger nos semblables des dangers qui peuvent être évites. Mais, par-dessus tout, nous devons cultiver la prudence au point de prendre instinctivement des mesures de précaution dans tout ce que nous faisons.