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L’IA bouleverse le marché du travail au Canada

Les nouvelles technologies ont rarement supprimé des emplois. Par contre, elles ont eu une incidence sur divers types de travail qui ont disparu au fil du temps.

Lorsqu’une technologie élimine d’anciennes façons de faire, comme actionner un ascenseur, elle crée de nouvelles possibilités.

Le gouvernement canadien a récemment annoncé qu’il investirait plus de 2 milliards de dollars dans une stratégie améliorée sur d’IA, afin de stimuler la productivité et d’accroître la capacité dans le domaine.

Quelles seront les répercussions de l’adoption de l’IA sur nos emplois?

L’IA pourrait inaugurer une ère de nouvelles compétences qui créeront de la valeur pour la société. Toutefois, il faut que le Canada soutienne sa main-d’oeuvre.

Pour atténuer les perturbations que la montée de l’IA provoque dans les emplois, nous devons investir dans les compétences et l’éducation. Nous pourrons ainsi assurer une transition en douceur vers un avenir propulsé par l’IA.

Cette révolution technologique suscite des émotions positives et négatives.

Elon Musk a dit de l’IA que c’était la « force la plus perturbatrice de l’histoire » et prédit la disparition du travail.

Alors que les inégalités se creusent depuis des décennies, l’IA pourrait doter un plus grand nombre de personnes d’outils plus efficaces pour accomplir des tâches à forte valeur ajoutée. Et dans un pays qui peine à améliorer sa productivité, nous avons l’occasion de réinventer l’expertise, car ce n’est pas la technologie elle-même qui décide de ses applications, mais les humains.

Comment pouvons-nous nous préparer aux bouleversements à venir dans notre travail?

Pour en parler, John Stackhouse a invitée David Autor, économiste, spécialiste des politiques publiques et professeur au Massachusetts Institute of Technology (MIT). Il est l’auteur du livre The Work of the Future Building Better Jobs in an Age of Intelligent Machines et de recherches innovatrices sur les répercussions de l’automatisation sur les emplois, les facettes du changement technologique axé sur les compétences et le rôle central de l’éducation et des politiques dans la formation de la main-d’œuvre de demain.

Intervenant 1 [00:00:01] Bonjour, ici John. À moins que vous soyez passablement coupé du monde parce que vous êtes en train de faire une sorte de cure de désintoxication numérique, vous seriez censé savoir que l’année en cours est celle de l’IA, et plus particulièrement de l’adoption de l’IA. Il ne se passe pas une semaine sans que l’une des plateformes dévoile un nouvel outil d’IA appelé à transformer notre façon de vivre, de penser, de partager, et même de jouer dans l’univers numérique. Le gouvernement du Canada s’est joint au bal dans le cadre de son budget récent en annonçant de nouveaux investissements totalisant 2,4 milliards de dollars afin de soutenir la puissance de traitement du pays et d’aider les Canadiens à tirer profit de cette nouvelle ère. L’objectif visé est clair : stimuler l’innovation et la productivité, et en fait, il se pourrait que tout cet argent ne suffise pas. Au début de mars, j’ai passé une fin de semaine dans un endroit très près de la Silicon Valley en compagnie de certains des penseurs et des acteurs les plus influents du secteur nord-américain de l’IA : des chefs d’entreprise, des investisseurs, des spécialistes de la technologie et des responsables de la réglementation qui tentent de comprendre où tout cela mène, ainsi que d’entrevoir une convergence possible entre les humains et des machines qui sont appelées à changer, pourrait-on dire, pratiquement tout. Tout cela peut sembler un peu farfelu, ou même relever de la science-fiction, mais cela touche une foule de questions relatives au monde d’aujourd’hui et à la façon dont l’IA influe sur notre vie et nos emplois. L’une des voix les plus intéressantes que j’ai entendues lors de cette retraite est celle de mon invité d’aujourd’hui, l’économiste réputé David Autor, spécialiste de l’économie du travail au MIT, qui a consacré sa carrière à l’étude de l’incidence de la technologie sur l’emploi et l’économie. Les opinions, voire les émotions, suscitées par les conséquences possibles de l’IA sont variées, allant de la crainte à l’enthousiasme. Qu’en pense David ? Selon lui, tout ira bien à condition que nous nous préparions. Comment pouvons-nous nous préparer et préparer la population active ? Quel effet l’IA aura-t-elle sur le travail des cols blancs et la classe moyenne ? Et comment pouvons-nous nous assurer que les effets de l’IA seront positifs plutôt que destructeurs ? Ce ne sont là que quelques-unes des questions que nous comptons aborder, d’un point de vue très humain, dans notre conversation. Bienvenue au balado « Les innovateurs », de RBC. Mon nom est John Stackhouse. Si vous n’avez pas entendu parler de David Autor, vous devriez remédier à cette lacune. C’est un économiste brillant qui est chercheur et professeur en politique publique au Massachusetts Institute of Technology, à Cambridge, dans la banlieue immédiate de Boston. Il a écrit le livre The Work of the Future : Building Better Jobs in an Age of Intelligent Machines. Il a publié des recherches révolutionnaires ayant trait à l’impact de l’automatisation sur l’emploi, aux nuances du changement technologique influencé par les compétences, ainsi qu’au rôle vital de l’éducation et des politiques dans la création de la main-d’œuvre de demain. Bienvenue aux Innovateurs, David.

Intervenant 2 [00:02:40] Merci beaucoup de m’accueillir à votre émission.

Intervenant 1 [00:02:42] Comme nous allons discuter d’IA, il est difficile de ne pas commencer par parler un peu de ce qu’a dit Elon. Je vais donc mentionner certaines choses qu’il a dites lors d’une entrevue avec le premier ministre britannique il n’y a pas très longtemps. Il a parlé de l’intelligence artificielle comme de la force perturbatrice la plus importante de l’histoire. Il a même dit qu’un moment viendrait où aucun emploi ne serait nécessaire. Est-ce vrai ou faux ?

