Les technologies novatrices transforment le secteur des services, où l’expertise s’appuie sur des outils de pointe, dans le but d’en débrouiller les complexités et d’en réinventer la prestation.
Toutefois, dans les domaines soumis à une stricte réglementation, comme les services juridiques, l’innovation a souvent été accueillie avec réticence et résistance, jusqu’à ce que les percées de la technologie juridique provoquent un changement d’attitude.
L’informatique en nuage a métamorphosé la profession juridique et on s’attend à ce que l’IA aille encore plus loin, ouvrant la voie à un système juridique plus inclusif et plus efficace.
Quelles sont les répercussions de ces changements pour les cabinets d’avocats et leur clientèle?
Les services juridiques sont souvent complexes et les honoraires peuvent grimper rapidement. Les plateformes infonuagiques facilitent la collaboration à distance et simplifient les processus pour les cabinets d’avocats virtuels.
De plus, les outils qui exploitent l’IA pour automatiser les tâches courantes et améliorer les capacités de prise de décision pourraient rendre les services juridiques plus accessibles et plus efficaces.
Cette technologie n’en est encore qu’à ses balbutiements, mais il est clair qu’elle générera des retombées considérables sur la productivité.
L’IA signe-t-elle l’arrêt de mort de la profession d’avocat? À quoi ressemblera le cabinet d’avocats de l’avenir?
Dans cet épisode, nous accueillons Jack Newton, chef de la direction de Clio, une licorne du domaine de la technologie juridique et l’une des entreprises de technologie les plus prospères du Canada. Notre discussion portera sur les transformations que la technologie engendre dans le milieu juridique et l’incidence que cela aura sur l’accès à la justice.
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Speaker 1 [00:00:01] Bonjour. Ici John. J’ai récemment visité la Silicon Valley en compagnie de quelques-unes des sommités de l’intelligence artificielle (IA) aux États-Unis et au Canada, notamment des investisseurs, des ingénieurs et des dirigeants de certaines des plus grandes sociétés technologiques au monde. J’ai eu de nombreuses conversations, dont je parlerai dans les prochains épisodes. Nous avons entre autres discuté de la possibilité de voir à court terme l’IA générative accomplir des tâches humaines sans commande et de ce que nous devons faire en tant que société pour nous y préparer. Cette révolution de l’IA entraînera-t-elle un chômage généralisé ou une anarchie sociale? Ou donnera-t-elle lieu à un monde de surplus où les humains auront enfin la chance de réaliser les ambitions de l’humanité? Il est vrai que lorsqu’on entend parler de l’IA, on l’associe souvent à l’arrivée des robots. Tout le monde connaît le Terminator de James Cameron. Mais l’une des choses que j’ai retenues de ce voyage est qu’en réalité, le côté matériel de l’IA s’avère beaucoup plus complexe que les logiciels. Par conséquent, le travail des cols blancs est susceptible d’être plus perturbé par l’IA au cours des prochaines années que celui des cols bleus. L’IA, du moins pour l’instant, est davantage une question de puissance intellectuelle et moins une question de puissance physique. Cela signifie que certaines des occasions les plus intéressantes liées à l’IA demeurent dans le secteur des services, et l’un des volets les plus importants de ce secteur est le droit. Au cours de la dernière décennie, la technologie infonuagique a transformé la profession juridique, et ce n’est que le début. L’IA, combinée à l’infonuagique, devrait encore une fois transformer ce domaine. Que signifie donc cette transformation pour les avocats et leurs clients? Les innovateurs canadiens peuvent-ils se positionner comme des chefs de file? La profession d’avocat peut-elle être la prochaine à mettre l’IA en pratique? Vous écoutez Les innovateurs, un balado de RBC. Mon nom est John Stackhouse. Aujourd’hui, je suis en compagnie de Jack Newton, un technologue qui a étudié l’apprentissage machine et qui bâtit actuellement l’une des sociétés technologiques les plus prospères au Canada. Jack est chef de la direction et fondateur de Clio, une société « centaure » axée sur les technologies juridiques. Nous en apprendrons davantage sur ce terme plus tard. L’entreprise est établie au Canada et exerce ses activités à l’échelle mondiale. Jack est également l’auteur du livre à succès intitulé « The Client-Centered Law Firm », et anime son propre balado, « Daily Matters ». Jack, bienvenue au balado Les innovateurs.
