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Si l’on aimait autant recevoir les conseils que les donner, le monde profiterait davantage de ses réserves de compétences et de connaissances. Étudions ici comment prendre et donner conseil, deux actes qui demandent une somme égale de réflexion et d’habileté…

Personne n’étant infaillible, nous avons tous de bonnes raisons de demander conseil. Selon Ben Jonson, auteur dramatique élisabéthain de génie, « nul n’est si sage qu’il ne puisse, sans en pâtir, se dispenser des conseils d’autrui ».

Des temples anciens jusqu’aux tours contemporaines qui abritent une nouvelle race de sages, les experts-conseils, un message a traversé les siècles : les conseils sont essentiels aux réalisations individuelles et collectives. La Bible trouve des plus salutaires la pratique de prendre ou de donner conseil. « Rien ne vaut une bonne parole prononcée au moment opportun », déclare le livre des Proverbes.

Mais, si l’on reconnaît depuis toujours la valeur des conseils, l’irritante habitude qu’a la race humaine de ne pas vouloir les suivre est tout aussi notoire. Le livre d’Isaïe, avec le ton que prennent toutes les mères du monde pour faire des reproches à leur fils adolescent, se plaint de l’attitude de l’impie, « dont les oreilles sont grandes ouvertes mais qui n’entend rien ».

La masse des gens se rallie à la doctrine biblique et estime également qu’il est plus agréable de donner que de prendre conseil. En fait, comme l’observe La Rochefoucauld, philosophe français et homme du monde, quand il s’agit de donner des conseils, la générosité des êtres humains est sans borne. Une telle largesse, alliée à la facilité avec laquelle les conseils sont prodigués, expliquent en grande partie pourquoi ils ne sont pas souvent pris au sérieux.

Dans son poème Tam o’Shanter, Robert Burns brosse un tableau sardonique des « doux et sages conseils » que les épouses adressent à leurs maris, qui font la sourde oreille. Il est incontestable que la plupart des conseils qui ont cours dans une famille risquent d’être traités comme de simples bruits de fond.

Les jeunes, notamment, répugnent à écouter les sages paroles de leurs aînés. Comble d’ironie, nous recevons les meilleurs conseils de notre vie à une époque où, psychologiquement, nous sommes le moins enclins à les accepter. Les adolescents, fatigués d’entendre la fatidique exhortation « écoute-moi donc », ont tendance à considérer que les recommandations parentales sont une conspiration ourdie par les adultes contre les jeunes de leur âge.

Ce refus d’écouter la voix de la maturité a pour origine l’impression que les conseils des parents sont périmés. Tout a tellement changé depuis que ces « croulants » étaient jeunes que ce qu’ils ont à dire semble dépassé. Cette attitude est aussi vieille que le monde. Les jeunes ignorent que les éléments fondamentaux du bonheur et de la misère humaine sont, sous le vernis des modes et des tendances, éternels.

L’expérience ne s’acquérant qu’avec le vécu, il suffit d’être patient et d’attendre que la jeunesse soit exposée aux dures leçons de la vie. Il est à déplorer que la loi de la nature veuille que les jeunes ne profitent que de leurs propres erreurs, et que l’expérience de ceux qui les ont précédés et qui sont prêts à les aider à éviter les pièges de la vie ne leur serve à rien. Benjamin Franklin affirmait : « Il est possible de donner des conseils, mais non de dicter une conduite. Il faut accepter l’inéluctable : la jeunesse ne peut être conseillée. »

Remarquons, toutefois, que les conseils ne relèvent pas toujours de la raison pure et que les mesures raisonnables que l’on recommande si sagement aux jeunes ne sont pas toujours adaptées aux circonstances ni à leur personnalité. Ce qui est bon pour la majorité peut nuire à quelques-uns.

Il est cependant peu sage de rejeter un conseil sans y avoir réfléchi. Si, comme l’affirme le dicton, les conseils ne coûtent rien, il est également vrai que leur prise en considération est gratuite.

De nos jours, les personnes sincères auxquelles on peut s’adresser pour demander conseil (qu’on les écoute ou non) sont rares. Il fut une époque au Canada où, au moment de prendre une décision importante, on pouvait consulter plusieurs personnes de bon conseil : ses parents, ses grands-parents, ses tantes, ses oncles, ses voisins, ses professeurs ou son curé. Aujourd’hui, en raison de l’isolement qui accompagne la mobilité et l’urbanisation, nombreux sont ceux pour qui cette possibilité n’existe plus.

