À la suite de la décision de l’administration américaine d’exonérer de droits de douane les produits conformes à l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM), cet accord devient la pierre angulaire des relations commerciales entre le Canada et les États-Unis, du fait qu’il assure un accès préférentiel au marché pour un large éventail de produits.
Néanmoins, les décrets présidentiels ont frappé de lourdes taxes les exportations canadiennes d’acier et d’aluminium et certaines automobiles entrant aux États-Unis. Par conséquent, nous estimons à près de 86 % la part des exportations canadiennes vers les États-Unis qui pourraient finalement franchir la frontière sans être assujetties à des droits de douane, à condition que ces exportations respectent la réglementation nord-américaine relative à l’origine des biens.
Or, à peine 38 % des importations américaines en provenance du Canada, plus ou moins, ont été échangées dans le cadre de l’ACEUM en 2024. Selon nous, ce faible pourcentage s’explique notamment par le fardeau administratif que représente la mise en conformité avec les clauses sur l’origine des biens, d’autant plus qu’une grande partie des produits exportés vers les États-Unis en dehors de l’Accord de libre-échange nord-américain était jusque-là exemptée de droits de douane généraux.
Cette situation devrait changer à présent que la vague de nouvelles mesures commerciales américaines entre en vigueur, obligeant davantage d’entreprises canadiennes à prouver que leurs produits sont conformes à l’accord si elles veulent échapper aux droits de douane.
Nous examinons de plus près les dernières mesures commerciales prises par les États-Unis, leurs implications vis-à-vis de l’ACEUM, et ce qu’elles signifient pour les entreprises canadiennes qui naviguent dans un environnement commercial de plus en plus incertain.
La plupart des échanges de marchandises canadiennes devraient être conformes à l’ACEUM
En vertu des nouvelles mesures américaines imposées au début du mois de mars, les exportations canadiennes jugées non conformes à l’ACEUM sont passibles de pénalités importantes, avec un taux de 25 % sur la plupart des produits non conformes et de 10 % sur les produits des secteurs de l’énergie et de la potasse non conformes. Toutefois, il est probable que la majeure partie des exportations d’énergie et de potasse soient conformes à l’accord, étant donné que ces marchandises sont principalement produites au Canada et figurent dans la liste des produits exonérés de droits de douane en vertu de l’ACEUM.
Nous avons déjà fait remarquer que près de 38 % du total des importations américaines de marchandises canadiennes ont été échangées dans le cadre de l’ACEUM en 2024, ce qui représente une valeur de 156 milliards de dollars américains. Cela dit, une part beaucoup plus importante des marchandises échangées pourrait être mise en conformité assez rapidement.
La liste américaine de produits exonérés de droits de douane en vertu de l’accord ACEUM de 2020 visait environ 94 % des exportations canadiennes en 2024, selon nos calculs – ce qui englobe la plupart des produits liés à l’énergie et des engrais potassiques. À notre avis, si les droits de douane prévus dans les accords ACEUM/AEUMC n’ont été que peu appliqués l’année dernière, c’est parce que de nombreux exportateurs canadiens bénéficiaient déjà de droits de douane généraux américains très bas, voire nuls, en vertu des règles de l’Organisation mondiale du commerce, sans avoir à accomplir les tâches administratives relatives à l’origine des produits en vertu de l’ACEUM.
Une partie des exportateurs fait face à des droits de douane plus élevés bien que leurs produits soient conformes à l’ACEUM
Toutefois, des droits de douane spécifiques à certains produits ont également été imposés, notamment à un taux de 25 % sur les produits d’acier et d’aluminium, et de 25 % sur les pièces non américaines incluses dans les automobiles exportées. Ces changements rendent les choses encore plus complexes pour les exportateurs canadiens, y compris ceux qui sont déjà en conformité avec l’ACEUM.
Les droits de douane introduits en mars et avril au titre de la loi International Emergency Economic Powers Act (IEEPA) et de l’article 232 imposent de nouveaux droits sur les exportations canadiennes dans plusieurs secteurs clés :
En vertu de l’article 232, même les véhicules incluant 75 % de pièces nord-américaines – auparavant admissibles à une franchise de droits de douane en vertu de l’ACEUM – pourraient être assujettis à des droits de douane si une partie importante de leur valeur provient de l’extérieur des États-Unis. Selon nos calculs, environ 49 % de la valeur des véhicules automobiles finis exportés du Canada vers les États-Unis provient des États-Unis, ce qui signifie que la partie restante pourrait être assujettie à des droits de douane de 25 %. Notamment, les droits de 25 % prévus par l’article 232 au regard des produits d’acier et d’aluminium s’appliquent indépendamment du statut par rapport à l’ACEUM.
Les produits d’acier et d’aluminium (4,1 % des exportations canadiennes vers les États-Unis), les pièces non américaines de véhicules automobiles finis (4 % des exportations canadiennes vers les États-Unis) et la valeur d’environ 1,2 %1 que nous estimons pour les exportations totales de produits de bois d’œuvre déjà soumises à des droits importants, en raison d’un différend commercial de longue date, portent la part totale des exportations canadiennes vers les États-Unis non couvertes par une exonération de droits de douane en vertu de l’ACEUM à un peu moins de 14 %2.
