Les relations entre l’Inde et le Canada reprennent vie, et cette fois-ci le processus ne se limitera pas à quelques poignées de main.
Il y a deux ans, Justin Trudeau avait plombé les relations entre les deux pays en déclarant publiquement que le gouvernement indien pouvait être impliqué dans le meurtre d’un activiste sikh canadien, Hardeep Singh Nijjar, à Vancouver. Cette accusation avait provoqué la plus forte crise bilatérale depuis des décennies. Par la suite, les deux gouvernements avaient expulsé des diplomates, gelé les services de visa et suspendu toute négociation commerciale. Puis Donald Trump est revenu au pouvoir, et la nouvelle ère de « L’Amérique d’abord » a relégué au second plan les autres politiques étrangères.
Cette semaine, les gouvernements Carney et Modi ont amorcé un rapprochement délicat qui fera appel à des compromis de part et d’autre. Plus important encore, ils devront faire le point sur leurs intérêts mutuels (plutôt que sur leurs valeurs communes) dans un monde de plus en plus divisé.
Le Premier ministre Mark Carney a ouvert la voie à une politique fondée sur les intérêts communs en invitant Narendra Modi au sommet du G7, en Alberta, au mois de juin. M. Modi, qui n’a jamais été un grand partisan de M. Trudeau, s’est emparé de cette occasion de faire la paix.
Les deux gouvernements ont promptement nommé de nouveaux hauts-commissaires et repris leurs discussions sur les questions de sécurité, en particulier sur l’affaire Nijjar, avec l’intention de ne pas laisser ce sujet dominer leurs relations bilatérales.
Cette semaine, la ministre des Affaires étrangères Anita Anand et son homologue indien, Subrahmanyam Jaishankar, se sont rencontrés aux Nations Unies en prévision d’un voyage officiel de Mme Anand en Inde à l’automne. Ottawa a rapidement réagi en désignant le gang indien Bishnoi comme entité terroriste, ce qui aidera les deux pays à lutter contre la montée des activités criminelles indiennes au Canada.
Ce sont de bonnes nouvelles pour ceux qui souhaitent ranimer ce partenariat, en particulier dans les domaines du commerce et de l’investissement. Mais il n’est pas question d’un simple retour à une relation normale, car les deux pays sont sur des longueurs d’onde économiques, sociales et géopolitiques très différentes. Ils devront trouver des points d’intérêt stratégiques.
Dans ce nouveau virage vers l’Inde, le Canada devra composer avec un pouvoir plus ferme et plus indépendant. De plus, le Canada doit se faire à l’idée qu’une décennie d’occasions bilatérales a été complètement ou partiellement perdue. Durant cette décennie, la situation de l’Inde a considérablement changé.
Le pays affiche la plus forte croissance du PIB nominal parmi les grandes économies mondiales, et le revenu des ménages a presque doublé grâce à l’essor des collectivités rurales. L’Inde, pays le plus peuplé au monde, se considère désormais comme une puissance économique et politique qui pèsera dans la balance d’ici le milieu du siècle. L’Inde est aussi en voie de devenir l’un des pays les plus avancés au monde sur le plan du numérique, grâce à son système d’identification biométrique Aadhaar qui couvre désormais plus de 90 % de la population.
Au cours de la décennie passée, le Canada a accueilli (officiellement) 500 000 personnes d’origine indienne, ce qui fait de l’Asie du Sud sa principale source d’immigration.
Ces deux dynamiques, à savoir la montée de l’Inde et la diversité du Canada, exigeront d’assurer un équilibre délicat.
Jusqu’à présent, M. Carney a réussi à s’élever au-dessus de la politique nationale et à placer les intérêts du Canada au centre de cet exercice d’équilibre. Son gouvernement a indiqué que le nouveau chapitre de sa politique indienne serait axé sur les questions économiques, avec notamment une amélioration des garde-fous visant à protéger les intérêts des deux pays de la politique de la diaspora.
Une politique axée sur les intérêts passe par un renforcement des liens commerciaux, tant sur le plan des échanges que de l’investissement. Au cours des cinq dernières années, l’Inde est devenue une option stratégique pour de nombreux Canadiens (et habitants d’autres pays) souhaitant s’éloigner de la Chine, et malgré le refroidissement, puis le gel des relations entre les deux pays, l’intérêt des grands investisseurs s’est accru. Entre 2019 et 2023, les caisses de retraite canadiennes ont dirigé 25 % de leurs capitaux d’investissement vers l’Inde, ce qui marque une hausse de 10 % par rapport aux 15 années précédentes. L’Inde a ainsi supplanté la Chine au deuxième rang des destinataires pour les caisses de retraite canadiennes, uniquement devancée par les États-Unis.
Le Régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l’Ontario s’est tenu à l’avant-plan, investissant l’année passée dans l’infrastructure (National Highways Trust), le financement automobile (Kogta) et l’intelligence artificielle (Darwinbox). Le groupe Brookfield s’est montré tout aussi présent sur le marché indien avec l’acquisition d’actifs liés aux énergies propres et de sites de télécommunications. À la fin de septembre, il a également conclu un partenariat d’une valeur de 1 milliard de dollars américains avec GIC, un fonds souverain de Singapour, pour gérer plus de cinq millions de pieds carrés de bureaux dans trois grandes villes : Mumbai, Bangladeshrou et Hyderbad.