Speaker 2 [00:02:23] Merci de l’invitation, John.
Speaker 1 [00:02:24] Jack, commençons par l’histoire des origines de Clio. Quelle a été l’étincelle?
Speaker 2 [00:02:29] L’étincelle remonte en 2007, lorsque j’ai compris que l’infonuagique allait être une vague transformationnelle extrêmement perturbatrice. À bien des égards, c’était très semblable à ce que l’on observe aujourd’hui avec l’IA; il semble que cette technologie changera tout. En 2007, l’infonuagique n’en était qu’à ses débuts, mais j’ai vu des sociétés comme Salesforce commencer à exploser. J’ai observé la société 37 signals et leur entreprise Basecamp, et j’ai eu l’impression qu’il y avait là une occasion en or, et que cela révolutionnerait la technologie dans tous les secteurs. J’ai alors communiqué avec mon meilleur ami d’enfance, Rian Gauvreau, pour lui faire part de cette thèse selon laquelle l’infonuagique allait jouer un rôle important. Je lui ai demandé son avis sur les domaines d’application qui pourraient être pertinents. À l’époque, Rian occupait le poste de gestionnaire des technologies de l’information (TI) au bureau de Gowling à Vancouver. Pour ceux qui ne connaissent pas Gowling, il s’agit de l’un des plus importants cabinets d’avocats au Canada. À l’époque, le personnel comptait environ mille avocats, et Rian m’a indiqué ce qui suit : « Cela fait totalement partie de ma réalité, mais je constate que les avocats ont vraiment de la difficulté à utiliser la technologie et qu’ils ne s’en servent pas très efficacement. Bien des logiciels qu’ils utilisent sont franchement mauvais. J’ai l’impression que c’est peut-être dans ce segment qu’il faudrait innover. » Voilà ce qui a donné naissance à l’idée de Clio. La question était de savoir où nous voulions appliquer cette nouvelle technologie. Nous avons découvert que le droit était, à bien des égards, l’un des derniers grands secteurs à avoir pratiquement fait fi de la révolution Internet. Beaucoup d’avocats travaillaient à l’époque comme s’ils étaient encore en 1980. Ces avocats, qui accomplissent un travail si important, ne tiraient pas parti de la technologie de façon à les aider à être productifs et influents.
Speaker 1 [00:04:18] C’est bien d’avoir dit « à l’époque » (au passé); il y avait une certaine distance entre les avocats et la technologie. Certains auditeurs se disent peut-être que c’est toujours le cas. Revenons dans un moment sur la situation de la profession juridique en ce qui a trait à sa relation avec la technologie. Mais d’abord, Jack, donnez-nous rapidement une idée d’où en est Clio aujourd’hui. En 2007, vous voyez l’infonuagique. Vous avez grandi à Edmonton, alors vous avez vu où se dirigeait la rondelle. Nous sommes maintenant en 2024. Où se trouve la rondelle? Où en est Clio?
Speaker 2 [00:04:46] Nous avons donc repéré cette occasion en 2007. Rian et moi avons passé la majeure partie de l’année à concevoir le produit et avons lancé une version bêta à l’ABA TECHSHOW, l’événement technologique de l’American Bar Association, à Chicago en mars 2008. Nous avons l’impression d’être arrivés au parfait moment. Environ la moitié des participants qui nous ont abordés nous a qualifiés de fous et nous a reproché d’encourager les fautes professionnelles en suggérant aux avocats de stocker leurs données dans le nuage. Les participants dans l’autre moitié nous ont laissé entendre ou ont affirmé qu’ils attendaient que quelqu’un crée ce produit pour eux, et qu’ils se réjouissaient d’avoir enfin un produit infonuagique visuellement attrayant, convivial et puissant avec lequel ils pouvaient exercer leurs activités. Pour eux, c’était une véritable révélation.
Speaker 1 [00:05:37] C’était un problème, Jack, à cette époque, car les documents juridiques comptent évidemment parmi les plus délicats sur le plan de la confidentialité. Personne ne veut que ses secrets juridiques circulent publiquement.
Speaker 2 [00:05:48] Exactement.
