« Que désirons-nous ? » Voilà la grande question de la vie.
De la réponse dépendent non seulement notre carrière, notre conduite journalière et notre façon de juger les gens et les choses selon leur effet sur nos désirs, mais aussi les progrès de notre collectivité et de la nation, et jusqu’à un certain point la prospérité économique du monde.
Beaucoup de besoins sont communs à tous les hommes : manger, s’abriter et s’habiller, par exemple. On peut facilement s’imaginer des millions de femmes dans toutes les parties du monde en train de peler des patates pour nourrir leur famille ; des ouvriers en train de construire des maisons et des métiers tissant des millions de verges de tissus pour nos vêtements. Mais il existe aussi des milliers de besoins personnels dont la poursuite distrait notre ennui.
Dans tous les pays on trouve des disciples de Bouddha qui aspirent par-dessus tout à la sérénité, et qui débarrassent leur existence de tous les désirs et tous les besoins dont ils peuvent se passer. Ils se font gloire de vivre d’une assiette de lentilles, avec un linge autour des reins pour tout vêtement et une hutte de paille pour abri. Ce n’est pas grâce à eux que la civilisation a fait des progrès. Nous n’avançons que parce que nous éprouvons des désirs, car c’est le désir qui stimule l’initiative et qui nous fait entreprendre de grands projets pour améliorer notre sort.
Désirs et nécessités
Nos désirs et nos nécessités sont généralement deux choses bien différentes. On ne peut pas prétendre réellement que pour vivre il nous faut plus de trois bons repas par jour, des vêtements suffisants pour nous protéger du froid, une chambre confortable et un lit pour dormir. Mais nos désirs sont innombrables. Outre les nécessités physiques, ils comprennent les récréations intellectuelles ou physiques, le sentiment d’être à la hauteur d’une tâche ou d’une situation, le plaisir de fréquenter les gens qui nous plaisent et de sentir qu’ils ont bonne opinion de nous. Du point de vue économique, les nécessités comprennent toutes les choses dont le manque affaiblit d’une manière quelconque la compétence ou le rendement d’un homme ; on peut appeler désir ou besoin tout ce qui fait consentir un homme à travailler pour le satisfaire.
Aucune personne intelligente ne peut vivre sans désirs. Un philosophe grec qui a médité sur ce sujet il y a plus de 2,000 ans, et qui ne peut guère être appelé vieux jeu puisqu’il est le précurseur de la théorie atomique que les découvertes scientifiques ont mise à l’ordre du jour, a dit ceci : il y a trois sortes de désirs : ceux qui sont naturels et nécessaires ; ceux qui sont naturels sans être nécessaires, et ceux qui ne sont ni naturels ni nécessaires.
Ce sont les désirs du genre humain qui ont donné lieu au progrès, et aujourd’hui nos désirs sont innombrables. À mesure qu’ils augmentent, ils nous ouvrent de nouveaux horizons. Cela est arrivé à tout le monde. À 16 ans nous pensons que si nous avions seulement $35 par semaine nous serions les maîtres du monde. À 25 ans et à $45 par semaine, nous désirons une auto, un meilleur radio et une maison. Chaque désir satisfait en amène un autre.
Ce qui donne beaucoup de satisfaction est de réussir dans la vie. L’homme ne travaille pas simplement pour vivre, mais pour obtenir ce qu’il désire le plus dans la vie. Ce désir varie selon les gens. De grands exploits ont été accomplis par des personnes qui semblaient satisfaire simplement des désirs frivoles. Les aventuriers qui ont découvert l’Amérique ne voulaient pas fonder de grands empires industriels, ils cherchaient tout bonnement des épices. Ceux qui ont colonisé le Canada n’étaient pas d’ambitieux hommes d’État ou d’affaires : ils étaient poussés par l’esprit d’aventure.
Les marchandises nous inspirent un désir psychologique aussi réel que nos appétits physiques, et c’est ce qui cause des embarras financiers. Beaucoup de gens – la plupart des gens – ne valent pas mieux sous ce rapport que Wilkins Micawber. Dickens nous dit dans David Copperfield comment M. Micawber se trouvait souvent en prison pour dettes. Un jour que David y était allé le voir, Micawber lui exposa son fameux principe : l’homme heureux est celui qui ne dépense que 19 livres, 19 shillings et six pence sur son revenu de 20 livres, tandis que celui qui dépense 20 livres et un shilling est dans la misère. Cela dit, Micawber emprunta un shilling à David pour acheter une bouteille de bière.