Les personnes âgées devraient être écoutées avec déférence car l’âge va de pair avec la compréhension. La Rochefoucauld prétend que « les vieux aiment à donner de bons conseils car ils se consolent ainsi de ne plus pouvoir montrer le mauvais exemple ». Il n’avait peut-être pas tort; il n’en reste pas moins que les connaissances et la réflexion ne s’acquièrent qu’avec l’âge.

Certes, un mauvais exemple enlève de sa force à un bon conseil. Le médecin, s’il veut que ses patients suivent le régime austère qu’il recommande, ne doit pas être surpris en train de s’empiffrer dans un restaurant.

Si les conseils ne doivent jamais être rejetés ipso facto, il convient toutefois de se méfier des conseillers

En revanche, les meilleurs conseillers sont ceux qui ont mené une vie dissolue car ils parlent par expérience. Un saint cloîtré ne peut guère expliquer en détail comment se garder des tentations. Les groupes de soutien, constitués sur le modèle des Alcooliques anonymes, savent pertinemment que les êtres humains qui ont péché contre les bonnes moeurs et surmonté leur faiblesse sont de bien meilleurs guides que ceux qui sont restés dans le droit chemin.

Ces groupes, constitués de personnes qui ont dû surmonter les mêmes problèmes au cours de leur existence, sont particulièrement efficaces car les conseils qu’ils fournissent sont pratiques et la sympathie qu’ils prodiguent sincère. La difficulté de persuader ceux qui en ont besoin de s’adresser à ces organisations, ou à d’autres sources de conseils, illustre la réticence innée de la race humaine à suivre des recommandations.

Certains estiment que se tourner vers les autres est un signe de faiblesse. Pourtant, il faut une certaine force de caractère pour accepter l’appui dont on a besoin. William Nolan, conseiller en gestion à Toronto, préconise ce qu’il appelle l’« appel-conseil », grâce auquel ceux qui doivent prendre une décision professionnelle importante s’adressent à des personnes qui ont réussi et peuvent leur servir de modèle pour obtenir des conseils sur l’orientation de leur carrière. « L’appel-conseil a aidé des milliers d’individus dans de nombreux secteurs à voir clair à un moment critique de leur carrière », explique M. Nolan.

De nombreuses amitiés ont été détruites par un petit conseil trop franc

L’un des avantages de prendre l’initiative est le fait que vous, et non la personne qui vous donne des conseils, maîtrisez la situation. Vous pouvez analyser les recommandations fournies, en accepter ou en rejeter les portions qui ne s’appliquent pas à votre cas personnel. Vous pouvez étudier plusieurs points de vue et jeter un regard neuf sur la situation à régler.

Bien sûr, les conseils non sollicités sont une tout autre affaire; c’est sans doute pourquoi les personnes avisées se méfient, sinon des conseils, du moins des conseillers. Cette suspicion s’explique en partie du fait que le conseiller domine psychologiquement la personne qu’il conseille.

Certains sautent sur l’occasion pour montrer qu’ils sont plus intelligents et sages que leurs auditeurs; or, selon Samuel Johnson, on a tendance à rejeter les conseils donnés dans cet esprit, même s’ils sont judicieux : la vanité semble si souvent être la raison apparente des conseils que nous ne pensons qu’à les combattre sans chercher à savoir s’ils sont utiles.

Il est indéniable que les conseils sont généralement empreints de condescendance, si bien que les personnes sensibles ont de la difficulté à les suivre allégrement. Les nantis n’hésitent pas, par exemple, à recommander aux pauvres de « chercher un travail mieux rémunéré ».

Les conseils non demandés sont destinés à être méprisés. Un proverbe espagnol n’exhorte-t-il pas de ne jamais donner conseil à moins qu’on ne vous le demande ? Le conseiller est généralement bien intentionné. Prenez garde, cependant, aux conseils enrobés de flatteries. « Lorsqu’une personne vous insulte, il faut se méfier de soi, lorsqu’elle vous lance des fleurs, il faut se méfier d’elle.  »

La flatterie indique à coup sûr que les conseils prodigués servent les intérêts de celui qui les fournit. Un conflit d’intérêts se cache sans doute derrière l’expression rassurante de celui qui, apparemment, ne veut que votre bien. Il en est d’ailleurs qui avouent franchement vouloir vous vendre quelque chose. S’ils sont sincèrement convaincus de la valeur de leur produit, ils vous conseilleront de l’acheter en toute honnêteté.