Intervenant 2 [00:03:04] C’est faux. Nous aurons beaucoup d’emplois. En fait, nous ne devrions pas nous inquiéter au sujet de la quantité d’emplois. Notre inquiétude devrait porter sur la qualité des emplois, sur le type d’expertise que les emplois utiliseront, sur la qualité de la rémunération, et sur la possibilité d’avoir un emploi offrant une sécurité économique. Et tout cela ne dépend pas simplement de l’IA elle-même, mais plutôt de la façon dont nous l’utilisons. C’est une technologie. Pas une entité vivante. Elle n’a pas le pouvoir de décider de la façon dont elle sera utilisée. Et nous avons beaucoup de pouvoir en ce qui a trait à la décision d’utiliser l’IA principalement pour remplacer des travailleurs et automatiser des choses, ou plutôt pour rehausser la valeur de l’expertise humaine et créer des capacités que nous n’avons pas encore.

Intervenant 1 [00:03:38] David, vous êtes un extraordinaire étudiant de l’histoire, et je vous suis depuis des années. En fait, vous m’avez aidé à ouvrir les yeux sur le fait que, depuis deux siècles, la technologie n’a jamais entraîné une diminution du nombre d’emplois. Elle a habituellement mené à une augmentation du nombre d’emplois, et souvent à de meilleurs emplois. Je travaille pour une banque, et notre secteur a inventé le guichet automatique, une innovation qui, croyait-on, était censée éliminer des milliers d’emplois. Et effectivement, d’un certain point de vue, cela s’est concrétisé. Mais le secteur emploie aujourd’hui plus de gens, et cela, pourrait-on dire, dans de meilleures conditions et pour faire un travail mieux rémunéré et plus productif que jamais auparavant.

Intervenant 2 [00:04:09] Cela ne veut pas dire qu’il y a eu des gains sur tous les plans, n’est-ce pas ? De telles évolutions ont un effet perturbateur important. Durant la révolution industrielle, les « luddites » qui se sont révoltés contre l’utilisation de métiers à tisser mécaniques n’avaient pas tort, car la technologie détruisait la valeur de leur expertise, leur enlevait leur moyen de subsistance. De façon similaire, le processus d’informatisation des 40 dernières années a frappé très durement des emplois des classes moyennes, déplaçant un grand nombre de travailleurs qui occupaient jusque-là des emplois de bureau, de production ou de soutien administratif. Je crois que l’IA aura elle aussi un effet perturbateur. Il serait faux de croire qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter. Mais je pense que les inquiétudes des gens sont orientées vers la mauvaise cible. À l’heure actuelle, si nous regardons autour de nous, nous voyons dans tous les pays riches qu’il y a un manque de travailleurs – pas un manque d’emplois. Le problème, ce n’est pas l’emploi, mais plutôt de savoir quel type de travail nous ferons.

Intervenant 1 [00:04:50] Qu’en est-il des gens dont l’emploi pourrait être perturbé ou même éliminé ? Est-ce qu’il s’agit simplement du prix à payer pour le progrès technologique ? Ou existe-t-il de meilleures façons d’effectuer la transition et de transformer le travail ?

Intervenant 2 [00:05:03] Il existe de meilleures façons. Et certains pays s’en tirent beaucoup mieux que d’autres dans ce genre de contexte. Par exemple, durant la période marquée par le choc commercial chinois dans les années 2000, les États-Unis ont perdu plus d’un million d’emplois manufacturiers au profit de la Chine. Les gens ont énormément souffert de cette situation et les collectivités ont mis beaucoup de temps à s’en remettre. Toutefois, dans d’autres pays, un déclin similaire du secteur manufacturier n’a pas des conséquences aussi catastrophiques. Le Canada est l’un de ces pays, soit dit en passant. On peut aussi mentionner le cas du Danemark, où les investissements dans la formation des travailleurs et l’activation des compétences se chiffrent à environ 3 % du PIB – soit dix fois plus qu’aux États-Unis –, et où l’on n’observe que très peu de conséquences négatives durables. En somme, il est presque inévitable qu’il y ait certaines perturbations. Mais de quelle façon soutenons-nous les travailleurs qui vivent ces transitions ? Quelles sont les nouvelles possibilités qui s’ouvrent ? Et à quelle vitesse le changement se produit-il ? Tout cela dépend largement des politiques publiques et des investissements.

Intervenant 1 [00:05:54] Le gouvernement du Canada vient d’affecter plus de 2 milliards de dollars à une stratégie d’IA améliorée. C’est une somme substantielle, particulièrement en période de restrictions budgétaires. Une bonne partie de cet argent sera affecté à la technologie, aux capacités de traitement et au soutien de la recherche. À quoi devons-nous être attentifs si nous voulons nous assurer que ces 2 milliards de dollars contribueront non pas à supprimer des emplois, mais bien à améliorer les choses ?

