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Les États-Unis ont besoin de plus de travailleurs, et non de plus d’emplois

La plupart des investisseurs voient l’évolution démographique comme une tendance à long terme, et non comme un facteur de changement à court terme sur les marchés. Mais en 2025 et au cours des prochaines années, le pays aura probablement besoin de plus de travailleurs que d’emplois, sauf en cas de choc économique majeur.

Les États-Unis font face à un raz-de-marée démographique qui aura des répercussions sur une série de données économiques au cours des mois et des années à venir. Cette transformation aura des retombées sur la façon dont nous interprétons les données, sur le fonctionnement de l’économie et sur l’action des décideurs politiques.

Dans le cadre de cette série, Services économiques RBC passe en revue les forces structurelles qui sous-tendent le marché du travail américain. Nous commencerons par exposer cinq facteurs principaux, notre vue générale à leur égard, et la façon dont ces tendances pourraient s’opposer aux forces cycliques en 2025.

Le taux de chômage est resté proche de ses plus bas niveaux en 50 ans, malgré la grande incertitude qui pèse sur l’économie américaine.

Les demandes de prestations de chômage ont tendance à augmenter (p. ex., à la suite de mises à pied), tandis que l’embauche ralentit (p. ex., croissance de la masse salariale). Cependant, nous sommes encore en deçà de ce que le Bureau du budget du Congrès considère comme le taux de chômage naturel (non cyclique). De fait, le taux de chômage se situe au-dessous du taux de chômage naturel depuis 2017 (malgré le déclin du taux naturel) si nous excluons la période de la pandémie. À notre avis, ce n’est pas parce que l’économie américaine connaît un essor. La faiblesse du taux de chômage est davantage attribuable à la pénurie de main-d’œuvre disponible qu’à une forte demande de travailleurs. En d’autres termes, la question est structurelle plutôt que cyclique.



Le vieillissement de la population américaine est au cœur de la pénurie de main-d’œuvre. Plus de 21 % de la population américaine a maintenant plus de 65 ans, et la vague de départs à la retraite qui frappe l’économie américaine atteint une ampleur sans précédent. Bien entendu, cette tendance représente un défi pour les employeurs qui ont de la difficulté à trouver des travailleurs qualifiés pour répondre à la demande (nous y reviendrons un peu plus loin).

En outre, la situation entraîne un changement dans les habitudes de consommation aux États-Unis. Si nous comparons l’envie de dépenser d’une personne qui perd son emploi par rapport à celle d’un retraité, nous pouvons imaginer l’effet qui en résulte sur la consommation. Ce que nous entendons par là, c’est l’état d’esprit à l’égard des revenus et des dépenses, étant donné que les jeunes travailleurs qui perdent leur emploi dépendent de prestations d’assurance-emploi en guise de revenu pour une période limitée pendant les périodes de chômage. En revanche, les retraités touchent des prestations de sécurité sociale et peuvent puiser dans leur épargne-retraite (p. ex., régime 401k, pensions, etc.) pour continuer à consommer. En fait, le patrimoine de la génération des baby-boomers totalise près de 75 000 milliards de dollars. Nous sommes d’avis que les dépenses des retraités seront bénéfiques à la croissance.



Le nombre de retraités aux États-Unis a atteint le chiffre stupéfiant de 52,8 millions de personnes en 2025, contre 39,6 millions en 2015. Ce qui est encore plus impressionnant, c’est que cette augmentation continue de s’accélérer.

Le nombre de départs à la retraite a bondi à plus de 1,7 million en 2025, après une moyenne de 1,2 million par an entre la crise financière mondiale et la pandémie. Cette différence de 500 000 ne semble pas alarmante compte tenu de la population active de 160 millions de travailleurs, mais si nous considérons la demande de travailleurs de remplacement, la récente croissance de la masse salariale devient impressionnante. La demande de travailleurs de remplacement désigne simplement la demande de main-d’œuvre qui se crée lorsqu’un travailleur quitte la population active, ce qui, dans ce cas, est attribuable aux départs à la retraite. Avec 1,7 million de départs à la retraite par année, il faudrait embaucher près de 142 000 personnes par mois pour que la masse salariale parvienne à l’équilibre. En d’autres termes, un gain de 150 000 emplois par mois en 2025 représente un plus grand nombre d’embauches par les entreprises qu’un gain de 150 000 en 2015.