Speaker 1 [00:05:48] De plus, l’infonuagique constituait une nouveauté. Cette technologie était peut-être plus vulnérable à l’époque qu’elle ne l’est maintenant.
Speaker 2 [00:05:53] Mais c’est tout à fait juste. À cette époque, l’infonuagique était si récente que bien des gens avaient des réserves quant au stockage des données dans le nuage. Les avocats ont, comme vous le savez, des obligations professionnelles très rigoureuses à l’égard de leurs clients. Ultimement, ils sont fiduciaires des données de leurs clients et prennent des décisions qui contribuent à préserver la confidentialité de ces données. Notre point de vue à l’époque, John, était assez radical : nous croyons que vos données sont plus sûres dans le nuage et avec Clio que dans votre propre système sur place. C’était particulièrement le cas pour la clientèle initialement visée par Clio, qui était composée d’avocats indépendants et de petits cabinets. Contrairement à Gowling, qui compte tout un étage réservé au personnel des TI, cette clientèle n’avait aucun soutien en matière de TI. Ce qui nous a vraiment surpris, Rian et moi, est que le segment des avocats indépendants et des petits cabinets représente en fait la majorité du marché juridique : 80 % des avocats exercent leurs activités dans des cabinets comptant dix avocats ou moins, et la moitié de tous les avocats exercent leur profession en solo.
Speaker 1 [00:07:05] Jack, aidez-nous à comprendre comment l’infonuagique – avant de parler de l’IA – aide les avocats à travailler de façon plus efficace, oui, probablement (c’est évident), mais aussi la mesure dans laquelle cette technologie commence à faire évoluer la pratique du droit.
Speaker 2 [00:07:20] Tout d’abord, l’infonuagique donne un réel pouvoir technologique à tous les avocats indépendants et les petits cabinets que j’ai mentionnés précédemment. Il s’agissait en quelque sorte du segment oublié du marché. Même s’ils avaient voulu acheter l’un de ces produits installés localement, ils n’auraient probablement pas pu gérer le processus d’intégration et les aspects financiers, car ces produits coûtaient souvent 1 000 $ ou 2 000 $ par utilisateur. Il fallait acheter un serveur et embaucher un spécialiste des TI pour en assurer la prise en charge, la maintenance et la correction. Il fallait investir de façon importante pour mettre ce logiciel en service. Puis, le processus était si complexe qu’il fallait investir davantage pour suivre une formation et devenir opérationnel. Ce que l’infonuagique a changé dans tout cela, c’est que le processus est devenu essentiellement aussi facile que celui d’un abonnement à un magazine en ligne. C’était un coût prévisible et accessible, et il était possible de déployer la technologie en une soirée. Toutefois, l’aspect le plus important de la transformation technologique amenée par l’infonuagique est que cela a vraiment aidé les avocats à redéfinir leur façon d’interagir avec leurs clients. Cette transformation a aussi considérablement changé leur façon d’interagir entre eux et de collaborer. Pendant la pandémie de COVID-19, la transformation la plus spectaculaire de l’histoire du domaine juridique s’est produite, tant du côté des attentes des clients envers leurs avocats que de celui des attentes des avocats envers leurs pairs et les professionnels. L’infonuagique permet d’ouvrir la porte d’un tout nouvel univers de collaboration sans effort. Cette technologie élimine la nécessité de bureaux coûteux de catégorie AAA. Aujourd’hui, des avocats travaillent à des emplacements à faible coût ou à domicile et offrent des services de qualité égale, voire supérieure, à leurs clients, qui profitent également de l’accès à ces services juridiques de leur domicile ou sur la route.
Speaker 1 [00:09:18] Revenons sur le fait qu’il ne s’agit pas seulement du télétravail.
Speaker 2 [00:09:22] Oui.
Speaker 1 [00:09:23] Il s’agit de l’affectation du travail, dont nous avons eu un avant-goût pendant la pandémie. C’est l’idée que le travail peut être effectué par n’importe qui, et depuis n’importe où. Bill Gates avait déclaré que l’incidence économique de la pandémie aurait été bien pire, n’eût été l’existence de l’infonuagique. Or, comme pour toutes les technologies, un changement de mentalité doit s’opérer. C’est une chose de disposer des outils, mais c’en est une autre de les utiliser. Vous avez initialement laissé entendre que les avocats et la technologie n’ont pas toujours fait bon ménage. Cependant, la situation est en train de changer considérablement. Donnez-nous une idée, Jack, en 2024, sur une échelle de 1 à 10, où en est la profession juridique en ce qui a trait à l’adoption des technologies?