Intervenant 2 [00:06:18] Tout dépend selon moi de la façon dont les fonds seront utilisés. Si j’étais responsable des décisions – ce qui n’est pas le cas, bien sûr, ni aux États-Unis ni au Canada –, je voudrais me tourner vers certains défis d’envergure. Le secteur de la santé est un secteur où l’IA pourrait avoir des effets bénéfiques énormes, non seulement en ce qui a trait à la qualité des soins, mais aussi au type de travail qui se fait. Et il y a toujours une demande illimitée de soins de santé. Les listes d’attente sont longues. Les soins coûtent cher. Nous pourrions améliorer les perspectives offertes aux travailleurs de ce secteur tout en répondant aux exigences des consommateurs, et il n’y aurait aucune conséquence négative sur l’emploi. Et bien sûr, il s’agit d’argent du secteur public. C’est une raison supplémentaire pour l’utiliser judicieusement. Il est bon d’avoir une vision de ce que l’on cherche à accomplir. Et selon moi, la vision de la Silicon Valley – comme vous et moi l’avons constaté directement au cours des colloques auxquels nous avons participé ensemble récemment – est une vision essentiellement centrée sur la suppression de main-d’œuvre. Les tenants de cette vision disent constamment qu’ils vont éliminer la rareté. Bien sûr, ils ne veulent pas dire éliminer la rareté à tous les points de vue. Même avec toute l’IA du monde, on ne créera pas plus de propriétés au bord de la mer à Monterey, en Californie. On réduira simplement la rareté de la main-d’œuvre. Cependant, réduire la rareté de la main-d’œuvre ne serait pas censé être notre objectif. La rareté de la main-d’œuvre est en fait une réalisation. Dans la plupart des pays riches, la rémunération de la main-d’œuvre représente environ de 55 % à 65 % de l’ensemble du revenu national. Et donc, nous devrions nous efforcer de mieux utiliser la main-d’œuvre, et non chercher à l’affaiblir. Ce n’est pas un type de rareté que nous devrions chercher à éliminer. Parce que dire qu’il faut éliminer toute rareté de main d’œuvre, cela voudrait dire qu’il faut éliminer tous les emplois. Je ne pense pas que ce soit faisable. Et je ne pense pas non plus que ce soit souhaitable. Ce n’est pas l’objectif que nous devrions chercher à atteindre. Je crois que beaucoup de gens pensent – c’est une attitude très naturelle – que l’utilisation de la technologie vise à automatiser des choses. Quand une nouvelle technologie apparaît, on se demande : quelles sont les choses que nous faisions manuellement jusqu’ici et qui pourront maintenant être confiées à une machine ? Mais en fait, l’automatisation n’est qu’une très petite part de ce que nous faisons avec une nouvelle technologie. Et ce n’est pas là que se situent la plupart des avantages. Si nous pouvions retourner à l’époque de la Grèce ancienne et automatiser tout ce que les gens faisaient il y a 3 000 ans, cela ne nous donnerait pas l’équivalent de la ville d’Ottawa d’aujourd’hui. Cela nous donnerait la Grèce ancienne sans chevaux. La plupart des utilisations de la technologie qui procurent de la valeur tiennent aux nouvelles capacités qui sont créées – et qui permettent de faire des choses qui n’étaient tout simplement pas possibles sans ces outils. Notre vie est transformée en profondeur par la technologie. Toutefois, cette transformation tient moins à l’automatisation qu’à toutes les capacités que nous créons grâce à la technologie. L’IA présente clairement une large part de ce potentiel. Elle peut transformer notre façon de faire des recherches. Elle peut transformer l’éventail des aptitudes à posséder ou des tâches pouvant être accomplies. C’est un formidable outil de soutien à la décision. Voilà la façon dont nous devrions l’utiliser, plutôt que de simplement penser à ce que nous pourrions éliminer.

Intervenant 1 [00:08:50] Je crois que je vais citer ici ce que vous avez dit, David, lorsque vous avez mentionné que le microscope n’avait éliminé aucun emploi, et qu’il faut plutôt songer à tout ce qu’il a rendu possible.

Intervenant 2 [00:08:57] Oui. Et on peut même dire que le microscope électronique à balayage n’a pas éliminé la tâche consistant à observer les particules subatomiques, puisque nous ne pouvions tout simplement pas voir ces particules avant d’avoir des microscopes électroniques à balayage. C’est aussi vrai pour la capacité de voler. L’invention de l’aéronef n’a pas éliminé notre façon de voler en agitant les bras pour nous déplacer d’un endroit à l’autre. Nous ne volions tout simplement pas avant l’aéronef.

Intervenant 1 [00:09:17] Beaucoup de ceux qui plaident en faveur de l’IA disent que l’intelligence artificielle générative, en particulier, est différente. Celle-ci permettra à des machines de remplacer diverses activités humaines, y compris des catégories d’emploi entières. Voyez-vous cette technologie différemment des technologies transformatrices qui l’ont précédée ?