Sur le plan commercial, l’Inde est passée du 16e rang des partenaires du Canada en importance en 2008 au 10e rang en 2015 puis au 7e rang l’an dernier.
Il en va autrement du Canada, qui se classe seulement au 30e rang des partenaires de l’Inde. Le commerce bilatéral a atteint 31 milliards de dollars en 2024, en prenant en compte les services, contre 117 milliards de dollars avec la Chine. La baisse du nombre d’étudiants étrangers, qui constituent l’une des plus importantes sources de revenus indiens pour le Canada, ralentira encore plus ces progrès, car la politique du Canada, perçue comme une politique de repli, a entaché notre réputation auprès de toute une génération de jeunes Indiens instruits.
Et ce n’est pas l’unique raison pour laquelle la volonté du Canada de relancer les négociations commerciales pourrait exiger de la patience. En effet, l’Inde et M. Modi, qui font preuve d’une confiance croissante, ne feront pas facilement des compromis, surtout sur des questions telles que les droits de propriété intellectuelle, que l’Inde considère depuis longtemps comme une forme de colonialisme occidental.
Ces différences mises à part, les deux pays partagent des liens uniques et profonds, en grande partie tissés par la population indo-canadienne. À l’avenir, l’Inde souhaitera établir des relations plus mûres, fondées sur des intérêts, en particulier sur le plan économique. Le Canada pourra aussi saisir de nouvelles occasions, allant du pétrole lourd au GNL, en passant par les technologies spatiales et de fabrication de pointe.
Une relation renouvelée exigera que les deux pays reconnaissent ce que chacun d’eux apporte à l’autre. Elle peut aussi mettre l’accent sur ce que les deux pays peuvent accomplir grâce à des alliances et à des groupes multilatéraux. Cette semaine, Mme Anand et M. Jaishankar se sont exprimés devant l’ONU sur l’importance du multilatéralisme dans cette ère de « L’Amérique d’abord ». L’Inde, en tant que puissance de second ordre en plein essor, et le Canada, en tant que puissance moyenne en difficulté, pourraient tous deux tirer parti d’efforts collectifs.
Il y a cinquante ans, en 1975, les relations entre l’Inde et le Canada sont tombées au plus bas après que le gouvernement d’Indira Gandhi eut testé une bombe nucléaire l’année précédente puis déclaré l’état d’urgence. La relation ne s’est rétablie que lorsque Jean Chrétien s’est rendu en Inde en 1996.
Pour les deux pays, l’enjeu est trop important pour risquer un nouvel hiver de mécontentement.
Ancien rédacteur en chef du Globe and Mail, John Stackhouse a été correspondant du journal à New Delhi de 1991 à 1999. Il est premier vice-président, Bureau du chef de la direction, RBC, et agrégé supérieur de la Munk School of Global Affairs & Public Policy de l’Université de Toronto.
Le présent article vise à offrir des renseignements généraux seulement et n’a pas pour objet de fournir des conseils juridiques ou financiers, ni d’autres conseils professionnels. Le lecteur est seul responsable de toute utilisation des renseignements contenus dans le présent document, et ni la Banque Royale du Canada (« RBC »), ni ses sociétés affiliées, ni leurs administrateurs, dirigeants, employés ou mandataires respectifs ne seront tenus responsables des dommages directs ou indirects découlant de l’utilisation du présent document par le lecteur. Veuillez consulter un conseiller professionnel en ce qui concerne votre situation particulière. Les renseignements présentés sont réputés être factuels et à jour, mais nous ne garantissons pas leur exactitude et ils ne doivent pas être considérés comme une analyse exhaustive des sujets abordés. Les opinions exprimées reflètent le jugement des auteurs à la date de publication et peuvent changer. La Banque Royale du Canada et ses sociétés affiliées ne font pas la promotion, explicitement ou implicitement, des conseils, des avis, des renseignements, des produits ou des services de tiers.
Le présent document peut contenir des déclarations prospectives – au sens de certaines lois sur les valeurs mobilières – qui font l’objet de la mise en garde de RBC concernant les déclarations prospectives. Les paramètres, données et autres renseignements ESG (y compris ceux liés au climat) contenus sur ce site Web sont ou peuvent être fondés sur des hypothèses, des estimations et des jugements. Les mises en garde relatives aux renseignements présentés sur ce Site Web sont exposées dans les sections « Mise en garde concernant les déclarations prospectives » et « Avis important concernant le présent rapport » de notre Rapport climatique le plus récent, accessible sur notre site d’information à l’adresse https://www.rbc.com/notre-impact/information-sur-la-durabilite/index.html. Sauf si la loi l’exige, ni RBC ni ses sociétés affiliées ne s’engagent à mettre à jour quelque renseignement que ce soit présenté dans le présent document.