Plus vous êtes riche et puissant, plus les conseils qui vous sont adressés seront intéressés. Francis Bacon remarque que les gens haut placés reçoivent rarement des conseils gratuits sauf s’ils proviennent d’un « ami vrai et sincère… »

Et pourtant, de nombreuses amitiés ont été détruites par un petit conseil trop franc qui a touché un point sensible en mettant l’accent sur certaines vérités. George Canning, dans un poème, se moque avec humour de telles situations : « L’ennemi déclaré, fier et viril, je ne crains, car je saurai parer ses coups. Mais que le ciel dans sa miséricorde me protège de l’ami sincère. »

Pourtant, toute amitié solide et véritable est basée sur la bonne foi. À qui d’autre s’adresser sinon à de vrais amis lorsque vous craignez que votre point de vue soit déformé par votre égoïsme ?

L’avis d’un ami vous permet d’éviter les écueils de la subjectivité et du cortège de préjugés qui l’accompagnent. Entre deux personnalités foncièrement différentes peuvent naître des liens productifs grâce à un échange de points de vue. Le croyant complète le sceptique, l’optimiste le pessimiste, et l’individualiste le conformiste.

D’après La Rochefoucauld, « il est presque aussi difficile de savoir comment profiter d’un bon conseil que d’agir soi-même ». Peut -on apprendre ? Existe-t-il une science ou un art d’écouter les conseils ? En l’absence de règles véritables, voici quelques directives qui procèdent du bon sens et pourraient être utiles :

Demandez toujours l’avis de plusieurs personnes. Vous obtiendrez ainsi des points de vue qui auraient pu vous échapper au moment de prendre une décision. Exercez votre esprit critique. N’acceptez pas les conseils dans leur totalité. N’imitez pas ce président- directeur général qui appliqua à la lettre les recommandations d’un rapport rédigé par des consultants, lesquels apprirent avec une stupéfaction consternée qu’il n’avait rien fait pour adapter leur programme aux circonstances. Résultat de cette acceptation sans réserve : un échec retentissant. Écoutez soigneusement les conseils fournis pour bien les comprendre. N’interrompez pas. Posez ensuite des questions pour aborder des points peut-être négligés. À la fin de la discussion, reformulez la conclusion pour vous assurer de la justesse de votre interprétation. N’adoptez pas une attitude défensive si le conseil contient une critique de votre personne ou de votre modus vivendi. Ne cherchez pas les faiblesses de votre conseiller pour jeter un doute sur ses compétences de juge. Ne soyez pas désinvolte, ne discutez pas et ne tentez pas de changer de sujet pour éviter une remarque désagréable. Ne soyez pas paranoïaque en prêtant à votre interlocuteur des motifs cachés. Étant donné que les conseils portent généralement sur des changements à effectuer, il est inévitable qu’ils comportent des critiques de la situation présente. Un conseil sans reproche n’est plus un conseil mais l’approbation évidente que recherche celui qui demande conseil pour protéger ses arrières. Sa décision est prise mais, au cas où elle n’aurait pas une issue favorable, il pourra s’abriter derrière le paravent de la consultation.

Il faut une grande force de caractère pour ne pas se satisfaire du conseil charitable qui affirme que rien n’a vraiment besoin d’être changé, et insister pour obtenir une critique rigoureuse. Et il faut une force de caractère encore plus grande pour rejeter la solution de facilité lorsqu’on vous demande conseil.

Si des mesures pénibles s’imposent, il est tentant d’éviter toute friction en recommandant de s’en tenir au statu quo, bien qu’on sache pertinemment qu’un tel conseil ira à l’encontre des intérêts de son interlocuteur.