Intervenant 2 [00:09:34] D’abord, l’IA générative est différente des autres technologies ; en fait, chaque technologie est différente de toutes les autres. Il est clair que l’IA générative peut faire des choses que les technologies précédentes ne pouvaient pas faire. Avant l’IA, l’informatisation était extrêmement efficace pour appliquer des règles et des procédures rigoureuses d’une façon qui, auparavant, aurait exigé un niveau de formation poussé. C’était excellent pour les décideurs et les professionnels, pour qui il est extrêmement utile d’avoir accès à de l’information et à des analyses. Et de toute évidence, ce n’était pas particulièrement utile pour les gens dont le travail consistait principalement à taper, classer ou copier des documents, ou à effectuer un travail répétitif sur une chaîne de montage. Par conséquent, l’IA générative aura sûrement pour fonction de compléter ou de remplacer différents ensembles d’activités. Elle excelle particulièrement pour ce qui est de créer un lien entre des renseignements, des règles, et aussi, en quelque sorte, le jugement et l’expérience afin de soutenir la prise de décision. Qu’il s’agisse de lire des radiographies, de rédiger certains types de documents, ou même d’effectuer une réparation spécialisée, le fait d’avoir accès à une sorte de copilote peut être très utile dans de nombreuses tâches. En somme, cette technologie éliminera sûrement certaines tâches. Je ne conteste pas cela. Il est clair que certains types de tâches de prise de décision, de tâches de gestion et de tâches faisant appel au jugement seront automatisées. Par exemple, Amazon ne confie plus à des employés la tâche de faire les projections d’inventaire. Traditionnellement, c’était un type de tâche pour lequel on se servait à la fois de renseignements, de son jugement et, pourrait-on dire, de son intuition pour prendre des décisions. Les machines excellent dans ce genre de tâche. C’est vrai. En revanche, j’aime penser – et je crois avoir raison de le faire – que nous pouvons utiliser les mêmes outils pour permettre à des gens de faire une partie de ce travail difficile. Si on réfléchit un instant à la définition du travail d’expert, on réalise qu’il s’agit de travail faisant appel au jugement pour s’attaquer à des problèmes uniques liés à des enjeux élevés. Par exemple, cela peut signifier réfléchir à la façon de procéder pour traiter un patient atteint de cancer. Ou concevoir un logiciel. Ou refaire l’installation électrique d’une maison. Ou faire atterrir un avion dans des conditions difficiles. Pour toutes ces tâches, vous devez évidemment posséder certaines connaissances formelles. Vous devez aussi avoir une solide expérience. Et vous devez appliquer ces connaissances formelles et cette expérience dans ce cas précis afin de prendre la bonne décision. Et il y a d’importants avantages à prendre une bonne décision, et d’importants désavantages à prendre une mauvaise décision, autrement dit un coût élevé. Si vous êtes un ouvrier professionnel compétent, c’est cette capacité qui justifie vos honoraires élevés. Par exemple, si vous êtes très bien payé en tant que couvreur, ce n’est pas parce que vous êtes habile pour planter des clous. C’est parce que vous savez comment installer une toiture qui ne fuira pas. L’IA est très efficace pour soutenir le travail d’expert. Elle ne prend pas nécessairement toujours les bonnes décisions, mais elle peut contribuer à guider les décisions. Par exemple, dans un contexte médical, elle pourrait dire : « Cet ensemble de symptômes peut être associé aux problèmes de santé suivants. Avez-vous envisagé la possibilité de ces diagnostics ? » L’IA pourrait aussi dire : « Attention. Évitez de prescrire ces deux médicaments ensemble ; leur interaction produit un effet négatif. » Cela ne signifie pas que vous ne devez pas confier ce travail à une infirmière praticienne ou à un médecin. Cela signifie cependant que d’autres personnes seraient elles aussi en mesure de faire ce travail si elles étaient guidées de la sorte.

Intervenant 1 [00:12:21] Certains diront que cette approche va dans le sens de l’idée de créer une expertise « de masse », et que s’il y a une expertise de masse, peut-être qu’il n’y a pas d’expertise : nous sommes tous experts en tout. Est-ce la fin de l’expertise ?

Intervenant 2 [00:12:34] Non, je ne pense pas. Mais c’est une ère différente pour ce qui concerne l’expertise. Définissons ce que nous entendons par expertise. L’expertise, c’est le savoir-faire ou les compétences spécifiques qui permettent d’accomplir une tâche importante qui doit être accomplie. Pour qu’une caractéristique compte véritablement comme expertise dans le marché du travail, deux conditions doivent être réunies. En premier lieu, il faut que cette caractéristique soit utile pour faire une autre chose qui a de la valeur. Donc, cela peut être des connaissances en science des données, mais pas un talent pour les tours de cartes. En second lieu, il doit y avoir une rareté. Comme vous l’avez dit il y a un instant, si nous sommes tous des experts, personne n’est un expert. Pensons aux emplois de contrôleur aérien et de brigadier scolaire. Essentiellement, le travail est le même dans les deux cas. Le but est de prévenir des collisions. Toutefois, aux États-Unis, les contrôleurs aériens touchent un salaire plus de quatre fois supérieur à celui des brigadiers scolaires. La raison de cet écart n’a rien de mystérieux, mais elle ne concerne pas la valeur sociale du travail. Si nous devions verser aux brigadiers scolaires le même salaire qu’aux contrôleurs aériens pour empêcher que nos enfants se fassent frapper sur le chemin de l’école, nous le ferions sûrement. Ils font un travail qui a une valeur élevée. Toutefois, on peut travailler comme brigadier scolaire dans pratiquement n’importe quel État américain sans devoir obtenir un permis d’exercice ou suivre une formation. Par comparaison, il faut des années de formation pour devenir contrôleur aérien. Il faut étudier dans un collège où l’on forme les futurs contrôleurs aériens, puis travailler comme apprenti pendant des centaines ou des milliers d’heures. Voilà ce qu’est l’expertise. Dans certains domaines, l’IA éliminera directement la nécessité de l’expertise. J’imagine que dans dix ans, l’IA effectuera le travail des contrôleurs aériens, ou la majeure partie de celui-ci. Mais dans beaucoup d’autres domaines, ce ne sera pas le cas. L’IA viendra compléter le rôle du jugement, mais n’aura pas pour effet de le rendre inutile. Parmi nous, beaucoup de gens écrivent. Et précisons simplement que la plupart des gens ne sont pas doués pour l’écriture et ne l’ont jamais été. Écrire est difficile. Mais la plupart des gens se font demander d’écrire des choses. Si cette technologie peut faire en sorte que plus de gens puissent communiquer plus efficacement, elle n’élimine pas le besoin qu’ont ces gens de communiquer, mais elle leur permet d’effectuer ce travail plus efficacement. En somme, je crois que certaines formes d’expertise perdront leur pertinence. Il s’agit d’expertise qui avait une valeur jusqu’ici, et qui perd maintenant cette valeur parce que la rareté de cette expertise a disparu. À une époque, pour être chauffeur de taxi à Londres, il fallait littéralement passer des années à mémoriser des choses. Maintenant, tout ce travail est fait par Waze, et le chauffeur peut se contenter de conduire, de sorte qu’une foule de gens peuvent faire ce travail. Cela dit, l’évolution des choses dépend en partie de la vision qu’on se donne. Cette technologie ne décide pas de la façon dont elle sera utilisée, et nous avons beaucoup de pouvoir à cet égard.