Satisfactions
Chacun de nous doit calculer à sa façon quels sont les désirs dont la satisfaction lui procurera le plus grand plaisir, et s’il y a lieu d’attendre mieux ou de prendre ce qu’il peut. Il est impossible de juger à quel point les gens désirent une chose et celle qui leur procurera le plus de plaisir. La valeur d’une chose dépend de son utilité à un certain moment et dans certaines circonstances. Une personne paiera volontiers un dollar pour un service dans une crise alors qu’il hésiterait à payer cinquante cents en temps normal. C’est parce qu’à ses yeux le service vaut un dollar à ce moment-là.
Quant il s’agit de choisir entre plusieurs choses, nous prenons celle qui nous promet la plus grande satisfaction. Un homme dépense un dollar pour dix cigares qu’il fume en deux jours, tandis qu’un autre achète une demi-livre de tabac à pipe qui lui dure deux semaines. Ce dernier pense probablement que l’autre est extravagant, tandis que l’autre pense que fumer la pipe est un signe de mauvais goût. L’habitude de penser que tous ceux qui ne partagent pas nos goûts sont un peu timbrés a causé beaucoup de dissensions illogiques. Il y a des gens qui trouvent plus de plaisir à escalader une montagne pour contempler un beau panorama qu’à faire un bon repas. À chacun ses goûts ; pourquoi les goûts d’autrui nous feraient-ils sourire dédaigneusement ?
Désirs croissants
En général, les besoins ont donné lieu à l’activité humaine dans les premiers âges, mais plus tard chaque pas en avant a éveillé de nouveaux désirs. Au début, les besoins dictaient le progrès ; par la suite, le progrès a créé les besoins. Depuis la caverne à l’appartement moderne, l’homme a éprouvé de nouveaux besoins.
Si l’on veut se rendre compte à quel point les besoins ont augmenté, il n’y a qu’à regarder la différence entre les premières années du siècle et aujourd’hui. Nous consommons des quantités très différentes des mêmes denrées, mais en outre nous avons beaucoup de nouvelles denrées à consommer. Les gens désirent aujourd’hui, exigent, et ont les moyens d’acheter, beaucoup de choses que leurs parents ou leurs grands-parents ne connaissaient non seulement pas mais auxquelles ils n’auraient même pas songé.
La possession de ces nouvelles choses est loin d’assouvir les désirs. Au contraire, chaque nouvelle possession semble ne faire que stimuler les désirs. Le monde entier considère les États-Unis comme le pays où les gens sont capables de satisfaire plus de désirs humains que n’importe où. Et pourtant la Federal Reserve Bank of Atlanta, Georgie, dit dans la Revue de janvier : « D’un bout à l’autre des États-Unis (en 1947) la plupart des consommateurs ont semblé résolus de montrer que s’ils avaient l’argent pour acheter tout ce qu’ils voulaient, ils l’auraient dépensé en marchandises et services. Ils ont fait moins d’économies, ils ont puisé dans leur bas de laine et ils ont fait des dettes. Ils ont même payé leurs achats de plus en plus cher, quoique à contre-coeur, plutôt que de renoncer au plaisir de satisfaire leurs désirs autant que possible. »
Au Canada, le total des dépenses personnelles en marchandises de consommation et en services se chiffrait à $3,714 millions en 1938 et à $5,926 millions en 1946, c’est-à-dire 60 pour cent de plus par rapport à un accroissement de population de 10 pour cent.
Malgré la rapidité avec laquelle les marchandises sortaient des usines, elles n’ont pas suffit à la demande. Aujourd’hui, nous sommes loin de fournir ce que les gens demandent. Devant des tables couvertes de bonnes choses qui auraient paru le comble du luxe aux grands seigneurs d’il y a un siècle, les gens du peuple d’aujourd’hui demandent encore davantage. Au milieu de l’abondance, nous regrettons ce qui nous manque.
Niveaux d’existence
Ce que nous appelons « notre niveau d’existence » a beaucoup à faire à tout cela. Les niveaux varient selon les groupes dans un pays et selon les pays. Ils ont également changé selon les époques, parfois en peu d’années.
Quelques pays, pauvres en ressources naturelles, doivent se contenter du strict nécessaire, mais un pays neuf et riche comme le Canada peut faire beaucoup mieux, et tel est le cas. Sans affirmer que le niveau y est déjà aussi élevé que possible, il est bon, de temps à autre, de jeter un coup d’oeil sur le monde et d’être reconnaissants de ce que nous avons.
Un bon niveau général a pour résultat de rendre les différences moins perceptibles dans le pays. Stephen Leacock a dit dans un de ses essais : « À mesure que le terrain s’élève les montagnes perdent leur hauteur apparente, et aucune nouvelle altitude ne paraît égale a l’ancienne. » Notre plus bas niveau d’existence est plus élevé que le plus haut d’il y a quelques années.