Speaker 2 [00:10:04] Je dirais qu’elle est à six aujourd’hui.
Speaker 1 [00:10:06] Ce n’est pas une très bonne note. La plupart des avocats ne voudraient probablement pas vivre avec cela. Qu’est-ce qui leur manque?
Speaker 2 [00:10:10] En effet. Actuellement, John, je constate qu’un changement radical se produit dans la profession. Si vous m’aviez posé cette question en février 2020, j’aurais probablement donné une note de trois. Toutefois, je pense qu’on critique parfois injustement les avocats pour ce retard dans l’adoption des technologies. Encore une fois, lorsque Rian et moi avons examiné le paysage des technologies juridiques en 2007, nous avons entrevu une mer de possibilités de faire mieux dans ce domaine. Les outils étaient loin d’être extraordinaires. Après avoir examiné les logiciels offerts, nous ne pouvions pas blâmer les avocats de ne pas vouloir les utiliser. Ils étaient nuls. Cela dit, je pense que les outils se sont beaucoup améliorés au cours des 16 dernières années. En 2018 ou 2019, ce n’étaient que les cabinets d’avocats de premier ordre à la fine pointe de la technologie qui avaient la nécessité d’adopter ces outils. Aujourd’hui, l’adoption technologique dans un cabinet constitue de plus en plus un prérequis. Les cabinets commencent à comprendre que ces enjeux deviennent rapidement existentiels.
Speaker 1 [00:11:24] Jack, donnez-nous une idée de la façon dont l’IA commence à transformer le domaine juridique. J’aime comparer l’infonuagique aux services administratifs, et l’IA, au service à la clientèle. C’est le compagnon invisible aux côtés de votre avocat, de votre banque ou de votre médecin. Ce n’est pas en arrière-plan.
Speaker 2 [00:11:42] Effectivement. Nous considérons que les technologies juridiques et même le travail quotidien des avocats peuvent être divisés en deux volets : d’une part, les tâches administratives liées au droit et, d’autre part, la pratique du droit. Les tâches administratives englobent la facturation, la gestion des pistes et leur conversion en clients. La pratique du droit porte vraiment sur la façon dont vous réalisez votre travail juridique. Il peut s’agir de la rédaction d’un mémoire, de recherches juridiques ou de la présentation du résumé d’un document à un client. La génération actuelle de l’IA excelle dans l’analyse de texte et la rédaction, lorsqu’on dispose d’un grand corpus de données permettant d’entraîner les algorithmes. Et que retrouve-t-on en abondance dans le domaine juridique? On retrouve d’énormes bases de données et un grand nombre de précédents et de documents similaires qui sont évidemment tous sous forme de texte. Par conséquent, les cas d’utilisation de l’IA du côté de la pratique du droit sont presque infinis. Pratiquement tous les aspects du travail quotidien d’un avocat peuvent être bonifiés par l’IA. Du côté des tâches administratives, il y a également une occasion gigantesque de commencer à examiner toutes les données qui existent dans la pratique du droit afin d’obtenir des renseignements approfondis et utiles sur (par exemple) les canaux de recrutement de clients les plus rentables.
Speaker 1 [00:13:08] Jack, est-ce que l’IA éliminera les avocats?