Intervenant 1 [00:14:36] Comment, en tant que société, pouvons-nous faire en sorte que l’orientation qui sera prise relativement à cette nouvelle technologie soit celle que nous désirons ? Vous avez mentionné à quelques reprises les possibilités qui s’offrent dans les soins de santé, en faisant référence aux vastes retombées positives qui en résulteraient pour la société. Toutefois, d’autres observateurs ont noté que malgré toute la puissance des médias sociaux et tout le bien qu’ils auraient pu faire dans le monde, ce qui en a résulté, en fait, est une forte augmentation du nombre de photographies d’amateur qui ont été prises, classées en catégories et partagées.

Intervenant 2 [00:15:01] (rires) C’est le scénario positif.

Intervenant 2 [00:15:04] Et beaucoup d’information fausse.

Intervenant 1 [00:15:05] Oui, et c’est seulement le marché à l’œuvre.

Intervenant 2 [00:15:09] Je suis d’accord. Et je ne pense pas que le marché puisse nous emmener véritablement jusqu’où nous voulons aller. Et je ne pense pas que les incitatifs soient correctement alignés. C’est la raison pour laquelle, lorsque vous m’interrogez au sujet de l’investissement majeur du Canada dans cette technologie, je dis que je souhaite qu’on oriente cette évolution. C’est en partie le rôle du gouvernement. Cela ne signifie pas que le gouvernement doit créer toute la technologie. Il doit simplement indiquer qu’il compte offrir des subventions ou des contrats en vue du développement de certaines choses ou en guise d’incitatifs. C’est aussi le rôle des universités, ainsi que des ONG. Vous savez, le monde du travail participe de près aux négociations qui concernent les façons dont la technologie sera utilisée, et cela a une incidence réelle sur les types de technologies qui sont développés. C’est également le rôle du secteur privé. Mais je pense aussi que l’évolution est fortement influencée par la vision des acteurs du développement technologique. La vision de ce qu’on essaie d’accomplir a un effet réel sur notre action. Définir un objectif ne signifie pas nécessairement qu’on l’atteindra ; toutefois, en général, les objectifs que l’on ne définit pas ne sont jamais atteints. Je crois que vous vous rappellerez que lors du colloque auquel nous avons participé tous deux, nous avons vu Sebastian Thrun, qui est à l’origine des véhicules sans conducteur et de la voiture Google. Il a en quelque sorte adressé des reproches à certaines personnes présentes dans la salle qui parlaient d’utiliser des robots, par exemple, pour laver la vaisselle. Pourquoi se limiter à une vision aussi étroite ? Pourquoi rester centré sur des tâches précises telles qu’on les fait déjà ? Il faut voir plus grand, n’est-ce pas ? Il ne s’agit pas simplement de mettre un robot à la place d’un humain pour certaines tâches. Il faut créer de nouvelles possibilités. J’ai trouvé cette approche inspirante.

Intervenant 1 [00:16:25] J’aimerais vous interroger au sujet de la classe moyenne, car vous avez beaucoup écrit et dégagé de profondes conclusions au sujet de ce que signifie cette évolution pour la classe moyenne. Vous avez mentionné le choc chinois et l’impact qu’il a eu dans de nombreuses collectivités ouvrières des États-Unis, dans les collectivités manufacturières. Quel est le risque que l’IA touche de façon similaire la classe moyenne, et en particulier les emplois de col blanc ?

Intervenant 2 [00:16:49] Les professionnels sont de loin les travailleurs les plus touchés par la concurrence de l’IA. Et en fait, selon moi, ce n’est pas une situation particulièrement terrible. Les professionnels sont les gens les mieux payés dans notre société, si l’on fait abstraction de quelques entrepreneurs. Une bonne partie de leur travail consiste à prendre des décisions et leur travail est considéré comme ayant une valeur très élevée, ce qui est compréhensible. L’informatisation a considérablement accru la valeur de ce qu’ils font, car ils peuvent maintenant prendre de meilleures décisions – sans oublier que dans bien des cas, les emplois des gens qui les soutenaient ont été automatisés, ce qui a eu comme conséquence que la valeur du travail des professionnels est devenue de plus en plus élevée. L’accroissement des inégalités est en partie le reflet de la hausse de la rémunération associée au fait d’avoir étudié dans un collège ou une université. Cela dit, je ne reproche à personne d’être bien payé. C’est une excellente chose. Cependant, la rémunération élevée de ces gens est un coût pour tous les autres, n’est-ce pas ? Ce coût est celui des services juridiques, celui des services médicaux. C’est le coût de l’éducation. Et la croissance de la productivité dans ces secteurs a été très lente. L’augmentation de notre prospérité à la suite de la Seconde Guerre mondiale tient dans une large mesure au fait que nous sommes devenus beaucoup plus efficaces en matière de production de biens : téléviseurs, appareils ménagers, voitures. Et ces biens coûtent beaucoup moins cher de nos jours. On peut maintenant acheter un téléviseur à un prix très bas. Cependant, le coût des services médicaux, des services juridiques et de l’éducation a augmenté – et une part énorme de nos budgets est affectée à l’éducation et à la santé. Ces coûts n’ont pas diminué parce qu’ils concernent un grand nombre de décideurs qui coûtent cher et dont la productivité n’augmente pas. Par conséquent, si la technologie peut, d’une part, rendre ces gens plus efficaces, mais aussi, d’autre part, permettre à un plus large éventail de personnes de faire ce travail, cela pourrait effectivement faire en sorte de diminuer un peu la rémunération des gens qui, comme moi, sont très bien payés. Cependant, si cela abaisse le coût de ces services et permet à plus de gens d’effectuer un tel travail ayant une grande valeur, ce sera un résultat très positif.

Intervenant 1 [00:18:28] Cela semble indiquer qu’il y aura à la fois une augmentation de valeur sur certains plans, et une diminution sur d’autres. Si un grand nombre de travailleurs de première ligne, de vendeurs, etc., deviennent des experts ou ont accès à toute l’expertise dont nous avons parlé plus tôt, ils pourront insuffler plus de valeur dans leur travail.