Qu’est-ce qu’un niveau d’existence ? On pourrait l’appeler la somme des jouissances que procurent les marchandises et les services. D’aucuns se font une idée que c’est la possession de certaines choses qui détermine le niveau d’existence. Une auto, ou un réfrigérateur électrique, ou un appareil de télévision, ou un manteau de vison, semblent être la marque de certains « niveaux ». Mais dès qu’on perd de vue l’idée de satisfaction pour celle de possession, il n’y a plus de vrais niveaux.
Certaines gens parlent de « niveaux d’existence » quand ils veulent dire « train de vie. » Chaque augmentation de revenus les invite à mener un nouveau train de vie, et chaque nouveau train de vie crée de nouveaux besoins et désirs avec ou sans rapport aux nécessités de l’existence. Quand un homme dit « Je veux une chance de vivre », il veut dire davantage que ne pas mourir. Il veut vivre sur un pied d’égalité avec des gens qui partagent les mêmes intérêts. Le sentiment de « faire partie » de la société est important. Les hommes aiment qu’on fasse cas de leur personne et de leurs qualités.
Le désir de paraître a presque autant d’effet sur les gens que la sombre vision du besoin. Sous son aiguillon, les gens s’efforcent de consommer une plus grande quantité et une plus grande variété de choses que leurs voisins, et de marcher de pair avec eux ou de faire mieux. Ils échangent une auto encore bonne pour une du dernier modèle ; la femme remplace son simple anneau de mariage par une bague avec un gros brillant ; les modes féminines changent avec rapidité et extravagance. La personne qui cherche à briller en société veut du nouveau à tout prix, même au prix d’être ridicule aux yeux des gens désintéressés.
Si le but de la vie est de nous procurer la plus grande somme de satisfaction possible, il convient de mesurer soigneusement le coût de la nourriture et du logement en proportion des vêtements, des amusements, de l’éducation et des plaisirs intellectuels. Autrement, on peut se trouver à dépenser une grande partie de son argent à des choses qui procurent un plaisir temporaire aux dépens de celles qui seraient plus profitables à la longue. Celui qui échange son argent pour des marchandises donne quelque chose de précieux – sa seule possession réelle – le produit d’une partie de sa vie. Il est bien bête s’il n’obtient pas tout ce qu’il peut.
Cela demande une nouvelle technologie, la technologie des achats. On peut faire preuve d’intelligence dans les achats aussi bien que dans la production et les ventes. Autrefois, quand un homme produisait tout ce qui suffisait à sa consommation et à celle de sa famille, il y avait peu de chances de produire ou de consommer sans sagesse. Il y avait peu d’occasions de satisfaire des désirs frivoles ou de faire de mauvais choix. Les besoins fondamentaux étaient trop urgents. Mais la vie est devenue plus complexe, les besoins sont plus variés, et le choix des choses qui procurent de la satisfaction est immense.
La famille complique le choix. À mesure qu’elle s’accroît, les habitudes de consommation changent et les enfants éprouvent des besoins inconnus de leurs parents. La rapide urbanisation de notre âge qui marche de pair avec l’industrialisation, modifie l’ancien train de vie, et les idées contradictoires au sujet des besoins et de l’ordre dans lequel ils doivent être satisfaits rendent la vie de famille plus difficile que lorsqu’il s’agissait simplement de produire assez pour vivre.
Considérez un instant les deux extrêmes d’une famille : l’enfance et la vieillesse. L’enfant se prépare à s’émanciper de la tutelle familiale ; mais en attendant il a besoin d’amour autant que de soins. Quelques-unes des idées modernes sur la façon d’élever les enfants ignorent souvent ce fait essentiel. Ce n’est que récemment, après une dizaine d’années pendant lesquelles certains experts conseillaient aux mamans « de laisser pleurer les bébés » que nous en sommes revenus à l’idée plus rationnelle que ce que l’enfant désire surtout c’est le sentiment d’amour et de sécurité qu’il ne trouve que dans les bras de sa mère.