Speaker 2 [00:13:10] Il y a certainement des grincements de dents au sein de la profession juridique; on craint que l’IA élimine la profession ou que son incidence soit profondément négative. Or, je pense que cette préoccupation est mal fondée. Si l’on examine l’historique de l’innovation technologique, même en remontant jusqu’à la première révolution industrielle, on constate qu’une idée fausse revient continuellement. C’est l’idée selon laquelle il existe essentiellement une quantité fixe de travail qui pourrait être grugée par le progrès – qu’il s’agisse du métier mécanique, de la chaîne de montage pour la construction du modèle T ou de l’IA. Un exemple plus récent qui, selon moi, est très instructif, est l’avènement de la feuille de calcul à la fin des années 1970 et son incidence sur les comptables. Cette nouveauté a-t-elle détruit le secteur de la comptabilité? Non. Elle a contribué à créer un outil beaucoup plus accessible qui a mis les comptables sur un pied d’égalité et, au bout du compte, leur a permis de remonter dans la chaîne de valeur en ce qui concerne la valeur apportée aux clients. Il n’existe pas une quantité de travail fixe. En réalité, l’IA aidera les avocats à devenir plus efficaces. Elle contribuera à réduire le coût marginal de la prestation des services juridiques. Elle aidera à rendre les services juridiques accessibles à un plus grand nombre et, par conséquent, les avocats et les autres professionnels du droit adjacents – étant donné que l’IA contribuera à améliorer leur productivité marginale – verront leur rentabilité s’accroître dans un contexte où l’économie du droit s’est considérablement élargie.
Speaker 1 [00:14:51] Ce dernier point est essentiel, car il s’agit de la différence entre un état d’esprit fixe et une mentalité axée sur la croissance.
Speaker 2 [00:14:56] Tout à fait.
Speaker 1 [00:14:57] L’état d’esprit fixe perçoit l’IA comme un outil d’efficacité. « Je vais m’en servir pour réduire mes coûts. » Certes. En revanche, la mentalité axée sur la croissance la perçoit comme un outil de revenus.
Speaker 2 [00:15:06] Exactement.
Speaker 1 [00:15:06] J’ai été épaté à Davos cette année. Les intervenants avaient manifestement la mentalité axée sur la croissance. Ils ont vu dans l’IA une occasion générationnelle de faire croître leurs activités. Oui, cette technologie pourrait permettre de réduire les coûts, mais c’est vraiment du côté des revenus qu’elle présente une occasion emballante pour eux. Selon vous, comment cette mentalité axée sur la croissance s’enracinera-t-elle dans la profession juridique?
Speaker 2 [00:15:24] Il s’agit d’un véritable changement de paradigme et de mentalité pour les avocats, car tout au long de leurs études en droit, leur goût pour la prise de risque a essentiellement été retiré chirurgicalement de leur personnalité. Ils deviennent ce que j’appelle des détecteurs des problèmes : ils sont formés pour repérer les problèmes potentiels dans n’importe quel scénario. Ensuite, lorsqu’ils examinent même leurs propres activités et les façons dont ils pourraient les améliorer, ils ne font encore que repérer les problèmes. C’est ce que j’avais constaté en 2008, lorsque nous avons lancé Clio. « Et si nous faisions faillite? Et si nous nous faisions pirater? Et si l’infonuagique était moins sûre que les systèmes sur place? » Cela fait beaucoup de « si ». Cette détection de problèmes devient presque débilitante. Si l’on ajoute à cela le fait que tous les aspects de la profession juridique s’appuient sur des précédents, surtout en contexte de plaidoirie, le poids du statu quo devient énorme. Il devient extrêmement difficile de faire quoi que ce soit de nouveau lorsqu’il n’y a pas de précédent.
Speaker 1 [00:16:36] Vous avez très bien expliqué comment les avocats peuvent être gagnants ou prospérer à l’ère de l’IA. Je veux comprendre comment Clio sera gagnante à l’ère de l’IA générative, mais d’abord, parlons de la situation actuelle de Clio, qui est vraiment impressionnante. Je pense que vous avez maintenant plus de mille employés; félicitations pour cet accomplissement. Pour revenir sur ce que j’ai mentionné en début d’émission, Clio est une société « licorne », étant évaluée à plus d’un milliard de dollars, mais aussi une société « centaure » – un terme utilisé pour désigner les sociétés technologiques qui génèrent des revenus annuels récurrents de plus de 100 millions de dollars. C’est vraiment impressionnant. De plus, je pense que vous êtes fièrement établis au Canada. Pouvez-vous nous donner un aperçu du chemin parcouru? Au cours de la dernière décennie, quelle a été la décision la plus judicieuse que vous ayez prise pour aboutir à votre position actuelle?