Intervenant 2 [00:18:41] C’est ce que j’aimerais voir. J’aimerais voir plus de travail ayant une valeur élevée être effectué par des gens qui ne sont pas des diplômés universitaires, ce qui, dans nos pays, est le cas de la majorité des adultes qui travaillent. Ces gens ont été confrontés à d’importantes difficultés ces 40 dernières années, car leur position dans la classe moyenne a été soumise à de sérieuses pressions. Et de plus en plus, bon nombre d’entre eux travaillent dans les services en personne, les services d’alimentation, le nettoyage, la sécurité, le divertissement, les loisirs. Ou ce sont les brigadiers scolaires dont nous avons parlé plus tôt. Tous ces gens font un travail qui a une grande valeur. Mais leur rémunération est faible parce qu’il ne s’agit pas d’un travail d’expert, parce qu’une foule de gens peuvent le faire et parce que ce travail n’exige pas beaucoup de qualification professionnelle ou de formation. Ce qui serait extraordinaire – car cela nous permettrait de savoir que nous réussissons – serait de voir plus de gens faire un travail ayant une valeur élevée même s’ils n’ont pas de baccalauréat. S’il devient possible pour plus de gens de faire un travail ayant une valeur élevée, en se servant de meilleurs outils, il s’agira d’une évolution extrêmement positive dans un monde qui a connu plus de quatre décennies de croissance des inégalités.

Intervenant 1 [00:19:35] Ainsi, toutes ces élites dont la prospérité est tributaire de l’activité de production – comme les avocats et les comptables, et ce n’est pas une critique à leur égard –, ces élites ne disparaîtraient peut-être pas, mais on commencerait à voir diminuer la rente économique que leur procurent les travailleurs de production de première ligne.

Intervenant 2 [00:19:50] Exactement. Cette rente économique diminuerait peut-être légèrement. Ça ne veut pas dire que ces élites auraient moins de valeur. Elles auraient tout simplement un peu plus de concurrents.

Intervenant 1 [00:19:56] Cela semble presque égalitaire.

Intervenant 2 [00:19:57] Ce serait le scénario positif (rires).

Intervenant 1 [00:19:59] La technologie n’a pas ce genre d’effet en général, n’est-ce pas ? Elle fait surgir des divergences plutôt que des convergences.

Intervenant 2 [00:20:03] En fait, cela varie avec le temps. L’époque industrielle, à partir d’environ 1890 jusqu’à 1970, a véritablement suscité l’apparition de la classe moyenne dans le monde. Ça a clairement été le cas pour la classe moyenne en Occident. Cela a permis à des gens ayant pour la plupart une éducation de niveau secondaire d’effectuer de nombreux types de tâches ayant une grande valeur dans des usines et des bureaux.

Intervenant 1 [00:20:21] Ils sont partis de la ferme et se sont installés en ville, où ils ont sans doute gagné trois fois plus d’argent que les générations qui les avaient précédés sur la ferme.

Intervenant 2 [00:20:27] Exactement. Et travailler à l’usine ou dans un bureau, c’est beaucoup moins exigeant physiquement, et beaucoup plus sécuritaire, que travailler sur une ferme. Et ça offre beaucoup plus de sécurité économique. Et donc, cela a très bien fonctionné. En fait, cela a donné lieu à une époque très fructueuse sur divers plans. Pas à tous les points de vue, mais certainement en ce qui a trait à la croissance de la classe moyenne. Les quatre dernières décennies n’ont pas été de ce type, et je crois que l’informatisation a contribué à cela. Toutefois, certains pays ont géré la situation mieux que d’autres, et le Canada n’a pas vu croître les inégalités autant que les États-Unis, et a également mieux maintenu les soutiens sociaux. Et donc, maintenant, nous sommes entrés dans une autre époque. Je ne veux pas faire de prédictions du genre : voici ce qui va arriver. Je parle essentiellement de ce que nous pourrions faire, de la possibilité qui s’offre à nous. Et je pense que cette technologie a des caractéristiques qui sont vraiment très différentes de celles de l’informatique conventionnelle. Si je vous disais : la technologie qui est à la fine pointe dans le monde est absolument extraordinaire, mais elle n’est pas fiable pour ce qui concerne les faits et elle n’est pas efficace en mathématiques. Vous répondriez : ça ne ressemble à aucune des technologies de pointe que je connais. Et vous auriez raison, car l’IA est vraiment une technologie très différente. Si on l’utilise bien, elle peut nous permettre de prendre des décisions à la fois meilleures et plus nombreuses. Or, de toutes nos tâches, la prise de décision est nettement celle qui a le plus de valeur. Et quand je parle de prise de décision, je ne parle pas de décisions sans conséquences, mais bien de décisions sur des questions importantes.

Intervenant 1 [00:21:39] Si vous regardez vers l’avenir, à quoi la classe moyenne que vous entrevoyez pourrait-elle ressembler dans une économie fondée sur l’IA ?

Intervenant 2 [00:21:44] Si nous faisons bien les choses, il y aura plus de gens qui n’auront pas étudié dans les environnements les plus élitistes, mais qui feront un travail d’expert et utiliseront pour cela de meilleurs outils. Le monde dans lequel nous ne voulons pas vivre est non pas un monde sans travail, mais un monde où il n’y a que des brigadiers scolaires. Je le répète, le travail d’un brigadier scolaire a une grande valeur. Mais si nous faisons un travail de non-expert – un travail que toute personne saine de corps et d’esprit peut faire relativement bien –, il ne sera pas bien rémunéré. La part du travail dans le revenu national chutera. Cela ne veut pas dire que l’argent serait brûlé. Il irait simplement aux propriétaires de capitaux, aux propriétaires de machines. Et je ne pense pas qu’un tel scénario soit aussi attrayant. Selon moi, un monde dans lequel une part importante du revenu provient du travail – ce qui est le cas dans le monde où nous vivons à l’heure actuelle – est un monde très intéressant. Dans une démocratie, on veut que les gens participent, et l’un des aspects de la participation est le fait de jouer un rôle actif dans la société. Et une bonne partie de cela tient à la capacité de générer des ressources. Les gens ont des revenus. Des marchés du travail robustes et des gouvernements démocratiques vont bien ensemble. Et sans une classe moyenne robuste, la démocratie a de la difficulté à bien fonctionner. Si tout l’argent est dans les mains de quelques personnes, qui le distribuent ensuite sous la forme d’un revenu universel de base, nous sommes essentiellement à la merci de ces personnes.