La vieillesse est la dernière série des adaptations à la vie. Elle est marquée par une diminution de forces et un rétrécissement du champ d’action. Son plus grand besoin est d’accepter le changement sans anxiété ou résistance. Ce qu’elle peut espérer de mieux c’est de finir heureusement dans la paix et la réflexion, car, comme le dit Cicéron dans son traité De la vieillesse : « Le meilleur fruit à cueillir dans l’hiver de la vie est de pouvoir se rappeler avec satisfaction les heureuses et abondantes récoltes d’années plus actives. » La vieillesse n’éprouve plus guère de besoins comme le démontre bien le cas de John Hilton, ouvrier en retraite de 75 ans, publié dans les journaux en octobre dernier. Il vivait avec sa pension de $17.40 par semaine quand on lui apprit qu’il venait d’hériter de $1,080,000. « Il y a trente ans, cela aurait été bien beau », dit-il, « mais maintenant cela ne sert qu’à me donner des soucis. »
Les besoins sont également modifiés par le talent. Ceux qui ont des dispositions pour la musique sont plus enclins à dépenser de l’argent à des leçons et des concerts que ceux qui n’ont pas d’oreille. D’un autre côté, la femme qui aime la couture dépense moins d’argent pour les vêtements de la famille.
L’éducation transforme non seulement les besoins de ceux qui cherchent à s’instruire, mais aussi de ceux qui rendent l’éducation possible. Les parents se passent de confort et de plaisirs pour donner à leurs enfants une meilleure chance qu’eux dans la vie.
Il existe une demande croissante pour ce qui embellit la vie, comme les livres, les tableaux, la musique et le théâtre. Quand les nécessités de la vie sont satisfaites, les gens se tournent vers les choses intangibles qui satisfont le cerveau et l’esprit.
Depuis un demi-siècle les salaires augmentent tandis que les heures de travail diminuent, deux facteurs qui permettent aux gens de satisfaire plus que jamais leur désir de se livrer à des occupations en dehors de leur travail.
Demande économique
Nous avons parlé des « besoins » et de la « demande » comme si c’étaient des choses réelles, mais elles n’ont de réalité, si fortes qu’elles soient, qu’à moins d’être accompagnées des moyens de les satisfaire. On peut désirer une auto de toutes ses forces, par exemple, mais le désir ne peut être exaucé que si on a l’argent pour l’acheter. Le désir doit être accompagné du pouvoir d’achat avant de devenir une demande économique réelle.
Les articles qui ne sont pas à la portée de tous, dont la production exige une certaine somme de travail, possèdent de la valeur, et il faut que la personne qui les désire dépose sur le comptoir l’équivalent de cette valeur.
Quand une personne désire certaines choses dans l’avenir plus que celles qu’elle peut acheter dans le moment, elle économise son argent et en fait une réserve de valeur représentant le travail qu’elle a accompli. Les Canadiens ont une grosse somme de valeur réelle dans leurs réserves d’épargne. Il y avait, le 30 septembre dernier, 6,357,000 comptes d’épargne dans les banques à charte, se chiffrant à $3,805,900,000. Cela fait $502 par personne au Canada, par comparaison avec $130 par personne il y a 25 ans. En dollars de la même valeur cela représente une augmentation de 192 pour cent.
Les ventes des magasins à rayons en 1947 se chiffrent à $547,750,000, soit $257,800,000 de plus qu’en 1939. En 1947, les Canadiens ont dépensé plus d’argent que jamais, $8,700,000,000, c’est-à-dire près d’un milliard de plus que l’année précédente. Entre ces deux années, les revenus des ouvriers ont augmenté de 12.2 pour cent, ceux des cultivateurs et des commerces autres que les sociétés par actions de 13.2 pour cent, et les revenus de placements de 8.3 pour cent. En 1939, chaque Canadien avait $230 à sa disposition pour ses achats, $528 en 1946, et $566 à la fin de 1947.
Le prix des marchandises varie selon la demande réelle. Si beaucoup de gens ont un surplus d’argent, et les choses qu’ils désirent sont rares, les prix montent. Les fluctuations de prix, à leur tour, déterminent le degré auquel les gens peuvent satisfaire leurs besoins. L’inflation, comme en ce moment, est le résultat de trop peu de marchandises par rapport à la quantité d’argent disponible. En conséquence, les particuliers et les commerçants apprennent de nouveau à acheter de la meilleure manière possible pour satisfaire leurs plus importants besoins.
Le consommateur doit se rappeler que lorsque son coût de la vie augmente, les frais généraux des affaires augmentent également. Ils sont mesurés par le même genre de dollars qui achètent aussi peu, des choses que les hommes d’affaires désirent, qu’ils achètent de celles que désirent les consommateurs. Le directeur général de la Banque Royale du Canada en a donné un exemple à la Credit Men’s Trust Association de Toronto, il y a deux mois quand il a dit que si on compte les impôts, les intérêts aux déposants et les traitements du personnel, on trouve que rien que sous ces trois rubriques les banques avaient payé en 1946 en moyenne $9.90 pour chaque dollar de dividende aux actionnaires.