Speaker 2 [00:17:24] Vous savez, c’est la série de décisions prises au cours des dix dernières années et plus qui nous a menés là où nous en sommes aujourd’hui. Nous avons bien choisi notre marché et nous sommes arrivés au bon moment. En tant que fondateur, il faut parfois réussir à lutter contre les pressions que l’on subit en cours de route. Ironiquement, nous avons fondé l’entreprise en 2008 alors que Rian et moi vivions dans deux villes différentes. Nous travaillions de la maison, en répartissant le travail bien avant que ce soit à la mode. Je travaillais à Edmonton et Rian travaillait à Vancouver. Nous avons recruté une équipe à travers l’Alberta et la Colombie-Britannique, et lorsque nous avons commencé à parler de capital de risque en 2008 ou 2009, les sociétés de capital de risque affirmaient qu’elles aimaient notre entreprise, mais nous demandaient de nous établir dans la Silicon Valley. Rian et moi avons vraiment résisté à ces demandes, car nous sentions que nous pouvions bâtir une société de premier plan ici, au Canada. Je suis très heureux de cette décision, car je pense que nous avons contribué à prouver, avec d’autres grandes sociétés canadiennes comme Shopify et d’autres, que nous pouvons faire croître des sociétés incroyables au Canada. Je me sens très chanceux, avec le recul : nous avons évité de justesse de signer des listes de conditions auprès d’investisseurs potentiels qui auraient été catastrophiques, comme des valorisations très faibles, des dispositions de contrôle ou un autre type de structure, et qui auraient entraîné la mort prématurée de la société ou une acquisition précoce. Pour ce qui est de ce que nous avons fait de bien, du point de vue du personnel, je pense que nous avons bâti une très bonne culture d’entreprise qui est axée sur nos clients, sur le soutien mutuel, sur l’épanouissement en tant qu’équipe et sur la création d’un environnement réellement collaboratif et favorable au dépassement de soi. Nous décrivons notre culture comme étant humaine et très performante. Il y a donc une véritable dualité : nous nous attendons à un rendement élevé de la part de nos employés, mais nous les soutenons pour y parvenir de façon très humaine. Je pourrais parler longuement des bonnes et des mauvaises décisions que nous avons prises, mais ce sont là certains des moments où notre société a frôlé la mort, combinés à une culture axée sur la création de valeur à long terme pour nos clients, qui ont contribué à ces 16 années de très forte croissance.
Speaker 1 [00:20:06] Clio se limitera-t-elle au domaine juridique?
Speaker 2 [00:20:09] C’est une excellente question, et nous nous la posons constamment lorsque nous examinons les options stratégiques qui s’offrent à Clio. Nous entrevoyons une trajectoire très claire vers des revenus annuels récurrents d’un milliard de dollars dans le domaine juridique. Mais au-delà de cela, nous entrevoyons une occasion en or d’élargir notre portée à d’autres services professionnels au fil du temps, comme la comptabilité, l’ingénierie, les services-conseils, etc. En fait, soit dit en passant, cette évolution faisait partie du plan d’affaires initial de Rian et moi. Nous pensions être en mesure de régler le cas du domaine juridique en deux ou trois ans maximum, puis passer à d’autres secteurs verticaux. Or, nous avons découvert que le domaine juridique est gigantesque. C’est un marché énorme. Les dépenses juridiques s’élèvent à plus de 1 000 milliards de dollars chaque année à l’échelle mondiale. Nous tentons donc de ne pas nous laisser distraire par d’autres secteurs verticaux et de continuer à nous concentrer sur ce que nous estimons être des occasions presque infinies et encore très nouvelles en ce qui a trait à l’intégration de nouveaux clients du domaine juridique. Pour vous donner une idée de l’occasion qui se présente, les deux tiers des avocats aux États-Unis et au Canada n’utilisent pas de système de gestion de pratique comme Clio. J’entrevois donc qu’au cours des prochaines années, nous resterons fortement axés sur le domaine juridique. Lorsque nous passerons le cap du milliard de dollars de revenus annuels récurrents, nous devrons peut-être élargir notre champ d’action et réfléchir aux perspectives de Clio au-delà du domaine juridique. Mais il est aussi possible que cela ne se produise jamais.
Speaker 1 [00:21:53] Vous en aurez aussi plein les bras avec l’IA, qui se traduit non seulement par des occasions formidables, mais aussi des exigences importantes en matière de capitaux.