Intervenant 1 [00:22:57] Selon vous, quelles sont les aptitudes que les gens devront posséder et développer davantage pour prospérer dans une telle transformation ?

Intervenant 2 [00:23:05] Permettez-moi de vous donner deux réponses. Fondamentalement, le monde d’aujourd’hui est très différent de ce qu’il était à l’époque où j’ai fait mon cours secondaire. Les faits étaient rares, l’information était rare. Et il était très important de posséder de l’information. Maintenant, les jeunes vivent dans un monde qui est inondé d’information. Mais l’information n’est pas fiable. Elle est très incertaine : on ne parle pas de faits, mais de conjectures, de conspiration. Par conséquent, une aptitude très fondamentale à posséder est la capacité de travailler dans un environnement d’information abondante, mais incertaine, la capacité de tirer des conclusions valides, de raisonner par déduction et d’appliquer une approche analytique, statistique et scientifique dans le travail que l’on effectue dans cet environnement très complexe. Cela dit, je crois qu’à un niveau plus spécifique, dans pratiquement n’importe quel secteur du travail, il faut développer son jugement si l’on veut espérer exceller. Le jugement découle de l’expérience et de l’immersion. La plupart des emplois de professionnel sont des emplois dans lesquels il faut commencer par être apprenti – même si l’on n’emploie tout simplement pas le terme apprentissage pour désigner cette période. Par conséquent, si vous êtes médecin résident, ou professeur adjoint, ou avocat junior, vous êtes un apprenti. Et bien sûr, il y a aussi des périodes d’apprentissage dans de nombreux métiers et domaines. En somme, les gens développent le jugement nécessaire. Lorsqu’ils travailleront avec l’IA, ils continueront d’avoir besoin de ce jugement. Il faut voir l’IA comme un adjoint qui peut facilement se tromper. Cet adjoint semble toujours sûr de lui. Mais il n’a pas toujours raison. Et je ne pense pas que cette caractéristique va disparaître fondamentalement. Je ne pense pas que l’IA va devenir infaillible. Je ne pense pas que le problème d’hallucination va disparaître. En somme, il va falloir exercer du jugement pour utiliser cet outil. Je vous donne un exemple. Mes collègues Nikhil Agarwal et Tobias Salz, entre autres, ont réalisé une étude vraiment extraordinaire portant sur l’utilisation de l’IA par les radiologistes. Cela porte sur l’analyse de radiographies. C’est un type de tâche pour laquelle l’utilisation de l’IA est très pertinente, car il n’y a pas vraiment de règles coulées dans le béton. On est simplement, en quelque sorte, devant un tableau d’ensemble, et l’on essaie de se centrer sur certaines choses et de se demander : qu’est-ce qui me semble probable ici ? Dans ce contexte, l’IA est à peu près aussi efficace que 65 % des radiologistes pour faire une analyse s’appuyant uniquement sur les radiographies. Or, on a constaté que lorsque les médecins et les radiologistes travaillent ensemble, les médecins obtiennent de moins bons résultats. Leurs résultats inférieurs sont dus au fait qu’ils n’ont pas reçu de formation portant sur l’utilisation de cet outil. L’outil a des incertitudes, tout comme les médecins en ont, et il signale ses incertitudes. Il indiquera par exemple : j’ai un degré de certitude de 55 % qu’il s’agit d’un œdème. Ou qu’il s’agit d’une pneumonie. Et ainsi de suite. On constate que lorsque l’IA est incertaine, les médecins le sont habituellement eux aussi – et que lorsque l’IA a un fort degré de certitude, c’est habituellement vrai aussi pour les médecins. Mais ce qui a tendance à se produire, c’est que lorsque l’IA et le médecin sont incertains, le médecin s’en remet à l’opinion de l’IA ; par contre, lorsque le médecin et l’IA ont tous deux un fort degré de certitude, le médecin ne tient pas compte de l’opinion de l’IA si elle diffère de la sienne. Or, il s’avère que ni l’une ni l’autre de ces décisions ne semble être la bonne. En fait, lorsque l’IA n’est pas très certaine, son opinion n’est sans doute pas très fiable. Votre jugement est probablement plus fiable. Lorsque l’IA a un fort degré de certitude, vous devriez à tout le moins vous demander pourquoi un outil d’IA qui a vu des millions de radiographies a une opinion différente de la vôtre. Et vous devriez au moins tenir compte de ce fait. Donc, ça ne veut pas dire que cet outil ne peut pas être utile aux radiologistes. Toutefois, cela signifie, d’une part, qu’il faut avoir reçu une formation portant sur son utilisation, et, d’autre part, qu’il faut exercer son jugement. Nous allons nous habituer à considérer que ces machines peuvent se tromper, tout comme n’importe quelle personne avec laquelle nous travaillons peut se tromper. Nous devons savoir quand il est pertinent de nous fier à leur jugement, et quand il est pertinent de nous fier au nôtre. Par conséquent, je crois que dans nos interactions avec l’IA, nous devrons nous assurer de demeurer vigilants, de demeurer informés, et nous devrons savoir écouter, mais sans perdre notre esprit critique.