Un autre paramètre à examiner est le ratio des retraités par rapport aux nouveaux arrivants sur le marché du travail qui n’ont pas d’emploi (c.-à-d. les personnes à la recherche de leur premier emploi). En données annuelles, ce ratio s’est maintenu à un pour un environ entre 1970 et 2010. Cependant, depuis 2010, les départs à la retraite des baby-boomers ont porté le ratio à près de trois pour un. En résumé, il semble que les chances des chômeurs pour trouver un emploi sont rehaussées par le nombre de postes vacants créés par les départs à la retraite. Fait intéressant, même si nous ajustons le taux des postes vacants pour tenir compte de la demande de travailleurs de remplacement (c’est-à-dire en excluant les départs à la retraite et les démissions), les données indiquent que la demande de nouveaux emplois (c.-à-d. la création d’emplois reflétée dans la croissance de la masse salariale) demeure robuste. En revanche, le taux de création d’emplois a été négatif pendant la crise financière mondiale.

À l’heure actuelle, le taux global de participation à la population active de 62,4 % est très bas par rapport aux données historiques, mais ce n’est pas le cas dans la population en âge de travailler (de 25 à 54 ans) où il est proche d’un sommet historique de 83 %. Autrement dit, le marché du travail a probablement puisé tous les travailleurs disponibles dans la population en âge de travailler.



La tendance la plus récente de Southwest (SW) Land Border Encounters, qui est un indicateur de l’immigration de personnes sans papiers, est stupéfiante : le nombre d’arrivées à la frontière n’a jamais été aussi bas.

Pendant le premier mandat de Donald Trump, le nombre d’arrivées à la frontière du sud-ouest des États-Unis avait chuté de près de la moitié entre 2016 et 2017, mais à l’époque le volume annuel avoisinait les 600 000 immigrants. Plus récemment, les arrivées ont atteint un sommet d’environ 2,5 millions par an en 2022 et 2023, avant de ralentir sensiblement en 2024 avec une chute d’environ un million. Mais en 2025, l’afflux d’immigrants devrait tomber à son niveau le plus faible jamais enregistré jusqu’à présent, en raison des politiques d’immigration qui dissuadent les étrangers d’entrer aux États-Unis.



À court terme, l’imposition de contraintes plus strictes ou de mesures dissuasives face à l’immigration pourrait faire perdurer les pénuries de main-d’œuvre dans des secteurs spécifiques (l’agriculture, la construction, les loisirs et l’hôtellerie) et entraîner une nouvelle accélération de l’inflation des salaires. Dans ce scénario, nous nous attendons à ce que le nombre de postes vacants reste élevé (avec une possibilité de hausse), à ce que les salaires subissent des pressions haussières et à ce que la capacité de production diminue (notamment dans le secteur des services), ce qui impliquerait des prix plus élevés pour répondre à la demande.

L’équilibre entre l’offre et la demande sur le marché du travail sera également mis à l’épreuve, car le taux de participation des travailleurs nés à l’étranger sur le marché du travail est plus élevé que celui des travailleurs nés sur le sol national. Le taux de chômage naturel devrait donc baisser encore plus, étant donné que l’équilibre du marché du travail deviendra encore plus tendu et que l’offre de travailleurs étrangers diminuera. De plus, les répercussions à long terme sur la croissance pourraient s’aggraver en raison de la baisse du taux de natalité et du ratio de dépendance, du fait de la réduction de l’immigration..



Il existe de nombreuses raisons de ne pas faire partie de la population active, mais la question encore plus importante est de savoir si les États-Unis parviendront à réintégrer plus de travailleurs parmi ceux qui sont actuellement sans emploi.

Nous ne le croyons pas. En effet, près de 94 % des personnes qui ont quitté la population active indiquent qu’elles ne veulent pas travailler. Comme nous l’avons mentionné plus haut, la population en âge de travailler a atteint un plafond, donc la capacité à trouver plus de travailleurs est limitée. Compte tenu des situations individuelles (santé, famille, situation militaire, études, etc.), il y aura toujours des personnes non disponibles pour travailler à un moment donné, même si elles le voulaient. La garde d’enfants est l’une des raisons les plus invoquées pour ne pas pouvoir travailler, mais un nombre croissant de familles doivent aussi prendre soin de parents vieillissants. Fait intéressant, le problème est aggravé par le ralentissement des flux d’immigration : les soins aux aînés reposent fortement sur les travailleurs nés à l’étranger.



Nous ne le croyons pas. En effet, près de 94 % des personnes qui ont quitté la population active indiquent qu’elles ne veulent pas travailler. Comme nous l’avons mentionné plus haut, la population en âge de travailler a atteint un plafond, donc la capacité à trouver plus de travailleurs est limitée. Compte tenu des situations individuelles (santé, famille, situation militaire, études, etc.), il y aura toujours des personnes non disponibles pour travailler à un moment donné, même si elles le voulaient. La garde d’enfants est l’une des raisons les plus invoquées pour ne pas pouvoir travailler, mais un nombre croissant de familles doivent aussi prendre soin de parents vieillissants. Fait intéressant, le problème est aggravé par le ralentissement des flux d’immigration : les soins aux aînés reposent fortement sur les travailleurs nés à l’étranger.