L’industrie satisfait les besoins
Nous ne vivons pas seulement du produit de nos propres mains. Ceux qui sont enclins à citer Robinson Crusoé dans son île comme exemple d’un homme qui trouve les moyens de se suffire, doivent ne pas oublier qu’il avait une bonne quantité de choses faites par les autres pour commencer. Dans notre monde moderne, chacun doit produire sa propre spécialité et vivre par l’échange de ses produits contre ceux d’autres spécialistes.
Ce dont nous avons besoin pour récompenser aussi bien que possible le travail de chacun, c’est ce qu’on pourrait appeler un réservoir débordant de choses utiles. Mais pour remplir ce réservoir il faut que chacun produise le maximum de marchandises par heure de travail. Il est évident qu’un réservoir qui déborde est plus apte à contenter les besoins de tous les Canadiens qu’un réservoir à moitié plein. Le niveau d’existence auquel les Canadiens aspirent, ou sont arrivés, ne peut pas être maintenu par le rythme de production ou de main-d’oeuvre d’avant-guerre. Il nous faut un meilleur rendement par ouvrier, plus de commerce international et un plus gros revenu national.
Ainsi donc, pour contenter nos désirs il faut travailler. Sans travail, nous ne contribuons aucune chose de valeur, sous forme de marchandises ou de plaisir intellectuel, à l’humanité. Les gens n’aiment pas trop les cadeaux ; il est plus agréable de recevoir une chose qu’on a gagnée par son travail.
Ce n’est pas un péché d’être égoïste sous ce rapport, de travailler pour gagner les choses qu’on désire plutôt que parce qu’elles rendent service à autrui. Platon avait inventé une communauté, une de ces « Utopies » qu’on trouve dans les livres, mais Aristote qui était réaliste disait que l’intérêt personnel est plus puissant que l’intérêt dans le bien-être général. Il était sûr qu’un homme travaille plus assidûment pour sa famille que pour des gens qu’il ne connaît pas. Nous ne pouvons pas échapper à la nécessité de travailler pour gagner ce que nous désirons, et l’homme sage se rend compte que plus il travaille plus il a de chances de retirer une bonne part du produit commun pour contenter ses désirs.
Pensons à l’avenir
Dans notre société, des millions de gens produisent les choses dont nous avons besoin, et cette vaste production a été rendue possible par des méthodes de travail très efficaces et l’emploi de puissantes machines. Nous en sommes arrivés à ce stade d’efficacité dans un délai relativement court, quand on juge le « temps » par l’âge de l’humanité. Un voyageur transporté d’une ville de l’an 2000 avant J.-C., au Londres de l’an 1700 de notre ère aurait trouvé peu de différence dans le mode de vie ; mais si un londonien de l’an 1700 était transporté aujourd’hui à Montréal, Toronto ou Vancouver il croirait que nous vivons luxueusement avec l’aide de nombreuses machines fantastiques.
Malgré tous les nouveaux moyens de fabriquer ce que nous désirons, il est un besoin qui n’a pas encore reçu toute l’attention qu’il mérite. Nous n’avons pas résolu le problème des milliers de complications que le nouveau train de vie a apportées dans les relations humaines. La société n’a pas aboli la distance entre les besoins sociaux et la science sociale de la même manière que nous avons aboli celle entre les besoins matériels et les sciences physiques.
Il faut penser à l’avenir. Il faut préparer aujourd’hui les plans pour satisfaire les besoins de l’avenir. Pour notre propre préservation, celle de la société et de la race humaine, il faut consacrer toute notre énergie à des fins utiles et penser aux conséquences sociales de nos actes.
Malheureusement, notre demande, intéressée en apparence à satisfaire généreusement nos besoins, perd souvent de vue son principal objet. Nous sommes tellement assaillis au dedans et au dehors par des idées contradictoires que notre bon sens en est faussé. En Chine, des chauffeurs de taxis s’ameutent pour protester contre la fermeture des cabarets de nuit, pendant qu’autour d’eux la liberté est sur le point de disparaître à jamais ; aux États-Unis des femmes se mettent en campagne pour demander de meilleurs programmes de radio tandis qu’en Europe une nation tombe sans lutte entre les mains d’un despote.
Pour conserver le sens des proportions, nous devons prendre la mesure de nos besoins et calculer le prix que nous sommes disposés à les payer. Le bon sens est aussi utile dans ce cas à l’homme ordinaire que le meilleur raisonnement des économistes. La satisfaction de nos désirs devrait nous aider à nous créer un monde agréable, ou comme l’a dit Leacock à une autre occasion « à nous en faire du moins accepter un qui aurait pu être pire. »