La manière de conseiller est aussi importante que le conseil lui- même si l’on veut qu’il soit suivi. Avant de vous lancer, faites le point sur votre propre attitude :

Que pensez-vous du problème soumis à votre examen ? Avez-vous des préjugés susceptibles d’influencer votre jugement dans le cas particulier qui vous est présenté ? Quels sont vos sentiments véritables ? Quelle est votre humeur du moment : êtes-vous déprimé, heureux ? Êtes-vous satisfait de votre existence, en proie à une crise émotionnelle ? Essayez de faire la part des choses lorsque vous donnez conseil. Que pensez-vous de la personne que vous allez conseiller ? Éprouvez-vous pour elle des sentiments amicaux, inamicaux ? Votre amitié peut vous inciter à la protéger contre les dures réalités auxquelles elle devrait faire face. Votre hostilité peut vous entraîner à émettre un excès de critiques en insistant sur des défauts mineurs et insignifiants. Ces recommandations concernent, bien entendu, le type de conseils d’ordre général échangés entre amis, relations et membres d’une famille. Elles ne s’appliquent pas aux conseils fournis par les experts qui s’appuient sur des connaissances que les autres ne possèdent pas.

Nous consultons souvent des spécialistes, des avocats, des comptables, des décorateurs et, si le malheur veut que nous en ayons besoin pour débrouiller notre vie personnelle, des conseillers matrimoniaux ou autres. Les entreprises et les gouvernements font constamment appel à une foule d’experts-conseils.

Outre le fait de s’assurer de leur compétence, vous devez, lorsque vous vous adressez à eux, vérifier que vous comprenez ce qu’ils ont dit. Le coût des malentendus est élevé. Leurs conseils sont chers. Or, comme chacun sait, ces conseillers aiment à utiliser un jargon qui leur est propre, des euphémismes, un langage obscur. Il est donc important qu’ils clarifient leurs propos. Suivez strictement, face à eux, les règles de l’écoute attentive : écoutez soigneusement, posez des questions si quelque chose n’est pas clair et confirmez en répétant à votre façon ce qui a été dit.

Dans les grands centres urbains, le nombre des conseillers ne cesse d’augmenter. Non seulement ils font légion dans la bureaucratie mais ils forment des phalanges autour des politiciens. Lorsque vous établissez un parallèle entre le nombre de « docteurs miracle » et de « visionnaires » de la scène politique et celui des bavures commises, vous constatez que les conseils ne sont pas tous bons à suivre.

Il est d’ailleurs probable que les politiciens et les faiseurs de politiques ont le tort d’écouter un trop grand nombre de conseillers surtout s’ils appartiennent à la race des prudents. Sous l’influence de leurs lumières, des politiques clairement établies initialement deviennent des compromis confus ou inutiles. Craignant de compromettre leur pouvoir, les conseillers politiques préfèrent les expédients aux mesures appropriées.

« Dans une foule de conseillers se trouve la sécurité », affirme le livre des Proverbes, dicton qui semble viser le monde de la politique. Lorsque les politiciens se refusent à faire face à un problème épineux, ils demandent qu’une étude soit entreprise, espérant qu’il disparaîtra avant que le groupe d’étude ait le temps de communiquer ses recommandations. En demandant conseil sur l’application de conseils fournis antérieurement, le passage à l’exécution peut être reporté indéfiniment. À l’instar des individus, les gouvernements eux aussi font appel à une armée de conseillers jusqu’à ce qu’ils en trouvent un qui soit prêt à leur dire ce qu’ils souhaitent entendre.

Les mêmes tactiques sont utilisées par les dirigeants d’entreprise qui craignent les bouleversements. Le meilleur moyen d’empêcher qu’un problème compromette un mode de vie confortable consiste à le noyer dans des études; la chance aidant, on peut l’analyser jusqu’à ce que mort s’ensuive.

Mais si le recours aux conseils est parfois l’objet d’abus, leur valeur n’en reste pas moins réelle. Les conseils sont une grande source de synergie, mot qui désigne une action coordonnée d’efforts en vertu de laquelle le résultat global est supérieur à l’ensemble des efforts déployés par chacun. Edmund Burke, grand philosophe politique, a été étonné de « l’effet multiplicateur » des conseils : « Celui qui fait appel à un niveau de compréhension égal double sa compétence; celui qui a recours à un niveau de compréhension supérieur atteint le haut degré de compétence de celui avec lequel il s’unit. » Il serait donc contraire à ses propres intérêts de ne pas rechercher les bons conseils. Pourquoi se refuserait-on un tel atout? Par péché de vanité, affirme John Balguy, prêcheur distingué qui vivait à la même époque que Burke. « L’homme sage est prêt à se méfier de lui-même donc à prêter l’oreille aux conseils; l’homme sot, plein d’ostentation et gonflé de son importance, n’acceptera des conseils que de lui-même pour la bonne raison que ces conseils viennent de lui. »