Par ailleurs, les producteurs canadiens de bois d’œuvre pourraient encore être chahutés, étant donné que le département du commerce des États-Unis a proposé d’augmenter le taux d’imposition combiné moyen – qui comprend à la fois les droits antidumping et les droits compensateurs. Une décision finale sur le nouveau taux d’imposition est attendue pour le mois d’août. Cette augmentation pourrait s’ajouter à de nouvelles hausses de droits de douane à la suite de la conclusion de l’enquête américaine sur le bois d’œuvre au titre de l’article 232.
Les règles relatives à l’origine des produits devraient être gérables pour la plupart des exportateurs
Les exportations canadiennes doivent répondre à des critères d’origine spécifiques pour bénéficier du traitement fiscal préférentiel prévu par l’ACEUM. Ces règles permettent de déterminer si un produit est « originaire » de la région visée par l’ACEUM.
En règle générale, les marchandises doivent être entièrement obtenues ou produites dans la région de l’ACEUM ou répondre à des exigences détaillées spécifiques au produit. Les exigences peuvent être des seuils minimaux de contenu en valeur d’origine régionale, des modifications de classification tarifaire ou des processus de production particuliers. Par exemple, les légumes ou les minéraux issus du sol canadien sont généralement admissibles à la règle de l’origine complète, car ils proviennent entièrement de la région de l’ACEUM.
La plupart des seuils de contenu régional visés par l’ACEUM se situent entre 50 % et 60 %, selon les méthodes de calcul. Il existe des exceptions, mais pour la plupart des secteurs, ces seuils ne devraient pas poser de problème. Parmi les principaux secteurs canadiens qui exportent vers les États-Unis, une grande partie de la valeur est déjà créée dans la région de l’ACEUM, en particulier au Canada et aux États-Unis, ce qui appuie leur admissibilité.
Le secteur automobile est soumis à des règles d’origine plus strictes. Les véhicules doivent satisfaire à des exigences selon lesquelles 75 % de la valeur de leurs pièces est dérivée de la région de l’ACEUM, au moins 70 % des achats annuels d’acier et d’aluminium du producteur proviennent d’Amérique du Nord, et 40 à 45 % de la valeur est générée dans des usines où les travailleurs sont payés au moins 16 dollars américains de l’heure. En 2024, 90 % des exportations automobiles canadiennes vers les États-Unis étaient déjà réalisées dans le cadre de l’ACEUM/AEUMC, ce qui signifie que le commerce est déjà largement en conformité avec ces accords.
Les perturbations commerciales laisseront des traces sur l’économie
En ce qui concerne les marchandises entièrement obtenues ou produites dans la région de l’ACEUM, nous supposons qu’il est relativement simple de satisfaire aux critères d’origine. Cependant, certains secteurs devront se conformer aux changements de classification tarifaire ou aux processus de production requis pour que leurs produits bénéficient d’un traitement fiscal préférentiel.
Dans tous les cas, les exportateurs, les producteurs et les importateurs devront certifier que leurs marchandises satisfont aux critères d’origine, ou démontrer qu’une part suffisante de leur transformation s’est déroulée conformément aux exigences minimales de l’annexe 5-A de l’ACEUM.
Nous devons garder à l’esprit que le risque de nouvelles perturbations commerciales reste élevé. Les enquêtes américaines en cours au sujet du commerce du cuivre, des produits pharmaceutiques, des semi-conducteurs, des minéraux critiques et du bois d’œuvre pourraient conduire à des droits de douane supplémentaires spécifiques aux secteurs.
Ces mesures ont d’importantes répercussions économiques générales. L’incertitude croissante liée à la politique commerciale des États-Unis érode la confiance des entreprises et des consommateurs, retarde les décisions d’investissement et de dépenses, et entraîne des coûts économiques réels.
Comme nous l’avons souligné au début du mois, nous pensons que la guerre commerciale ralentira la croissance aux États-Unis et au Canada, mais pas au point de les faire basculer dans la récession. Les principales préoccupations à l’égard de l’économie canadienne sont passées des droits de douane écrasants à l’inquiétude concernant l’impact d’un ralentissement de la croissance américaine.
1. L’estimation est dérivée de la proportion des exportations canadiennes classifiées selon les codes du Système harmonisé (codes SH), comme indiqué ici (An.).
2. Notre estimation selon laquelle 4,4 % des exportations canadiennes ne sont pas couvertes par l’ACEUM contient une part d’incertitude. Ce chiffre est fondé sur le barème original des droits de douane américains de 2020 selon l’USMCA (An.). Toutefois, les mises à jour (An.) du système harmonisé des droits de douane américains de 2022 – y compris la renumérotation et l’ajout de nouveaux codes produits – ont modifié la couverture. Par exemple, environ 2,1 % de cette part « non conforme » est constituée de produits aérospatiaux répertoriés sous le code SH 88. La part totale des exportations non couvertes par l’ACEUM tombe à 2,3 % après ajustement du barème original de l’USMCA pour tenir compte des produits renumérotés et des ajouts.
Salim Zanzana est économiste pour RBC. Il se concentre sur les questions macroéconomiques émergentes, allant des tendances du marché du travail aux changements dans la croissance structurelle à long terme du Canada et des autres économies mondiales.
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