Speaker 2 [00:22:00] Oui, tout à fait. Je pense également que l’IA change complètement ce calcul. Nous entrevoyons une occasion de doubler ou de tripler notre revenu moyen par compte au fil du temps grâce à la valeur que l’IA peut générer. Vous m’avez posé une question à laquelle je ne crois pas avoir répondu tout à l’heure. Vous m’avez demandé pourquoi Clio est bien placée pour saisir l’occasion liée à l’IA. La réponse est qu’en tant que système d’enregistrement pour un cabinet d’avocats, Clio est ce que les avocats utilisent au quotidien. Elle est la première application qu’ils ouvrent le matin, et la dernière qu’ils ferment le soir.
Speaker 1 [00:22:44] Comment envisagez-vous le contexte concurrentiel de l’IA? Les géants de l’infonuagique sont déjà bien présents dans ce segment, et disposent de capitaux dont la plupart des entreprises ne peuvent même pas rêver ainsi que d’une puissance technologique. Où Clio se positionnera-t-elle dans ce contexte alors que les Microsoft, Amazon et Google de ce monde dominent le marché? Actuellement, ce sont ces géants qui attirent les capitaux et les milliers de milliards de dollars. Comment pouvez-vous vous démarquer et être compétitif dans ce contexte stimulant, mais quelque peu intimidant?
Speaker 2 [00:23:18] Je pense que ce sera un peu comme à l’ère de l’infonuagique ou des logiciels sur place : les sociétés axées sur le marché horizontal, comme Microsoft, s’imposeront naturellement pour ces applications horizontales et seront très difficiles à déloger. Or, au cours des dix dernières années et même plus, une énorme demande et un appétit ont émergé pour des applications et des solutions verticales adaptées qui tiennent vraiment compte des besoins, des flux de travail et des cas d’utilisation des clients. L’IA ne fera qu’exacerber cette situation et créer des occasions encore plus importantes pour les entreprises axées sur le marché vertical comme Clio. Si votre plan d’affaires est de concevoir un logiciel de traitement de texte pour rivaliser avec Microsoft Word et ses capacités d’IA générative, vous aurez du fil à retordre. En revanche, votre plan d’affaires pourrait être de bien comprendre la façon dont les avocats spécialisés en préjudices corporels rédigent les lettres de mise en demeure et la manière dont vous pouvez tirer parti des données liées à toutes les réclamations déposées aux États-Unis au cours des deux dernières décennies, puis d’utiliser ces données pour produire une mise en demeure plus précise qui se rapproche du maximum que la compagnie d’assurance est prête à payer. Microsoft ne touchera jamais à ce cas d’utilisation, mais vous venez de libérer un énorme potentiel de valeur pour un avocat spécialisé en préjudices corporels qui rédige des mises en demeure. Je pense donc que c’est là que résident les occasions pour les entrepreneurs. Il s’agit de déterminer comment prendre cette solution généralisée et l’adapter à un secteur vertical précis pour créer une valeur élevée et un fort impact au sein de ce marché.
Speaker 1 [00:25:07] Jack, cette conversation a été formidable. Merci de nous avoir accordé du temps. Dans les minutes qu’il nous reste, j’aimerais vous poser quelques questions rapides sur l’avenir.
Speaker 2 [00:25:16] Absolument. Avec plaisir.
Speaker 1 [00:25:17] Commençons par le cabinet d’avocats de 2034. À quoi pourrait-il ressembler?
Speaker 2 [00:25:22] Le cabinet d’avocats de 2034 est entièrement axé sur l’infonuagique. Il est virtuel, sans bureau physique. Tous les membres de ce cabinet tirent parti de l’IA pour probablement 90 % de leurs tâches quotidiennes actuelles. De ce fait, ils sont en mesure de gérer un plus grand nombre de clients qu’auparavant, et sont en mesure d’offrir un niveau de service plus élevé à chacun de ces clients grâce au gain d’efficience attribuable à l’infonuagique et à l’IA.
Speaker 1 [00:25:58] En 2034, pourrai-je utiliser la version 8, 9 ou 10 de ChatGPT en tant qu’avocat?