L’un des facteurs cycliques défavorisant la cohorte actuelle de jeunes diplômés est l’écart des compétences.

En général, les jeunes diplômés font concorder leur parcours académique avec les occasions d’emploi : les diplômés en soins infirmiers ont tendance à travailler dans le secteur des soins de santé, les titulaires de MBA dans la finance, et les informaticiens dans la technologie. La vague de nouveaux arrivants à la recherche d’un emploi est plus petite que la cohorte de retraités qui quittent le marché du travail, mais le principal problème en ce moment est celui de la concordance ou non-concordance entre les compétences des travailleurs et celles qui sont exigées pour pourvoir les postes vacants.

Les inadéquations géographiques peuvent aussi jouer un rôle majeur dans les écarts de compétences, et la situation actuelle du marché du logement y est probablement pour beaucoup. Tandis que les inadéquations géographiques peuvent être surmontées assez rapidement, les écarts de compétences sont beaucoup plus difficiles à combler. Pensez au temps nécessaire pour achever une formation : bon nombre d’emplois exigent des diplômes d’études postsecondaires qui impliquent des études de deux à quatre ans.

Par conséquent, il est peu probable que les pénuries que nous connaissons en 2025 soient comblées d’ici l’an prochain à l’aide d’un bassin de travailleurs correctement formés. Pour les travailleurs, cela signifie qu’ils devraient accepter des emplois ne correspondant pas à leurs études (c.-à-d. être sous-employés) et des salaires inférieurs à ceux qu’ils pourraient obtenir dans leur filière de formation. Cette situation renforce certaines tendances que nous observons actuellement, par exemple la hausse des prêts étudiants en souffrance, ce qui crée un risque de baisse de la consommation.



Les personnes dont la situation d’emploi est la moins favorable sont aussi touchées par une nouvelle tendance. La cohorte n’ayant pas de diplôme d’études secondaires affiche un taux de chômage de 5,7 %, l’un des plus bas jamais enregistré. L’une des raisons est la possibilité pour les travailleurs âgés de travailler plus longtemps dans le secteur des services, contrairement aux travailleurs qui occupent des emplois manuels (p. ex., construction, fabrication, etc.), qui tendent à prendre leur retraite plus tôt. Cela signifie que les créations de postes sur le marché du travail actuel profitent aux travailleurs acceptant d’occuper des emplois qui ne correspondent pas habituellement aux diplômes d’études supérieures.



Nous soutenons depuis longtemps que les départs à la retraite constituent un avantage caché pour l’économie américaine. En plus de contribuer à maintenir le taux de chômage à un niveau faible, cette tendance marque un changement fondamental dans le comportement des personnes après leur départ.

Dans cette optique, nous considérons que les retraités représentent un facteur positif pour la consommation, car ils ont souvent un taux d’épargne personnelle moins élevé, consacrent une plus grande partie de leur revenu aux services (particulièrement aux soins de santé) et ont tendance à dépenser une partie de leur épargne-retraite (par opposition au revenu du travail). Par conséquent, nous devons changer notre manière de voir le taux d’épargne personnelle.

Toutefois, cette cohorte comporte des risques, le plus important étant l’effet de richesse. Cet effet pourrait contrarier de deux façons l’avantage lié aux départs à la retraite. Tout d’abord, certains travailleurs âgés reportent leur départ à la retraite, car ils deviennent plus prudents vis-à-vis de leur épargne, ce qui diminue la demande de travailleurs de remplacement et la quantité de postes disponibles pour les nouveaux arrivants sur le marché du travail. Deuxièmement, les retraits de l’épargne-retraite signifient une diminution des dépenses de cette cohorte de plus en plus importante. Il est essentiel de prendre en compte les facteurs cycliques qui joueront en faveur ou en défaveur de la vague massive de départs à la retraite pour comprendre comment la Réserve fédérale pourrait réagir dans les mois à venir, surtout si le marché du travail continue de montrer des signes d’affaiblissement. De façon plus générale, ces tendances détermineront la trajectoire de l’économie américaine au cours de la prochaine décennie.


Mike Reid est économiste principal, États-Unis, à RBC. Il est chargé d’établir les perspectives économiques de RBC pour les États-Unis, de commenter les indicateurs macroéconomiques et de rédiger des analyses concernant le contexte économique.

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