Intervenant 1 [00:26:20] David, j’aimerais encore vous soumettre deux questions afin de recueillir brièvement vos commentaires en terminant. La première vise à vous ramener dix ans en arrière ; la deuxième, à vous projeter dix ans dans l’avenir. Si vous vous reportez dix ans en arrière et regardez où nous en sommes aujourd’hui, qu’est-ce qui vous surprend ? Qu’est-ce que vous n’aviez pas entrevu au sujet du monde du travail du milieu des années 2020 ?

Intervenant 2 [00:26:36] Deux choses. L’une est que je pensais que les inégalités continueraient de s’accroître comme elles l’avaient fait jusque-là, mais en fait, elles ont marqué un plateau. Aux États-Unis, elles ont sensiblement diminué depuis la pandémie. Cela m’a surpris. Je ne l’avais pas prévu. L’autre chose est que je ne pensais pas que l’IA deviendrait si rapidement aussi performante. Je connaissais l’IA, car j’écris sur la technologie et les marchés du travail depuis longtemps, et je passe beaucoup de temps avec mes collègues du MIT qui travaillent dans le domaine de l’IA. Et ceux-ci étaient très divisés il y a dix ans au sujet de l’évolution future des choses. Certains étaient renversés de voir avec quelle rapidité les modèles prédictifs s’amélioraient. Par contre, d’autres disaient : non, le modèle a raison en moyenne, mais il se trompe dans chaque cas pertinent. C’est une avenue sans issue. Des rendements qui diminuent. Ça ne va nulle part. Or, il s’avère que le premier groupe avait raison. La technologie évoluait vraiment très rapidement. Donc, ça a été assez surprenant. Et je crois que c’est assez déstabilisant. Nous avons maintenant moins de certitudes au sujet de l’avenir que nous en avions il y a dix ans. Nous n’en avons pas plus.

Intervenant 1 [00:27:26] Transportez-nous dix ans dans l’avenir. Nous sommes au milieu des années 2030. Qu’est-ce qui a changé en ce qui a trait au travail et à la main-d’œuvre ?

Intervenant 2 [00:27:33] Eh bien, si nous faisons bien les choses, un plus grand nombre de gens verront les responsabilités liées à leur travail prendre de l’expansion, plutôt que se resserrer. Par exemple, les gens du secteur de l’assurance, qui travailleront avec une gamme de produits plus diversifiée. Les gens qui écrivent, car ils auront de meilleurs outils. Les gens du secteur de la médecine, où plus de gens effectueront du travail de diagnostic et de soutien, plutôt que de simples tâches de traitement liées aux dossiers. En outre, si tout se passe bien, nous assisterons aussi à une augmentation de la productivité. Et une meilleure productivité permet de régler de nombreux problèmes. Cela pourrait permettre de réduire quelque peu la semaine de travail. Dans les pays riches, nous avons d’importantes populations de gens de plus de 65 ans qui ont mérité de prendre leur retraite, et un plus petit nombre de travailleurs qui les soutiennent. Et donc, si nous avons une meilleure productivité, il sera plus facile d’assumer la responsabilité qui nous incombe de prendre soin de ces personnes. Je tiens à préciser que l’IA fera une foule de choses, et pas seulement dans le marché du travail. Par conséquent, lorsque j’ai des préoccupations relativement à l’IA, ce qui me préoccupe principalement, ce n’est pas l’élimination d’emplois, même si cette question me préoccupe. Je m’inquiète beaucoup plus des risques liés à la désinformation, au développement d’armes et au contrôle de systèmes critiques. Je suis un économiste spécialisé dans l’économie du travail, et je crois que, fondamentalement, la santé de la société passe par le bon fonctionnement du marché du travail. Et je crois qu’il est possible de bien faire les choses à cet égard.

Intervenant 1 [00:28:45] Nous garderons ces autres sujets en mémoire pour un épisode futur des Innovateurs. David, ça a été une conversation extraordinaire. Merci d’avoir participé aux Innovateurs.

Intervenant 2 [00:28:52] C’est un plaisir de discuter avec vous, John. Merci de m’avoir invité.

Intervenant 1 [00:28:57] Au cours de l’histoire, la technologie a rarement entraîné une réduction du nombre d’emplois, même si elle a clairement eu un impact sur une foule d’emplois qui ont disparu au fil du temps. Cela tient au fait que lorsque la technologie rend inutiles certaines façons de faire les choses, par exemple la tâche de faire fonctionner un ascenseur, on voit surgir de nouvelles possibilités. Mais pour que les choses se passent bien, nous devons investir dans les gens afin d’accroître la valeur de l’expertise et de faire en sorte que le travail effectué ait une valeur élevée. Que vous soyez optimiste ou pessimiste relativement à l’IA, rappelez-vous : la technologie ne décide pas de l’usage que nous en ferons. C’est à nous tous qu’il revient d’en décider. Nos auditeurs savent que l’IA et la promesse de la productivité ont constitué un thème récurrent au cours de cette saison. Et dans un pays qui est confronté à un défi de productivité, pour dire les choses sans crainte d’exagérer, nous devons comprendre de tels défis et les transformer en possibilités pour le Canada. Et rapidement. Avant de vous quitter, j’aimerais mentionner un autre point lié à la technologie. Vous avez probablement écouté notre émission d’aujourd’hui sur votre appareil mobile. Cependant, le balado « Les innovateurs » est maintenant aussi disponible dans le cadre des divertissements en vol offerts aux passagers d’Air Canada. Vous pouvez donc nous écouter où que vous soyez : au sol ou dans les airs. Je m’appelle John Stackhouse, et vous venez d’écouter le balado de RBC « Les innovateurs ». À bientôt.

Intervenant 3 [00:30:11] Le balado « Les innovateurs » est produit par le groupe Leadership avisé RBC et ne vise pas à recommander une organisation, un produit ou un service. Pour écouter d’autres balados de la série « Les innovateurs », consultez le site RBC.com/Lesinnovateurs. Si vous avez aimé notre balado, n’hésitez pas à nous octroyer une note de cinq étoiles.

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