Speaker 2 [00:26:04] À mon avis, vous utiliserez probablement une version améliorée de ChatGPT, assistée par un avocat avec lequel il est facile d’interagir, mais dont vous pourrez valider les résultats auprès de l’avocat qui fournit les conseils juridiques. ChatGPT demeure un algorithme. Si vous avez besoin d’un avis juridique, seul un avocat pourra vous en fournir un, même en 2034. Je pense que nous verrons des robots conversationnels sur Internet et d’autres outils semblables qui permettront aux consommateurs de mieux cerner un problème juridique et, le cas échéant, de déterminer l’avocat qui sera en mesure de les aider à cet égard. Un avocat habile avec les technologies, au moyen d’une intégration à l’architecture de l’interface API de ChatGPT, pourrait prendre les devants et lancer un appel vidéo sans délai après avoir repéré un problème juridique.
Speaker 1 [00:27:04] Quant aux avocats qui prospéreront en 2034, quels efforts auront-ils déployés au cours de la prochaine décennie pour se retrouver dans cette bonne posture?
Speaker 2 [00:27:14] Ils auront adopté l’état d’esprit de croissance dont vous et moi avons parlé. Ils commenceront à réfléchir à la manière dont ils peuvent travailler à rebours en partant des gens qui ont des problèmes, et essentiellement intercepter un client qui a un problème. Ils exploiteront l’infonuagique, l’IA et tous les outils à leur disposition. Je crois qu’ils se spécialiseront dans le type de problèmes qu’ils traitent et qu’ils résoudront ces problèmes à grande échelle.
Speaker 1 [00:27:48] Dernière question. Nous sommes en 2034. Clio est dix fois plus grande, comme vous l’aviez prévu. Elle est toujours une société canadienne. Qu’est-ce que le Canada a fait pour vous aider à croître, à atteindre cette envergure et à garder votre identité canadienne?
Speaker 2 [00:28:02] J’estime que le Canada a une occasion sans précédent de s’imposer comme le pays de choix pour les personnes qui mènent cette transformation numérique. Nous avons la légitimité de devenir le chef de file mondial de l’innovation en matière d’IA, et nous avons besoin d’un plus grand nombre de sociétés de premier plan qui fleurissent au Canada. Nous avons besoin de plus d’incitatifs pour que les sociétés s’établissent au Canada et y restent. Nous devons faciliter le recrutement de talents au Canada. Nous devons trouver la proposition de valeur unique du Canada et en faire le meilleur endroit au monde pour les travailleurs du savoir dans le domaine de l’IA. Si nous y parvenons, nous aurons une occasion incroyable de devenir le pays le plus favorable au monde pour bâtir une société innovante. Aucun autre pays ne dispose de telles possibilités.
Speaker 1 [00:28:56] Jack, c’est une excellente façon de clore cette conversation. Il ne me reste plus qu’à vous dire de poursuivre dans cette voie.
Speaker 2 [00:29:00] Merci.
Speaker 1 [00:29:00] Ce que vous bâtissez est vraiment impressionnant. Merci d’avoir participé au balado Les innovateurs.
Speaker 2 [00:29:04] Merci de l’invitation, John.
Speaker 1 [00:29:08] Clio n’est que l’une des nombreuses histoires de réussite du Canada liées à l’IA. Au cours des prochains mois, nous entendrons d’autres innovateurs canadiens qui explorent les nouvelles frontières de l’IA générative, ainsi qu’une foule d’entreprises canadiennes, nous parler de ce que tout cela signifie pour l’économie canadienne, l’avenir du travail, les occasions d’affaires et la société dans son ensemble. Il s’agit d’une conversation essentielle à laquelle tous les Canadiens doivent participer, alors soyez des nôtres.
[00:29:35] Mon nom est John Stackhouse et vous écoutez Les innovateurs, un balado de RBC. On se reparle bientôt.
Speaker 3 [00:29:43] Le balado Les innovateurs de RBC est créé par le groupe Leadership avisé RBC. Il ne constitue pas une recommandation visant une organisation, un produit ou un service. Pour plus de contenu, visitez le site leadershipavise.rbc.com/innovateurs-rbc/?_gl. Si vous aimez notre émission, laissez-nous une note de cinq étoiles!
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